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dimanche 12 juillet 2020

L'écriture ou la vie ~~~~ Georges Semprun



George Semprun a choisi d'écrire certains de ses ouvrages autobiographiques en français, langue qu'il dominait comme tant autres. Il s'est alors heurté à une difficulté sémantique inattendue de la langue de Molière, une lacune. Il est un mot qui fait défaut à cette dernière, celui qui exprime le "vécu intime" de la personne. En français, le mot expérience a une connotation trop physique, presque scientifique, il ne fait pas suffisamment appel au ressenti qui grave la mémoire profonde comme peuvent le faire les substantifs idoines en allemand ou en espagnol.

Car c'est évidemment sur ce terrain que se situe la raison d'être d'un témoignage, la transmission du "vécu intime" d'une page de l'histoire personnelle d'un être aussi tragique qu'a pu être celle des camps de la mort. Comment faire comprendre à autrui que celui qui en est revenu n'est plus celui qui y est entré, à celui qui est dehors ce qu'a vécu celui qui était dedans. Cette discrimination du dedans dehors est le credo de son premier ouvrage le grand voyage. Comment faire comprendre que celui qui était dedans y a vécu la mort, si tant est que la mort puisse se vivre, même s'il en est revenu.

Alors évidemment, quand il s'agit de transmettre ce "vécu intime", les difficultés se font jour : que dire, quand le dire, comment le dire, et au final pourquoi le dire ? Car le témoignant se heurte en fait à l'écueil suivant : qui pour entendre, comprendre et surtout admettre ? Qui aura le courage de se placer dans l'inconfort moral d'affronter une vérité historique déshonorante pour l'humanité ?

Jorge Semprun avait observé le sort réservé à l'ouvrage de Primo Levi édité dès le lendemain de la guerre, en 1947. le rejet des grands éditeurs, la diffusion confidentielle, le piètre accueil de ses contemporains étaient perçus par lui comme une volonté d'occulter cette page sombre de l'histoire de l'humanité, comme un faux-pas de cette dernière. Jorge Semprun s'était donc imposé l'exercice surhumain de repousser le harcèlement du souvenir et la tentation de le crier à la face du monde. Il refusait la culpabilisation d'être revenu de l'enfer - Il faut lire à ce sujet en fin d'ouvrage ce qui concourut à la survie du matricule 44904, son matricule. Il voulait connaître le bonheur fou de l'oubli. Il se plaçait en posture de quête de repos spirituel.

Avec L'écriture ou la vie, Jorge Semprun nous propose une forme d'élévation, que lui autorise sa culture philosophique. Conscient qu'une écriture de témoignage de faits ne serait que "litanie de douleurs", qu'il faut pour frapper les esprits lui préférer une forme suggestive plus que figurative, il n'évoque jamais la haine mais dénonce le Mal absolu. Avec la majuscule qui donne à ce substantif la dimension mythologique que lui vaut l'ampleur des conséquences néfastes infligées à l'espèce humaine par le nazisme.

La mort de Primo Levi en 1987 a été pour Jorge Semprun la prise de conscience de la dépendance du souvenir au témoignage des seuls survivants des camps de la mort : "Le souvenir vivace, entêtant, de l'odeur du four crématoire : fade, écoeurante… l'odeur de chair brûlée… Un jour prochain, pourtant, personne n'aura plus le souvenir réel de cette odeur : ce ne sera plus qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur. Inodore, donc." La disparition de Primo Levi remettait la mort d'actualité. Jorge Semprun qui disait avoir vécu sa propre mort à Buchenwald acceptera quelques années plus tard, en 1992, une invitation à se rendre sur le site du camp. Il acceptait de confronter le rêve de la vie d'après, et d'avant aussi d'ailleurs, avec celui cauchemardesque qui lui avait volé ses vingt ans. Sa vie après le camp, c'était sa vie après la mort. Renaissance, aussi absurde que naissance, pour se voir confronté à une mort tout aussi stupide. Ce ne sont ni Camus ni Cioran qui le contrediront.

