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mercredi 22 novembre 2023

Olympe de Gouge ~~~~ Benoîte Groult

 


Ce n’est pas seulement une biographie d’Olympe de Gouge que nous propose Benoîte Groult, c’est surtout un recueil de ses idées de femme lucide sur la condition de son sexe. L’autre sexe ainsi que le qualifie Simone de Beauvoir. Celui qui depuis l’aube des temps vit dans l’ombre de la mâle domination. Idées qu’Olympe de Gouge a traduites en d’innombrables textes placardés dans la capitale ou adressés aux tenants du pouvoir dans la frénésie de son combat. Idées qu’elle a aussi mises en scène dans les pièces de théâtre de son cru.

Des idées très avancées sur son temps. En ce sens qu’il n’était pas prêt à les recevoir. Mais de toute façon très en retard sur ces millénaires d’apparition de l’humanité sur terre. On dirait aujourd’hui qu’elles étaient très modernes ces idées. Sans doute pour dire qu’elles nous semblent encore d’actualité.

Son tort a été de les clamer haut et fort ces idées, à la face de ceux qui, bien qu’eux-mêmes initiateurs de procès en crimes contre le peuple devenu souverain, avaient oublié que le peuple est constitué pour moitié de femmes. Ils n’étaient donc pas prêts à faire leur propre procès pour avoir tenu sous le joug celle à qui ils ont imposé leur supériorité, forcément usurpée. Olympe de Gouge a cru pouvoir initier une autre révolution dans la Révolution. Elle ne réclamait ni plus ni moins que le droit de monter à la tribune puisqu’on lui opposait celui de monter à l’échafaud.

Emancipation de la femme, plaidoyer pour le droit au divorce à son initiative et un statut équitable pour les enfants naturels, mais aussi abolition de l’esclavage, création d’une caisse patriotique, forme de sécurité sociale qui ne disait pas encore son nom, d’un théâtre national en contre-poids d’une Comédie Française monopolisant la création, ouverture de maternité offrant de bonnes conditions sanitaires aux femmes en couche, le tout porté par une déclaration universelle des droits de la femme, tels étaient ces idées d’avant-garde étouffées par des millénaires de soumission. Une révolution qui dans sa grande naïveté irait au bout de celle engagée en 1789. Une révolution que les tenants du pouvoir du moment ont travesti en contre-révolution, afin de ne rien perdre des prérogatives qu’ils venaient de s’arroger à grand renfort de têtes coupées. La monarchie était tombée mais pas le patriarcat.

On n’en attendait pas moins de Benoîte Groult dont on connaît la pugnacité en termes de combat pour que non seulement notre siècle connaisse enfin l’équilibre, mais aussi pour que s’établisse la reconnaissance de l’usurpation de statut au bénéfice du seul mâle. Que soient moqués ceux qui se sont rendus illustres aux yeux de leur congénères en proclamant des sentences du style : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme. Et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme. » (Pythagore au 5ème siècle avant notre ère).

Bel hommage de Benoîte Groult à celle dont le courage, poussé à l’inconscience, l’a fait monter à l’échafaud, sans renier ses convictions, convaincue de son bon droit. Ce que Benoîte Groult restitue bien à la lecture de son texte, c’est la solitude de cette femme dans son combat. Abandonnée par son père naturel auprès d’une famille d’adoption, elle forgea elle-même sa propre culture, mena seule son combat pour que soit réservée à la femme une autre condition que celle destinée à élever les enfants de son époux.  Elle n’a pourtant pas trouvé le levier propre à soulever l’enthousiasme de ses contemporaines. Même son propre fils l’abandonna à son rêve d’une société juste et équilibrée.

Les deux premiers ouvrages que j’avais lus de la main de Benoîte Groult avait forgé mon engouement pour cette auteure. J’ai été comblé de pouvoir, grâce à elle, faire la connaissance de cette femme d’autant plus méritante que son combat fut solitaire à une époque où l’on ne risquait rien moins que sa vie pour faire valoir ses idées.


jeudi 7 septembre 2023

Le dernier bain ~~~~ Gwenaële Robert

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Charlotte Corday n'était pas la seule à vouloir faire disparaître Marat. Dans l'entonnoir qui filtre les intentions, les hasards et les circonstances pour les focaliser vers un dénouement, la jeune et belle aristocrate fut celle qui y parvint. Il faut dire qu'à ses qualités physiques elle adjoignait détermination et courage.

Gwenaële Robert organise son ouvrage comme une convergence de destinées. Heure par heure, trois jours avant les protagonistes se concentrent vers le lieu et l'heure. Avec détermination ou inconscience selon leur degré d'implication, on guette sous sa plume alerte les protagonistes à l'approche de l'instant fatidique.

Au-delà du sujet grave qu'il traite, l'auteure a su rendre cet ouvrage plaisant à lire. Bien belle écriture que celle de Gwenaële Robert. Son sens de la formule restitue à merveille aussi bien la gouaille populaire enflammée de cette époque mouvementée que le climat de peur de l'époque. La Terreur s'institue en régime politique. La délation donne beaucoup de travail à Marat qui, du fond de sa baignoire dressait ses listes d'ennemis de la révolution.

De baignoire il est grandement question dans cet ouvrage puisque Marat y était pratiquement assigné pour soulager sa maladie de peau par des bains sulfurisés. Figurez-vous, pour l'anecdote, que la baignoire dans laquelle il a été assassiné n'est pas celle qui a été représentée sur le célèbre tableau de David. La vraie, ressemblant à une énorme chaussure, était non seulement très laide, mais surtout, au goût de l'artiste peintre de la révolution, elle ne mettait pas en valeur le député de la Montagne dans son martyre.


jeudi 17 août 2023

Mon frère Yves ~~~~ Pierre Loti

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Ce qui est le plus insolite avec cet ouvrage, c’est la position que se donne l’auteur par rapport au narrateur. Bien que l’ouvrage soit autobiographique, le « Je » garde ses distances. C’est du Pierre Loti sans l’être. Du Pierre Loti pour la postérité. Quand le souffle de la liberté aura balayé les inhibitions d’une éducation ankylosée par les convenances.

Yves Kermadec dans l’ouvrage n’est en effet autre que Pierre Le Cor avec qui l’auteur a entretenu une amitié pour le moins singulière. Elle a jeté le trouble sur la nature réelle de cette relation entre l’officier de la marine qu’était Pierre Loti et celui qui n’était alors que simple matelot, avant de gagner quelque galon.

À une époque où les classes sociales étaient très cloisonnées, encore plus dans la marine où les officiers ne coudoyaient pas la troupe en dehors des ordres à la manœuvre, on s’étonne de cette familiarité qui a amené Pierre Loti à fréquenter la famille de Pierre Le Cor, Mon frère Yves dans cet ouvrage, jusqu’à devenir le parrain de son fils Julien. Il portait le prénom civil de l’auteur. Il avait même chambre réservée dans la maison que Pierre Le Cor fera fait bâtir plus tard à Rosporden. Ce village du Finistère sud où ce dernier avait décidé de s’éloigner des tentations de Brest : débordements alcooliques et autres débauches dont Pierre Loti peina à le sevrer.

