Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

jeudi 29 octobre 2020

L'auberge de la Jamaïque ~~~~ Daphné du Maurier

 




L'Auberge de la Jamaïque n'a rien d'un ouvrage racoleur qui vous happe dès les premières pages. le lecteur devra faire preuve de persévérance avant de se faire bousculer par les péripéties d'une aventure mouvementée. Aussi, avant que le récit ne s'emballe il devra se laisser porter par la qualité de l'écriture et séjourner avec fébrilité dans ce galetas sombre, humide et froid qu'est devenue l'auberge de la Jamaïque. On ne peut imaginer mieux que cet établissement isolé dans la lande de Cornouailles, déserté par la clientèle, battu par les vents sous un ciel chargé pour en faire le décor d'un drame. Ce décor établira le goût de Daphné du Maurier pour l'oppression d'un jeune caractère par un environnement hostile et lugubre.

Quand on fait la connaissance d'un(e) auteur(e) avec son ouvrage phare on craint quelque peu de se frotter au reste de son oeuvre. On craint en fait de déchoir. Avec L'Auberge de la Jamaïque on évite l'écueil. On découvre certes en germe ce qui séduira le lectorat de l'ouvrage publié deux ans plus tard. Il y a comme une prise d'élan vers ce qui aboutira à Rebecca, dont on convient qu'il est un roman plus équilibré, plus homogène. Mais il y a déjà avec L'Auberge de la Jamaïque une formidable montée en pression, comme un bouillonnement littéraire qui met son héroïne à l'épreuve de la vie, plongée dans une solitude à laquelle une enfance tranquille ne l'avait pas préparée. Une jeune fille toutefois non dénuée de force de caractère pour affronter la férocité d'un monde nouveau et malsain.

Dans la très belle biographie qu'elle a rédigée de cette auteure, Tatiana de Rosnay souligne l'affection qu'avait Daphné du Maurier pour le roman noir. Avec L'Auberge de la Jamaïque on ne peut cacher qu'au milieu du roman on ne donne pas cher de l'avenir de la pauvre Mary Yellan. Alors que sa mère se sachant perdue croyait la mettre en sécurité aux bons soins d'une soeur autrefois proche d'elle.

Roman psychologique qui livre l'innocence à la perversité, aux malversations et vices de la nature humaine, la préservant toutefois de l'outrage ultime qui pourrait être fait à son innocence toute féminine. Car Daphné du Maurier bâtit autour de la pureté un rempart qui s'il était forcé annihilerait tout espoir de recouvrance. Une forme de prudence que cette auteure entretient avec le reste de la société. Ultime sanctuaire d'honneur dans un univers de perdition.

Avec L'Auberge de la Jamaïque la montée en intensité dramatique est lente et progressive mais obstinée. Elle répond à un subtil crescendo accommodé par le talent de l'auteure. Intelligence de construction, clarté du style, détermination dans l'enchaînement des événements, voilà un roman qui se suffit à lui-même dans le talent qu'il déploie, quant à l'intérêt qu'il suscite. Il ne préjuge d'un avenir encore plus prometteur du talent de son auteure que parce qu'on en connaît l'avenir. Excellent moment de lecture.


mercredi 21 octobre 2020

Sérotonine ~~~~ Michel Houellebeq



 Je viens de terminer Sérotonine. J'inspire goulument. Je souffle. Je me palpe la région du coeur, je porte ma main au front. Je n'ai pas de fièvre. Je vis. Enfin j'ose le croire, naïvement. Pour un moment encore. le temps j'espère d'aller au bout de ma chronique.

Je m'étais retenu jusqu'à ce jour où de passage devant une librairie de Bayonne l'édition J'AI LU me toisa en vitrine. J'ai cédé, j'ai lu, Je suis foutu. Aurait dit un célèbre conquérant qui a laissé les traces de sa culture en nos contrées. Quand je parle de traces, j'évoque la marque de ses spartiates sur notre profil de combattant râleur, valeureux mais laminé quand même par ses légions.

