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mercredi 8 décembre 2021

Les sorcières de Pendle ~~~~ Stacey Halls



Ce roman m’a remis en mémoire l’excellent ouvrage de Yannick Grannec : Les simples. Tous deux ont inscrit leur intrigue en un 16ème siècle où la guérison d’un malade tenait du miracle. Miracle dont la religion officielle ne voulait surtout pas se faire voler le bénéfice par quelque savoir empirique concurrent de la croyance imposée. Un guérisseur par les plantes avait tôt fait d’être qualifié de sorcier si d’aventure sa science remettait sur pieds un malade dont la toute puissante institution avait déjà fait un client au jugement dernier. Et bien entendu, cette qualification avait d’autant plus de chance d’être retenue si le guérisseur était une guérisseuse. Haro sur la sorcière.

« Etes-vous comme le roi, à penser que toutes les guérisseuses et les sages-femmes exécutent l’œuvre du diable ? ». Le roi en question c’est Jacques 1er d’Angleterre- conjointement 4ème du nom en Ecosse. Il avait fait de la chasse aux sorcières une obsession, y compris en écrivant un traité de démonologie lequel laissait aux accusées bien peu de chance d’échapper à la vindicte royale, sous légitimation de volonté divine bien évidemment. Le drame étant que pour être accusée point n’était besoin de preuve. Une simple dénonciation suffisait et peu importe si celle-ci était dictée par quelque rancœur ou jalousie.

A l’instar de celui de Yannick Grannec, on retrouve dans cet ouvrage des femmes douées de la connaissance des plantes - l’écorce de saule notamment dont on sait qu’elle sera à la base de l’aspirine quelques siècles plus tard. Ce pouvoir donné à des femmes est aux yeux de la gent masculine une source de suspicion quant à une velléité d’émergence de la condition dans laquelle elles sont entretenues. Condition qui s’apparente à celle du bétail selon l’héroïne de cet ouvrage, faisant référence au rôle qui les cantonnait à la reproduction de l’espèce. Chaque naissance suscitant au passage l’espérance d’une descendance mâle, au point de faire dire à l’héroïne des Sorcières de Pendle : « Je ne souhaite de fille à personne ».

On aura compris que ce roman est aussi et surtout un roman féministe. Fleetwood Shuttleworth, l’héroïne de cet ouvrage se bat pour extirper des griffes d’une justice aux ordres, arbitraire et expéditive des femmes accusées de sorcellerie, dont sa propre sage-femme. Mais le propos est plus général quant à la condition de la femme. Stacey Halls se joint à sa compatriote Virginia Woolf (*) pour regretter, du fait de ce statut avilissant « d’objet décoratif » dont elles sont affublées dans la société contemporaine de Shakespeare, de savoir ses consœurs avoir été empêchées d’écrire. Stacey Halls participe au rattrapage avec bonheur avec cet ouvrage. 

Les sorcières de Pendle est ouvrage intéressant, fondé sur des faits historiques. J’ai regretté toutefois le vocabulaire et les tournures syntaxiques quelque peu anachroniques qui ôte à cet ouvrage une part de sa teinte séculaire. Stacy Halls a toutefois le mérite d’avoir défendu avec ferveur la mémoire de ces pauvres femmes sans produire une diatribe enflammée contre une misogynie institutionnalisée. On ne refait pas l’histoire avec des colères rétrospectives. Mais on peut en tirer des enseignements …

Même si l’eau qui a coulé sous les ponts depuis Jacques 1er n’a pas encore lavé toute l’avanie d’un rapport de force déséquilibré, les sorcières modernes ont aujourd’hui pignon sur rue. Mais un maléfice ne pouvant être annulé que par celui qui l’a infligé, il reste encore du travail pour que le mâle concède le rééquilibrage des genres. Si l’on en croit ce qu’on nous assène régulièrement à nous qui nous accrochons à notre piédestal.

(*) Une chambre à soi – Virginia Woolf