Après une stratégie de survie qui consistait à ne rien lire, ne rien écrire sur le sujet honni, à rechercher la compagnie de personnes ignorant tout de ce passé maudit et tenter de devenir un autre, Jorge Semprun trouve le courage d'affronter cette page de sa vie au travers de l'écriture, bien averti qu'elle le rendrait vulnérable aux affres de la mémoire. Il se convainc de dire que tout ce qui n'est pas du domaine du camp est du domaine du rêve, dans un ouvrage qu'il avait d'abord intitulé L'écriture ou la mort qui sera publié sous celui de L'écriture ou la vie.

Moi qui suis un lecteur de ces mots des Jorge Semprun, Primo Levi, et autres hommes et femmes témoins de l'enfer des camps, moi pour qui "l'odeur de la fumée du crématoire n'est qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur", je reste fasciné d'horreur à la lecture de chacun de ces ouvrages qui du Mal absolu ne me donne certes qu'une idée, mais qui m'attribuent ma juste part de responsabilité d'appartenir à une espèce capable de ce Mal.


mercredi 3 juin 2020

Le grand voyage ~~~~ Georges Semprun

 


Il y avait ceux qui était dedans et mourraient, et ceux qui continuaient à vivre dehors.

Jorge Semprun le dit lui-même, il lui aura fallu longtemps avant de prendre la plume et dire à ceux qui n'y étaient pas, ceux qui étaient en dehors de ça, comment c'était dedans. le dedans c'était le wagon. le camp par la suite. le dehors c'était tout le reste. En particulier les témoins, conscients ou non, mais toujours un peu complice quelque part, par action ou par démission. Ceux qui regardaient le train quitter la gare, longer la vallée de la Moselle, cahoter pendant des jours et des jours dans l'air glacial.

Le dehors c'est nous aujourd'hui, spectateurs incrédules d'une mémoire. Comment cela a-t-il été possible ? Nous n'y étions pas. Alors Jorge Semprun nous dit comment c'était dedans. C'était hier, c'était la réalité. C'était le cauchemar que l'imagination n'avait pu envisager. Et pour cause. L'imagination était restée dehors. C'est aujourd'hui le témoignage.

Il a fallu des années pour que le temps fasse son œuvre. Que l'oubli fasse son œuvre. Pas l'oubli de l'inoubliable bien sûr. Il est désormais inscrit dans chaque cellule de celui qui y était. Mais l'oubli de l'effroi, de la colère, de la vengeance. Il lui a fallu, à lui Jorge Semprun, le temps de bannir de son vocabulaire les mots durs, ceux dictés par la fièvre, pour en parler avec ceux de la mémoire, des mots froids et purs. Dépouillés du ressentiment.
Les mots adoucis ont plus de force pour exprimer l'indicible, et soulager le cœur.

Il a fallu écrire, plutôt que dire. Écrire pour ne pas être interrompu par un contradicteur. Il y en a eu. Il y en a encore. Écrire pour que les mots franchissent les générations et ne s'éteignent pas avec celui qui était dedans. Écrire pour que cet ouvrage rangé dans ta bibliothèque te fasse signe de temps à autre et te rappelle à l'inoubliable. Il y en a qui étaient dedans, et y sont restés. Tu es hors de tout ça. Spectateur éberlué.

N'oublie pas en particulier ces enfants dont je ne peux passer sous silence le sort qui leur a été réservé. Ces quinze enfants entre huit et douze ans, descendus miraculeusement d'un wagon en provenance de Pologne où tout le monde était mort congelé debout après dix jours sans boire ni manger. Quinze enfants massacrés parce que descendus vivants du wagon, d'une façon que je ne peux taire et te le dis page 194, édition Folio. C'est IN-SOU-TE-NA-BLE.

Le grand voyage, un ouvrage écrit en un seul chapitre ou presque. Comme un barrage qui se rompt d'avoir trop encaissé les coups de boutoir du cauchemar. Des souvenirs écrits à la première personne par celui qui était dedans. Dans le wagon. Des fragments de vie inoubliables avant, pendant, après le wagon. Après la libération. Des fragments qui se bousculent pêle-mêle tout au long d'un chapitre sans respiration. Et puis un deuxième chapitre, très court, écrit à la troisième personne. Par celui qui est dehors à l'heure où il écrit ces mots, rescapé, harcelé par ses propres souvenirs gravés dans son être, mais alors purgés de la haine après une convalescence nécessaire à l'épuration de ce venin qui est la cause de tout.

