Plus ambassadrice qu'avocate de la cause féminine, Kathryn Hughes construit
un roman dans lequel elle fait se croiser les destinées de deux femmes
auxquelles le bonheur s'est trop longtemps refusé. Deux époques, deux
générations, deux souffrances.
A la veille de la seconde guerre mondiale il est encore déshonorant pour une
famille d'apprendre la grossesse d'une de ses filles hors mariage. Y compris si
le responsable de cet état, puisqu'il faut l'appeler ainsi dans pareil
contexte, veut assumer sa charge nouvelle de père. En intention en tout cas
pour ce qui concerne l'intrigue de ce roman. Christina, fille d'une famille de
Manchester dont le père est un médecin respecté, ayant fauté sera donc écartée
par lui de sa famille. Son enfant confié à l'adoption à l'âge de trois ans
auprès d'une famille américaine, aux grands chagrin et désespoir de sa mère.
Dans les années soixante-dix, Tina, jeune épouse sans enfant, trouve cette
lettre dans laquelle un homme déclare à son amante vouloir être un bon mari et
un bon père. Tina s'interroge sur le devenir de cette lettre qui semble n'être
pas parvenue à destination. Elle-même sous la coupe d'un mari violent et
manipulateur trouve dans cette lettre matière à se divertir de sa propre
souffrance. Autant que la tyrannie de son mari le lui autorise, elle se met au
défi de trouver les correspondants que cette lettre semble ne pas avoir réunis.
Ni accusateur ni empesé de mièvrerie, cet ouvrage se veut évocateur de deux
situations de souffrance de femmes livrées à l'hégémonie du sexe dit fort au
détriment de sa congénère. L'une et l'autre, que presque deux générations
séparent, doivent assumer seules la culpabilité d'une dérive ou d'un déboire
amoureux. La première, une grossesse hors mariage, la seconde, l'échec d'une
union pervertie par le vice alcoolique. Cette dernière imaginant réunir deux
coeurs sincères qu'un accroc du destin a tenus éloignés. Cherchant
inconsciemment apaisement à son propre déboire conjugal dans la réparation au
bénéfice d'autrui d'un mauvais coup du sort.
Bien écrit, bien construit, ce roman dépourvu d'acrimonie donne le ton juste.
Sans le décrire concrètement il veut ramener le curseur de la culpabilité de
l'échec de parcours amoureux vers son véritable responsable. Rétablir un
équilibre corrompu depuis la nuit des temps, époque où le rapport au monde
dépendait de la force physique. Roman féministe qui ne dit pas son nom mais le
fait bien comprendre, à juste raison. Kathryn Hughes porte
une belle parole de femme dans un roman dont on a trop envie d'évoquer le
dénouement. Mais gardons-nous bien de divulgacher comme disent nos cousins
canadiens. Bien qu'en relisant le prologue on se dit qu'il y a du bonheur à se
repasser la fameuse morale de Candide, à cultiver notre jardin.