Au gré des expéditions qui les réunissaient ou les éloignaient, cette amitié a perduré au-delà de la disparition de Pierre Loti en 1923, puisque Pierre Le Cor lui survécut quelques années avec la même fidélité de pensée.

Mon frères Yves est un ouvrage qui paraît en 1883. Pierre Loti en fait un ouvrage de fiction en travestissant aussi bien les noms de personnes que de lieux et faisant tenir son intrigue en un village imaginaire. Gageons que cette envie irrépressible de faire passer cette amitié à la postérité a été suscitée par le caractère équivoque de cette relation, laquelle n’aurait pas manqué d’interpeler son lectorat contemporain, au premier rang desquels sa famille de tradition protestante rigoureuse et la hiérarchie militaire.

Mais le caractère fantasque du personnage qui le fit aimer se travestir lui-même et se faire prendre en photos sous divers costumes exotiques inspirés par ses voyages, aménager des pièces de sa maison en mosquée ou palais oriental, fait partie de ce qui lui valut sa célébrité précoce. Pierre Loti c’était l’évasion dans toutes ses acceptions, aussi bien sur les mers du globe que dans des univers interlopes. Pierre Loti c’était du rêve pour ses lecteurs contemporains, alors pourquoi pas au prix d’un dépoussiérage des mentalités dans ce XIXème siècle et sa révolution industrielle qui peinait à s’ancrer dans la république.

Il n’en reste pas moins que la sincérité transpire dans ces pages et que Pierre Loti a été pour beaucoup dans le sauvetage de ce matelot qui comme beaucoup, en désespoir d’améliorer sa condition, était promis à la dérive. Y entrainant du même coup son couple. Combien de foi sa pauvre Marie, son épouse, se morfondit de voir leur maigre revenu partir dans les bouges, attendant la peur au ventre au mieux de voir rentrer son jeune époux ivre au lendemain de nuit passées dans les bas-fonds de Brest, au pire de le ramasser elle-même dans le caniveau. Si Pierre Le Cor a pu par la suite mener une vie rangée de père de famille, il le doit en grande partie à celui qui s’est investi dans le rôle de mentor dont il se fit un devoir. C’est en cela que la relation équivoque entre les deux hommes devient touchante et que s’estompent les hypothèses de seul plaisir charnel dans les arrière-pensées.

Pierre Loti a dans le verbe suffisamment de ressources pour éluder tout ce qui dévirait du pur sentiment. Il gagne avec pareille écriture ses galons non plus en hiérarchie militaire mais en littérature pour entraîner ses lecteurs sur des océans de rêve ceux-ci. Avec parfois quelque voile de fumée bien opportuniste pour dissiper les doutes dans les esprits mal tournés. De ceux qui seraient tentés d’inventer une expression du style : Pierre Loti a commencé sa carrière sur les bateaux à voile, il l’a terminée sur les bateaux à vapeur, alors … Mais ce sont-là que des esprits bien mal tournés.


 

Pêcheur d'Islande ~~~~ Pierre Loti

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Pêcheur d'Islande c'est avant tout un œil contemporain sur les personnages et les scènes que son auteur imagine. le texte est donc dépourvu d'anachronismes de langage ou de culture dans ce qu'il décrit de la vie des gens. Ces gens, il les fréquente, il connaît leur mode de vie. On dirait aujourd'hui que leur vie fut très rude et on aurait tendance à susciter la commisération à leur endroit. Mais pour l'écrivain contemporain du XIXème siècle, ce mode de vie n'était rien d'autre que commun.

Pêcheur d'Islande c'est un aussi un œil d'expert sur le monde de la mer. Pierre Loti a eu une carrière de plus de quarante années dans la marine, dont vingt passées à bord des bateaux sur toutes les mers du globe. La mer il la connaît mieux que quiconque. L'immobilité d'une mer plate dans la brume qui désespère le marin aussi bien que ses furies qui menacent de l'envoyer par le fond.

Mais Pêcheur d'Islande c'est aussi l'œil d'un observateur averti. Avant d'écrire, Pierre Loti, alors Julien Viaud, s'est fait connaître de son entourage par ses dessins de paysages et de personnages. À commencer par son ami Pierre le Cor dont il a peint le corps en posture de statue grecque. Dessin qui interroge sur la relation que l'auteur a entretenu avec ce dernier. Relation qui fait l'objet d'un ouvrage que Pierre Loti a intitulé Mon frère Yves.

Enfin Pêcheur d'Islande c'est aussi et surtout l'œil d'un scrutateur des sentiments humains. Il sait les mettre en mots avec ce talent qui lui a valu un succès précoce dans sa carrière littéraire. Ce personnage fantasque a tout exploré. Les océans du globe comme les cœurs de ses contemporains. Ceux qui étaient aspirés par la ligne d'horizon aussi bien que celles dont le regard se perdait sur cette ligne quand le retour des campagnes de pêche était annoncé. Elles languissaient le retour d'un mari ou d'un fils que la mer ne leur rendrait peut-être pas.

Pierre Loti est quelque peu passé de mode, c'est dommage. Son écriture est tranquille et précise à la fois dans ce qu'elle traduit de sa perception des autres. Elle n'incite pas seulement au voyage, elle incite à la fréquentation de ses personnages dans leur intimité, dans la simplicité de leurs caractères avares de paroles. Avec ses mots, peut-être plus qu'avec ses dessins il a su dresser une très belle fresque de ses contemporains tous horizons et cultures confondus.

jeudi 20 avril 2023

Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco

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J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils en espéraient de quoi subsister.

Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à craindre pour la récolte.

Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.

Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente tant son courroux est craint.

Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que part regard à la dérobée et rougeur au visage.

Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des vivants.

Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur, l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.

samedi 15 avril 2023

Les mémoires de Zeus ~~~~Maurice Druon

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Nom de Zeus, quelle famille !

Je n'en suis à vrai dire pas vraiment surpris. J'avais connu une ouverture à cette fantasmagorie qu'est la mythologie avec l'excellent ouvrage d'Edith Hamilton : La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes. Une conviction s'ancre désormais en moi à la lecture des Mémoires de Zeus de Maurice Druon. Elle me fait regretter que le monothéisme nous ait fait perdre tant de volupté dans nos rapports avec Qui préside désormais à nos destinées. Car disons-le tout net, au regard de ce qu'ont pu connaître nos ascendants des première jusqu'à la quatrième race de mortels, puisque nous autres sapiens du XXIème siècle sommes les descendants de la cinquième race, Celui qui s'est arrogé l'exclusivité de nos dévotions, toutes confessions confondues, est bougrement rébarbatif. D'autant que Ses manifestations à notre attention sont pour le moins discrètes et nous obligent à la croyance.

