Comment se faire une idée de ce que pouvait être la vie des petites gens dans le sud espagnol, à la fin de la Reconquista, si ce n'est en lisant Les révoltés de Cordoue.
Des êtres sur le qui-vive perpétuel, dans un monde où règne la loi du plus fort. Des animaux traqués en quête de leur subsistance quotidienne, dans une société régie par les coutumes et la foi. La hiérarchie était celle de la naissance, la légitimité de toute position sociale celle de Dieu et la loi dictée par la religion. Bien piètre perspective pour le mal-né, le manant. Il n'avait alors de salut que dans le choix d'une mort fidèle à sa foi religieuse.
S'il est une constante en ce monde ce sont bien les conflits inter religieux. Notre actualité nous le prouve tous les jours. En cette fin de XVIème siècle en Espagne, après les juifs, un siècle plus tôt, les musulmans d'Andalousie à leur tour n'ont d'autre choix que se convertir ou s'expatrier, après sept siècles de coexistence confessionnelle.
C'est l'atmosphère dans laquelle évolue Ibn Hamid, alias Hernando Ruiz, maure espagnol traqué par une inquisition triomphante à l'heure où le christianisme reprend le monopole des consciences. Et pourtant, en dépit du double handicap d'être né maure et au bas de l'échelle sociale, notre héros va naviguer en eaux troubles, rejeté par les siens, mal accueillis par les chrétiens, et curieusement monter dans l'échelle sociale grâce aux sauvetages que sa philanthropie lui dicte aux hasard de ses revers de fortune.
Né d'une femme violée par un prêtre, il consacrera sa vie à tenter de mettre en
évidence les traces dans la genèse de chaque religion qui pourraient les
rapprocher et les faire vivre en harmonie. Il gardera au coeur l'amertume de
voir ces deux mondes restés irréconciliables
Les cruautés sont le lot quotidien de ces êtres enchaînés par leur foi. On
s'étonne de la froide détermination des tortionnaires à tailler dans les
chairs, briser les membres, faire couler le sang, arracher les enfants à leur
mère. On s'étonne encore plus à voir les suppliciés chevillés à leur foi, lui
rester fidèles sous le calvaire de la question. Doux euphémisme qui ne traduit
pas son lot d'horreur et de souffrance. Les sentiments, les convictions sont
d'autant plus forts que le contexte dans lequel il s'exprime est féroce.
C'est un ouvrage qui montre la force de l'ancrage de la religion transmise à la naissance, perpétuée par l'éducation, la force des femmes qui, plus que les hommes, endurent les conséquences des conflits, la force des sentiments de cette époque régie par des valeurs dont notre monde d'aujourd'hui se démunit.
Toutefois, l'écueil potentiel avec ce genre de gros volume est de provoquer des
longueurs dans l'intrigue. La plume facile d'un auteur capable de produire une
telle fresque historique romancée peut fort bien être trahie par son souci du
détail et se trouver à la peine pour conserver l'attention de son lecteur au
long de certains chapitres. C'est un peu ce qui se produit avec cet ouvrage
d'Ildefonso Falconnes. Il n'aurait pas démérité avec une réduction d'un bon
tiers de son nombre de pages. A l'instar de la
cathédrale de la mer qui m'avait incité à m'attaquer à ce nouveau
roman de son auteur.
La traduction a-t-elle aussi peut-être modernisé certaines expressions au point de les rendre presque anachroniques ? Les révoltés de Cordoue, qui aurait pu conserver son titre original, La main de Fatima, n'en reste pas moins un excellent ouvrage remarquablement documenté sur une période douloureuse de l'histoire de l'Espagne. Je le recommande aux amateurs de beaux romans historiques.