J'ai lu plusieurs témoignages de ceux qui ont été dedans, moi qui suis dehors. On ne peut dire que l'un est plus saisissant que l'autre. le fond est toujours dans les abysses de la bassesse humaine. C'est la forme, le savoir dire qui fait la différence. Celui de Jorge Semprun nous aspire dedans.

L'être n'est-il donc que corruption de lui-même au point de précipiter son retour vers le non-être ?


dimanche 3 mai 2020

J'ai pas pleuré ~~~~ Ida Grinspan

 



Encore un livre sur la Shoah me direz-vous ? Oui, mais pas seulement.

J'ai pas pleuré est le témoignage d'une femme qui a vécu la Shoah. Avant, pendant et après. Un livre comme il devrait y en avoir autant que de personnes qui ont été victimes de cette entreprise de déshumanisation. Un par voix qui s'est éteinte dans les camps de la mort.

Un livre pour écrire les lendemains dont ils avaient rêvés, et qu'ils n'ont pu vivre jusqu'au terme fixé par la volonté supérieure qui leur avait donné le jour. Parce que des volontés inférieures, si basses, si viles se sont arrogé le droit sur leur vie. Un droit qui ne leur revenait pas. C'est une caractéristique du méprisable que de s'arroger des droits sur les autres. Comme celui d'effacer le sourire d'un enfant et de faire entrer la peur dans ses yeux.

Chaque livre sur la Shoah apporte sa pierre à l'édifice de la mémoire. Cet édifice qui doit s'ériger sans cesse, s'élancer vers le haut, sa flèche se perdre dans les nuages et pointer de son faîte le souvenir de tous ces innocents privés de leur sourire par des imposteurs, des voleurs d'innocence.

Quelle plus grande innocence que celle de cette toute jeune adolescente que les gendarmes viennent chercher avant le lever du jour un matin de janvier 1944 au fond de sa campagne. Seule, ignorante de tout, des affaires des hommes, de ce nuage de haine qui assombrit le ciel de France. Innocente de ne pas savoir que sa seule naissance était un obstacle à la vie. Seule parce juive, accueillie par une famille de paysans qui la préservaient du tumulte du monde. Seule parce que ses parents étaient restés dans la capitale à la merci d'elle ne sait quel danger.

Je vais revoir ma maman

Elle ne pleure pas quand les gendarmes l'emmènent avec son maigre bagage. "Je vais revoir maman." Bien qu'inquiète, elle a la conviction d'aller la retrouver, elle qui avait été emmenée elle ne sait ni où ni pourquoi deux ans auparavant. Elle comprendra plus tard, bien plus tard, après avoir intégré dans la naïveté de ses quatorze ans que dans la montagne de cheveux aperçue à son arrivée à Auschwitz, il y avait à n'en plus douter ceux de sa mère.

Un livre pour ne pas oublier. Car la hantise de tous ceux qui ont vécu ça, Auschwitz et tant d'autres noms devenus tristement célèbres, est que cela ne serve pas de leçon, de vaccin pour l'humanité contre le fléau de la haine. Un livre pour que l'incrédulité ne gagne pas ceux qui n'ont pas vécu ça, quand les témoins auront disparu. Un livre pour que les gens qui nient tout ça ne soient ni écoutés, ni entendus et qu'un jour d'autres innocents ne comprennent ce qui leur arrive qu'à l'entrée de la chambre à gaz, ou de quelque chose qui y ressemble, et leur fasse comprendre qu'ils ne sont plus des hommes mais des lots comptabilisés, nuisibles et dont il faut se débarrasser. Nuisibles parce décrétés comme tels.

