Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

jeudi 16 avril 2015

La promesse de l'aube ~~~~ Romain Gary

 



J'avais la tentation d'écrire. Puis j'ai lu Romain Gary. Je me suis laissé emporter par le flot impétueux des phrases longues et ardentes de La promesse de l'aube. J'ai alors mesuré le gouffre qu'il y a entre la limpidité du talent et la turbidité de mon intention prétentieuse. Je me suis donc ravisé. Merci maître de m'avoir rendu quelque modestie et calmé ainsi mes ardeurs brouillonnes. Je me contenterai donc d'essayer de traduire mon enthousiasme pour les belles pages de littérature moderne que je viens d'ingurgiter goulûment.

Voilà un ouvrage auto biographique qui, de la première à la dernière page, fait l'apologie d'un amour particulier, inaltérable. Celui que partagent une mère et son fils.

Romain Gary a toutefois bien imaginé l'embarras qui pourrait s'installer dans l'esprit de son lecteur avec une telle confidence. Il se sent alors obligé d'anticiper sur les suspicions que cette relation pourrait faire naître chez les " frétillants parasites suceurs de l'âme" et se défend de toute connotation incestueuse quant à cet élan partagé : "Je ne crois donc avoir éprouvé à l'égard de ma mère, que je n'ai jamais connue vraiment jeune, que des sentiments platoniques et affectueux".
Etonnante la soif de célébrité pour son fils qui obsède cette mère. Peu importe la voie ou le moyen d'y parvenir. Rien ne la rebute, ni ne la décourage. Le destin lui donnera raison. A notre plus grand bénéfice, nous, lecteurs d'un temps où ce magicien du verbe n'est plus.

Mais l'amour confère des devoirs envers son objet. Même s'il faut se mettre en danger pour le manifester et le préserver. Cela vaudra à Romain Gary, alors adolescent, de recevoir la plus belle paire de gifles de sa vie de la part de sa mère. Sans rancune. Une leçon d'amour. C'est tout.

Il en sera pour son pays d'adoption comme pour sa mère. Un amour absolu et inconditionnel. Même loin des yeux. "De toute mon existence, je n'ai entendu que deux êtres parler de la France avec le même accent : ma mère et le général de Gaulle".

Romain Gary a été un combattant de la France libre de la première heure. Dès la défaite de juin 1940 il a compris que son devoir lui commandait de ne pas accepter la défaite. Mais il n'en veut à personne, ni aux ennemis de la France, ni à ceux qui leur serrent la main. Il n'est pas avec eux c'est tout. C'est un humaniste convaincu. En dépit des épreuves qui jalonnent sa vie, il conserve foi en l'espèce humaine. En l'être vivant devrait-on dire, car il respecte tout ce qui naît et croît sur terre. Il va jusqu'à regretter de faire du mal à ses semblables en participant à des actions de guerre. Son amour pour ce pays d'adoption en fait un Eden patriotique. Il lui dicte un devoir sans arrière-pensée.

Romain Gary a un regard lucide sur l'existence. C'est un spectateur de sa propre vie. "Je ne triche pas avec moi-même et je sais que, pour l'essentiel, j'ai été et ne serai plus jamais".

A plusieurs reprises, dans cet ouvrage publié en 1960, avec une lecture avisée - car il est facile de refaire l'histoire quand on en connaît la fin - on perçoit la germination de ce qu'il qualifie "d'intention sublime". Celle qui lui fera écourter sa vie 20 ans plus tard. Tant pis pour nous. Mais peut-être avait-il alors la conviction d'avoir été au bout de ses écrits. Peut-être avait-il perçu les limites de son humanisme. Ou peut-être cet homme, qui avait besoin d'être materné, ne supportait-il pas l'idée que l'élue de son cœur ait choisi de le confier à la plus fidèle amie de l'écrivain : la solitude.

