À se creuser la tête à force de raisonner les philosophes
deviendraient-ils névrosés ?
La confrontation de la psychanalyse avec la philosophie est une situation que
j'avais déjà expérimentée avec un auteur comme Irvin Yalom et
ses excellents ouvrages tels que Et Nietzsche a
pleuré, La méthode Schopenhauer ou
encore le problème Spinoza.
Mais pour le coup avec cet ouvrage, Charles Pépin nous
propose une mise en scène aussi inattendue qu'intéressante. Débarrassée de la
notion de chronologie elle convoque sur le divan du pape de la
psychanalyse, Sigmund
Freud, les philosophes tout aussi éminents dans leur domaine que sont Platon, Kant et Sartre.
Une façon d'éclairer les esprits livrés aux questions existentielles, et leur
corallaire de la quête du salut obsèdant tout un chacun confronté la finitude
de sa vie, avec les théories de trois grands philosophes aujourd'hui disparus.
Ils s'épanchent tous trois bon gré mal gré sur le divan de celui, « qui réduit
les grands délires à Papa Maman », théoricien d'un inconscient auquel il
attribue les manifestations échappant à la rationalité. Inconscient que l'un et
l'autre s'emploient à dénigrer sous le sceau de la morale ou de la contingence.
Platon et le «
ciel des idées ». La vie est ailleurs. Philosopher c'est apprendre à
mourir. Sartre catéchumène
de l'existentialisme. Dieu n'existe pas. Nous ne sommes déterminés par rien.
L'homme n'est que la somme de ses actes. Kant le
moraliste, bien que misogyne, pour qui la raison offrira la liberté et énonce
ses trois grandes questions de la philosophie : que puis-je connaître ? Que dois-je
faire ? Que m'est-il permis d'espérer ?
Charles Pépin a
trouvé avec cet artifice de la psychanalyse sur un divan bien contemporain de
nous autres lecteurs du 21ème siècle l'espace-temps propice à développer sans
autre justification forcément difficile à concevoir l'intemporalité et
l'universalité de la philosophie. C'est une façon de rendre abordable au
profane les grandes théories qui depuis Socrate battent en brèche la croyance
pour trouver un sens à la vie et accessoirement ne faire de la mort qu'une
étape de celle-ci.
Nul ne peut dire qu'il n'a pas réfléchi au sens de la vie. Tout un chacun est
donc philosophe sans le savoir. A son niveau. Approfondir le sujet avec les
grands penseurs est en revanche entreprise ardue qui rebute facilement. Charles Pépin nous
ouvre une fenêtre sur quelques grands thèmes défendus par des éminents de la
discipline en tentant cette libération de la parole salvatrice. Surement pas
pour les sujets sur le divan. Ils ont tant dit et écrit. Et vécu. Mais
peut-être pour le lecteur qui a quant à lui tant à s'entendre dire.
Charles Pépin nous
suggère avec cet ouvrage à « entrer en philosophie pour mieux supporter sa
situation en la peignant comme étant celle de tous les hommes. »
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Ouvrages par genre
vendredi 16 juin 2023
Les philosophes sur le divan ~~~~ Charles Pépin
dimanche 11 juin 2023
Présentation de la philosophie ~~~~ André Comte Sponville
🌕 🌕 🌕 🌕 🌚
Pour qui réfléchit un peu à sa raison d'être sur terre, au
mystère de la vie, et donc sa finitude, et surtout à la quête du salut qui fait
espérer une plénitude heureuse après la mort, s'offre à celui-là deux voies :
la religion et ses dogmes, selon celle qu'il choisit, ou la raison qui dans ses
développements s'exprime en philosophie. L'amour du savoir, l'amour de la
sagesse.
La religion nous invite à croire. En un dieu, et un seul de nos jours. Car
celles qui ont cours désormais sont monothéistes. En un dieu qui est amour,
même si tous les jours on a des démonstrations du contraire. En un paradis,
même si aucun signe n'est de nature à le confirmer. En devenant croyant, on
règle la question du salut. Il suffit d'écouter les prophètes et leurs
porte-voix. Je crois en Dieu, au paradis. Mon esprit est soulagé de cette
obsession de l'après-vie. Elle ne peut-être que merveilleuse. Dieu est amour et
nous accueille auprès de Lui. Je peux donc vivre ma vie dans la certitude de la
félicité après la mort. Alléluia.
Pour celui qui ne croit pas, la démarche est plus compliquée. Il faut
réfléchir. Il faut raisonner. Il faut philosopher. Philosopher c'est apprendre
à mourir nous dit Montaigne qui
l'a repris de quelqu'un d'autre. Philosopher pour vivre sa vie pleinement,
humainement.
Tout le monde philosophe sans le savoir. À son niveau. Avec ses moyens
intellectuels et sa culture. Mais si l'on veut approfondir le sujet et accéder
à la sagesse, qui seule peut permettre de vivre sa vie d'homme, il faudra
s'investir personnellement. Travailler, lire les ouvrages de tous ces gens qui
sont devenus des philosophes reconnus depuis que l'écriture nous en rapporte
les réflexions. Même celles de ceux qui n'ont rien écrit, tel Socrate. Il avait
pourtant pignon sur rue dans le domaine. Platon a fait ce
travail de laisser la trace écrite de ce que Socrate confiait à l'oreille, à
l'esprit de qui voulait lui prêter attention et crédit.
André
Comte-Sponville qu'on ne présente plus en la matière nous adresse cet
opuscule dans lequel il a rassemblé douze textes de son cru. Des sujets choisis
par lui pour mettre le pied à l'étrier de la
philosophie à qui voudrait s'ouvrir à cette discipline alternative à
la croyance. Nous mettant en garde en disant que l'effort de vulgarisation qu'il
fait n'est pas l'ouverture d'un chemin facile. Philosopher de manière avisée
demande de s'atteler aux écrits des philosophes, les vrais, les anciens et les
modernes, autant d'éminents penseurs qu'il appelle à son argumentation, et là
c'est du sérieux.