Un livre pour combattre la lâcheté de ceux qui savaient et n'ont rien fait pour tout arrêter. Un livre pour ne pas oublier que la haine n'a pas de frontière, pas de nationalité, pas de religion, pas de temporalité. La haine n'est pas morte. Elle est aux aguets, prête à ressurgir tout moment.

J'ai pas pleuré est un livre pour ne plus s'entendre dire "Ici, on entre par la porte, on ressort par la cheminée."


dimanche 26 janvier 2020

Lutetia ~~~~ Pierre Assouline


 

Quel est ce temps dont Pierre Assouline nous dit qu'il y a eu un avant et un après ? Dans ce roman organisé en trois parties un observateur habitué à disséquer les personnalités nous décrit une société confrontée au drame. le récit colle à l'histoire. Tous les événements y sont vrais. La fiction les recolle bout à bout, leur redonne le liant que les livres d'histoire ont négligé dans leur obsession de la chronologie.

Ces avant, pendant et après sont ceux de la seconde guerre mondiale. Elle est vécue dans cet ouvrage depuis le huis clos de l'hôtel Lutetia par Edouard Kiefer - avec un seul f, car il y en a un autre avec deux f, moins recommandable celui-là. Ce kiefer prénommé Edouard n'avait plus l'âge de partir au front. Mais encore celui d'être dénoncé, et pourquoi pas déporté lui-même. Il n'y avait pas d'âge pour cela. Aussi restait-il sur ses gardes. Il était le détective chargé de la sécurité de l'hôtel. Ancien flic des RG, il était tout désigné pour le poste. La psychologie de ses contemporains fréquentant l'hôtel, ça le connaissait. Il la mettait en fiche. On ne se refait pas du jour au lendemain, même en changeant de costume. Les bons vieux procédés avaient encore leur efficacité à une époque où l'accès aux hôtels ne se faisait pas sans l'ouverture d'une fiche de police.

La vraie nature des gens se dévoilent avec encore plus d'acuité lorsqu'ils sont confrontés à la difficulté, au danger. C'est avec cet oeil d'expert que Pierre Assouline nous fait vivre cette page sombre de l'histoire de l'humanité, car même depuis les coulisses de l'hôtel Lutetia, il est question de la Shoah. Cette finesse dans l'appréciation des comportements, des caractères, cette auscultation des tréfonds de la nature humaine, Edouard Kiefer sait mieux que quiconque s'y adonner. Les masques tombent quand les circonstances donnent libre champ aux jalousies, aux peurs, aux convoitises. Ou tout simplement à l'instinct de survie. Celui-là ne reconnaît plus de personne sur son chemin quand il s'agit de se tirer d'un mauvais pas.

De l'hôtel Lutetia on apprend que, comme tous les grands hôtels parisiens, il a été le théâtre d'une petite parcelle de ce drame à l'échelle mondiale. Il a hébergé l'abwehr, le service de renseignement de l'armée allemande pendant toute la guerre. Il a été au moment de la libération et du retour des déportés, une plateforme d'accueil, d'identification et de réinsertion administrative des rescapés.

Le Lutetia est alors le théâtre de scènes d'attente angoissée, toujours, de retrouvailles, si peu, d'immense chagrin plus souvent lorsque les listes, les témoignages ouvrent la trappe sur le gouffre du désespoir.

D'aucuns pourront trouver le style quelque peu sirupeux. J'y ai trouvé quant à moi le plaisir de retrouver la pureté de notre langue quand elle est mise en oeuvre par un artisan ciseleur du calibre de monsieur Assouline. À cette expertise s'adjoint l'érudition pour faire de cet ouvrage un plaisir de lecture. Belle page de gloire de notre langue à défaut de l'être pour l'histoire de l'humanité. Il y a aussi en filigrane une histoire d'amour à laquelle la pudeur donne ses lettres de noblesse quand les élans sont maîtrisés par les convenances. Une histoire vécue du bout des lèvres, pour ne pas faire tâche dans une atmosphère de tragédie.


vendredi 17 janvier 2020

Au nom de tous les miens ~~~~ Martin Gray

 


Lorsque Martin Gray, qui vient de s'évader du camp d'extermination de Treblinka, rencontre ses coreligionnaires dans un village voisin et tente de les convaincre de s'enfuir, argumentant des horreurs qu'il avait vécues, ils ne le croient pas.