Parce que les Dieux grecs pour ce qui les concerne, relayés par leurs alias romains, n'avançaient pas à visage masqué ; ils faisaient preuve auprès de leurs oyes de manifestations pour le moins démonstratives et avaient de bons gros défauts comme on les aime, de nature à affranchir les pauvres mortels de tout scrupule quant à leurs propres écarts de conduite. Car pour ce qui est du Seul que l'on révère en nos cathédrales, mosquées, synagogues et autres pagodes de nos jours, et revendique donc la majuscule, son appropriation monomaniaque et anti concurrentielle des consciences laisse planer le doute quant à notre filiation. On ne se reconnaît en réalité que peu d'affinité avec sa rigueur dogmatique tant nous avons de la fidélité une notion élargie et de la vertu un arrière-goût amer. Les défauts sont de notre nature. Mais n'est-ce pas Lui qui nous a faits ? Aussi, pourquoi voudrait-Il désormais nous en culpabiliser.

Le seul reproche que l'on pourrait faire aux Dieux de l'Olympe est le malin plaisir qu'ils se sont donné à nous compliquer la vie à nous autres pauvres mortels, à force de tarabiscoter l'arbre généalogique de leur fantaisie familiale, obsédés que nous sommes désormais à vouloir tout rationaliser, tout étiqueter et codifier. Et c'est grand mérite à Maurice Druon de tenter de nous effeuiller dans cet ouvrage l'arbre de Zeus dont les racines font de curieuses connexions en boucle avec les branches aux pouces les plus tendres. Il faut dire que le bougre ne craignait nullement la consanguinité pour faire commerce, comme on dit avec une pudeur toute littéraire, avec ascendance et descendance, pourvu que le plaisir soit à la clé. Bien qu'il connût quand même quelques manifestations de jalousie de sa légitime Héra. Sa justification d'honorer les mortels de la semence divine était argument fallacieux aux yeux de celle-ci. Allez comprendre pourquoi. Car figurez-vous que nos ancêtres de ces temps reculés pouvaient recevoir des dieux des preuves caressantes et culbutantes pourvu qu'ils fussent disposés à les accueillir en leur giron, et augmenter par là une ramure aux bourgeons déjà nombreux et ainsi mieux nous perdre en sa canopée.

Oui Zeus était volage. Maurice Druon n'omet aucune de ses nombreuses maîtresses, divines ou mortelles. Et bien que roi des dieux, il ne se sentait nullement une vocation d'exemple auprès de ses administrés. Car en cette époque bénie des dieux les comportements n'étaient ni louables ni blâmables, ils étaient tout simplement divins. Mais patience divine a ses limites et lorsque Héra, sa légitime, se fit trop intrusive pour surveiller ses errements, il n'hésita pas à la pendre par les cheveux, une enclume accrochée aux pieds. Quelle époque vivons-nous en ce siècle pour que notre code pénal trouve à redire à pareille manifestation d'autorité ?

"Si des esprits aussi chagrins que mal informés vous ont conté, chers mortels, que vous descendiez des singes, ne les croyez pas." C'est Ouranos, le grand-père de Zeus "qui créa l'homme qu'il tenait pour son chef-d’œuvre", à condition toutefois que sa vie ait une fin. Les Parques ayant mission de veiller à tous cela, en particulier Atropos chargée de couper le fil. Voilà donc un podium pour renforcer notre orgueil et un tombeau pour l'étouffer. Mais en toute occasion remercions Dionysos, plus connu sous son alias de Bacchus, le turbulent rejeton de Zeus, d'avoir couvert nos collines ensoleillées de la divine grappe afin de nous réjouir du succès et oublier le péril.

Quel bonheur en tout cas, dans l'attente du coup de ciseau fatal, de combler quelques heures entre les mains des Parques avec cet ouvrage de Maurice Druon dont je soulignerai respectueusement la qualité de la langue. Ouvrage ciselé, à la documentation exubérante, nous livrant à la compagnie de tant de noms célèbres mais inconnus de nous parce qu'interceptés trop furtivement au gré d'indiscrétions instruites, évoquant au passage les trois Grâces, les Muses, les Saisons, les Hespérides. Et tant d'autres dans le fourmillement d'une parentèle innombrable convoquée en ces pages par l'érudition de notre académicien.

Notre chronologie n'ayant rien de divine et désormais livrée en les mains d'Un seul, Lequel nous rend coupable dès la naissance puisque nous affublant du péché originel, coupable de naître donc, il me faut mettre un terme à ce propos et vous rendre à vos auteurs qui piaffent jalousement de savoir vos yeux rivés à ces lignes, lesquelles vous font l'éloge d'une biographie du roi des Dieux, qui pourrait donc durer ce que durent les dieux, éternellement.

Nom de Zeus, le temps nous est compté. Nous ne sommes plus au temps de l'Âge d'or.

lundi 27 mars 2023

Le procès de Valerius Asiaticus ~~~~ Christian Goudineau

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Le procès de Valerius Asiaticus se déroule selon le temps judiciaire, dont on sait qu'il est long. Très long. Aussi, en ouvrant cet ouvrage ne faut-il pas s'attendre à entrer d'emblée en audience. Il y a d'abord comme il se doit enquête, laquelle établira ou non les chefs d'accusation. Enquête confiée dans cet ouvrage non pas à un limier mais à un philosophe massaliote renommé : Charmolaos.

Nous sommes à l'époque de la Gaule romaine. Il n'était alors point trop besoin de preuves pour faire condamner un citoyen de Rome lorsque l'épouse de l'empereur, Messaline en l'occurrence, avait décidé de se débarrasser d'un indocile, fût-il riche et puissant. Valerius Asiaticus, cet indocile, refusant de satisfaire le caprice de l'impératrice et lui restituer la villa dont elle appréciait les jardins et pourtant acquise par lui le plus légalement du monde.

Mais il y a une autre raison pour laquelle ce procès tarde à venir dans ce roman que l'on classera dans la catégorie historique du genre. Cette raison est que son auteur se donne le temps de dresser le décor. Las de ces ouvrages se disant historiques et négligeant pourtant non pas les faits, c'est un minimum pour le genre, mais le contexte, les mœurs de l'époque, la culture, les traditions, tout ce qui fait la réalité de la vie des hommes à une époque donnée, il veut imprégner son lecteur du mode de vie de ces temps et lieux dans lesquels il situe son œuvre. Il veut prémunir son lecteur de toute velléité de jugement hâtif, déconnecté des fondements, forcément mal documenté à qui n'est pas suffisamment instruit de l'histoire. Il veut le prémunir de cette tendance moderne d'une littérature trop vite écrite laquelle fait la part belle au sensationnel en étant déconnectée du contexte de vie contemporain des faits par insuffisance culturelle de leurs auteurs.

Il suffit aujourd'hui d'évoquer par exemple le mot esclave pour susciter des haut-le-coeurs. Alors que le patricien vivant sous l'époque de Caligula, Claude et autre Néron avait naturellement droit de vie et de mort sur ses esclaves sans avoir à en répondre à qui que ce soit dans la mesure où il avait fait l'acquisition de ces derniers sur les marchés dédiés. Il avait aussi au passage le droit de les affranchir. Juger de ce droit avec la culture d'aujourd'hui est forcément une altération de l'histoire. Aussi inhumain que cela nous semble aujourd'hui.