Pour les autres, ceux qui ne croient pas et qui ne veulent pas s'investir à
acquérir quelque sagesse, il y a la fête. le divertissement. Divertissement
qu'il faut entendre au sens de détournement de l'esprit : oubli, ou plutôt
mépris de sa condition de mortel. Tous les moyens leur sont bons depuis le
grand huit de la Foire du trône jusqu'aux paradis artificiels de l'alcool et de
la drogue en passant par la discothèque où les décibels martèlent à ce point
les neurones qu'ils en chassent l'idée de la mort.
Alors, disons-le tout net, les temps sont durs pour la croyance et la raison.
L'époque n'est plus à l'ascétisme ou à l'effort. Aussi pour appâter le chaland
faut-il vulgariser. C'est un peu la raison d'être de pareil ouvrage de
l'éminent philosophe. Car il en est, de plus en plus nombreux, pour croire en
une troisième voie : la science. Elle sait déjà nous soulager de la douleur.
Elle saura bien le faire de la mort. Sans compter sur l'intelligence
artificielle. Elle va supplanter celle qui jusqu'à aujourd'hui a différencié
l'homme de l'animal. Elle n'aura pas d'obsessions macabres. L'éternité est
peut-être là ?
jeudi 1 juin 2023
L'appel de la tribu ~~~~ Mario Vargas Llosa
"Le monde romanesque n'est que la correction de ce
monde-ci" nous dit Albert Camus dans L'homme révolté.
A explorer l'œuvre de Mario Vargas
Llosa, voilà une assertion que l'on peut mettre au crédit de l'œuvre de ce
dernier. de la même façon qu'avec cet ouvrage dans lequel le prix Nobel de
littérature convoque sa tribu, ceux-là même qui ont concouru à la genèse de sa
pensée politique, à l'instar d'un Albert Camus il sait revêtir le
costume du philosophe. Philosophie qu'il applique ici à la politique avec
cet ouvrage autobiographique dans lequel il nous décrit l'évolution de sa
pensée en la matière. Comme pour beaucoup, la maturité formant l'homme, elle a
évolué de l'utopique vers le pragmatisme libéral.
Libéralisme dont il nous détaille sa conception. Se défendant de le réduire à
une recette économique des marchés libres, l'orientant vers une « doctrine
fondée sur la tolérance et le respect devant la vie, d'amour de la culture, de
volonté de coexistence avec l'autre et sur une ferme défense de la liberté
comme valeur suprême. » Mais selon lui, le libéralisme ne fonctionnant qu'avec
des convictions morales solides l'intervention de l'Etat peut s'avérer
nécessaire selon un dosage subtil qui devra écarter toute tentative d'hégémonie
du collectif sur l'individu. L'écueil étant cet étirement vers les extrêmes que
le discours populiste tente de faire, à droite comme à gauche.
Evoquant au passage le paysage politique français, qu'il connaît bien pour
avoir séjourné en notre pays, Mario Vargas Llosa met en avant le fait
que les belles intentions affichées au fronton de nos édifices publics peuvent
comporter leur lot de contradiction. « Ainsi pour établir l'égalité, il n'y
aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la
surveillance et l'action toute puissante de l'Etat. Que l'injustice sociale
soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité – et que
fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des
causes plus négatives que positives, comme celui d'une guerre ou d'un
cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est
quelque chose de regrettable et difficile à accepter. » Mais selon lui, ignorer
ces contradictions serait plus grave que de les affronter et c'est sans doute
la raison de son engagement en politique, non seulement dans son œuvre mais
aussi dans ses actes. N'a-t-il pas été candidat, certes malheureux, à
l'élection suprême en son pays en 1990.
Dans l'appel de la tribu, Mario Vargas Llosa invite les penseurs
politiques qui ont concouru à forger sa conviction, depuis le précurseur de la
pensée libérale au 18ème siècle, Adam Smith, jusqu'à
des Raymond
Aron et Jean-François
Revel au 20ème siècle. Intellectuels qu'il situe parmi les derniers
célèbres pour l'originalité de leurs idées et leur indépendance, nos
contemporains du 21ème siècle étant quant à eux plus préoccupés de leur image
et du spectacle qu'ils donnent en apparaissant dans les médias.
Romancier philosophe ou philosophe romancier, quelle que soit l'étiquette que
l'on collera au personnage on ne peut être qu'emporté par l'érudition du
personnage et le talent qu'il met au service d'un humanisme lucide, vertu en
laquelle il voit la sauvegarde de toute société.
L'homme est un animal politique selon Aristote, Mario
Vargas Llosa l'a bien entendu et n'est pas resté spectateur des choses de
ce monde. Avec cet ouvrage il nous offre l'occasion de mieux comprendre
l'univers dans lequel évolue beaucoup de ses personnages romanesques. Sachant
qu'avec lui de chaque roman il faut tirer une philosophie.
L'ouvrage foisonnant de substantifs en « isme » demande un effort
d'implication. Il est révélateur de la puissance conceptionnelle du personnage,
de ses hauteurs de vue lui permettant dans ses romans de disserter sur la
complexité de l'animal social qu'est l'homme. Sa force étant de garder un
discours à la portée de son lecteur le plus humble, sans toutefois amoindrir la
force du message.
mercredi 11 mai 2022
Apprendre à vivre ~~~~ Luc Ferry
Pour sans doute prendre le contre-pied de Montaigne lequel professait que « philosopher c’est apprendre à mourir », Luc Ferry a intitulé son ouvrage d’initiation à la philosophie Apprendre à vivre. S’adressant de préférence aux jeunes générations et pour dédramatiser la raison d’être de la philosophie, laquelle veut en réalité consoler l’homme de sa finitude, il a décidé de l’aborder par son côté réconfortant et n’évoquer celle-ci qu’après une préparation pédagogique qualifiée. Avant donc de confronter l’apprenti philosophe à sa propre fin, il s’agit de lui faire apprivoiser le temps présent.
Parvenu à un âge qui, s’il n’est pas encore canonique, n’est plus de prime jeunesse, j’ai aimé m’entendre tutoyer par l’éminent professeur. Je me suis glissé à nouveau sans embarras dans le costume de l’élève. Si les années m’ont fait accéder à la maturité physique, en matière de philosophie il me reste ni plus ni moins qu’à naître. Cet ouvrage était donc aussi fait pour moi.
