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mercredi 6 octobre 2021

Balzac et la petite tailleuse chinoise ~~~~ Dia Sijie

 


C'est un ouvrage très autobiographique que nous adresse Dai Sijie avec Balzac et la petite tailleuse chinoise. Il a bien connu cette période de l'histoire de la Chine restée inscrite sous le nom de révolution culturelle. Il en a été la victime. Période catastrophique pour le pays qui a connu la fermeture de ses universités et l'exil de ses intellectuels - catégorie de la population qualifiée de bourgeoise et ennemie de la révolution - vers les campagnes pour leur rééducation par le prolétariat paysan.

On comprend alors que ce narrateur intervenant à la première personne et dont on ne connaîtra pas le nom ne peut être que l'auteur lui-même. Dans le dénuement qui leur fut imposé, à lui et son ami Luo, comme à tous ceux qui ont subi cette humiliation, ce qui leur pesait le plus n'était pas tant la dépossession de leurs biens que la privation de l'accès à la culture. Culture occidentale en particulier, jugée perverse et contraire à l'esprit d'une révolution engagée sous la vigilance des gardes rouges.

Aussi, lorsqu'ils apprennent qu'un exilé comme eux a réussi à soustraire à la vigilance de leurs rééducateurs une valise contenant des ouvrages d'auteurs classiques, dont Balzac, cette dernière devient un graal à conquérir. Cette perspective leur donne toutes les hardiesses pour étancher ce qui était devenu une soif irrépressible : lire. Lire autre chose que la littérature autorisée à dominante politique, au premier rang de laquelle le petit livre rouge de Mao. Ils sont prêts à toutes les ruses pour y parvenir, avec la pleine conscience des risques qu'ils prennent à la transgression de l'interdit. La révolution culturelle a fait son lot de victimes dont le nombre est à l'échelle de la population chinoise.

Les deux amis n'ont plus qu'une obsession : s'abreuver à cette source qu'est à leurs yeux la valise contenant les livres interdits. Et en partager le bienfait avec celle qui a conquis leur coeur : la petite tailleuse chinoise. Dai Sijie fait alors de cet ouvrage une forme de conte qui donne une certaine légèreté à l'entreprise de nos deux jeunes assoiffés, même si l'insouciance devient inconscience. Lire les auteurs classiques devient pour eux comme une respiration, une bouffée d'oxygène qui vient éclaircir ce brouillard d'obscurantisme que le système répressif a répandu sur le pays.

J'ai reconnu l'écriture moderne et accessible qui m'avait conquis avec L'évangile selon Yong Sheng du même auteur. Elle évoque sans ambages cette période sombre de l'histoire de la Chine. Une écriture sage, sans violence, qui ne sombre pas dans le discours politique pour dire le désarroi de l'opprimé mais fait comprendre que l'accès à la connaissance est une nourriture tout aussi essentielle que celle qui remplit l'estomac. Un bien bel ouvrage.


lundi 7 juin 2021

L'évangile selon Yong Sheng ~~~~ Dai Sijie

 



Ce qui surprend à la lecture de cet ouvrage c'est le décalage entre la légèreté de l'écriture et la gravité du sujet traité. Le style mis en œuvre par Dai Sijie pour écrire cet ouvrage, en évocation de l'histoire de son grand père, est souvent assimilé à celui d'un conte. Cet aïeul a pourtant connu un sort aux antipodes de ce que relate habituellement le genre. Le nouveau régime fort montant en Chine en ce milieu du 20ème siècle, se légitimant comme émanation du peuple, a réservé à ceux qu'il avait classés parmi les ennemis de la révolution humiliation, torture physique et mentale en forme de lavage de cerveau. C'était rentrer dans le rang ou mourir. le rang étant celui d'un peuple sorti vainqueur de la longue marche conduite par Mao Ze Dong.

Le grand timonier n'admettait d'autre culte que celui orienté vers sa personne. Pas étonnant donc que Yong Sheng, représentant d'une minorité religieuse, chrétienne en l'occurrence, devenu de ce fait ennemi public numéro un soit livré en pâture à un petit peuple revanchard, nourri aux promesses d'une prospérité inédite par le nouvel homme fort de la Chine. La révolution culturelle était en marche et comme dans tout régime autoritaire "chaque mot pouvait être une balle tirée dans la tête de l'ennemi, un poignard à lui planter dans le cœur". Les mots : la seule arme du prêche, des sermons que Yong Sheng s'ingéniait à écrire pour guider ses ouailles sur le bon chemin qu'il leur désignait, celui de la foi chrétienne.

Ce grand père de Dai Sijie devenu pasteur par la volonté de son propre père a vécu son calvaire des années durant comme le Christ sa passion, avec la conviction obstinée que ce sort misérable lui était réservé par Dieu pour le rachat des péchés de ce bas monde. Il a accepté souffrances et trahisons des siens sans formuler la moindre plainte, le moindre esprit de revanche, en rédemption des fautes de ses congénères. Le style sobre et affable employé par l'auteur venant en confirmation de la volonté de Yong Sheng de pardonner à ses tortionnaires. L'épilogue nous confirme dans le pacifisme, la générosité et le sens du sacrifice du pasteur. Sans rejoindre les idées de ses tortionnaires, il n'émet jamais aucune parole de malédiction à leur encontre.

Ce conte triste comporte ses symboles. Tel cet arbre sacré en chine, l'aguillaire. Il en devient un personnage à part entière de l'ouvrage. Planté à la naissance de Yong Sheng, il est devenu l'arbre du pasteur et manifeste sa présence sur l'ensemble du récit. Brûlé lors de l'incendie de la maison du pasteur, tel le Phénix il renaît de ses cendres en allégorie de survivance d'une foi qui commande à l'esprit. A cet arbre sont prêtées des vertus non pas magiques, cette notion ayant une connotation par trop païenne, mais miraculeuses, propres à tempérer les ardeurs vindicatives. Comme un apaisement provoqué par l'ombre de sa ramure. Il était devenu aux yeux de Yong Sheng le symbole de la religion chrétienne.

Un autre symbole est celui des sifflets que fabriquait le père de Yong Sheng, et ce dernier aussi sur le tard. Accrochés au plumage des oiseaux ils jouaient une forme de symphonie aérienne rythmée par le battement de leurs ailes. Harmonie de l'homme et de la nature que la révolution culturelle a un temps étouffée sous la chape de plomb qu'elle avait répandue sur le pays. Symphonie qui a timidement fait entendre à nouveau ses mélodies à la mort du grand timonier.

Belle écriture aux élans délicats que celle de Dai Sijie pour nous conter, on en convient au terme de cette lecture, une histoire douloureuse, inspirée de la vie de son ascendant. Au-delà du dogme, de la croyance c'est le courage, l'abnégation, la force de la foi et pourquoi pas aussi une solidarité filiale qu'il a voulu souligner à l'égard de ce personnage englouti par le ressentiment de ses congénères, eux-mêmes aveuglés par l'endoctrinement, en un temps où la personne humaine ne valait pas la balle qui lui ôterait la vie.