Il suffit de progresser de quelques pages dans cet ouvrage pour se rendre compte que l'on n'a pas à faire à un producteur de romans en série, animé d'intention mercantile, mais bel et bien à l'érudition pure. Celle d'un auteur qui veut instruire son lecteur plutôt que le séduire, lui donner les bases pour apprécier en connaissance du contexte, au lieu de juger à l'aveugle. La contrepartie pour le lecteur étant de faire œuvre de curiosité, peut-être d'approfondir, l'auteur lui en donne le goût, en tout cas de s'impliquer.

Aussi, cet ouvrage l'ai-je pris pour ce qu'il restera à mes yeux : un ouvrage exigeant, une formidable téléportation, une immersion en une époque qui ne nous a par la force des choses pas légué beaucoup de sources écrites et qu'il faut avoir longuement et profondément étudiée avant que d'en parler, et mieux encore avant que de faire parler des personnages dans un roman que l'on veut historique. Soit un ouvrage dans lequel la part romancée constituera le liant crédible des faits avérés.

Dans cet ouvrage, Christian Goudineau a adopté un style d'écriture moderne. Une façon de ne pas désorienter l'amateur de romans historiques contemporain, accoutumé qu'il est à une écriture certes anachronique au regard des faits rapportés mais accessible à son entendement. Entendement élaboré par le mode de vie superficiel qu'est devenu le nôtre.


samedi 25 février 2023

L'écriture du monde ~~~~ François Taillandier

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Par Ecriture du monde il faut entendre le monde tel qu'il se construit, tel qu'il se grave dans la mémoire du temps, sachant que « Dieu ne crée que de l'irréparable. La créature est une catastrophe. Et l'existence à laquelle il nous appelle, le destin de chacun, si humble soit-il, consiste à tenter de réparer le dégât d'être né. » Voilà pour Celui qui préside à nos destinées. Il en prend pour son grade avec cette assertion de François Taillandier.

Auteur que j'avais découvert et célébré l'écriture avec son excellente biographie d'Edmond Rostang. Découverte qui m'avait au passage imposé le devoir d'aller visiter la villa Arnaga au pays Basque. Ce que j'ai fait et qui m'avait transporté de ravissement. Je confirme mon goût pour ce genre d'écriture avec cet ouvrage.

Une écriture riche que celle de ce phraseur érudit, une écriture qui pondère des sentences devenues par le fait lourdes de sens, d'une portée invitant à la réflexion. A l'introspection même, lorsque comme tout un chacun on s'interroge sur le sens de la vie et le rôle de la religion face à cette question sans réponse, devenue pour le coup fondamentale. Des religions devrais-je dire d'ailleurs, car dans le domaine de la croyance, il y a pluralité, il y a divergence et contre toute attente intolérance. Et donc malheureusement affrontement.

François Taillandier a choisi deux personnages qui ont laissé leur cicatrice sur la terre dans cette époque succédant tout juste à la chute de l'empire romain et nous ouvre aux formidables bouleversements consécutifs et aux appétits que cela a pu faire naître chez des peuples jusque-là sous domination : Cassiodore, un homme politique lettré qui a servi sous le nouveau maître de ce qui n'est pas encore l'Italie du nord, le roi ostrogoth Théodoric. Et Théolinda qui devint reine des Lombards et jouera un rôle prépondérant dans la conversion de ces « barbares » à la foi chrétienne.

Ce premier tome d'une trilogie que je me fais l'obligation de compléter dans ma PAL ouvre ses premières pages en un temps où la religion chrétienne commence donc à installer ce qu'elle voudrait bien être un monopole sur le vieux continent. En ce sixième siècle de notre ère, elle commence à prendre le pas sur le paganisme, l'arianisme et ne s'attend pas encore à voir poindre une nouvelle concurrente. L'ouvrage se referme sur l'année 630 avec l'entrée de Mahomet à La Mecque à la tête de quelques milliers d'hommes, bien décidé à imposer le culte exclusif d'Allah.

Superbe fresque historique d'un temps pour lequel les références écrites sont rares et sujettes à caution. Tout le talent de l'auteur est dans la précaution qu'il prend avec ces références et dans la crédibilité du liant qu'il applique aux faits avérés.


Il était une fois Lamartine ~~~~ Sylvie Yvert

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« Malheureux les hommes qui devancent leur temps, leur temps les écrase. » A. de Lamartine.

Comment définir cet ouvrage : biographie, roman historique ou mémoires d'une épouse aimante ? le genre qu'on lui attribuera ne changera toutefois pas le plaisir que j'aie eu à le découvrir, et son auteure par la même occasion. J'ai beaucoup aimé le jour sous lequel Sylvie Yvert aborde la vie d'Alphonse de Lamartine.

Epouse fidèle, admiratrice, l'artiste peintre anglaise Mary-Ann Birch devenue par mariage Elisa de Lamartine intervient en tant que narratrice de cet ouvrage. Cela confère à ce dernier une chaleur exceptionnelle pour le genre. C'est un cœur qui parle. L'auteure ne reprenant la main que lorsque l'épouse quitte ce monde, 6 ans avant son cher époux. Laissant ce dernier dans une solitude noire. Les Lamartine avaient perdu leurs deux enfants en bas âge.

Lamartine n'était pour moi que poète romantique, certes un peu mélancolique. Grâce à Sylvie Yvert j'ai redécouvert l'homme politique, même si le poète n'est jamais absent de ce portrait, favorisant en particulier le talent d'orateur de l'homme à la tribune. On se remet à l'esprit ou on découvre selon sa culture avec cet ouvrage le rôle déterminant tenu par Lamartine lors de la révolution de 1848 laquelle a porté Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.

L'orientation politique De Lamartine sera l'ambiguïté qui lui vaudra l'échec de sa carrière. Il la définit en ces termes : « Je trouve que je suis, au fond, bien plus près de ce que j'étais alors, monarchiste de raison, libéral de tendance, anti-anarchiste de passion, bourbonien légitime de justice et d'honnêteté, républicain d'occasion et d'idéal. »

Quinze années de vie politique pour le poète qui font l'ossature de cet ouvrage. Lamartine qui était issu de petite noblesse a déployé son talent et son énergie à défendre les intérêts des humbles - doux euphémisme pour qualifier ceux qui vivaient parfois dans des caves insalubres - rejoignant de ce point de vue les idées des socialistes qu'il combattaient pourtant. Il rêvait d'une société juste et équitable et a déployé toute son énergie à agir en modérateur des extrêmes. Il a fait montre dans son combat politique du plus grand humanisme. Il a eu avec sa foi religieuse la même valse-hésitation, reprochant à l'Ordonnateur des choses de ce monde d'avoir perturbé l'ordre de succession en lui prenant ses enfants.

