Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 24 février 2016

Si c'est un homme ~~~~ Primo Lévi

 



Que dire en refermant cet ouvrage ?


Les mots, les miens, ceux d'un lecteur libre et bien nourri, seront impuissants, et peut-être même indécents.


Lisez les siens !




vendredi 19 février 2016

Le rapport Brodeck ~~~~ Philippe Claudel

 


"La guerre ravage et révèle." C'est la réflexion que fait Brodeck au maire de son village en citant une poésie ancienne. Il faut dire qu'il en sait quelque chose sur la nature humaine, Brodeck, lui qui est revenu d'où on ne revenait pas. Mais peut-être ne s'en est-il pas sorti lui-même sans remords. