Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

jeudi 20 avril 2023

Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco

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J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils en espéraient de quoi subsister.

Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à craindre pour la récolte.

Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.

Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente tant son courroux est craint.

Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que part regard à la dérobée et rougeur au visage.

Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des vivants.

Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur, l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.

samedi 15 avril 2023

Marguerite-Marie et moi ~~~~ Clémentine Beauvais

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C'est fortuitement que Clémentine Beauvais apprend avoir eu une lointaine aïeule religieuse, au XVIIème siècle. Cette dernière a été sanctifiée sur le tard sous le nom de sainte Marguerite-Marie. Elle avait écrit le journal de sa vie et c'est contre sa volonté que ce texte fut conservé. Elle avait en effet demandé sur son lit de mort à son infirmière de procéder à la destruction du manuscrit. Elle fut désobéie sur ce point.

Au XVIIème siècle on le sait les femmes n'écrivent pas, ou si peu. Encore moins des romans, genre qui n'existe pas encore. Et encore moins imaginent-t-elles être éditées. Il leur manque cette chambre à soi chère à Virginia Woolf dans un monde gouverné par les hommes qui seuls avaient l’espoir d’être édités. Mais peut-être ces intimité et solitude nécessaires à l’écriture, Marguerite-Marie les avait-elle quand même réunies en son couvent des visitandines à Paray-le-Monial, car son journal vit le jour. Alors sommes-nous portés à nous interroger sur son intention dans l’acte d’écrire ce qui relève de l’intime. Peut-être pour se mettre elle-même à l’épreuve de sa foi. Ou bien destinait-elle cet ouvrage à des yeux très hauts. A moins que, comme nous le confie Clémentine Beauvais, écrire c’est peut-être aussi détourner le regard de ce que l’on veut cacher. Y compris et surtout dans l’exercice du journal intime.

Clémentine Beauvais est quant à elle agnostique. Peut-être serait-elle même plus que cela si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne la retenait au bord du gouffre de l'athéisme. Gouffre qui n'en est d'ailleurs surement pas un pour elle, mais seulement un sujet de réflexion. De ceux qui font basculer de la foi vers la philosophie. De la croyance vers la raison.

Aussi lorsqu'une éditrice lui suggère d'écrire un ouvrage sur son aïeule, c'est sans doute par défi à sa foi absente que Clémentine Beauvais, autrice aux multiples ouvrages à succès, se livre à l'exercice. Elle qui ne connaît de l'amour que la version terrestre du sentiment – elle nous le confie - décide de se confronter à sa version céleste. Celle éprouvée par son aïeule pour le Christ, Lequel lui serait apparu à plusieurs reprises, au point de faire d’elle une exaltée. N’avait-elle pas brûlé ses mains au Sacré-Cœur. Et de se mortifier de sévices jusqu’à se voir reprocher, par Celui-là même vers qui était dirigé son adoration, d'une rigueur excessive.

J’ai trouvé la démarche passionnante : la rencontre par ouvrage interposé au-delà des siècles d’une agnostique avec une exaltée de Jésus-Christ. Ce qui a parachevé mon intérêt pour me rendre cette lecture captivante, c’est évidemment le style adopté par son autrice. Le style résolument moderne, rehaussé d’un humour un brin caustique, un brin « provoc » mais pas trop. Un style taillé sur mesure pour plaire au lectorat de notre temps dont on sait qu'il n'est pas non plus très porté sur le mystique. Un style qui donne à cette écriture sa fluidité et coupe court à tout ce que le sujet pourrait comporter de rébarbatif. Il se police toutefois quelque peu au fur et à mesure que la connaissance avec la lointaine aïeule s’approfondit. En même temps que l'une et l'autre, par-delà les siècles se fassent connaître l'une à l'autre. Sans intention de prosélytisme, entendons-nous bien. Juste pour faire admettre que la tolérance réciproque dans sa conception tant religieuse que civile passe par la connaissance mutuelle et le respect des consciences de chacun.

Un style donc, pour insister sur le sujet tant il est influent quant au message à faire passer, qui soutient l’ouvrage dans sa totalité pour en faire une lecture vivante, attrayante. Il me fait au passage me demander, puisque c’est le premier ouvrage que je lis de cette autrice, s’il est une marque de fabrique chez Clémentine Beauvais ou bien s’il est volontairement adapté au sujet traité, pour servir d’accroche à un lectorat volatile.

Cet ouvrage m'a séduit tant il m'a paru particulièrement judicieux, courageux dans son intention et sa démarche aussi quand on apprend de la main de Clémentine Beauvais le contexte familial dans lequel elle décide de se livrer à pareille aventure éditoriale. Un ouvrage qui peut-on dire est une biographie croisée de deux personnes, l’autrice et son aïeule, avec la confrontation de leurs opinions respectives sur le sujet de la croyance. Même si le genre de la biographie n’est pas le plus approprié, au point que les éditions J’ai Lu lui affecte l’étiquette de récit. Les chausse-trappes ne manquaient pas et c'est avec brio que Clémentine Beauvais a réussi cet exercice à mes yeux. Même si elle n'est déjà plus une novice en matière littéraire autant par son érudition que par ses succès d’édition, je le découvre en faisant sa connaissance avec cet ouvrage. Il me reste désormais qu'à confirmer mon goût pour pareille écriture décomplexée avec un autre ouvrage de sa main.


Les mémoires de Zeus ~~~~Maurice Druon

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Nom de Zeus, quelle famille !

Je n'en suis à vrai dire pas vraiment surpris. J'avais connu une ouverture à cette fantasmagorie qu'est la mythologie avec l'excellent ouvrage d'Edith Hamilton : La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes. Une conviction s'ancre désormais en moi à la lecture des Mémoires de Zeus de Maurice Druon. Elle me fait regretter que le monothéisme nous ait fait perdre tant de volupté dans nos rapports avec Qui préside désormais à nos destinées. Car disons-le tout net, au regard de ce qu'ont pu connaître nos ascendants des première jusqu'à la quatrième race de mortels, puisque nous autres sapiens du XXIème siècle sommes les descendants de la cinquième race, Celui qui s'est arrogé l'exclusivité de nos dévotions, toutes confessions confondues, est bougrement rébarbatif. D'autant que Ses manifestations à notre attention sont pour le moins discrètes et nous obligent à la croyance.

Parce que les Dieux grecs pour ce qui les concerne, relayés par leurs alias romains, n'avançaient pas à visage masqué ; ils faisaient preuve auprès de leurs oyes de manifestations pour le moins démonstratives et avaient de bons gros défauts comme on les aime, de nature à affranchir les pauvres mortels de tout scrupule quant à leurs propres écarts de conduite. Car pour ce qui est du Seul que l'on révère en nos cathédrales, mosquées, synagogues et autres pagodes de nos jours, et revendique donc la majuscule, son appropriation monomaniaque et anti concurrentielle des consciences laisse planer le doute quant à notre filiation. On ne se reconnaît en réalité que peu d'affinité avec sa rigueur dogmatique tant nous avons de la fidélité une notion élargie et de la vertu un arrière-goût amer. Les défauts sont de notre nature. Mais n'est-ce pas Lui qui nous a faits ? Aussi, pourquoi voudrait-Il désormais nous en culpabiliser.

Le seul reproche que l'on pourrait faire aux Dieux de l'Olympe est le malin plaisir qu'ils se sont donné à nous compliquer la vie à nous autres pauvres mortels, à force de tarabiscoter l'arbre généalogique de leur fantaisie familiale, obsédés que nous sommes désormais à vouloir tout rationaliser, tout étiqueter et codifier. Et c'est grand mérite à Maurice Druon de tenter de nous effeuiller dans cet ouvrage l'arbre de Zeus dont les racines font de curieuses connexions en boucle avec les branches aux pouces les plus tendres. Il faut dire que le bougre ne craignait nullement la consanguinité pour faire commerce, comme on dit avec une pudeur toute littéraire, avec ascendance et descendance, pourvu que le plaisir soit à la clé. Bien qu'il connût quand même quelques manifestations de jalousie de sa légitime Héra. Sa justification d'honorer les mortels de la semence divine était argument fallacieux aux yeux de celle-ci. Allez comprendre pourquoi. Car figurez-vous que nos ancêtres de ces temps reculés pouvaient recevoir des dieux des preuves caressantes et culbutantes pourvu qu'ils fussent disposés à les accueillir en leur giron, et augmenter par là une ramure aux bourgeons déjà nombreux et ainsi mieux nous perdre en sa canopée.

Oui Zeus était volage. Maurice Druon n'omet aucune de ses nombreuses maîtresses, divines ou mortelles. Et bien que roi des dieux, il ne se sentait nullement une vocation d'exemple auprès de ses administrés. Car en cette époque bénie des dieux les comportements n'étaient ni louables ni blâmables, ils étaient tout simplement divins. Mais patience divine a ses limites et lorsque Héra, sa légitime, se fit trop intrusive pour surveiller ses errements, il n'hésita pas à la pendre par les cheveux, une enclume accrochée aux pieds. Quelle époque vivons-nous en ce siècle pour que notre code pénal trouve à redire à pareille manifestation d'autorité ?

"Si des esprits aussi chagrins que mal informés vous ont conté, chers mortels, que vous descendiez des singes, ne les croyez pas." C'est Ouranos, le grand-père de Zeus "qui créa l'homme qu'il tenait pour son chef-d’œuvre", à condition toutefois que sa vie ait une fin. Les Parques ayant mission de veiller à tous cela, en particulier Atropos chargée de couper le fil. Voilà donc un podium pour renforcer notre orgueil et un tombeau pour l'étouffer. Mais en toute occasion remercions Dionysos, plus connu sous son alias de Bacchus, le turbulent rejeton de Zeus, d'avoir couvert nos collines ensoleillées de la divine grappe afin de nous réjouir du succès et oublier le péril.

Quel bonheur en tout cas, dans l'attente du coup de ciseau fatal, de combler quelques heures entre les mains des Parques avec cet ouvrage de Maurice Druon dont je soulignerai respectueusement la qualité de la langue. Ouvrage ciselé, à la documentation exubérante, nous livrant à la compagnie de tant de noms célèbres mais inconnus de nous parce qu'interceptés trop furtivement au gré d'indiscrétions instruites, évoquant au passage les trois Grâces, les Muses, les Saisons, les Hespérides. Et tant d'autres dans le fourmillement d'une parentèle innombrable convoquée en ces pages par l'érudition de notre académicien.

Notre chronologie n'ayant rien de divine et désormais livrée en les mains d'Un seul, Lequel nous rend coupable dès la naissance puisque nous affublant du péché originel, coupable de naître donc, il me faut mettre un terme à ce propos et vous rendre à vos auteurs qui piaffent jalousement de savoir vos yeux rivés à ces lignes, lesquelles vous font l'éloge d'une biographie du roi des Dieux, qui pourrait donc durer ce que durent les dieux, éternellement.

Nom de Zeus, le temps nous est compté. Nous ne sommes plus au temps de l'Âge d'or.

mercredi 12 avril 2023

Ce que nous confions au vent ~~~~ Laura Imai Messina

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Il y a au Japon à l’égard des événements catastrophiques, séismes, tsunamis, une certaine prédisposition d’esprit qui s’apparente à la fatalité. Comme une contrepartie à payer à la fierté de vivre dans le pays du raffinement. Aussi, lorsque survient l’un de ces événements qui emporte son lot de vies humaines, ce n’est ni la rébellion ni l’invocation de sanction divine qui prévaut, encore moins les lamentations, c’est l’acceptation mélancolique et l’idée de poursuivre le chemin entrepris avec eux, par la pensée.

C’est la raison d’être du téléphone du vent que M. Suzuki a installé dans je jardin sur la colline de la baleine. Il n’est relié à aucun réseau. Il n’est relié qu’aux esprits des disparus. Les épargnés des catastrophes peuvent venir y parler à leurs défunts. Les entretenir de ce quoi est fait leur quotidien désormais sans eux. Réconfort ultime mais pas illusoire.

Comment continuer à vivre après. C’est à cet enseignement auquel nous convie Laura Imai Messina dans cet ouvrage fort bien conçu et écrit. Une leçon de résilience avec la pudeur nippone. Rien de larmoyant, encore moins d’apitoyant dans cet ouvrage. De l’intelligence sensible, de la retenue, pour continuer à vivre. Et par exemple faire retrouver la parole à une petite fille demeurée silencieuse depuis la disparition de sa mère.