Avec la crainte de revivre les années noires de la Terreur, à trop vouloir tempérer les extrêmes, sa carrière politique s'est arrêtée avec son échec à l'élection de 1848. Et je sais désormais grâce à Sylvie Yvert pourquoi je n'avais retenu que le poète au détriment du politique, c'est son ami le député Cormenin qui nous le dit : « Vous vivrez, illustre poète, quand les maîtres actuels de la parole ne vivront plus… et quand deux ou trois noms seuls surnageront dans le vaste naufrage de nos gouvernants éphémères. »

Par la voix de son épouse, Sylvie Yvert nous fait pénétrer l'intimité de ce couple solidaire, accablé par le malheur de la perte de ses enfants et en proie aux incessantes difficultés financières, lesquelles ne lui ont pourtant jamais fait perdre sa dignité. Allant jusqu'à refuser la pension que le Prince-président voulait lui allouer pour faire face à ses charges.

J'ai beaucoup apprécié le parti pris par Sylvie Yvert pour aborder la vie d'Alphonse de Lamartine, celui de donner la parole à celle qui a été son soutien indéfectible dans les épreuves qu'ils ont endurées sur les plans familial et professionnel. Couple modèle, uni, généreux, aimant, qui a été le ferment de l'inspiration du poète. Heureusement que les succès d'édition du poète de son vivant sont venus contrebalancer ces déboires, même s'ils ne permettaient pas de couvrir les dettes. Son épouse a toujours été son premier lecteur et correcteur.

A défaut d'écouter l'orateur politique, fût-il brillant mais sans doute pas assez convainquant, écoutons le poète retrouver en rêve la fille aimée :

Mes lèvres ne savaient d'amour où se poser ;
Elle les appelait comme un enfant qui joue,
et les faisait flotter de sa bouche à sa joue,
qu'elle dérobait au baiser!
….
« Julia! Julia! D'où vient que tu pâlis ?
Pourquoi ce front mouillé, cette couleur qui change ?
Parle-moi, souris-moi ! Pas de ces jeux, mon ange !
Rouvre-moi ces yeux où je lis ! »

Eh bien ! Prends, assouvis, implacable justice,
d'agonie et de mort ce besoin immortel;
moi-même je l'étends sur ton funèbre autel.
Si je l'ai tout vidé, brise enfin mon calice !
Ma fille, mon enfant, mon souffle ! La voilà !
La voilà ! J'ai coupé seulement ces deux tresses
dont elle m'enchaînait hier dans ses caresses,
et je n'ai gardé que cela! ».


La chambre des diablesses ~~~~ Isabelle Duquesnoy

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La lecture c'est parfois pour nous autres lecteurs l'occasion de jeter un coup d'œil par le trou de la serrure, de se livrer à ce vol d'intimité en satisfaction d'un penchant un tantinet voyeur. En quête de l'affriolant qui manque peut-être à notre propre vie. Parfois a-t'on besoin aussi d'un peu d'épouvante pour sortir de notre zone de confort, histoire de malmener un quotidien par trop routinier. Et si en outre pour dépeindre le monde comme il va, et déplorer ipso facto les mauvais penchants de notre humaine nature, on aime le faire sur le ton de la dérision, alors c'est avec le regard d'Isabelle Duquesnoy qu'il faut scruter l'histoire.

Cette auteure que j'avais déjà eu l'occasion d'encenser de ma satisfaction avec L'Embaumeur ou encore La redoutable veuve Mozart sait tourner les pages de la petite histoire qui lorsqu'elles s'ouvrent et s'additionnent donnent sa majuscule à la discipline. Et le lecteur de se pâmer d'aise, le sourire aux lèvres, à lire celle qui nous conte les affres de nos congénères avec un humour aussi noir que caustique, parfois même un peu glauque.

C'est un récit historique. Mais ça n'a rien d'ennuyeux, bien au contraire. Car question humour noir Isabelle Duquesnoy maîtrise la discipline. Avec la Voisin elle est parvenue au sommet de son art. Il faut dire, pour minimiser son mérite, que le personnage lui a facilité la tâche. La Voisin, de son vrai nom Catherine Deshayes épouse Monvoisin, ne faisait pas dans la demie mesure avec son verbe fleuri et l'emprise qu'elle avait sur sa clientèle huppée, mais pas que. Elle a su faire prospérer son commerce, sombrant au fil du temps, de son expérience et de sa notoriété grandissante du médical au divinatoire puis vers le macabre.

Accoucheuse, avorteuse, devineresse, enchanteresse, prêtresse en messes noires, devenue encore bien pire que tout ça, La Voisin s'enrichissait de la crédulité et la cupidité de ceux qui arboraient visage et perruque poudrés. Mais elle savait aussi prédire au pauvre lorsqu'il voulait savoir si la déveine de sa naissance lui donnerait un jour quelque espoir d'une vie meilleure. Faux espoir évidemment, car à cette époque les cloisons entre les classes sociales étaient particulièrement étanches. Mais la Voisin savait faire miroiter des avenirs meilleurs. Elle en avait fait son fonds de commerce. Son intelligence et sa malice ont fait d'elle une des personnes les plus riches de son temps.

La Voisin, un personnage dont j'avais vaguement entendu le sobriquet sans pouvoir en restituer plus que la savoir impliquée dans l'affaire des poisons. Au temps du grand roi. Au temps où les bûchers illuminaient encore parfois les places publiques à la délectation des contemporains assoiffés de macabre. Voilà donc que grâce à Isabelle Duquesnoy je la connais désormais par le détail cette personne haute en couleur. Elle finit sur le bûcher, l'ouvrage commence par là. On ne touche pas de la personne du roi, fût-ce par personne interposée sans prendre quelque risque en cette époque de justice expéditive.

Votre conjoint(e) vous insupporte, votre amant(e) vous délaisse, vous n'êtes plus en faveur à la cour, La Voisin est là pour vous venir en aide de ses potions et imprécations. Au diable les scrupules et faiblesses. Naïveté, crédulité, jalousie, La voisin sait jouer de tout cela et s'immiscer au plus haut de l'Etat, pourvu qu'espèces sonnantes et trébuchantes tombent dans son escarcelle. Et l'Etat on sait qui c'est au temps où l'astre solaire s'est attaché à la personne du monarque. Alors La Voisin s'est brûlé les ailes, forcément. Les ailes et le reste.

Isabelle Duquesnoy nous présente ce personnage avec une écriture aussi délectable que le personnage a pu s'élever dans le sordide. La fille de la Voisin, Marie-Marguerite, intervient par chapitres alternés. Il faut dire que la pauvre n'a bénéficié de l'héritage de sa mère que pour se soir fatalement accusée de complicité. Et plaider du fond de son cachot son implication à son corps défendant dans les forfaitures de sa mère. En peine perdue forcément.

A tourner les pages de la chambre des diablesses on va crescendo d'effarement en effarement. Mais ce n'est pas de la faribole, c'est de l'histoire. De l'histoire merveilleusement racontée par cette auteure dont le seul nom m'a fait adopter cette proposition de masse critique dont je remercie Babelio et les éditions Robert Laffont de m'en avoir fait profiter. Savoureux moment de lecture.