"Ils ne pouvaient pas me croire parce qu'il était impossible d'imaginer Treblinka."
Comment le croire en effet ? Leur incrédulité leur vaudra de subir ce à quoi Martin Gray tentait de les préserver. La mienne d'incrédulité, lecteur d'un temps décalé, averti de cette page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, me vaut de rester médusé devant ce que j'ai lu. Parmi les innombrables et innommables atrocités qu'auraient vécues Martin Gray : étrangler des enfants, sortis miraculeusement vivants de la chambre à gaz, pour les préserver d'être ensevelis vivants dans les fosses que creusait inlassablement l'excavatrice !

On n'ose imaginer que ce fait puisse faire partie de la part de fiction ajoutée au récit par Max Gallo à une réalité déjà insoutenable. Faudrait-il en rajouter à l'horreur pour convaincre que l'effet serait inverse.

Pareille ignominie révélée ne pouvait être que "le cauchemar d'un fou" aux yeux de qui ne l'avait pas vécue, dit-il lui-même. Le cauchemar se perpétuait donc devant l'impossibilité de convaincre, de savoir des hommes, des femmes et des enfants se destiner à Treblinka du seul fait de cette incapacité à l'envisager.

Et qui d'ailleurs pour survivre à pareil traitement ? Un homme jeune. Il n'a pas vingt ans. Un homme que le sort préserve pour faire revivre par le témoignage et la perpétuation ses êtres chers engloutis par la déferlante de la haine. Mais c'est un autre cauchemar que le sort lui réserve. le cauchemar du bonheur foulé aux pieds. L'incendie du Tanneron qui le privera une seconde fois de l'amour des siens dans la fournaise. Sans doute celle de l'inconséquence cette fois. Celle de l'acharnement du sort en tout cas.

Martin Gray est mort en 2016. Quelle que soit la part de fiction de son ouvrage rédigé par Max Gallo, une chose est certaine, il se savait attendu dans l'au-delà par ceux dont les tragédies l'avaient privé de leur amour terrestre. Ils n'étaient que des précurseurs pour un monde que tout-un-chacun espère dépourvu de haine.


mardi 22 octobre 2019

La mort est mon métier ~~~~ Robert Merle


J'ai toujours eu un peu de mal avec le genre romanesque lorsqu'il aborde le thème de la Shoah. Je me demande si le sujet ne devrait pas être réservé aux seuls témoignages. D'aucuns diront qu'il n'est pas de sujet interdit à la liberté qui prévaut dans le genre. Reste à juger de la façon dont cette indépendance s'exprime.

Averti comme je le fus, en choisissant cet ouvrage, du genre adopté par son auteur après avoir lu la préface qu'il a rédigée 20 ans après sa parution, je me suis posé la question de savoir ce que ce choix, fait par Robert Merle pour écrire La mort est mon métier, apportait de plus à la connaissance de ce chapitre noir de l'histoire de l'humanité. S'agissant de relater des faits historiques avérés.

Pouvait-on suspecter la simple exploitation d'un thème éminemment douloureux à des fins mercantiles ou de satisfaction personnelle ? Si la quête d'un lectorat nombreux ne peut-être niée par un auteur, j'ai voulu savoir ce que pareil ouvrage présentait de sincérité.

Rudolph Hoess pouvait faire cohabiter sans confusion dans la même personne qu'il était sa vie de père de famille, certes peu démonstratif en termes d'affection auprès des siens, et son autre vie qu'on a du mal à qualifier de professionnelle lorsqu'il quittait le domicile familial, celle d'un des plus grands monstres de froideur inhumaine que la terre n’ait jamais porté.

C'est le procédé narratif adopté par l'auteur qui diffère de ce que peuvent apporter les témoignages. Ce "je", qui fait intervenir son personnage à la première personne pour nous faire la narration du parcours de ce dernier, participe à la compréhension de la complexion de celui-ci. Il était devenu le rouage d'une entreprise emballée dans la spirale de la haine, se gardant bien d'en juger les fondements. Position qui lui servira d'argument de défense lors de son procès. Sa déontologie à lui étant l'obéissance à une cause et une hiérarchie mise au service de cette dernière. Peu importe les théories qui en échafaudaient les principes.

Sans négliger les travestissements exigés par le genre choisi par son auteur, sa lecture m'a confirmé dans le bien-fondé de l'intention de cet ouvrage avec l'apport supplémentaire du mode narratif choisi. Cet ouvrage ne place plus le lecteur en spectateur extérieur aux faits relatés, mais lui fait endosser le costume et le mécanisme mental qui va avec. C'est un ouvrage qui vous glace le sang car on sait que les outrances, s'il y en comporte dans le registre de l'horreur, seront toujours en dessous de la réalité.

C'est une lecture pénible dans ce qu'elle impose au lecteur, qu'on ne peut recommander comme on le ferait de n'importe quel roman qui nous a séduit. Un ouvrage dont le récit par la force des choses s'arrête au pied de la potence. En sachant que cette fin ne résout rien. Mais un ouvrage qui a son intérêt, parce qu'il concerne la nature humaine dont on ne peut pas se désolidariser quand elle est abjecte et la rejoindre quand l'amour est au rendez-vous. Il faut savoir ne pas ignorer pour conserver sa vigilance.


mardi 6 août 2019

Le temps des orphelins ~~~~ Laurent Sagalovitsch

 


Cet ouvrage place son intrigue dans le contexte d'une page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, celui de la shoah. Un thème dont il faut à mon sens faire usage avec tant de précaution que je me demande s'il peut donner lieu à y appliquer une fiction.

Daniel, jeune rabbin venu d'Amérique, a ressenti la nécessité de s'engager dans les forces de libération de l'Europe en 1944. Sa découverte des camps de la mort fera vaciller sa foi. Quand il prendra la mesure de l'anéantissement de la personne qui a résulté de la funeste entreprise nazie, le recours aux textes bibliques lui sera de piètre secours pour réconforter ses coreligionnaires. Comment Celui qui préside aux destinées de ce monde a-t-Il pu laisser faire ça ?

L'intrigue, c'est celle d'un tout jeune garçon famélique au regard figé d'incompréhension, perdu dans la tourmente de la libération des camps. Il est incidemment recueilli par Daniel qui se met en quête de retrouver sa famille.
Faut-il voir dans cet ouvrage écrit par quelqu'un qui ne peut connaître cette période noire que par ce qu'il en a appris, le besoin de raviver une mémoire qui lui semblait s'essouffler. Pour arriver à ses fins, il n'a de toute évidence d'autre choix que de donner dans la surenchère compassionnelle et le ressentiment, en quête de vocabulaire et métaphores apocalyptiques.

S'il faut lire le récit de ce cauchemar, je préfère le faire dans les ouvrages de ceux qui ont vécu cette ignominie, quand ils ont eu force de rompre le silence. Ils savaient très bien quant à eux qu'aucune langue humaine ne comporte de mots assez proches de ce qu'ils avaient enduré, que leur tentative de témoignage ne restera jamais qu'une approximation de l'horreur. Comme si le mépris du monde qui les avait piétinés s'acharnait encore sur eux quand le temps était enfin venu de le crier à la face de ce même monde. C'est alors dans leur silence entre les mots qu'on prend la mesure de leur traumatisme, qu'aucune fiction ne pourra restituer.

Surtout lorsqu'elle force le trait avec quelques clichés impliquant les enfants. Cela ne manquera pas d'attendrir le sceptique du 21ème siècle auquel aurait échappé l'ampleur du cataclysme parce qu'assoupi dans son confort aveugle. La chute est assez maladroite, mais comment clore pareil ouvrage quand l'espoir n'est plus de ce monde.


mercredi 24 février 2016

Si c'est un homme ~~~~ Primo Lévi

 



Que dire en refermant cet ouvrage ?


Les mots, les miens, ceux d'un lecteur libre et bien nourri, seront impuissants, et peut-être même indécents.


Lisez les siens !