Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 20 mars 2016

Grossir le ciel ~~~~ Franck Bouysse

 


C'est bien vrai qu'il est difficile de le lâcher ce livre. Il s'est accroché à mon souvenir chaque fois que je l'ai posé. Gus, son héros, m'attendait sur la table du salon, du bureau, m'appelait dès que distrait de sa vie par la mienne. Ne me délaisse pas au hasard de tes occupations. Laisse-moi te raconter la suite. Je n'ai personne à qui parler. Autant que ce soit toi. Tu ne sais pas encore pourquoi.

Pourquoi quoi ?

Pourquoi, la solitude ! Celle qui me colle à la peau, comme seul le destin sait la façonner. Gluante et opiniâtre. Son matériau c'est la rancoeur. 
La rancoeur d'une enfance sans caresse, sans sourire, sans consolation, depuis que la mémé est partie. Une enfance coincée entre des parents qui ne se rencontraient que dans la sauvagerie des pulsions du père. Ça lui a coûté la vie au père, d'ailleurs. Embroché à la fourche, en plein rut. Appelons les choses par leur nom. Ce n'était rien d'autre.


A la solitude au milieu des adultes a succédé la solitude tout court. Cette mutation a d'abord été la bienvenue dans ce paysage de ressentiments. Puis à la longue, Gus a bien tenté de s'en distraire. Il s'est entiché d'Anna, la fille de la ferme d'à côté. Mais il n'a reçu que mépris pour toute réponse de sa convoitise. Alors il est resté chez lui et l'amour, il l'a trouvé ailleurs. Dans le regard de Mars, son chien. Il s'en est satisfait. Car Gus, c'est tout sauf un tordu. Il aurait pourtant pu le devenir, avec l'enfance sans amour qu'a été la sienne. Il est seulement désenchanté.
Et passent les jours dans la rude campagne cévenole. Quand de rares visiteurs s'aventurent vers sa ferme, aux Doges, en quête de son suffrage, fussent-ils banquier, acheteur de ses terres ou évangéliste, c'est peine perdue s'ils lui parlent d'avenir.

Lorsque Abel, le voisin, un solitaire lui aussi, s'est manifesté pour nouer des relations d'entre-aide, soi-disant, Gus y est allé sur la pointe des pieds, incrédule et maladroit, mais armé de prudence. Il est bizarre ce vieux.

Cet ouvrage n'est pas un roman du terroir. Son credo n'est pas celui de la nostalgie du bon vieux temps, tableau noir et encre violette. Il ne s'alanguit pas de la patine qui adoucit les meubles au toucher, les gens au caractère. Ce n'est pas non plus un roman à suspense. Il ne dévoile pas à la dernière page la solution de l'énigme qu'il a soulevée à la première. Son intérêt n'est pas dans son mystère. Son intérêt, c'est le bouillonnement qui perturbe le coeur de Gus. Car il a un coeur cet ours.

Je me suis plu à relire les citations que les uns et les autres avaient publiées sur Babelio. Je me suis confirmé dans le fait que cette écriture sans artifice est de celle qui parle au coeur, sans en avoir l'air. Car des phrases joliment tournées, il y en a. Elles ont retenu l'attention de nombre de lecteurs.

Grossir le ciel est un ouvrage prenant. Il dépeint des personnages épineux, plus vrais que nature. Des caractères forgés par l'aridité du pays. Il instaure un climat énigmatique autour d'un personnage attachant. On devient méfiant avec lui. On craint le tournant de chaque page. Il faut dire que la vie ne lui a pas fait de cadeau.

Et puis, qu'est ce que ça veut dire ce titre un peu curieux, Grossir le ciel ? Espoir ou désespoir ?
Faites-vous votre propre idée, vous ne serez pas déçu.