 

lundi 23 janvier 2023

Belle Green ~~~~ Alexandra Lapierre

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« Dieu a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités ». Cette assertion que j'emprunte à Tahar Ben Jelloun trouve tout son sens chaque fois qu'il est question de race chez notre espèce dite humaine. Et c'est bien le fonds du sujet de cette très belle biographie écrite par Alexandra Lapierre. Elle parvient, avec cet ouvrage, à dénoncer la haine qui peut naître du fait de la différence abaissée au rang d'inégalité. Elle a exploité cet écueil chez un personnage que l'histoire a un quelque peu occulté et qui a pourtant joué un rôle significatif dans une page de l'histoire de son pays.

Belle n'était pas le qualificatif que lui aurait valu son apparence physique, car elle était effectivement belle, Belle était son prénom, son vrai prénom. Parce que pour ce qui était de son nom, elle avait dû le travestir, autant que ses origines, certes en forme de reniement, pour se donner une chance de promotion sociale dans l'Amérique raciste de la première moitié du 20ème siècle.

Belle a commencé par être subsidiairement la bibliothécaire de J. P. Morgan, un des hommes les plus riches et plus influents de son temps aux Etats-Unis. Elle est devenue par son charisme, son intelligence et à force de volonté la personne de confiance de ce personnage richissime au point de se voir donner carte blanche, avec les fonds qui correspondaient, pour négocier et faire l'acquisition des œuvres littéraires anciennes, rares et précieuses et autres œuvres d'art sur lesquels le magnat de la finance avait jeté son dévolu. Belle avait acquis une compétence saluée si ce n'est jalousée par ses pairs.

Elle a prospéré sous la protection de son bienfaiteur au point de devenir elle-même reconnue, riche et célèbre. Tous statuts reposant cependant sur un mensonge. Belle avait en effet monté avec sa famille l'incroyable scenario destiné à cacher ses origines métissées. La dilution des gênes dans le temps était telle qu'elle put s'afficher « sans une goutte de sang noir ». La révélation de cette vérité lui eut valu le rejet cruel de la majorité blanche. Et c'est pourtant bien ce qui est arrivé.

Car ce n'est pas spolier que de le révéler. Alexandra Lapierre le cite en prélude de son ouvrage. Les circonstances et la lettre qui dévoilèrent son subterfuge sont d'une cruauté inouïe, à l'encontre d'une personne qui s'était hissée dans la société à force de travail, d'abnégation, de volonté, mais aussi de fidélité intéressée, disons-le tout net, auprès de son protecteur. La complicité manifestée entre eux fut un véritable jeu de chat et de la souris, mais non dénuée d'une certaine tendresse.

Cette biographie est remarquable. Fort bien écrite, documentée et construite, elle est autant une dénonciation de la haine raciste que l'histoire d'un personnage. Un personnage fascinant, habile et brillant, rattrapé sur la fin de sa vie par le mensonge qui lui avait permis son ascension sociale. Mensonge poussé à son extrême, jusqu'à s'interdire toute descendance au risque que le gêne de la négritude resurgisse dans sa progéniture. Belle Greene est un ouvrage historique poignant sans être larmoyant, et son sujet un personnage attachant du fait de l'opiniâtreté qu'il met à tenter de se défaire d'une différence devenue inégalité.


Croc-Blanc ~~~~ Jack London

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Il est des ouvrages qui autorisent plusieurs niveaux de lecture selon les époques de la vie de leur lecteur. Croc-Blanc est de ceux-là. Si l'adolescent y voit un roman naturaliste glorifiant l'animal exonéré des tares de l'humaine nature, l'adulte éclairé y décodera les messages sibyllins attestant de ces dernières. Comme par exemple l'ancrage dans les mentalités de cette toute fin du 19ème siècle d'une hiérarchisation entre les hommes identifiée par la couleur de la peau ou par la classe sociale.

On peut lire dans l'édition commentée de 2018 chez Folio à la page 221 cette classification clairement explicitée : « C'est à Fort Yukon que Croc-Blanc vit ses premiers hommes blancs. Comparés aux Indiens qu'il connaissait déjà, ils représentaient pour lui une autre race d'êtres humains, une race de dieux supérieurs. Ils lui firent l'impression de posséder une puissance plus grande encore, et c'est sur la puissance que repose la divinité. » Voilà qui ôte de la puérilité au conte pour enfant que d'aucuns ont pu attacher à cet ouvrage. Puérilité savamment cultivée par la Metro-Goldwing-Mayor et autres firmes cinématographiques dans la seconde moitié du 20ème siècle avec leurs fameux westerns faisant la part belle aux Tuniques-bleues dans leur lutte contre les méchants Peaux-Rouges. Messages que des auteurs courageux à l'instar des Jim Harrison et autre Jim Fergus se sont attachés à contredire en forme de mea culpa, le temps de la sagesse et de la lucidité revenu. Ouvrant à l'Américain moderne la porte vers la voie de la reconnaissance d'une histoire douloureuse.

A la page 317 de la même édition, « Croc-Blanc avait aussi très vite appris à faire la différence entre la famille et les domestiques. » Evitant l'écueil de donner la parole l'animal, Jack London ne le prive toutefois nullement de le voir faire la distinction entre les classes sociales. Autant d'étiquettes qui l'ont lui-même fait souffrir et que le côté autobiographique de ses ouvrages laisse transpirer selon la lecture que l'on veut en faire. Son ouvrage Martin Eden est encore plus mordant et évident dans cette intention satyrique.

Croc-Blanc est donc un roman moins bon-enfant et manichéen que ses aspects tranchés le laissent imaginer. Des subtilités qui échappent au jeune regard s'insinuent entre ses pages et font de cet ouvrage autant un conte pour enfant qu'une caricature d'une société dans laquelle Jack London nous détaille les difficultés qu'il a rencontrées pour y faire valoir les idées humanistes qu'il prônait dans ses engagement politiques. Et accessoirement son talent d'écrivain. Croc-Blanc pourrait donc bien avoir la dent dure contre les comportements humains suscités par l'orgueil et la cupidité et aussi contre une époque où le racisme avait pignon sur rue. Dent plus dure que contre ses congénères qu'il taillait en pièce jusqu'à ce qu'il trouve son « maître de l'amour » dans le monde domestique.


jeudi 18 août 2022

L'indomptée ~~~~ Donna Cross

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Au départ était une légende. Celle qui veut que le sanctuaire très masculin de la papauté ait été floué. Qu'une femme se fût immiscée dans la liste de succession. Cette intruse que la légende retiendra sous le nom de papesse Jeanne et que ses successeurs s'empresseront d'effacer des élus au trône De Saint-Pierre. Même si c'est à un homme que le peuple de Rome aurait remis la mitre papale, puisque c'est sous le travestissement que Jeanne aurait été élue au trône De Saint-Pierre par la vox populi, l'élection ne se faisant pas à huis clos en ce temps.

Avec cet ouvrage Donna Cross nous ramène au 9ème siècle. En un temps où le christianisme en quête de monopole sur les consciences commence à s'imposer au monde barbare et tente d'y supplanter les divinités païennes qui font encore de la résistance.