C'est la fin des haricots. D'habitude, il - Michel pas Jules - comptait sur sa libido pour se requinquer, regonfler son moral en même temps son attribut du genre. Mais avec Sérotonine il a été mis en berne grave, comme diraient avec leur idiome à la mode ceux qui ont encore l'âge de croire que leur mâlitude sera éternelle. Solitude, déprime, la tombe se creuse au fil des pages. Y'a-t-il un espoir au fond du trou ? J'avais déjà bien entamé la descente aux enfers en ayant lu les précédents ouvrages de notre goncourisé frigorifié. Cette fois nous y sommes. Justifiez l'appellation de votre métier les hommes en noir, mordez-moi les orteils avant de visser le couvercle. On ne sait jamais. Un sursaut …

Je ne sais pas qui s'est essoufflé de nous deux, moi le lecteur, lui l'auteur. J'ai bien peur que ce ne soit le premier que je suis car pour ce qui est de la déprime, je sens bien que notre trublion de la littérature moderne en a encore sous le pied. Je crains pour le prochain ouvrage de sa main. J'ai bien peur que sauf sursaut d'optimisme inespéré il ne soit écrit d'outre tombe. Un autre y a déjà publié ses mémoires. Encore que l'essai a déjà été transformé avec La carte et le territoire, ouvrage post mortem d'un martyr de la société de consommation. Peut-être apprendrons-nous alors enfin des raisons de ne pas nous alarmer de notre trépas prochain, car pour ce qui est de la vie terrestre la grisaille s'opacifie très vite. Au fur et à mesure que les jeunes et jolies jeunes filles tournent leur regard vers d'autres que ceux qui n'ont pas encore atteint à leurs beaux yeux l'âge de la transparence.

Cet ouvrage qui nous enterre avec son narrateur a quand même quelques mérites. Il attire notre regard sur une profession malmenée par la mondialisation. Labourage et pâturage ne sont plus les mamelles de la France. La mammographie européenne a dévoilé le malaise. le lait français n'est plus bon qu'à être répandu devant les préfectures. Nos braves paysans sont trop nombreux, trop chers.

Il est toujours aussi savoureux dans son écriture cet ouvrage. Il n'envoie personne dire à la place de son auteur ce qui ne lui plaît pas chez un tel ou un autre. Il a un sens aiguisé de l'observation des moeurs de nos contemporains, le verbe caustique pour pointer du doigt les perversions de notre mode de vie moderne. Mais en fil rouge il y a quand même une histoire d'amour. Une vraie. Pas qu'une histoire de sexe. Mais c'est un raté, cette histoire. L'amour et le sexe ne feraient-ils pas bon ménage. Une faute, une erreur de parcours a tout foutu en l'air. Un seul être vous manque et… Et Camille si tu savais.

mardi 20 octobre 2020

La désobéissance ~~~~ Alberto Moravia

 



Comment survivre à l'adolescence quand le corps subit la déferlante hormonale qui le fait quitter le pays de l'enfance pour accéder à celui des êtres capables de donner la vie. Comment comprendre ce séisme qui secoue tout l'être, le fait se rebeller contre l'insouciance, renier la sécurité du giron maternel pour entrer dans l'âge adulte.

La mutation est douloureuse. Passer de l'innocence à la responsabilité est un chemin chaotique, parfois dangereux. Certains sont tentés de refuser la vie plutôt que la perpétuer. Il suffit d'un rien pour basculer.

Puis le chemin se découvre. Le jeune adolescent comprend que ce corps qui a expulsé la vie après l'avoir fait prospérer dans la chaleur de ses viscères est en fait la source. Il est temps de se mettre en danger, de se rebeller, de retrouver un corps capable de ce même miracle, capable d'héberger et faire prospérer la vie. Il est temps de retourner à cette source pour s'abreuver à la vie. Il est temps de retourner à ces entrailles pour se survivre à soi-même. Après viendra l'apaisement.