Il n’en reste pas moins qu’aussi promoteur que se veuille pareil ouvrage, convenons que les sujets abordés lui redonnent la complexité qu’il voudrait éluder, la profondeur que voudrait atténuer la familiarité du propos. Le recours successif inévitable aux références stoïciennes, chrétienne, puis modernes et post modernes, et finalement contemporaines fait forcément appel à une littérature dont l’abord est quelque peu difficile d’accès au profane. Reconnaissons donc que la lecture des grands philosophes dans leur œuvre nécessite, s’il est difficile de parler de vulgarisation en la matière, plutôt une dédramatisation préalable. C’est ce à quoi Luc Ferry s’attache dans cet ouvrage, glissant au gré de sa démonstration à l’adresse du néophyte les références des textes les plus accessibles à qui voudra approfondir sa connaissance et forger sa propre réflexion.
Le thème essentiel est celui du salut, ce devenir consolateur après la mort qui entre croyance et raison fait débat. Néant ou félicité, ou autre chose encore, la réponse ne sortira pas de l’esprit humain qui devra se contenter de conviction délibérée ou suggérée. Car comment vivre avec des questions aussi fondamentales puisqu’aucune vérité prônée par la doctrine chrétienne, le salut par un autre, ou la philosophie, le salut par soi-même, ne pourra s’imposer comme exactitude.
Les modèles proposés au fil des siècles par la raison et la croyance ayant été successivement battus en brèche en partie grâce à l’éclairage de la science, l’homme moderne devenu imbu de sa personne, doit désormais trouver en lui-même les ressources pour sortir de l’impasse qu’il a fermée devant lui. Les ressources pour apprendre à vivre, pour aimer la vie, sa vie, fût-elle vouée à une fin, en se libérant du regret du passé et de l’espérance en demain, sempiternelle fuite en avant qui n’est que mort par anticipation.
C’est donc à l’homme auquel il appartient d’introduire du
sens à la vie. La philosophie moderne serait donc orientée vers l’humanisme. Le
salut serait donc dans l’amour. De soi ici et maintenant. Du moi des autres, un
moi déconnecté de toutes les caractéristiques physiques et psychologiques par
lesquelles on a l’habitude de décrire les autres. Un moi désincarné. Le salut
serait dans l’amour absolu, sans attachement, seule source de vie bonne.
Ainsi donc, même s’il me reste à naître à la philosophie, celle enseignée par tous les éminents depuis que l’intelligence a investi le corps du mammifère, lui faisant du même coup prendre conscience de sa finitude, ayant comme tout un chacun réfléchi à ce thème source d’angoisse, je me suis forgé à la conviction que la mort serait somme toute accéder à ce que la vie ne permet pas : appréhender enfin et indéfiniment l’instant présent. Il est donc capital que cet instantané qui deviendra immuable soit un instantané d’amour.
vendredi 11 mars 2022
Le miracle Spinoza ~~~~ Frédéric Lenoir
Évoquant son ouvrage majeur alors en préparation,
L'Ethique, édité finalement à titre posthume, Spinoza écrivait lui-même, dans
une lettre adressée à son ami Henry Oldenburg, qu'il avait délibérément choisi
un mode d'exposition de ses pensées qui en rendrait la lecture aride. Le titre
complet de son ouvrage se libelle d'ailleurs ainsi : L'Ethique démontrée selon
la méthode géométrique.
Me voilà conforté dans mon intention de faire connaissance
avec le personnage et sa philosophie avec l'aide d'un "traducteur".
Quelqu'un qui me rendrait accessible la pensée du célèbre philosophe, lequel
jouit en ce début de siècle d'un engouement nouveau auprès de la part de ses
congénères contemporains, mais pas seulement.
D'aucuns expliquent cet engouement d'une part par le fait que Spinoza affichait
des pensées très en avance sur son temps, au point de trouver de nos jours un
écho singulier dans les milieux intellectuels et politiques. Il affichait un
courant de pensée progressiste, tolérant, sachant se démarquer avec prudence,
donc intelligence, des modèles imposés par un pouvoir politique autocratique,
dont on sait qu'en son temps il était fermement contraint par le religieux.
L'autre aspect de ses textes qui le rend lisible aujourd'hui est plus
inattendu. Le mode de raisonnement et de construction de ceux-ci, selon un
principe interactif de renvois à de multiple références étayant la
démonstration du philosophe, se prêterait particulièrement à la modélisation
informatique. C'est le principe du lien hypertexte que l'on pratique
abondamment et inconsciemment de nos jours en parcourant les pages web,
lesquelles ont évidemment fleuri que lors de ces dernières décennies. Le
Magazine littéraire de décembre 2017 publiait un article sur cette analogie
constructive qui attendait le clic de souris pour naviguer de pages en volumes
hébergés de par le monde, se substituant au contenant physique forcément plus
lourd à manipuler.
C'est donc avec le Miracle Spinoza de Frédéric Lenoir que je me suis ouvert à
celui qui a eu le cran de s'opposer à l'intelligentsia de son temps peu encline
à la contradiction. Un temps où l'opposition de conscience pouvait avoir des
conséquences pour le moins brûlantes. Du cran il fallait en avoir au XVIIème
siècle pour fondre Dieu dans la Nature, laquelle pour le coup prend la
majuscule. Prôner immanence contre transcendance. Du cran pour n'accepter que
ce qui aura été démontré par le raisonnement, y compris s'il faut restreindre
le champ de ses certitudes, mais surtout refuser de se faire dicter des
croyances. Autre similitude avec notre époque contemporaine qui ne reconnaît
plus d'autorité statutaire, réclamant à quiconque veut s'imposer de faire ses
preuves.
Reconnaissons bien pourtant que, presque quatre siècles après que Spinoza nous
a montré le chemin, la raison qui commande de ne pas écouter ses passions pour
accéder au bonheur n'a pas encore gagné le combat. Loin s'en faut. Dans une
société devenue consumériste, à l'intoxication commerciale agressive, le
décodage algorithmique de la pensée du grand philosophe ne suffira pas à nous
faire trouver la joie dans le dénuement, la béatitude dans la détermination
intime. L'intelligence ne suffit donc pas au raisonnement. Il lui faut ce supplément
d'âme pour faire comprendre à cette entité de matière spirituelle, qu'on ne
peut appeler créature puisque Dieu est part d'elle comme de toute chose,
théorie du monisme chère à Spinoza, qu'elle est en train de scier la branche
sur laquelle elle est assise.
