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lundi 9 août 2021

Suite française ~~~~ Irène Némirovsky



Suite française est un ouvrage très émouvant à lire. En premier lieu parce que l'on sait qu'il est écrit sur le vif, contemporain des événements servant de base aux intrigues romanesques qu'il met en œuvre. En second lieu et surtout parce que l'on sait que la plume d'Irène Némirovsky est restée suspendue dans l'attente d'une suite qu'elle avait imaginée et qui ne verra pas le jour.

Les notes fournies en annexe de l'édition Folio portent à notre connaissance les réflexions que l'auteure se faisait à elle-même pour parfaire son ouvrage, mais aussi pour lui apporter la suite que les vicissitudes de l'histoire lui dicteraient. Il est encore plus poignant de lire ses notes que le reste de l'œuvre. On y découvre l'espoir d'avenir qu'elle avait échafaudé pour son ouvrage, et donc pour son pays d'adoption, avec ce plan qu'elle avait envisagé :

« Pour bien faire, se disait-elle, il faudrait faire 5 parties.
1) Tempête
2) Dolce
3) Captivité
4) Batailles ?
5) La paix ? »

L'ouvrage édité à titre posthume, très tardivement par ses filles, est donc partiel, et pour cause. Il ne comporte que les deux premières parties qu'avait imaginées l'auteure. Il est clair qu'en 1941, au temps de la rédaction de son ouvrage, Irène Némirovsky ne pouvait que se perdre en conjectures quant à la poursuite du conflit qui venait de conduire notre pays à la déroute. C'est ce que laisse imaginer les points d'interrogation qu'elle a laissés dans ses notes, escomptant quand même un sursaut - les batailles - qui remettrait son pays d'adoption debout pour enfin retrouver la paix, à défaut de sa superbe. Ce panache qui lui a tant fait défaut depuis le début du conflit et qui laisse au cœur d'Irène Némirovsky une profonde amertume.

Une chose est sure, cette photographie de la société française dans la disgrâce ne sera pas affectée par la connaissance de l'issue de la guerre. Son auteur n'aura pas eu la chance de la connaître. Son actualité est celle d'un pays humilié qui voit encore en Pétain son sauveur. Le renégat de Londres n'est pas évoqué. le 2 juin 1942, quelques semaines avant son arrestation, elle écrit dans ses notes : « Ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique pâlira. » Irène Némirovsky sait bien que toutes les guerres ont une fin. Elle est loin d'imaginer l'avenir de ce présent qui la consterne.

Tempête, la première partie, est une compilation d'instantanés surprenant des parisiens dans leur fuite de la capitale devant l'avancée des troupes allemandes. Des parisiens dont le désarroi se traduit par des situations criantes de vérité, mises en scène par l'œil sévère d'Irène Némirovsky sans doute sans autre modification que les noms des protagonistes. Dénonçant le chacun pour soi qui prévaut, grandement aggravé par les différences de condition sociale et favorisant une fois encore les possédants.

Dolce stabilise l'intrigue dans un village en zone occupée. La France est encore coupée en deux par la ligne de démarcation. Les habitants du village apprennent à vivre avec l'occupant. Avec ce que cette situation comporte de drames mais aussi de fraternisation. Irène Némirovsky n'est pas insensible au destin de ces soldats en uniforme vert-de-gris, parfois très jeunes, eux-aussi dépassés par le drame dont ils sont souvent des acteurs contraints. Déplorant la déroute de notre armée, elle a à l'égard de l'armée allemande une forme d'admiration horrifiée pour cette machine de guerre si bien huilée.

La lecture de ses notes est à ce propos évocatrice de l'état d'esprit qui anime l'auteure à l'heure de la mise au point de son ouvrage : « Je fais ici le serment de ne jamais plus reporter ma rancune, si justifiée soit-elle, sur une masse d'hommes, quels que soient race, religion, conviction, préjugés, erreurs. Je plains ces pauvres enfants. Mais je ne puis pardonner aux individus, ceux qui me repoussent, ceux qui froidement me laissent tomber, ceux qui sont prêts à vous donner un coup de vache. »

Ce coup de vache il est arrivé. Certainement pas de la part de qui ni avec la violence qu'elle pouvait redouter. C'est celui du 13 juillet 1942 lorsque les gendarmes sont venus la chercher en son refuge d'Issy-L'évêque. Ce coup de vache l'a conduite à Auschwitz, avec la fin que l'on connaît quelques semaines plus tard seulement.

Avec suite française nous lisons aujourd'hui l'ouvrage d'une personne qui se sait menacée. Qui a quand même la volonté de mettre en page une fiction-témoignage des événements qui la submergent. Une suite qui n'en aura pas justement, dans ce pays où elle avait trouvé refuge avec sa famille. Où elle pensait avoir enfin trouver la sécurité qui avait fait défaut à son enfance. Mais son refuge l'a trahie. La suite est tragique et honteuse. Elle est à mettre au crédit des autorités françaises. Ironie du sort. Mais ça elle ne l'envisageait certainement pas.

Cette suite qu'Irène Némirovsky n'avait pas augurée est une pensée obsédante tout au long de la lecture de cet ouvrage. Cela nous le fait lire au travers du prisme d'une funeste prémonition.