Douze ans de règne seulement. Et pourtant une trace
indélébile dans l'histoire. Au point d'inspirer tout ce que la terre a compté
d'affamés de pouvoir après lui, à vouloir eux-aussi graver leur nom dans
l'histoire.
Certes, il n'y est pas allé de main morte. Douze ans de règne qui ont été douze
ans de conquêtes. Loin vers l'orient qu'aucune carte ne répertoriait alors.
Connaissant pourtant l'existence de l'Inde qu'il convoitait, avec sa côte sur
l'Océan indien et l'ouverture sur un autre monde. Mais une certaine forme
d'intelligence stratégique lui a fait comprendre que c'était trop. En tout cas
trop tôt. Son sens supérieur de maîtrise des peuples lui a fait entendre qu'il
fallait consolider son pouvoir sur les contrées conquises à marche forcée et
rabattre les prétentions de ceux laissés derrière lui à la gouvernance de
provinces et montrant déjà quelques signes d'indépendance.
Alexandre (356 - 323 av. J.-C), fils de Philippe II de Macédoine est
devenu Alexandre
le grand et le restera tant que l’Histoire colportera
aux hommes les épopées de leurs ancêtres. Tant qu'il y aura des historiens
tel Joël Schmidt pour
nous en faire bénéficier. Avec la précision avec laquelle il le fait. C'est ce
qui m'a interpelé dans cet ouvrage.
J'ai le souvenir récent de la biographie de Théodora par Virginie Girod laquelle
ne comptait pratiquement que sur un auteur contemporain, Procope de
Césarée, pour témoigner de la vie de cette femme politique devenue à cause
de ce manque de témoins fiables autant légendaire qu'historiquement attestée.
Elle vécut pourtant quelques huit siècles après Alexandre de Macédoine. Et
comparativement, la vie d'Alexandre
le grand est relatée dans un détail foisonnant par pléthore de
témoignages que Joël
Schmidt a rassemblés dans cet ouvrage des plus complet.
Encore que, en parlant de témoignages, faut-il préciser que les originaux ayant
disparu pour la plupart, ceux-ci sont relatés par des propos et rapports
décalés, de ceux-là même qui sont de nature à forger des mythes. Il n'en reste
pas moins que nombre de contemporains d'Alexandre – Ptolémée 1er, l'un de ses
principaux généraux, Aristobule de Cassandreias, historien, Callisthène son
historiographe officiel, Clitarque d'Alexandrie, historien et rhéteur – pour ne
citer qu'eux, ont écrit sur celui qu'ils portaient aux nues. On peut donc
affirmer que s'agissant d'un conquérant exceptionnel, non seulement de bravoure
guerrière mais aussi d'intelligence politique, Alexandre
le Grand a certainement été mieux servi par ses contemporains en
termes de réputation que Théodora. Elle avait en effet le double tort d'être de
basse extraction et femme se mêlant de politique en une époque où son sexe ne
l'eut prédestiné qu'à la perpétuation d'une lignée monarchique et au plaisir
des yeux, si ce n'est aux plaisirs tout courts.
C'est un ouvrage étonnamment précis et complet que nous adresse Joël Schmidt sur
la vie de ce monarque qui n'aura pas usé sa culotte sur son trône macédonien,
tant il fut à poursuivre et finalement déchoir Darius III, le dernier roi de
l'empire perse, et à maîtriser ses peuplades affiliées. Alexandre
le grand doit son qualificatif mythique aussi bien à son érudition,
son sens stratégique et politique qu'à sa grandeur d'âme et sa qualité de
meneur d'hommes et parfois aussi sa cruauté de despote. Bien convaincu qu'il
était que toute bonne gestion des affaires humaines sait faire usage de la
carotte autant que du bâton. C'est ce que nous laisse bien comprendre Joël Schmidt. La
question étant de savoir quelle longévité eut pu être celle d'un empire aussi
vaste sous la férule d'un homme à l'ambition hypertrophiée si la maladie ne
l'avait emporté à trente trois ans. Une biographie qui est une véritable
cavalcade dans le grand orient dont on à peine à imaginer qu'elle pût se faire
au pas du fantassin.
Ceux qui l'ont voulu pour modèle ont pu se rendre compte que n'est pas
Alexandre qui veut. A jouer sur la partition qui va de la plus grande rigueur à
la plus intelligente magnanimité. Chef de guerre incarné, à se battre au
premier rang et galvaniser ses troupes puis régenter les pays conquis et fonder
nombre de cités dont la plus célèbre, Alexandrie, abritera la grande
bibliothèque de l'Antiquité à l'initiative de son fidèle Ptolémée, récompensé
et devenu roi d'Egypte. Belle façon de rendre hommage à conquérant mentor qui
était aussi un érudit.
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Ouvrages par genre
mardi 3 mai 2022
Alexandre le Grand ~~~~ Joël Schmitt
mardi 13 mai 2014
L'homme qui regardait la nuit ~~~~ Gilbert Sinoué
Le thème de la rencontre de deux êtres que le destin a brisés est un classique un brin racoleur dont le dénouement est souvent cousu de fil blanc. On ne prend toutefois pas le risque de consommer du réchauffé avec un auteur comme Gilbert Sinoué. La force suggestive de son écriture donne de la consistance à une intrigue qui sert aussi de prétexte à sécréter de profondes réflexions sur la nature humaine. Toutes les phrases ont leur poids de signification, aucune ne sonne creux.
Avec cet ouvrage, Gilbert Sinoué délaisse,
l'espace de quelques chapitres, le roman historique pour la pure fiction, avec
là encore quelques évocations auto biographiques aux fragrances orientales
chères à l'auteur. Les rappels à l'histoire de cette époque au coeur de la
Méditerranée ancrent cette fiction dans le contexte politique des lendemains de
la Grèce des colonels. En promoteur de la tolérance, Gilbert Sinoué ne
cache pas son aversion pour ce genre de régime autoritaire. Aussi fait-il des
parents d'Antonia, l'un des deux héros de ce tête-à-tête improbable, son bras
armé contre ce fléau de la dictature.
La construction de l'intrigue est habile. Théophane, chirurgien de renom, voit
sa vanité lui éclater au visage au sommet de sa gloire professionnelle. Il est
soudainement rabaissé à sa condition de mortel, celui dont « la lampe se
consume ». le secret de son exil sera distillé subtilement tout au long de
l'ouvrage, en particulier dans ce rapport curieux avec un personnage d'arrière
plan dont on comprend au final qu'il est au centre de l'intrigue.
Le « pourquoi moi ?» hante chacun des deux protagonistes. Il est lourd de
révolte face à l'impuissance de l'Homme dans la gouvernance de sa vie.
Théophane ne supporte pas d'avoir été l'instrument du destin. Antonia renie sa
vie dans le handicap alors qu'elle lui avait fait le cadeau de la beauté. Pour
l'un comme pour l'autre le recours à la religion en exutoire salvateur est
également exclu. On retrouve dans ce rejet le mépris de Gilbert Sinoué pour
le sectarisme des religions monothéistes.
C'est un ouvrage sur la croisée des destins, d'interrogation sur les
coïncidences, que certains qualifieront de hasardeuses que d'autres voudront
porteuses de sens.
On passe un bon moment à Patmos à démêler les tourments de ces coeurs fracassés
qui tentent de survivre en cherchant à revivre.