Magnifique ouvrage fort bien construit et écrit avec des mots de tous les jours. Les mêmes mots que lorsque qu’ils étaient encore là. Il ne faut rien changer. Seulement être prudent avec les sentiments.


mardi 4 avril 2023

Giono, furioso ~~~~ Emmanuelle Lambert

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J'ai adoré cet ouvrage de la main d'Emmanuelle Lambert. Elle évoque la vie de Jean Giono sans en dresser la froide biographie. Sa vie et son œuvre dois-je préciser, ou plutôt sa vie à partir de son œuvre. Ses ouvrages les plus connus comme ceux restés presque confidentiels. Ces derniers surtout dans lesquels elle est allée dénicher les pans les plus intimes de la personnalité de l'écrivain. Ceux qui à défaut de briguer la célébrité dévoilent des dessous, des travers aussi bien que des qualités étouffées par la pudeur. Comme cet amour qu'il vouait à son père, sans jamais le dire ou l'écrire, ou celui dirigé vers son ami Louis dont la guerre a enseveli l'innocence dans la boue des tranchées. Autant de sentiments qu'il faut trouver entre les lignes, ou dans ce regard un brin malicieux de son auteur.

Emmanuelle Lambert fait naître une intimité avec son sujet. Elle s'adresse à lui dans cet ouvrage, lui témoigne son assentiment quand il se déclare pacifiste après la première guerre mondiale, écologiste avant l'heure quand il voit ses contemporains mépriser les campagnes, mais elle l'admoneste aussi quand il a une position beaucoup plus ambigüe durant la seconde guerre mondiale. Mais toujours elle admire l'auteur. Elle aime celui qui sait parler au cœur, trouver et arranger les mots qui font vibrer l'être intérieur. Elle l'intronise comme l'un des plus grands stylistes de la langue française.

Formidable ouvrage fait d'une écriture riche, érudite et sincère. Un ouvrage très personnel quand Emmanuelle Lambert entremêle des pans de sa propre vie dans sa démarche à la rencontre d'un Giono qu'elle est allée dénicher dans ses murs à Manosque. Regrettant que les palmiers qui font le décor de certaines photos de l'auteur soient dévorés par le parasite qui a gagné toute la Provence. C'est une partie de Giono qui se dissout dans le temps. Son ouvrage à elle a lui aussi ses tournures poétiques et allégoriques qui lui confèrent la chaleur de l'amitié. Si ce n'est plus. Ouvrage d'une passionnée à l'égard d'un écrivain pétri d'émotions. Avec cette pointe d'amertume à l'égard de l'espèce à laquelle il appartenait quand elle se fourvoyait dans la guerre ou dans la destruction de son milieu de vie. Très bel ouvrage, incitatif à se précipiter vers ceux de son sujet pour se frotter à l'âpreté des caractères de personnages qu'il a si bien dépeints.


Interventions ~~~~ Michel Houellebecq

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« On arrive parfois, partiellement (j'insiste sur « parfois » et « partiellement ») à communiquer par l'écriture des choses qu'il serait impossible à communiquer autrement ; et ce qu'on écrit n'est souvent qu'un faible écho de ce qu'on avait imaginé d'écrire. »


Interventions - Michel Houellebecq - éditions J'ai Lu page 458.

Cet ouvrage se présente comme un recueil de réflexions que l'auteur a eu l'occasion de se faire, d'entretiens qu'il a tenus avec untel ou un autre sur la période allant du début des années 90 au confinement du covid en 2020. Il a le grand mérite de faire parler son auteur non plus par personnage interposé – comme dans ses romans - mais par lui-même. le « Je » est bien celui de MH.

Cela fait de cet ouvrage un éclairage très intéressant quant à son auteur pour celui qui, comme j'ai pu le faire, a lu nombre d'ouvrages (exceptées les œuvres poétiques) de sa main. Auteur qui ne laisse pas son lectorat indifférent, c'est sa marque de fabrique. MH a su se faire des adeptes, dont je suis et pas seulement pour les allusions à connotation sexuelle qui foisonnent dans ses pages, mais aussi des ennemis. Mais n'est-il pas vrai que celui qui n'a pas d'ennemis, n'a rien fait dans sa vie.

Car pour se faire des ennemis il suffit de bannir du discours hypocrisie et faux semblant ; en un mot de bannir ce que MH exècre par-dessus tout : le politiquement correct (page 213). Tendance de l'époque qui fait que plus personne ne parle de sincérité et préfère se couler dans un moule formaté par des codes de convenance consensuels et creux.

« Je n'ai pas envie de me laisser emmerder par les humanistes » clame MH (page 320). En particulier ceux qui formatent l'opinion et font que plus aucun discours n'est de vérité, mais lissé, standardisé, un peu comme les images qu'on nous déverse désormais à flot continu, lesquelles sont tellement nettoyées par la crème anti âge numérique qu'elles n'ont plus grand-chose à voir avec la réalité.