Formidable roman d'initiation vu d'un point de vue masculin. Luca est un jeune garçon qui subit la mutation de son corps. Il perçoit inconsciemment qu'obéir c'est disparaître. Il perçoit que pour exister il faut aller vers l'interdit. Se rebeller, désobéir pour naître à la vie, quand obéir c'est naître à la mort.

« La vie, c'est s'abîmer dans cette chair et en sentir l'obscurité, le ressac et le spasme comme des choses bénéfiques et vitales »


mercredi 7 octobre 2020

Sacrifices ~~~~ Pierre Lemaitre

 



Difficile de passer à côté de Pierre Lemaître quand il s'agit de littérature contemporaine. Après la valse des masques sur les gueules cassées d'Au revoir là-haut, avec Sacrifices je me suis confronté à l'univers tout aussi sombre et torturé de ses polars. Je sais qu'il y a des trous dans la raquette, que le goncourisé 2013 a produit plus que je n'ai lu, mais demain sera un autre jour.

J'ai commencé par la fin de la trilogie Verhoeven. Il me manque donc d'avoir lu les deux autres tomes pour mieux connaître le commissaire à la taille de nain. On apprend dans cet ouvrage que ce limier doit cette obligation de lever la tête pour croiser le regard des autres au tabagisme de sa mère. Cela ne nous dit pas pourquoi Pierre Lemaître a fait de son héros un nain. Sans doute parce qu'une taille de 1,45m imposera à celui qui en est affublé un surcroit de volonté et de détermination pour s'imposer à son entourage, mais aussi et surtout aux géants de la délinquance que son métier met sur sa route.

La nature a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités nous dit Tahar Ben Jelloun. Inégalités qui requièrent des prouesses de caractère pour être combattues. Le commandant Verhoeven de la brigade criminelle semble ne pas en manquer tout en conservant une certaine sensibilité. Il faut dire que la vie ne l'a pas épargné en lui prenant sa bien aimée quatre ans auparavant. Avec Sacrifices, celle qui comble sa solitude de temps à autres est elle aussi menacée. Quel métier !

Ce flic, petit par la taille mais grand par la conscience professionnelle, n'échappe pas au sort des héros : il est solitaire. C'est donc dans un déficit de soutien qu'il devra conduire cette enquête dont il fait une affaire personnelle en dépit de la règle du métier selon laquelle un enquêteur ne peut travailler sur un cas qui le touche de près. le sentiment est forcément mauvais conseiller dans les affaires professionnelles. Verhoeven le sait mieux que quiconque. Il persiste. Il met sa carrière en jeu. Advienne que pourra, il se fait un devoir de coffrer le tortionnaire de celle qui partage sa vie. Autant que puisse être partagée une vie de flic.
Seul face à la hiérarchie. Seul face à la justice. Seul face aux truands. Mais au fait, pourquoi ces derniers ont-ils épargné celle qu'il tenait au bout de leur canon de fusil, au risque d'être reconnus, après l'avoir copieusement maltraitée au point de la rendre méconnaissable ? Verhoeven est seul pour échafauder les hypothèses. Seul mais déterminé.

Le temps est compté pour le flic qui se lance sur les traces des voyous sans avoir l'aval de la hiérarchie, policière autant que judiciaire. le roman est minuté. Les cruautés ne manquent pas au tableau. Autant physiques que psychologiques. Sans doute une marque de fabrique chez Pierre Lemaitre, chez qui la compromission se paye cher. A héros atypique, polar atypique. Anti héros serait-on tenté de dire. Pierre Lemaitre nous offre un beau baroud d'honneur pour ce flic qui ne veut pas d'une sympathie compatissante.

J'ai fait une infidélité à Adamsberg de Fred Vargas avec ce polar. Mais l'un comme l'autre me font prendre goût au polar. Nos yeux courent sur les lignes comme le flic aux fesses des truands. le suspens y est habilement dosé, la qualité des énigme, construction et dialogue n'a pas besoin des effets spéciaux qu'on se croit obligé de nous servir trop souvent désormais pour compenser certaines pauvretés. Avec un épilogue comme je les aime. Un épilogue qui ouvre l'avenir autant qu'il le ferme.


samedi 3 octobre 2020

Les simples ~~~~ Yannick Grannec

 



Les plantes médicinales sont un prétexte en arrière-plan. Les simples de Yannick Grannec n'a rien d'un traité de botanique. Même si c'est bougrement bien documenté. C'est à n'en pas douter son écriture qui transporte le lecteur dans cet ouvrage. Cette écriture, elle est savoureuse, intelligente, piquante à souhait. Comme on l'aime quand il s'agit de brocarder qui mérite de l'être.

Que ce soit l'humaine nature dans ses défauts, d'autant plus grands lorsqu'elle a recours aux expédients de la religion pour combler les lacunes de son ignorance, sa peur de l'inconnu. Tout s'explique en Dieu, Satan et consort. Que ce soient les institutions lorsque la corruption en a contaminé les commis et fait d'eux les suppôts d'un démon qui a pour nom cupidité. Que ce soit la gent masculine quand elle a libéré sa semence et attribue à l'autre sexe la responsabilité de la tentation charnelle. Que ce soit la société quand elle hiérarchise les individus sur la base de leur seule naissance.

Yannick Grannec sait bien jeter à la face de tous les empuantis de vices les mots qui diront leurs quatre vérités. Elle sait bien leur concocter baume, onguent, potion, élixir et autre cordial et prescrire remède à leurs mauvais penchants. Cet ouvrage est un modèle de subtilité pour dénoncer avec les discernement et précaution de rigueur la perversion de l'esprit lorsqu'il a gagné en pouvoir, perdu en humanité.

Le verbe est moyenâgeux, autant qu'il sied au contexte. La gouaille est populaire autant qu'il faut appeler un chat par son nom. le discours se fait plus châtié quand le prétentieux se prévaut sa bonne extraction. le ton est sarcastique quand le puissant affiche son ascendant sur le gueux avec le mépris qui convient à l'adresse de l'affamé qui le restera toute sa vie du fait de sa seule naissance. L'humour est jubilatoire quand il faut souligner l'hypocrisie de ceux qui professent la vertu, se gardant bien de s'en appliquer les rigueurs. Il devient grinçant quand "les corbeaux et les serpents s'acoquinent" pour rendre non pas la justice mais leur justice.

En ce temps là, la science avait chaussé les semelles de plomb de la religion. L'Eglise, omnisciente et omnipotente, poursuivait de sa vindicte brûlante qui s'avisait de s'écarter de la vraie foi. Elle taxait volontiers d'hérésie qui se proposait de soulager les maux avec les simples, se substituant selon elle au pouvoir divin. Et l'évêque qui briguait quelque profit en lorgnant du côté de l'abbaye, la voyant prospérer de sa science empirique, accumulée depuis des siècles d'observation, se fait prendre la main. La machine s'emballe. L'inquisiteur, cet illuminé, ce fourbe, entre en scène. Et l'Eglise affichant son horreur du sang, par charité chrétienne sans doute, s'abrite derrière le temporel pour lui laisser mener à bien la question. Il n'y aura plus de gagnant.

Bien sûr les simples peinaient à aider les nourrissons à surmonter le traumatisme de la naissance, les femmes à ne pas mourir en couches, mais en ces temps d'obscurantisme ils étaient ce que la nature offrait de compensation à sa rudesse. A côté de chaque poison prospère son antidote. Sœur Clémence savait distinguer l'un de l'autre. Sœur Clémence s'est substituée au Seul qui a le pouvoir de guérir, Celui qui n'a jamais donné aucun signe et qui par son silence a laissé libre cours à toutes les appropriations, aux plus folles interprétations de ses paroles transcrites dans la Livre.
Qui l'a écrit ce Livre d'ailleurs ? "Les hommes, greffiers de leurs seuls désirs."

Superbe ouvrage. Superbe écriture. Bonheur de lecture.