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Ouvrages par genre
mardi 24 octobre 2023
L'as de coeur ~~~~ Morgane Moncomble
mardi 13 juin 2023
Mon enfant de Berlin ~~~~ Anne Wiazewsky
Un ouvrage autobiographique d'avant naissance si l'on peut dire puisqu'il
évoque l'histoire d'amour de ses parents. Une histoire somme toute assez
banale. Et pauvrement restituée. Sauf à décréter que lorsqu'il s'agit d'amour
banalité et pauvreté ne sont plus de mise. Surtout lorsque le contexte est
celui de Berlin à la toute fin de la seconde guerre mondiale. Une ville en
ruine ou errent des rescapés affamés, pétris de la peur incrustée en chaque
cellule de leur corps par les bombardements alliés puis par l'entrée dans la
ville d'une armée rouge bouffie de vengeance. Claire Mauriac y était alors
membre De
La Croix rouge particulièrement chargée du rapatriement des
prisonniers des camps. Une mention spéciale y est faite au bénéfice des «
malgré-nous », ces Alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht, considérés
comme allemands par les Russes et donc traités comme tels. Yvan Wiazemsky ayant
beaucoup œuvré pour extirper quelques de ces malheureux des griffes de ses ex
concitoyens.
Mon
enfant de Berlin est en fait Anne, l'auteure de cet ouvrage. Le titre
est trompeur, puisque Anne est la narratrice externe de cet ouvrage, ne se
déclarant pas fille de sa mère qu'elle appelle par son prénom. Anne construit
son ouvrage sur la base des correspondances de sa mère avec sa famille. Cela en
fait une trame décousue que ne restructure pas le liant de la narration. Le
style des lettres de sa mère, souvent altéré par les circonstances de leur
rédaction et le caractère précipité et aléatoire du départ des courriers, n'est
corrigé ni par la construction de l'ouvrage ni par le style personnel d'Anne
Wiazemsky quelque peu indigent. L'ouvrage perd en plaisir de lecture.
Mais de toute lecture il faut tirer bénéfice. On le fera dans cet ouvrage avec
la remise en mémoire du sort de tous ceux, les plus humbles comme souvent, qui
ont pâti de l'appétit de pouvoir de leurs dirigeants. « le pouvoir est la
consolation des ratés » nous dit Platon. Une consolation
bien chère payée par les crédules qui se sont laissé ensorceler au discours
nauséabond.
jeudi 23 juin 2022
Le soldat Ulysse ~~~~ Antoine Billot
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J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui
restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au
fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.
Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme
pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité
nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de
l'horreur.
Dans Au
revoir là-haut, Pierre Lemaître a
magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce
registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat
Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre :
il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre
personne.
Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se
met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France
entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants
anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection,
élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment
reconnaître leur cher disparu.
Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai
regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le
lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de
la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le
chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera
sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du
style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse,
un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans
l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous
laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le
soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne
rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre
dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une
incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux
dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.
Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres
chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point
d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de
ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux
boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et
apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon
ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.
lundi 31 janvier 2022
Le cri ~~~~ Nicola Beuglet
Quand la CIA s’occupe de nos âmes et de leur survie après le grand passage, nous sommes promis à l’exploration des trous noirs de l’univers, au plongeon dans l’ésotérique frigorifiant. Les croyants sont prévenus, ils vont y perdre leur latin et s’entendre dire des choses propres à ébranler leurs convictions.
Un bon départ pourtant pour ce thriller sous les frimas de la Norvège lorsque le patient d’un hôpital psychiatrique meure dans des circonstances qui retiennent l’attention de l’enquêtrice dépêchée sur place. Surtout lorsque le directeur de l’établissement, acculé par ses questions, met le feu à ses locaux pour faire disparaître des indices compromettants. Mais dès le transport de l’action en notre hexagone national le rythme devient effréné, sous la dictature d’un compte à rebours fatal pour la vie d’un enfant pris en otage par des tortionnaires insensibles.