Aussi, entre deux œuvres de solitude, préférera-t-il la mort. A le lire, on comprend que cette échéance ne le rebute pas. Cette prédestination n'est que l'ultime chance de débarrasser l'âme d'un corps devenu fardeau. Rien de plus normal lorsqu'il fait le décompte précis de ceux de ses amis que la guerre a gommés du monde. En avait-il des amis d'ailleurs ? Il n'en exprime pas le moindre regret. Il a de toute façon la certitude de les retrouver un jour.

Fabuleux créateur de beaux textes, au langage alternant humour et froideur, toujours pudique. Il a vis-à-vis du destin le détachement de ceux qu'habite le fatalisme. Avec l'air de vous dire: voilà les choses comme elles sont. Je vous l'aurai dit. Faites-en ce que vous voulez.

Quel sentiment m'anime en fermant cet ouvrage, si ce n'est une admiration inconditionnelle ? Et bien sûr un peu de jalousie ! Mais je partage son approche quant à la destinée.


mardi 14 avril 2015

Les âmes grises ~~~~ Philippe Claudel

 


Les âmes grises ! Y'a-t-il une leur d'espoir à la page suivante ? A voir les sourires s'effacer les uns après les autres, nul n'échapper à la suspicion, on perçoit aussi "le ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle" (*), au-dessus de ce village dont on ne connaîtra pas le nom, mais dont on apprend qu'il voisine avec la ligne de front. de ses hauteurs on peut même percevoir au loin la marche inexorable de la grande faucheuse. Elle couche les hommes comme la moissonneuse les épis de blé mûr.

La quête, l'espoir de l'embellie donne de l'appétence et fait avaler les chapitres. Mais pas seulement. Elle est exhaussée par le beau talent d'un narrateur qui s'adresse parfois à son lecteur et sait le tenir en haleine. Avec sa maîtrise du style imagé et de la personnification, Philippe Claudel s'ingénie à faire exprimer aux choses les vérités que l'infamie de la nature humaine tente de dissimuler.

Le destin qui broie une génération dans la fleur de l'âge, à portée de regard, n'a pas son content de vie humaine. Il se plaît aussi à reprocher aux crédules la jouissance de quelques instants de bonheur. Telle Lysia Verhareine, la jeune et belle, trop belle, institutrice remplaçante du village, lasse de l'inquiétude qui lui ronge le cœur, elle est venue aux confins de la zone de guerre tutoyer le malheur. Elle est venue là pour tenter de discerner dans le grondement du canon le battement du cœur de son aimé. En forme d'exorcisme.

Ou bien celle qu'on surnomme Belle de jour. Une pauvrette d'une dizaine d'années dont le seul tort aura été de croiser son assassin. Ce qui deviendra l'Affaire. Mais en ces périodes sombres où la justice n'est pas trop regardante sur le bon droit, on cherchera plus à l'expédier cette affaire qu'à l'élucider. Un bouc émissaire ira donc tout aussi bien qu'un vrai coupable. D'autant que la vérité pourrait bien déranger quelque notabilité. Deux déserteurs seront donc tout désignés pour endosser le crime, même s'il faut user de quelque procédé d'un autre âge pour obtenir des aveux. Ne sont-ils pas déjà coupables. Terrorisés à l'idée de retourner dans les tranchées, hantés par le souvenir des corps déchiquetés, des cris de désespoir de ces hommes cloués dans les barbelés qui appellent leur mère, ils préféreront précipiter la mort plutôt que de la laisser continuer à les narguer.

Le narrateur acteur de cet ouvrage ne sera pas en reste enfin. On ne connaîtra pas son nom mais le destin lui fera comprendre que lui aussi a consommé son capital bonheur.

Est-ce un ouvrage immoral dans lequel règne l'injustice ? A reconnaître la perversité du juge et de son acolyte galonné on serait tenté de le croire. Toute innocence dissimule-t-elle des traces de culpabilité ? "Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc. C'est le gris qui gagne. Les hommes et leur âme c'est pareil… T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous…"

Le Renaudot est réputé réparer les injustices du Goncourt. C'est au moins ça pour ce beau roman. Ce n'est pas volé.

(*) Baudelaire : Spleen