Le pari de cet ouvrage était d'inclure une légende, qui sera formellement contredite après un quinzième siècle qui lui fit la part belle, dans des faits historiques avérés dont l'auteure nous prouve qu'elle en a fait une recherche documentaire fouillée, le tout aggloméré avec le liant de la fiction. Heureux amalgame quand ladite fiction ne sombre pas dans la sensiblerie sirupeuse que l'on redoute de la part des auteurs en quête d'audience moderne. Et qui eut été incongrue à une époque de vie pour le moins rude.

Voilà donc à mes yeux un roman historique de très bonne facture. J'aime quand les légendes laissent planer le doute sur la part de vérité de leur fondement. Surtout lorsqu'elles égratignent l'univers de la religion dont on connaît que trop à la fois le caractère péremptoire et misogyne et sa hargne à préserver son monopole sur les consciences.

Roman foncièrement féministe aussi que L'indomptée. D'autant plus crédible qu'il présente la condition de la femme de l'époque sans en faire le procès. C'eut été anachronique d'ailleurs, tant cette dernière était formatée, accoutumée à la relégation et à n'oser en tenir grief à son dominateur. Donna Cross le suggère en citant les écrits de référence tel ceux de Paul qui doit sans aucun doute sa sainteté à ses épitres aussi tranchées que dénuées de légitimité : « Je ne permettrai pas à une femme d'enseigner, pas davantage de dominer un homme ; elle devra rester silencieuse et écouter avec soumission. » Ou encore, pour le plaisir du coq qui fera encore loi de sa force physique : « les femmes sont en dessous des hommes, par leur conception, par leur place et par leur volonté. » Et d'autre encore du même tonneau que nous servent les canonisés de tout bord et que Donna Cross glisse sans acrimonie dans cet ouvrage. Mais ça ce n'est pas de la légende.

Merci Donna Cross pour cet ouvra fort bien écrit, construit et pesé entre légende, faits historiques et fiction. Fiction sur fonds d'histoire d'amour, il va de soi. Il en faut bien de ce sentiment si singulier dans un monde avare de ses bienfaisances.


mercredi 11 mai 2022

Apprendre à vivre ~~~~ Luc Ferry

 

Pour sans doute prendre le contre-pied de Montaigne lequel professait que « philosopher c’est apprendre à mourir », Luc Ferry a intitulé son ouvrage d’initiation à la philosophie Apprendre à vivre. S’adressant de préférence aux jeunes générations et pour dédramatiser la raison d’être de la philosophie, laquelle veut en réalité consoler l’homme de sa finitude, il a décidé de l’aborder par son côté réconfortant et n’évoquer celle-ci qu’après une préparation pédagogique qualifiée. Avant donc de confronter l’apprenti philosophe à sa propre fin, il s’agit de lui faire apprivoiser le temps présent.

Parvenu à un âge qui, s’il n’est pas encore canonique, n’est plus de prime jeunesse, j’ai aimé m’entendre tutoyer par l’éminent professeur. Je me suis glissé à nouveau sans embarras dans le costume de l’élève. Si les années m’ont fait accéder à la maturité physique, en matière de philosophie il me reste ni plus ni moins qu’à naître. Cet ouvrage était donc aussi fait pour moi.

Il n’en reste pas moins qu’aussi promoteur que se veuille pareil ouvrage, convenons que les sujets abordés lui redonnent la complexité qu’il voudrait éluder, la profondeur que voudrait atténuer la familiarité du propos. Le recours successif inévitable aux références stoïciennes, chrétienne, puis modernes et post modernes, et finalement contemporaines fait forcément appel à une littérature dont l’abord est quelque peu difficile d’accès au profane. Reconnaissons donc que la lecture des grands philosophes dans leur œuvre nécessite, s’il est difficile de parler de vulgarisation en la matière, plutôt une dédramatisation préalable. C’est ce à quoi Luc Ferry s’attache dans cet ouvrage, glissant au gré de sa démonstration à l’adresse du néophyte les références des textes les plus accessibles à qui voudra approfondir sa connaissance et forger sa propre réflexion.

Le thème essentiel est celui du salut, ce devenir consolateur après la mort qui entre croyance et raison fait débat. Néant ou félicité, ou autre chose encore, la réponse ne sortira pas de l’esprit humain qui devra se contenter de conviction délibérée ou suggérée. Car comment vivre avec des questions aussi fondamentales puisqu’aucune vérité prônée par la doctrine chrétienne, le salut par un autre, ou la philosophie, le salut par soi-même, ne pourra s’imposer comme exactitude.

Les modèles proposés au fil des siècles par la raison et la croyance ayant été successivement battus en brèche en partie grâce à l’éclairage de la science, l’homme moderne devenu imbu de sa personne, doit désormais trouver en lui-même les ressources pour sortir de l’impasse qu’il a fermée devant lui. Les ressources pour apprendre à vivre, pour aimer la vie, sa vie, fût-elle vouée à une fin, en se libérant du regret du passé et de l’espérance en demain, sempiternelle fuite en avant qui n’est que mort par anticipation.

C’est donc à l’homme auquel il appartient d’introduire du sens à la vie. La philosophie moderne serait donc orientée vers l’humanisme. Le salut serait donc dans l’amour. De soi ici et maintenant. Du moi des autres, un moi déconnecté de toutes les caractéristiques physiques et psychologiques par lesquelles on a l’habitude de décrire les autres. Un moi désincarné. Le salut serait dans l’amour absolu, sans attachement, seule source de vie bonne.

Ainsi donc, même s’il me reste à naître à la philosophie, celle enseignée par tous les éminents depuis que l’intelligence a investi le corps du mammifère, lui faisant du même coup prendre conscience de sa finitude, ayant comme tout un chacun réfléchi à ce thème source d’angoisse, je me suis forgé à la conviction que la mort serait somme toute accéder à ce que la vie ne permet pas : appréhender enfin et indéfiniment l’instant présent. Il est donc capital que cet instantané qui deviendra immuable soit un instantané d’amour.

vendredi 15 avril 2022

Femmes en colère ~~~~ Mathieu Menegaux


Parole contre parole. Pour une femme qui a été violée, n'a pas porté plainte et fait constater le forfait par un examen médical aussitôt après l'agression, c'est la quasi-certitude de déboucher sur un non-lieu. C'est ce qui arrive Mathilde Collignon dans ce roman de 
Mathieu Menegaux. Aussi, lorsqu'elle se rend compte que ses agresseurs resteront impunis, c'en est trop pour elle. Lui vient alors l'obsession de se faire justice elle-même.

Selon la loi de notre pays la légitime défense ne peut se concevoir que proportionnée et simultanée de l'agression subie. Dès l'instant où elle l'exerce en temps décalé, Mathilde Collignon devient justiciable. C'est son procès que nous vivons dans cet ouvrage.

S'il est un lieu éminemment secret, c'est bien la salle de délibéré d'une cour d'assise. Sa porte en est gardée tout le temps que dure la séance de délibéré. le silence sur les débats est imposé par la loi à chacun des jurés ad vitam aeternam. Même et surtout à l'égard des proches. Ils auront prêté serment.