Notre enquêtrice s’adjoint alors les services d’un reporter, tuteur de l’enfant dont les parents ont été éliminés par des hommes de main sans état d’âme, à l’accent slave guerre froide oblige. Tous deux deviennent les pantins du dernier survivant d’un programme de recherche de la CIA laquelle lui a fait endurer le calvaire d’un traitement chimique destiné à …
… à quoi d’ailleurs ? C’est ce qu’il veut savoir avant de quitter ce monde. Ses jours sont comptés. Qu’est-ce qui a bien pu faire pousser par les malheureux cobayes de la CIA ce cri d’outre-tombe qui donne son titre à l’ouvrage et fait trembler d’effroi ? Le dernier survivant veut connaître les tenants et aboutissants de ce programme de recherche diabolique. C’est la raison pour laquelle, sous la menace d’exécuter l’enfant, il lance notre couple d’enquêteurs de circonstance au travers de la planète entière pour connaître et la justification de son supplice et le nom de celui qui en a tiré les ficelles.
Cet ouvrage tire son intrigue d’un fait historique : en période de guerre froide l’opération secrète de la CIA baptisée MK-Ultra avait pour but de prendre le contrôle d’individus en altérant leurs capacités mentales afin de les manipuler, pénétrer les secrets de leur cerveau et en faire les marionnettes utilisables en tous lieux et circonstances, à toutes les vilénies imaginables.
La distance de l’ouvrage avec la réalité est, pour le fond, la connotation religieuse que prend l’intrigue. Pour la forme, c’est l’accumulation d’invraisemblances qui donne à nos enquêteurs des super pouvoirs pour reconstituer les preuves de l’opération que la CIA s’est pourtant attachée à faire disparaître en 1973. Dans le genre, je n’ose évoquer le dictaphone retrouvé dans le bunker délaissé par la CIA lequel retrouve la voix après quarante années de silence humide.
Ce genre d’ouvrage qui flatte la soif de sensations fortes au détriment de la crédibilité n’est pas de ma prédilection. Je suis trop attaché à la faisabilité par l’homme des choses humaines, en dehors de ce qui se revendique du genre fantastique bien entendu. Le toujours plus dans les sollicitations physiques rehaussé d’effets spéciaux version série américaine est à l’origine de trop d’invraisemblances et sombre dans la contrefaçon des émotions. Elles sont artificiellement suscitées pour répondre au stéréotype de scénario en vogue : un crime, un secret de famille, des méchants qui manipulent dans l’ombre, des enquêteurs qui se vouent indifférence voire hostilité au début et finissent par tomber dans les bras de l’un et de l’autre. Et pour couronner le tout une dose de pathétique avec l’enfant pris en otage dont la survie est suspendue au compte à rebours, lequel est supposé donner son rythme à l’intrigue. La ficelle est trop grosse pour émouvoir. On connaît la fin dès le drame engagé.
Mais à la décharge de ce sacrifice à la modernité il faut
dire que j’exècre la raison d’état lorsqu’elle broie l’individu au motif de
protection de la sécurité nationale. Le combat était perdu d’avance par l’ouvrage
pour me faire frissonner d’aise. Je salue quand même l’intention de faire
savoir que cela a existé et que notre avenir n’en est pas préservé des malfaisances
de cette sacro-sainte raison d’état. Mieux vaut ne pas se trouver sur son
chemin.
mardi 6 août 2019
Le temps des orphelins ~~~~ Laurent Sagalovitsch
Cet ouvrage place son intrigue dans le contexte d'une page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, celui de la shoah. Un thème dont il faut à mon sens faire usage avec tant de précaution que je me demande s'il peut donner lieu à y appliquer une fiction.
Daniel, jeune rabbin venu d'Amérique, a ressenti la nécessité de s'engager dans
les forces de libération de l'Europe en 1944. Sa découverte des camps de la
mort fera vaciller sa foi. Quand il prendra la mesure de l'anéantissement de la
personne qui a résulté de la funeste entreprise nazie, le recours aux textes
bibliques lui sera de piètre secours pour réconforter ses coreligionnaires.
Comment Celui qui préside aux destinées de ce monde a-t-Il pu laisser faire ça
?
L'intrigue, c'est celle d'un tout jeune garçon famélique au regard figé
d'incompréhension, perdu dans la tourmente de la libération des camps. Il est
incidemment recueilli par Daniel qui se met en quête de retrouver sa famille.
Faut-il voir dans cet ouvrage écrit par quelqu'un qui ne peut connaître cette
période noire que par ce qu'il en a appris, le besoin de raviver une mémoire
qui lui semblait s'essouffler. Pour arriver à ses fins, il n'a de toute
évidence d'autre choix que de donner dans la surenchère compassionnelle et le
ressentiment, en quête de vocabulaire et métaphores apocalyptiques.
S'il faut lire le récit de ce cauchemar, je préfère le faire dans les ouvrages
de ceux qui ont vécu cette ignominie, quand ils ont eu force de rompre le
silence. Ils savaient très bien quant à eux qu'aucune langue humaine ne
comporte de mots assez proches de ce qu'ils avaient enduré, que leur tentative
de témoignage ne restera jamais qu'une approximation de l'horreur. Comme si le
mépris du monde qui les avait piétinés s'acharnait encore sur eux quand le
temps était enfin venu de le crier à la face de ce même monde. C'est alors dans
leur silence entre les mots qu'on prend la mesure de leur traumatisme,
qu'aucune fiction ne pourra restituer.
Surtout lorsqu'elle force le trait avec quelques clichés impliquant les
enfants. Cela ne manquera pas d'attendrir le sceptique du 21ème siècle auquel
aurait échappé l'ampleur du cataclysme parce qu'assoupi dans son confort
aveugle. La chute est assez maladroite, mais comment clore pareil ouvrage quand
l'espoir n'est plus de ce monde.
vendredi 16 juin 2017
Les amants du spoutnik ~~~~ Haruki Murakami
Il y aurait donc souvent, dans les romans de Haruki Murakami, un fond de musique classique détaillé par le menu, des livres qui restent à portée de mains, sans oublier, au détour d'une page, un clin d'œil à Scott Fitzgerald cher à l'auteur. Si j'en crois les quelques-uns de ses ouvrages que j'ai lus depuis que j'ai découvert cet auteur, le lieu commun de ses intrigues serait fait de relations amoureuses compliquées, voire impossibles, avec une certaine froideur des personnages, qui peut s'exprimer jusqu'à la frigidité comme dans Les amants du spoutnik lequel n'échappe à rien de tout ce qui précède.
Dédoublement de la personnalité,
confusion du réel et de l'irréel au travers du prisme de la perception,
relations charnelles fantasmées, la chaleur de la vie a disparu dans ces pages,
la sensualité est intellectualisée, les personnages ont peu de prise sur
l'événement, et moi, lecteur tenu en haleine par mes attentes à hauteur de la
réputation de l'auteur, je reste sur ma faim en fermant cet ouvrage.
L'intrigue est décousue, les
images pas très heureuses, dépourvues de poésie, les personnages peu
attachants. Je ne peux qu'abonder dans le sens de Miu, l'une de ces trois héros
désespérant de froideur lorsqu'elle déclare : "Je ne peux pas m'ôter de
l'idée que tout est de la fiction,…, et cela m'empêche de partager les émotions
des personnages."
Mais je pardonne à Haruki
Murakami, on peut avoir des passages à vide. Il a, selon moi, péché par excès
de confiance pour avoir mis sur orbite un spoutnik qui s'est perdu dans un trou
noir. Je resterai cependant fidèle à celui qui m'a ravi avec Kafka sur le
rivage.
jeudi 9 février 2017
L'éducation sentimentale ~~~~ Gustave Flaubert
Le style. Ah ! le beau style de monsieur Flaubert. Oui mais …
Je me suis donc risqué au style de ce ténor du langage, tout
seul, comme un grand, avec la lecture de L'éducation sentimentale, que les initiés
hissent très haut sur les rayons de la littérature classique. Moi qui n'ai à me
reprocher d'autre étude littéraire que celle d'un bac scientifique. Moi qui me
rangeais du côté des férus de trigonométrie pour brocarder nos congénères des
classes littéraires.
Pour ma défense, et contre toute attente, j'avoue avoir
toujours eu un a priori favorable pour cette époque, chère à Flaubert, où
quelques perspectives parisiennes ouvraient encore sur des pans de campagne, où
les rues de notre capitale n'étaient pas encore ceintes de l'anneau sonore et
empuanti d'un boulevard périphérique. Bien que des encombrements elles en
connaissaient déjà, les rues parisiennes de Flaubert. Mais les senteurs étaient
plus fauves, les sonorités moins ronflantes, les voix humaines encore audibles
au dessus du tumulte urbain. Et Dieu sait si Flaubert, en stakhanoviste du
langage qu'il était, s'attachait, s'évertuait même, à les décrire avec une
minutie obsessionnelle, avec tant de détails que l'action en est devenue
anecdotique. Point de rêverie inspirée toutefois chez lui : du réel et du
concret, de la précision dans le trait, les formes, les matières, les couleurs.
De la précision à longueur de chapitres avant même que de cette exactitude
n'émerge un geste, un événement, une intention, une vibration, une peur, une
joie, enfin quelque chose qui nous fasse comprendre que le décor n'est qu'un
écrin de la vie des hommes, que le langage n'est qu'un moyen de le traduire. Et
non une finalité.
En plaidoyer à pareille incursion dans la littérature du
19ème siècle j'avoue en outre avoir adjoint à ce penchant nostalgique, un
faible pour les convenances, surtout quand il s'agit d'arpenter le long chemin
si périlleux qui mène au coeur des dames. Notre vocabulaire contemporain
ponctué d'anglicismes, dont les locuteurs eux-mêmes ignorent jusqu'au sens, le
culte de la médiocrité assumée, l'inconséquence et la vulgarité de notre temps
me rebutent quand même parfois. Tout cela me fait regretter les tournures
enflammées au verbe bien calibré, la sensualité des belles phrases que notre
langage moderne d'onomatopées a désormais phagocytée.
Le penchant pour les sciences qui a gouverné ma vie avait
quelque peu bâillonné ma sensibilité. Avec l'âge elle refait surface. Dois-je
parler de romantisme, quand Flaubert qualifiait ces épanchements de
"désespoir factice", réfutait " cette espèce d'échauffement
qu'on appelle l'inspiration" et jugulait ces élans du coeur pour donner
corps dans ses écrits à un pessimisme chevillé à l'âme.
Je me rappelle m'être alangui avec Madame Bovary, assoupi
peut-être même. J'ambitionnais le retour en grâce du roman psychologique, le
réveil de la passion. J'ai sombré avec l'Éducation sentimentale. J'ai découvert
que lorsqu'un amour est impossible, avec Flaubert, il le demeure. Aussi,
l'entêtement érodant la sensualité, je me suis enlisé dans les longues litanies
descriptives du maître, plus figuratives que les toiles de ses contemporains
paysagistes. Je me suis laissé obnubiler par les oscillations entre bienséance
et illusion amoureuse, horripiler par les atermoiements infligés par fortune et
rang social.
Peu d'événements, rien d'émoustillant dans la vie de
Frédéric Moreau, pâle héros impuissant à conduire sa propre vie, empêtré qu'il
est dans les contingences matérielles, les codes sociaux. Homme de toutes les
faiblesses, il laisse couver son feu intérieur plutôt que lui donner l'oxygène
qui le ferait devenir flamme et réduire en cendre ce décor dans lequel il se
dilue. Dans lequel Flaubert le dilue. A force de le fignoler ce décor, de le
ciseler, de le polir, de le retoucher. Pour qu'il soit parfait.
Oui, mais voilà, la perfection, c'est peut-être aussi
l'ennui. Il lui aurait peut-être bien fallu un petit grain de folie à ce
Frédéric Moreau pour aller forcer la porte de son aimée et l'emporter, la ravir
à son confort. Car certainement qu'elle aussi s'ennuyait dans sa vie bourgeoise
bien rangée.