Dans le genre développement personnel, Frédéric Lenoir m'a donc aidé à monter
quelques marches depuis les sous-sols obscurs de mon ignorance. Son ouvrage
salué par les plus éminents est à la portée de tous. Je l'en remercie d'autant
plus que je me reconnais assez bien dans la traduction qu'il nous fait de la
philosophie du grand penseur déterminé mais pacifique. de là à la décrypter
dans le texte ? Persévérance et longueur de temps entretiennent bien des
espérances. Je lis encore et toujours.
vendredi 14 juin 2019
La peste ~~~~ Albert camus
Pourquoi relire La Peste tant
d'années après une première lecture ?
Je pourrais dire simplement que
c'est parce que j'ai grandi depuis. Que cette lecture qui avait été prescrite à
l'époque s'est imposée d'elle-même aujourd'hui. L'auteur qui rebutait autrefois
par l'austérité de sa pensée me serait devenu fréquentable. Rien d'affriolant
en effet, en ce naguère de première lecture, dans les lignes du prix Nobel pour
un esprit juvénile qui ne rêvait que de frivolités. La complexion de
l'adolescence est porteuse de tellement d'utopies, de fantasmes qu'elle verse à
contre cœur aux questions existentielles. Privilège de la jeunesse, Dieu merci
!
Mais le voilà donc qui sort du
bois celui-là, au travers de cette expression de l'inconscient populaire.
Inconscient il faut vraiment l'être pour le remercier. Camus s'en garde bien,
lui qui n'a de cesse de lui reprocher son silence, l'état de perplexité dans
lequel il nous abandonne, au point de rejoindre Nietzche lorsqu'il annonce que
Dieu est mort.
J'ai donc relu La Peste. Edition
Folio, acquisition 1973 ticket de caisse faisant foi, abandonné en marque-page.
Entre des pages désormais jaunies. Des pages au grammage lourd, on avait cure
des forêts en ce temps-là où l'on n'avait pas encore pris la mesure du trou
dans la couche d'ozone.
Depuis cette date, encore lisible
sur le ticket de caisse, j'ai eu l'occasion de faire plus ample connaissance
avec l'homme révolté au travers de ses autres œuvres, dont celle éponyme. J'ai
acquis désormais la certitude de bénéficier à propos de cet ouvrage d'un
éclairage que ne m'avait pas autorisé mes dissipations adolescentes.
Qui a dit qu'on ne relisait
jamais le même livre sous la même couverture ? Cette nouvelle lecture m'a donc
autorisé un regard neuf sur l'œuvre. Elle m'a permis de dénicher le philosophe
derrière le romancier. De décoder les travers et les tourments dont il
s'inspire pour crier sa révolte. Quand il a pris la plume pour écrire cet
ouvrage, il sortait tout juste de cette peste affublée d'un qualificatif de
couleur sombre, qui pour le coup exonère le divin de toute responsabilité quant
à son origine : la peste brune. Une peste d'origine bien humaine celle-là.
Comme s'il ne suffisait pas des fléaux naturels pour précipiter l'homme vers
son échéance ultime. Les analogies se dévoilent alors. Dans cet huis-clos à
l'échelle d'une ville, on identifie toutes les postures de l'homme assiégé par l’adversité
: la peur, l'individualisme, la lâcheté, la révolte, la superstition, mais
aussi le courage et l'abnégation, plus rares. Les résistants de la première
heure et ceux qui rejoignent le camp des vainqueurs sur le tard.
Celle nouvelle lecture m'a aussi
fait donner de l'importance au plaidoyer de son auteur contre la peine de mort.
Lorsque Tarrou découvre la raison pour laquelle son père, avocat général à la
cour d'assise, part certains jours avant l'aube pour se rendre à son travail.
Les jours où tombe le couperet.
Plus anecdotiquement, elle m'a fait relever à la page 60 de cette même édition,
l'allusion faite à cet autre roman de Camus lorsque les cancans diffusent les
faits divers et évoque l'assassinat d'un arabe sur une plage.
examen clinique de l'âme humaine
La Peste est la chronique froide
d'un observateur dont on apprend en épilogue les qualités et rapports aux faits
relatés. C'est un examen clinique de l'âme humaine en butte à
l'incompréhensible de sa condition. Crédos de l'humaniste dans son œuvre, les
cycles de la révolte et de l'absurde se fondent en un vortex de perdition
qu'aucune philosophie ne parvient à alléger du poids de la question restée sans
réponse : quelle intention supérieure derrière tout ça ?
La Peste fait partie de ces
ouvrages dont on ne se sépare pas. Même quand on pèche par insouciance
juvénile, on comprend quand même que les mots simples qui le peuplent expriment
une pensée lourde, à valeur intemporelle. Il n'est point question d'effet de
mode avec pareille œuvre. A conserver donc, pour une autre lecture dont on sait
déjà qu'elle sera différente.
mercredi 5 décembre 2018
Le livre de l'intranquillité ~~~~ Fernando Pessoa
Cet ouvrage est celui de
"l'universelle douleur de vivre", que Fernando Pessoa a
su décrypter mieux que quiconque. Pour ce qui est de la forme, il se présente
comme le collationnement de méditations recueillies sur plusieurs années et
publiées à titre posthume, tardivement en France. En faire le résumé serait une
gageure et ne pourrait être que mauvais plagiat. La prudence et l'humilité
commandent de s'en prémunir. Aussi me suis-je concentré sur l'intention de son
auteur à m'interpeler, moi lecteur d'un autre temps.
Littérature, "mariage de l'art et de la pensée". Le livre de l'intranquillité en est la plus évidente démonstration. Il
m'a fait découvrir un auteur, un poète, un homme capable de mettre en mots et
en images les pensées qui, à un moment ou un autre, ont aussi occupé et
occupent encore mon esprit et que je ne saurais quant à moi traduire. Il
m'implique de cette manière. Je sens bien que le présent qu'il ne vivait qu'en
rêve était tourné vers un avenir dont je fais partie, et d'autres après moi. Un
livre pour la postérité habitée par d'autres "moi", tant que le monde
sera. Il réalise sous mes yeux son vœu le plus cher : "Être plus vivant
une fois mort que de son vivant."