Avec cet ouvrage Mathieu Menegaux nous ouvre ce saint des saint et nous rend auditeur du délibéré du procès de Mathilde Collignon. Il nous instruit par la même occasion sur les règles qui régissent cette procédure si codifiée, si particulière, à laquelle tout un chacun peut se voir convier à partir du moment où il est inscrit sur les listes électorales.
Un huis clos qui n'est pas sans rappeler le film de Sidney Lumet : Douze Hommes en colère.

Au-delà du rôle pédagogique très intéressant que revêt la forme de cet ouvrage, il ouvre le débat sur ce sentiment légitime d'une victime lorsqu'elle réalise que ses agresseurs ne seront pas sanctionnés. L'analyse des sentiments et réactions de chacun des jurés est fort bien restituée, notamment selon qu'ils sont homme ou femme, mais aussi citoyens ordinaires désignés comme jurés ou magistrats. Ils forment ce jury d'assise lequel ne sortira de la salle de délibéré que lorsqu'il aura répondu aux questions retenues lors de l'audience, avec les règles de majorité qui s'attachent à chaque type de question : Coupable ou non des chefs d'accusation retenus ? Quelle sentence dans la limite de ce que prévoit le Code Pénal ?

Même s'ils forment un collège de justice réuni dans la même pièce,
chacun se retrouve finalement seul avec sa conscience. La même solitude gagne l'accusée dans l'attente du délibéré. Elle était une bonne mère de famille, une professionnelle reconnue dans son métier, aimée et respectée de tous. Et maintenant elle attend de savoir si elle va voir grandir ses filles. Les voir arrachées à son amour de mère. Privées de ses gestes d'affection du quotidien. Pour combien de temps. Quelle part de leurs jeunes années sera occultée de sa mémoire.

Un ouvrage qui, subtilement organisé en chapitres alternés, prend une tournure de thriller psychologique. C'est profitable et absolument passionnant.

jeudi 14 avril 2022

Agrippine ~~~~ Virginie Girod

 



Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.

Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités, Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.

Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage de Virginie Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.

Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.

L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.

Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps. Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais : Suétone, Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique, numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres. L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle décoratif.

C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières armes dans le plus vieux métier du monde.

samedi 2 avril 2022

La véritable vie des douze Césars ~~~~ Virginie Girod


« Macron accepte de bonne grâce l’adultère de sa femme tant qu’il augure d’un bénéfice secondaire » …

Par les temps qui courent, voilà une citation qu’il y a urgence de replacer dans son contexte : … « Il escompte bien rester préfet du prétoire sous le principat de Caligula. »

Nous sommes dans la Rome au temps des Julio-Claudiens, puis des Flaviens. Ceux que l’histoire retiendra sur la liste dressée par Suétone (*) dans son ouvrage biographique La vie des douze Césars. Ouvrage que Virginie Girod a décidé de revisiter au point d’intituler son ouvrage La « véritable » vie des douze Césars.

Car l’éminente historienne, bien contemporaine de nous autres lecteurs de ce temps d’un autre Macron, a appris à connaître ce secrétaire d’Hadrien, en particulier pour son goût du trivial. Un goût quelque peu imposé par le contexte dans lequel il rédige ses écrits, rangés à l’époque dans l’art mineur de la biographie nous dit-elle. Elle imagine que lesdites biographies, si elles ne sont pas sujettes à caution, sont moins soucieuses du rôle historique de ses sujets que de leurs frasques. Un de ses confrères historien du 19ème siècle, Alexis Pierron, ira jusqu’à qualifier Suétone de « colporteur d'histoires d'antichambre ».

La motivation de Virginie Girod est donc là : ajouter le qualificatif véritable au titre de l’ouvrage de Suétone et tenter de corriger cette tendance à l’errance entre vices et travers des Césars, à faire fi de leur rôle politique. Sans négliger le formidable apport pour les historiens du futur qu’est l’œuvre de Suétone ni le contexte dans lequel il écrit, Virginie Girod justifie en avant-propos bénéficier à la fois des avancées dans la connaissance historique et des neurosciences entre autres, mais se défend de juger une époque avec les acquis des millénaires en termes de morale, d’esprit de justice, d’avancée sociale mais aussi d’empathie, dernière qualité qui eut pu figurer source de faiblesse dans une époque de violences psychologique et physique.

Comment comprendre en effet qu’on puisse se débarrasser du « princeps », premier citoyen de l’empire, intermédiaire entre les dieux et les hommes, parce que grisé par son pouvoir il avait sombré dans la folie paranoïaque, était devenu incontrôlable par des contre-pouvoirs muselés, voire inexistants. Comment comprendre aussi que le grand César, qui n’était quant à lui pas empereur puisque sous le régime d’une république laquelle n’avait de ce régime plus que le nom, s’était vu honoré du titre, car c’en était un, de dictateur à vie, s’étant vu confier tous les pouvoirs par le Sénat. Comment comprendre encore que le suicide soit institué en porte de sortie honorable et restaure sa noblesse à un empereur qui avait perdu sa crédibilité aux yeux de ses sujets. Comment comprendre enfin que l’on puisse créer une succession patrilinéaire du pouvoir en adoptant son successeur, comme on le ferait d’un enfant, y compris à titre posthume.

Les temps ont bien changé. Les mœurs, les croyances et les valeurs qui vont avec. Ces dernières ayant pratiquement disparu, les croyances se focalisant en une croyance unique, ou pas, désormais. Les Césars étaient loin d’être exempts des travers dont Suétone faisait ses choux gras pour plaire à son maître du moment, l’empereur Hadrien, nous confirme Virginie Girod. Elle réussit à nous faire comprendre avec cet ouvrage rationnel, foisonnant, qui se veut aussi objectif que l’autorisent les avancées dans la connaissance de l’époque, en quoi leur personnalité et leurs actes étaient en harmonie avec le contexte d’une Rome onirique. Il faut l’avoir étudiée comme l’a fait cette spécialiste de l’antiquité pour comprendre à quel point le pouvoir corrompt les puissants et fascine ses spectateurs, qui voudraient peut-être leur ressembler.

J’aime l’histoire. Et quand elle est bien écrite, je suis comblé. Cet ouvrage de Virginie Girod remplit les conditions pour me faire plébisciter le formidable travail d’étude qu’il a fallu pour sa gestation.

A écrire La véritable histoire des douze césars, il faut s’attendre à une lecture critique des sources, à usage du conditionnel quand elles font naître le doute. Virginie Girod le fait avec une intelligence qui inspire le respect, un naturel qui fait recevoir ses allégations comme une évidence. Elle nous adresse un fort bel ouvrage propre à entretenir notre intérêt pour ceux « qui incarnent les figures paroxystiques de nos passions ».

(*) Suétone (70-122 apr. J.C.) haut fonctionnaire romain, membre de l'ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont la Vie des douze Césars qui rassemble les biographies de Jules César à Domitien en passant chronologiquement par Octave (Auguste), Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus.