C'est dans les pages de Babelio que j'ai fait la
connaissance d'Irène
Némirovsky. J'ai toutes les raisons de m'en féliciter et remercie celles et
ceux qui y ont partagé leurs impressions de lecture de ses ouvrages.
Après Jézabel,
je viens de terminer Chaleur
du sang et ai déjà entrepris la lecture de Suite
française.
Mais qu'est-ce qu'ils ont dans le sang ? Qui n'a pas entendu cette expression
prononcée par des parents ou grands-parents déplorant les frasques de leur
progéniture. Et d'ailleurs ne nous dit-on dans la préface de cet ouvrage que
lorsqu‘Irène
Némirovsky avait cherché à lui donner un titre, elle avait envisagé de
l'intituler « Jeunes et vieux ». Car il s'agit bien dans cet ouvrage de faire
se confronter les générations. À cela rien de bien neuf sous les cieux de notre
planète tourmentée depuis que l'intelligence a investi un corps de mammifère et
l'a fait se dresser sur ses membres postérieurs.
Rien de nouveau, au point que l'on pourrait dire que c'est le style qui sauve
l'œuvre. Mais ce serait peut-être aller vite en besogne et à scruter d'un peu
plus près l'œuvre d'Irène Némirovsky on
y détecte une troublante approche de la psychologie humaine. Et lorsqu'on lit
comme je suis en train de la faire Suite
française, on confirme le fait. On le confirme et le précise, en se disant
que cette auteure a de la nature humaine une vision foncièrement désabusée,
allant même parfois jusqu'à la nausée. C'est bien ce que l'on perçoit de Gladys
Eysenarch, cette mère indigne dans Jezabel, qui
sacrifie sa filiation pour ne pas devenir grand-mère et supporter le poids de
l'âge attaché au statut, ou encore dans Suite
française avec la couardise et la rapacité des nantis qui détalent
devant l'avancée allemande en juin 1940, emportant leurs valeurs et sans
regarder qui ils piétinent.
Il faut dire qu'en matière de misère affective et persécution Irène Némirovsky a
de l'expérience et a pu forger sa culture du rejet et de l'intolérance.
N'a-t-elle pas dû fuir avec ses parents son Ukraine natale pour échapper aux
pogroms juifs, puis la Russie pour échapper aux Bolcheviques parce que famille
de nantis et enfin, la maturité de son écriture venue, fuir encore, la capitale
française cette fois-ci, parce que juive et donc pourchassée par les autorités
vichyssoises. Et pour couronner le tout, n'a-t-elle pas eu une enfance
solitaire, délaissée par une mère dépourvue d'amour maternel. Voilà de quoi
avoir de la nature humaine un dégoût instruit aux désillusions de la vie.
Dégoût que ne démentira pas ce 13 juillet 1942 lorsqu'Irène Némirovsky sera
arrêtée par la police française pour un voyage sans retour. Et des ouvrages à
publier à titre posthume.
Ne nous étonnons donc pas si dans Chaleur
du sang la morale n'y trouve pas son compte. Au motif que ce qui fait
bouillir celui des jeunes générations répond à la primauté des sens sur la
vertu. Les aînés seraient quant à eux bien en peine de le reprocher à leur
descendance car à la révélation de quelques indiscrétions du temps où eux aussi
avaient le sang chaud leur droiture affichée pourrait bien pareillement subir
quelque infléchissement.
C'est comme cela qu'une intrigue s'engageant sur le ton badin dans le cadre
bucolique d'un village de province se trouve attisée par cette flamme qui
échauffe le fluide vital. Comme cela que le velouté du style d'Irène Némirovsky prend
ses distances avec la gravité des faits qu'elle relate. Gagné à la confiance
que nous inspirait sa prose cristalline, nous sommes alors surpris par la douce
férocité de la plaidoirie en faveur des écarts de conduite qui ont détourné la
jeunesse du noble sentiment pour la faire sombrer dans les vils plaisirs.
Aussi, n'est pas vil plaisir celui qui celui fait s'enticher de l'écriture d'Irène Némirovsky.
Elle nous inocule toute l'amertume d'une femme qui a trop souvent vu le sol se
dérober sous ses pieds du seul fait de à ses contemporains. Jusqu'à ce qu'il
l'emporte avec lui en juillet 42.
Et à ceux qui s'interrogeraient encore sur la transmission de l'expérience des
anciens à leurs descendance, on leur répondra avec
Marcel Proust «
qu'on ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet
que personne ne peut faire pour nous… ».