"Le seul lien de
communication tolérable est la parole écrite, parce que ce n'est pas une pierre
d'un pont jetée entre les âmes, mais un rayon de lumière entre les
astres."
Voilà donc le lien qui nous unit,
lui et moi, par delà les âges, les langues, les condition et notoriété, ce
rayon de lumière méprisant le temps qui borne nos vies aussi bien que notre
enveloppe charnelle le fait de l'espace qu'elle englobe par tous ses sens. Lui
et moi, victimes du même processus qui de la substance périssable d'un organe
fait surgir des pensées. Lui et moi, respirant du même souffle dans
l'atmosphère spirituelle des vivants et des morts.
"Je voudrais que la lecture
de ce livre vous laisse l'impression d'avoir traversé un cauchemar
voluptueux."
Les réflexions de Fernando Pessoa,
je les ai entendues plus que je ne les ai lues. Comme dictées d'en-haut. Elles
m'ont fait découvrir un auteur fabuleux dont la traduction française de son nom
est Personne. Clin d'œil du destin, car voilà un homme qui s'est étourdi à nier
la Personne qu'il était pour ne devenir plus personne. À la fois rentré en
lui-même et dissout dans les autres. Clin d'œil de la langue française qui au
même substantif associe la personne et son absence.
"Parfois je songe, avec une
volupté triste, que si un jour, dans un avenir auquel je n'appartiendrai plus,
des louanges viennent prolonger la vie de ces pages, j'aurai enfin quelqu'un
qui me "comprenne", une vraie famille où je puisse naître et être
aimé."
Est-ce comprendre Fernando Pessoa que
de s'associer à ses interrogations ? Cela me confère-t-il la prérogative de
faire partie de cette famille dans laquelle il voulait naître ? Une chose est
certaine, les louanges qu'il appelle de ses vœux, je ne peux que m'y adonner
tant je reste subjugué par son génie de la métaphore à dresser les tableaux
impressionnistes de ses explorations intimes. Tout en se défendant de faire de
la poésie, car il est "de la prose qui danse, qui chante, qui se déclame
elle-même."
Sauf à vivre comme les animaux, guidés par leurs instincts, sans pensée ni
réflexion, voilà un ouvrage auquel nul ne peut rester insensible. Un ouvrage
exigeant, tant il condense dans ses surprenantes divagations le désarroi du
vivant devant l'absurde de sa condition, à ne savoir répondre qu'à la seule
question : pourquoi la vie ? Point de réponse de la part des religions. Elles
ne font "qu'emplir les âmes du vide du monde". Point de recours en
Dieu qui n'est qu'un "créateur d'impossibilités".
Ouvrage essentiel et inutile à la fois. Essentiel parce qu'il brise la solitude
des hommes en les associant aux mêmes interrogations. Inutile parce que ces
dernières restent et resteront sans réponse. Mais ouvrage indispensable quand
même, car le savoir-dire, en chœur, est un immense soulagement du cœur pour
tous ceux qui comme moi restent silencieux à ne savoir dire la souffrance du
vivant.
"Mais tout est absurde, et
c'est encore rêver qui l'est le moins."
L'homme dans l'absurde de sa
condition. A l'instar d'un Albert Camus vingt
ans plus tard. Un cri à l'écho du monde, contre le mutisme de la résignation.
Rêver, rêver encore et toujours. Nous ne sommes que ce que nous rêvons. Pessoa n'a
fait que simuler sa vie, son esprit était ailleurs, à fouiller son âme comme le
télescope scrute les trous noirs de l'univers, à écouter dans l'ennui la
"sourde poésie de l'âme". Allégories sublimes qui font de lui un
porte-parole de choix pour l'espèce affublée de la douleur de penser.
"Le Moi lui-même, celui qui
appartient à chacun de nous, est peut-être une dimension divine."
Ouvrage d'un homme qui a pour patrie sa langue et s'épuise à ne savoir se
situer entre l'être et le non-être, entre le moi et les autres, entre le tout
et le néant. Entre tout et son contraire. Concept globalisant jusqu'à faire du
Moi une composante de Dieu. La majuscule sied alors aux deux. Et pourquoi pas décréter
la mort de Dieu, Nietzsche a
bien osé.
Ouvrage de référence, intemporel, d'une mélancolie lumineuse et envoutante, qui
nous fait souffrir par sympathie, au fond de cet "asile de fous"
qu'est notre âme.
samedi 13 octobre 2018
L'homme révolté ~~~~ Albert Camus
A se heurter aux confins du rationnel, sur cette frontière épaisse et floue qui ouvre sur l'irrationnel, Camus, et sans doute tous les confrères philosophes qu'il appelle à son argumentation avec une préférence pour Nietzsche, me fait penser à cet insecte sous une cloche de verre qui cherche en vain mais avec obstination l'ouverture à l'air libre. La quête de l'absolu pour le philosophe. Après nous avoir convaincus de l'absurde de la condition humaine avec le Mythe de Sisyphe, de cette Création qui ne dit rien de ses intentions, nous voici quelques dix années plus tard, dans la même absence de réponse, et contraint avec Camus à la révolte.
Lautréamont, Sade, Rimbaud, Kafka, et tant d'autres qui
peuplent cet ouvrage, autant d'insectes sous la cloche de verre. Tant d'autres
qui, de révolte en révolution n'en déplaise à feu le roi Louis XVI, viennent au
secours, appelés par lui, d'un Albert Camus qui établit le panégyrique de la
révolte, seule conclusion possible à des siècles d'exploration raisonnée.
Camus a le tort de poser les bonnes questions, de remettre
en cause si ce n'est en accusation le responsable de tout cela. Tout cela
n'étant au final que la condition précaire de l'homme. Dieu nous donne la vie
et la reprend. Dieu est donc criminel. Un criminel qui ne manifeste aucunement
ses raisons.
Après tout ce temps, depuis que l'intelligence a investi le
corps du mammifère pour en faire un homme, force est donc de conclure avec
Nietzsche que Dieu est mort. Et l'homme devenu Dieu ? Cela lui rendrait-il
justice du sort qui lui est réservé ? Nullement. Et la révolte qui le gagne ne
lui apporte pas pour autant de consolation. L'homme devenu Dieu reste mortel.