Décidément il manque encore quelque chose à mes affinités
littéraires pour décoder la quintessence de ce style dont on vante la
perfection, en isoler les constituants et goûter les subtilités, l'excellence
d'un auteur perfectionniste à l'extrême autant que besogneux. Et oublier le
besoin d'action. Je n'ai pas perçu le piquant de cette passion amoureuse
irraisonnée que la morale de son siècle réprouvait. Il me reste à l'esprit
qu'une sorte de fadeur de personnages sans lustre, la représentation d'une
société bourgeoise que Flaubert exècre tant qu'il veut nous la dépeindre dans
le plus infime détail, le plus pâle reflet. Il me colle au souvenir une forme
de grisaille. Cela me laisse imaginer sans peine les murs et les ruelles
sombres de notre capitale au crépuscule du romantisme. Peut-être que c'est ça
le style de Flaubert. Peindre son temps au point de rebuter son lecteur avec
tout ce qui le rebute lui-même. Flaubert eut été peintre, il aurait représenté
la laideur avec maestria.
Deviendrai-je mystique avec le temps que je ne trouverai pas
plus grâce aux yeux du maître. Avec lui la vie s'observe, se palpe, se respire,
se dépeint. Elle s'écrit avec des phrases d'orfèvre. Elle ne s'inspire pas.
Alors le style de M. Flaubert, il est beau. C'est vrai. Mais
la perfection ça manque de chaleur, de sensibilité, ça sent l'obsession
maniaque. Ça ennuie. Et ça m'a fait perdre le goût des belles phrases. Dommage.
vendredi 21 octobre 2016
Sur les chemins noirs ~~~~ Sylvain Tesson
En écoutant Sylvain Tesson dans
son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une
fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur
les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de
sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi,
il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers
pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée
par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses
chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique
intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne
sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement
de la nuit éternelle.
Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens !
L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la
route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et
de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler
derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont
restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres
infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas
son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on
parle de nature avec Sylvain Tesson,
il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du
monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral,
audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui
aurait dû le tuer.
La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la
quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de
cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il
a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un
ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course
grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau
compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une
colonne vertébrale brochée.
L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de
la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la
vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un
autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau.
du sérieux que diable !
Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de
notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert
des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume
dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance
de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.
La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de
l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards
de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit
notre pays qui n'inspire plus ?
mercredi 10 août 2016
La Horla ~~~~ Guy de Maupassant
Nombre de couvertures des multiples éditions de cet ouvrage
de Maupassant, le Horla, sont illustrées par le célèbre tableau de son ami Gustave
Courbet : le Désespéré. Il saute aux yeux à sa lecture que cette mise en image
est on ne peut plus appropriée au contenu de ce recueil. Surtout pour la
nouvelle première qui lui vaut son titre.
Il est une autre évidence, en tout cas pour ce que j'ai
ressenti à cette lecture, qui est que, dans cet ouvrage, Maupassant se joue de
son lecteur. La maturité de sa renommée lui autorise cette liberté. Quitte à
perdre de l'audience.
Chacune de ses nouvelles laisse son lecteur sur sa faim. Car
elles n'ont pas de fin justement. Encore moins de morale. Maupassant laisse
cette responsabilité à son lecteur. Mais au final celle qu'il pourra tirer ne
saurait être immorale car les bonnes moeurs sont préservées. Il abandonne son
lecteur au milieu du gué. Le laisse imaginer la suite. Voire même parfois
construire le puzzle dans lequel chaque fragment de vie trouvera sa place.
Chaque nouvelle est comme un instantané pris dans la vie de
ses personnages, un épisode extrait au hasard du roman feuilleton de leur
existence. On regarde avec lui quelques photos, sans autre rapport elles que
d'être enfermées dans le même album.
On sent bien que l'effet est recherché. C'est toutefois peu
frustrant. N'est resté à mes yeux que le formidable style de son auteur pour
sauver ce recueil de la perplexité, parfois de la langueur, dans laquelle il
m'a plongé.
samedi 9 juillet 2016
La part manquante ~~~~ Christian Bobin
La prose de Christian Bobin n'est jamais qu'une poésie qui s'affranchit de la contrainte de la rime.
Une autre marque de fabrique de cet auteur est son obsession à prendre le contre pied des évidences, du communément admis par la pensée éduquée à l'observation de la vie. Point d'expérience qui vaille, tout est remis en question. le bonheur attriste quand le malheur soulage, la lumière coagule quand le sang étincelle.
Heurts et malheurs du lecteur que je suis, balloté, harcelé par l'indiscipline des phrases courtes qui fusent, par la fulgurance de traits de pensée qui lacèrent mon ciel comme des comètes.
Il faut s'y faire, la pédagogie de l'expérience est bafouée, l'esprit foisonne en désordre. La part manquante est un beau fouillis duquel on a du mal à extirper l'intention de l'auteur. Y'en a-t-il d'autre d'ailleurs que celle de satisfaire un esprit qui cherche à en féconder un autre.
On peut le lire en tout sens, en tout temps. Je perds pied quand même.
Attention à l'overdose.
Mais avec Christian Bobin on se rassure, la mort est une naissance. Un ouvrage
en appelle un autre.
mercredi 25 novembre 2015
L'écume des jours ~~~~ Boris Vian
L'écume des jours ! Difficile d'avoir un avis mitigé. On
aime ou on n'aime pas. Je ne connaissais Boris Vian que de nom. Cette lecture m'a donné le goût de
m'intéresser à ce phénomène qui a pu produire un tel ouvrage. Je me suis
documenté sur sa vie, son œuvre. J'ai alors fait connaissance avec un musicien
passionné de Jazz, un formidable touche-à-tout qui s'est distingué dans
tellement de disciplines artistiques et culturelles. Le magnifique site
Internet qui lui est dédié restitue bien l'originalité de ce personnage
truculent. Je suis convaincu qu'il l'aurait aimé. De son côté Patrick Poivre
d'Arvor lui a consacré une fort belle émission dans sa série "une maison,
un écrivain". Combien de célébrités du monde la chanson ont chanté ses
textes innombrables ?
En refermant cet ouvrage, le cartésien que je suis se demande encore comment il
a pu en venir à bout. A n'en pas douter à cause de son côté émotif. Car L'écume
des jours est avant tout une belle histoire d'amour. Seulement voilà, c'est
loufoque au possible. Ça respire la "provoc" du courant zazou des
années 40, même si Boris Vian ne l'a pas revendiqué. C'est un pied-de-nez à la
société de la vieille Europe qui ne s'est pas remise du traumatisme de la
guerre. Boris Vian lui désigne un nouveau modèle de vie. Celui qui a enfanté le
jazz.
Dans sa vie trop courte, il n'a pas connu le succès espéré avec cet ouvrage.
Ses contemporains avaient les pieds sur terre, ou plutôt dans la boue, celle du
marasme des années 40. Ils n'étaient pas prêts à se faire bousculer par le
saugrenu, le décalé, jusqu'à l'absurde.
Car il faut tout changer dans cette société, pour ne pas repiquer au drame. Il
y a dans cet ouvrage comme une urgence à faire bouger les choses. La vie est
courte. Celle de Chloé, mais peut-être aussi celle de son auteur. La vie ne
doit pas être prise au sérieux. Sauf quand elle met ton amour en danger. C'est
alors l'escalade dans le délire. La machine s'emballe. A sa manière, Boris Vian
te jette à la figure le ridicule du quotidien, de tous les gestes, de toutes
les paroles de ceux qui vivent quand d'autre meure. D'autre que l'on aime
par-dessus tout.
Mais même dans la tragédie, la dérision relève la tête. Alors quand Chloé est
aux portes de la mort, il nous pose une question : "…est-ce que du point
de vue moral, il est recommandable de payer des impôts, pour avoir en
contrepartie le droit de se faire saisir parce que d'autres payent des impôts
qui servent à entretenir la police et les hauts fonctionnaires, c'est un cercle
vicieux à briser, que personne n'en paie plus pendant assez longtemps et les
fonctionnaires mourront tous de consomption et la guerre n'existera plus."
Alors, on aime ou on n'aime pas ? J'avoue quand même que j'ai eu du mal. Et
même si je reconnais qu'il y a quelques pépites que je resservirais volontiers,
j'ai du mal à voir dans cet ouvrage ce qu'on vante dans les milieux
"autorisés" comme l'un des cent meilleurs romans du XXème siècle.
J'ai plus été fasciné par le personnage, son urgence prémonitoire de consommer
la vie par les deux bouts, que par cette œuvre.