On avait compris, et il le scande dans cet ouvrage, que son combat est celui de la liberté d'expression qu'il défend bec et ongles. Dût-il pour attirer l'attention parler crument des choses que d'aucuns n'osent même évoquer à voix basse en prenant garde d'être entendu. La provocation est aussi un moyen de réveiller les esprits anesthésiés par ledit langage politiquement correct. Car si le discours de convenance est une belle vitrine il cache au chaland le contenu de l'arrière-boutique : un monde gouverné par « l'attractivité érotique et l'argent » au credo de chacun pour soi. Et Dieu pour personne désormais, depuis que Nietzsche a annoncé Sa mort et que Sa créature, bien qu'elle soit « un animal social de type religieux » se divertit de sa condition de mortel par la fête.

Notre monde, notre société, notre temps, ils ne les aiment pas. Pas plus que lui-même d'ailleurs. (Page 217) Mais il aime la littérature qu'il consomme sans modération. Ses envolées et ses références philosophiques nous font comprendre que sa culture n'est pas comme la confiture qu'on étale d'autant plus qu'on en a peu, sa culture à lui est bien consistante. Cet ouvrage le confirme au point que l'hermétique à toute philosophie s'en trouvera à la peine.

MH aime aussi se savoir lu. Quel écrivain dirait le contraire ? Aimé ou détesté peu importe. Il y a toujours un message qui passe et lui survivra quand il sera entré dans l'histoire. Avec cette ambiguïté de ne pas avoir d'estime de soi et vouloir en même temps marquer la postérité.

Avec MH le lecteur est mis à l'épreuve et jamais à l'abri de la déstabilisation. Au-delà des désillusions que lui procurent le monde et la nature humaine, et font la rancoeur nostalgique qu'on lui connaît longuement évoquée au travers des personnages de ses romans et bien sûr dans cet ouvrage, il évoque aussi dans ce dernier fréquemment son rapport à la littérature. Ne craignant pas sa compagnie bien au contraire. Elle l'a aidé à supporter le confinement. Littérature des autres bien sûr mais aussi celle de son cru. Avec ces surprenantes formules qui ne cesseront de nous surprendre : « Et quelle fascinante saloperie, quand même que la littérature, plus puissante que le cinéma, plus pernicieuse même que la musique » (page 286), mais elle reste « un moyen d'échapper à la vie » (page 337). Mais a contrario – et surement en auto dérision : « Il est bon de se méfier du roman ; il ne faut pas se laisser piéger par l'histoire, ni par le ton, ni par le style » (page 56), reconnaissant que dans ses romans à lui, « il manque quelque chose qu'on veut lui faire prononcer dans la réalité : c'est le message rassurant final. » On s'en est rendu compte !

Il est un autre combat que la personnalité et les écrits de MH confirment dans cet ouvrage, c'est celui du respect de la vie, de la personne humaine, fût-elle réduite au sommeil profond végétatif. La société qui prône la jouissance de la vie doit aussi en assumer les déficiences. Jusqu'au bout du bout et ne laisser qu'au Mystère (puisque Dieu est mort) qui préside à nos destinées le droit d'y mettre un terme.

Et de plaider quand même parfois pour son prochain – et pourquoi pas son lecteur : « L'homme est un être de raison – si on veut, cela arrive de temps en temps. Mais il est avant tout un être de chair et d'émotion : Il serait bon de ne pas l'oublier. » (Page 441).

De religion, de toutes les religions il est forcément beaucoup question dans cet ouvrage. Quand on parle de philosophie, la religion n'est jamais très loin pour tenter de lui reprendre la vedette. Aussi parmi les interventions sur le sujet, j'ai eu un faible pour la citation des Frères Karamazov qui n'a pas échappée à MH lorsque « Dostoïevski s'en prend à l'Église catholique, en particulier au pape et aux jésuites. Revenant sur terre, le Christ est aussitôt emprisonné par les autorités ecclésiastiques. Le grand inquisiteur, venant lui rendre visite dans sa cellule, lui explique que l'Église s'est très bien organisée sans lui, qu'ils n'ont plus besoin de lui – et que, même, il les dérange. Il n'a donc d'autre choix que de le faire exécuter à nouveau. » (Page 422).

L'adepte de MH sera, avec cet ouvrage confirmé dans son inclination. Son détracteur pourra moduler sa répugnance avec ces Interventions qui si elles nous confirment que l'auteur aime bien bousculer son monde, n'en restent pas moins au-dessus de la ceinture.