Dans un relatif trop humain, ou tout ne s'entend que par comparaison. Point
d'absolu.
La philosophie ne serait-elle au final que l'art de poser
les questions ? Et de désespérer des réponses ?
Nous voilà donc revenu au point de départ. A quoi peut alors
servir pareil ouvrage à son lecteur, s'il reste sur cette conclusion ? Il sert
en tout cas à son auteur à faire entendre son cri, d'autant mieux que quiconque
puisqu'érudit et fin lettré. Et moi lecteur j'entends ce cri qui le fait
émerger, Albert Camus, du grand concert de l'humanité, ce cri de l'homme
enfermé dans sa condition, sa cloche de verre, et qui sait dire mieux que je ne
pourrais le faire l'état de souffrance auquel on ne peut que convenir,
puisqu'affublé de la même condition.
J'apprends quant à moi maintenant au moins une chose grâce à
cet ouvrage. J'apprends pourquoi le philosophe se fait aussi romancier. Il nous
le dit page 328 : "le monde romanesque n'est que la correction de ce
monde-ci".
La quête de l'absolu serait donc là. Dans l'imaginaire.
mercredi 19 septembre 2018
Le pavillon d'or ~~~~ Yukio Mishima
La préméditation semble être une
démarche assumée chez Yukio Mishima.
Dans Mishima, ou la vision du
vide, Marguerite Yourcenar étudiait au travers de ses œuvres la longue maturation
qui avait conduit Mishima au geste fatal, se donnant la mort par seppuku, plus
connu par notre approximation occidentale sous le terme hara-kiri. Elle y
faisait la démonstration que cette mise en scène macabre et spectaculaire de
son suicide représentait, au terme d'une préparation intellectuelle très
processionnelle, le point culminant de son œuvre : son "chef-d’œuvre".
Avec le Pavillon d'or on assiste typiquement à cette montée en puissance de l'intensité dramatique qui conduit son narrateur, Mizoguchi, au geste fatal, non contre lui-même cette fois-ci, mais contre la figuration symbolique de la Beauté sur terre que représente à ses yeux le Pavillon d'or. Le lecteur extrapolera sans peine à la perte de l'auteur lui-même de ce crime contre la culture religieuse japonaise.
Le Pavillon d'or dans lequel il est moine novice perd sa symbolique de pureté éternelle
Le Pavillon d'or s'est accaparé
l'exclusivité des attentions. Il est devenu un personnage aux yeux de
Mizoguchi. Un personnage auquel il attribue la même force de séduction qu'une
femme hautement désirable mais dédaigneuse des appétits qu'elle provoque. Le
Pavillon d'or devient le responsable de ce que Mizoguchi reproche à la vie, à
sa vie : sa disgrâce physique, son bégaiement, sa solitude.
Sous les traits de Mizoguchi,
Mishima s'expose contre les codes de la société humaine. Le normal n'est que
convention, que décret humain. Mizoguchi bégaie, il n'est pas normal. Il ne
peut s'allier qu'avec des êtres qui souffrent eux aussi d'anormalité. Kashiwagi,
le garçon aux pieds-bots. L'anormalité est exclusion. Elle est meurtrière.
"Les infirmes, comme les jolies femmes sont las d'être regardés."
Mishima qui révèle son homosexualité dans Confession d'un masque connaît bien
la torture de celui qui n'appartient pas à ce que la convention générale a
institué en normalité. Mizoguchi en arrive à la conclusion qu'il n'existera aux
yeux des autres que lorsqu'il aura commis un acte tel qu'il ne pourra plus être
ignoré. Fût-ce au prix de sa propre perte. Il préfère l'insulte et la
condamnation à la solitude dans laquelle l'a enfermé son handicap. En brulant
le Pavillon d'or, il devient le Pavillon d'or. Celui que l'on regardera quand
la Beauté ne sera plus que souvenir dans l'esprit de ceux qui l'auront trop admirée.
Le Pavillon d'or, insolent de beauté
Il n'est point de sensualité ni
de secours dans la fréquentation des autres. Il n'est de sensualité que dans la
nature, les matières, les sons, la lumière qui seuls portent les humeurs, la
volupté, l'envie, le désir, la Beauté. Le Pavillon d'or, insolent de beauté.
Une beauté profane à laquelle ne se rattache aucune inspiration divine. Cette
beauté est un aveuglement qui forme écran à la vie. Il n'est rien entre la
Pavillon d'or et néant.
Incroyable roman dont le style
poétique, tout en délicatesse, sert la structuration d'une conviction, d'une
intention folle : le crime contre la paix des sages, le crime contre la Beauté.
"Vivre et détruire sont synonymes."
A l'instar de Marguerite
Yourcenar dans l'ouvrage qu'elle a consacré à cet auteur énigmatique, je n'ai
pu m'empêcher de détecter tout au long de ma lecture les indices qui
témoigneraient de l'intention néfaste de Mishima contre sa propre personne. Le
thème de la mort par suicide est certes omniprésent et l'acte fatal contre le
Pavillon d'or est une forme de suicide social. Mais que dire de ce passage qui
n'a pas pu ne pas attirer l'attention de la célèbre académicienne : "Qui y
a-t-il de si affreux dans des entrailles exposées à l'air ? Pourquoi le
spectacle du dedans d'un être humain fait-il reculer d'horreur et boucher les
yeux ? Pourquoi la vue du sang qui coule donne-t-elle un choc ? Pourquoi les
viscères seraient-ils laids ?" Troublant quand on connaît la façon dont
Mishima s'est donné la mort.
Bel ouvrage qui bat en brèche
toutes les philosophies, tous les dogmes, quand ceux-ci ne parviennent pas à
contrer la démarche intellectuelle d'un être froid et calculateur qui s'est
assigné un but. Il est plus facile d'aimer les morts que les vivants. Celui qui
déplorait ne compter pour rien dans la multitude sans nom n'aura pas accumulé
la somme de connaissance qui selon lui peut seule rendre la vie supportable,
dans un univers où il n'y a d'intérêt que pour la Beauté. Après c'est et le
Néant.
Le Pavillon d'or doit disparaître.
samedi 21 juillet 2018
Les carnets 01~~~~Albert camus
Les Carnets de Camus, expression d'éditeur quand l'auteur lui-même parlait de ses cahiers. Des pensées couchées sur le papier, sans cohérence de l'une à l'autre, pour un avenir indéterminé : prémices de futurs ouvrages ou simple besoin de matérialisation de réflexions faites à soi-même, mais surement pas édition en l'état. le Prix Nobel de littérature 1957 aurait pu le prendre pour de l'impudeur, voire la profanation de son intimité. Mais a contrario se serait-il peut-être aussi plu à ce surcroît de sincérité lancé à la face de la "désastreuse société intellectuelle" dont il déplorait l'immoralité ?
Les Carnets de
Camus, en tout cas la mine d'un trésor inexploité par son auteur puisque le
destin a choisi de mettre un terme, à 47 ans, à l'œuvre de l'humaniste épris de
justice sur la route dans la région de Fontainebleau.
Des carnets qui
nous permettent en tout cas de mieux connaître la pensée du philosophe
"solitaire et solidaire".
samedi 5 mai 2018
Érasme, Grandeur et décadence d'une idée ~~~~ Stefan Zweig
"Ce grand désenchanté se sent de plus en plus étranger dans un monde qui ne veut de la paix à aucun prix, où chaque jour la passion égorge la raison et où la force assassine la justice". De qui parle Stefan Zweig en ces termes dans le portrait qu'il dresse d'Erasme, de son sujet ou bien de lui-même ? Cette assimilation en son personnage ne doit rien au hasard. Nous sommes en 1935, il s'est contraint à l'exil à Londres, fuyant la montée du nazisme en son pays depuis la prise de pouvoir d'Hitler deux ans plus tôt, horrifié qu'il est du sort réservé à ses coreligionnaires juifs.
Stefan Zweig a trouvé en Erasme
un personnage taillé sur mesure pour endosser le costume du philosophe
humaniste et pacifiste qu'il est lui-même. Il a trouvé chez l'auteur de L'éloge
de la folie l'archétype, le support idéal pour développer le fond de sa pensée
sur une nature humaine qu'il voit contaminée par le plus grand des maux : le
fanatisme.
En ce début de 15ème siècle où la
science, les découvertes des explorateurs commencent à battre en brèche les
certitudes imposées par l'Eglise toute puissante, Erasme s'est trouvé, à son
corps défendant, impliqué dans la lutte sans merci que se livrent les papistes
et les réformés. Entre la curie de Rome vautrée dans le luxe et la luxure et la
rigueur explosive d'un Luther qui déverse sur l'Europe le flot de sa verve
intarissable contre le dévoyé d'une Eglise régnant en monopole sur les
consciences.
Humaniste à l'habileté sans égale pour critiquer son époque sans se faire
enfermer dans les carcans ou conduire au bûcher, Erasme s'était fait le
porte-parole des pacifistes, précurseur de l'internationalisme à l'échelle de
ce qu'était le monde d'alors, l'Europe. Son génie de l'accommodement cherchait
dans le christianisme une haute et humaine morale propre à apaiser plutôt qu'à
enflammer. Précurseur de la Réforme qu'il avait voulue moralisatrice et
tolérante, il s'est laissé déborder par le bouillant Luther qui ne voyait en
lui qu'un couard, un champion de l'esquive indéterminé à force de vouloir
préserver.
Magellan, Balzac, Marie Stuart,
fouché et d'autres, portraits plus que biographies sous la plume d'un Stefan
Zweig qui s'attache plus à la psychologie des personnages qu'à la chronologie
événementielle de leur vie. Mais avec Erasme on perçoit une intention
supérieure, une nécessité, une urgence que lui inspire le contexte de l'époque
au cours de laquelle il écrit cet ouvrage. "Erasme était la lumière de son
siècle." Il a choisi ce personnage pour dire toute la souffrance qui
l'accable de voir l'Europe sombrer dans la folie meurtrière sous la férule d'un
tyran. Surement a-t-il fouillé l'histoire pour dénicher le personnage qui
serait le plus à même de porter le message qu'il veut lancer à la face du
monde. Il a déjà perçu en 1935 que la paix était compromise. Que la gangrène du
fanatisme la rongeait très vite.
Il a sous-titré son ouvrage
Grandeur et décadence d'une idée, démontrant tout au long de ce dernier que les
hommes ne sont pas à la dimension de leurs idées quand elles prônent
l'humanisation de l'humanité.
samedi 22 juillet 2017
Le mythe de Sisyphe ~~~~ Albert Camus
"Il n'est pas de plus beau spectacle que l'intelligence aux prises avec une réalité qui la dépasse." Cette citation tirée de son ouvrage, le mythe de Sysiphe, s'applique à merveille à son auteur.
La réalité nous dépasse tous et le sens de la vie nous est
étranger. Nous n'avons cependant à son égard pas tous le même rapport, la même
façon de nous tirer d'affaire ou de nous y inclure.
Ceux qui croient en Dieu et ont choisi une religion pour
L'honorer ont fait le choix de la facilité. Tout s'explique par Lui et en Lui.
La mort n'est qu'une ouverture sur l'éternité en Son royaume. La messe est dite.
Pour ceux qui ne croient pas, le problème reste entier.
Parmi eux les simples d'esprit. Ceux-là n'expriment ni tourments ni
interrogations. Et au final, heureux les simples d'esprit, le royaume des cieux
leur appartient. La célèbre parabole les raccroche aux précédents.
Albert Camus, ni simple d'esprit, excusez du peu, ni
croyant, mais contempteur des grandes théories philosophiques qu'il connaît
bien, surtout dans leur contradiction, veut une réponse humaine à son état de
mortel en mal de pouvoir donner sens à la vie. Sa réponse à lui c'est l'homme
absurde. C'est Sisyphe condamné à pousser son rocher vers le sommet de la
montagne, et à recommencer éternellement chaque fois qu'il sera redescendu dans
la vallée.
"Les grands romanciers sont des romanciers
philosophes." Albert Camus nous le prouve avec le mythe de Sisyphe qu'on
lira toujours trop vite et trop légèrement tant ces pages sont lourdes de
réflexion.
SI je voulais dire une énormité, je dirais que la lecture de
cet ouvrage est indispensable à qui se passionne pour l'homme et son oeuvre et
veut en approfondir sa connaissance. Encore faut-il être prêt à arpenter un
chemin difficile. Camus, romancier-philosophe ou philosophe-romancier, le mythe
de Sisyphe nous oblige à la seconde formule. En tout état de cause, un homme
concerné, torturé par le sens de la vie, doué de courage et de talent pour
l'exprimer.
Alors la mort de Camus contre un arbre en 1960 : accident,
élimination ou suite logique d'un raisonnement et conclusion de l'homme
absurde. Cette lecture élargit l'éventail des possibles.
dimanche 27 juillet 2014
L'âme du monde ~~~~ Frédéric Lenoir
Les pessimistes diront qu'un tel ouvrage est un coup d'épée dans l'eau. Les optimistes seront satisfaits d'y trouver un auteur qui ose encore prôner la sagesse. Est-ce bien raisonnable dans notre société de consommation pour laquelle le bonheur est fondé sur le pouvoir d'achat ?
Ce stade est même déjà dépassé. le toujours plus a trouvé ses limites. A peine
le bien désiré est-il acquis que la convoitise s'oriente vers un autre. Alors
cette fuite en avant cherche déjà ses dérivatifs et l'esprit matérialiste se
brûle les ailes dans la quête de paradis artificiels. Les drogues et autres
psychotropes inondent le monde, toutes classes confondues. On n'apprécie plus
rien sans effets spéciaux. Les médias suscitent le besoin, entretiennent la
frénésie consommatrice, font miroiter des nirvanas aux démunis, traquent et
harcèlent les plus réfractaires à l'achat. Comment imaginer qu'on puisse «
quitter cette logique de l'avoir pour passer à celle de l'être ». C'est
pourtant ce que suggère Frédéric
Lenoir avec cet ouvrage qui veut remettre en lumière les clés de la
sagesse.
L'auteur extirpe de leur quotidien huit personnages, religieux et laïcs, de
tous âges, y compris des enfants, et bâtit un conte moderne qui les conduira
dans la vraie quête, celle de la plénitude. le monde terrestre est au bord d'un
cataclysme majeur. L'espèce humaine est parvenue, essoufflée, au terme de sa
course dans l'erreur, au fond de l'impasse. Elle va prendre un nouveau départ.
Ces huit sages qui représentent l'ancienne voie, réunis à Toulanka, vont
tenter, forts de leur expérience malheureuse, de donner les bases saines d'un
nouveau départ à deux jeunes adolescents. Cette nouvelle voie ne peut donc plus
être celle de la satisfaction des instincts primaires. Elle n'est pas non plus
celle des religions. Elles ont prouvé leur inaptitude à réunir les hommes.
Elles prêchent toutes la tolérance et ont dans le même temps été à l'origine de
la plupart des conflits qui ont fait se déchirer les peuples. Cette nouvelle
voie ne peut donc être que celle de la sagesse.
C'est un conte des temps modernes auquel Frédéric
Lenoir nous convie, dans le sens où il se tient de nos jours. Mais
aussi un conte modernisé, car il a une valeur intemporelle et ne fait
finalement que remettre au goût du jour les préceptes des philosophes de
l'antiquité. A ceci près que de nos jours, la machine s'est emballée, tout va
trop vite, il faut lever le pied. Il faut prendre le temps de refaire
connaissance avec soi-même, se libérer de l'esclavage que nous imposent nos
instincts. Il s'agit pour chacun de retrouver un nouvel équilibre, en harmonie
avec le monde, dépassant les limites de sa propre vie sur terre.
Et tout commence par l'estime de soi. Car il n'est pire ennemi que soi-même.
Estime de soi, qu'il ne faut pas confondre avec narcissisme ou promotion de son
égo. « L'égo veut prendre et dominer ». L'estime de soi est la condition sine
qua none pour entrer en harmonie avec le monde dans lequel on vit.
Une lecture superficielle de cet ouvrage laissera l'impression d'enfoncer des
portes ouvertes, de déclamer des évidences. Et pourtant ! Les choses ne
sont-elles pas finalement toutes simples.
Une première lecture intégrale vous laissera le goût de revenir dans ces
chapitres, au hasard. de rechercher les multiples interventions lorsque « le
sage prend la parole et dit : ». Il faut alors écouter la parole du sage,
refermer le livre, prendre son temps, méditer, s'interroger, comprendre,
regarder autour de soi, regarder en soi, pour finalement s'accepter tel que
l'on est, accepter les autres tels qu'ils sont. Accepter son sort aussi, avec
son début et sa fin, pour comprendre que cette fin n'est qu'apparente, que tout
être se perpétue dans l'Âme du
monde.
Ce n'est pas un ouvrage religieux. Il serait même presque anti religieux. Il
clame haut et fort « qu'aucune religion ne peut prétendre posséder la totalité
de la vérité. ». C'est tout sauf de la béatitude.
Il ne faut pas craindre de lire l'Âme du
monde, de placer repères et des index dans ces pages, de le crayonner pour
retenir ce que l'on veut, retrouver ces préceptes si évidents qu'on les a
oubliés, et surtout oublié de les mettre en pratique.
samedi 12 juillet 2014
Petit traité d'histoire des religions ~~~~ Frédéric Lenoir
Un petit traité, certes, mais un ouvrage suffisamment documenté pour qui veut s'ouvrir à la connaissance des religions sans devenir un spécialiste. Et peut-être une base de départ pour qui voudra approfondir le sujet.
Un excellent tour d'horizon sur le thème, dans l'espace et dans le temps. Avec
en prime l'allégation incontestable que les religions sont invention de
l'homme, donc forcément dans l'erreur quand elles revendiquent la possession de
la vérité et l'universalité de leur prêche.
Difficile de rester neutre sur le sujet. Frédéric
Lenoir y parvient. La thèse à soutenir est que toutes ont leur raison
d'être ou de ne pas être. L'important étant de ne rien imposer et de laisser
chacun à sa croyance devant le grand mystère de la vie.
Une religion n'est jamais qu'une secte qui a réussi.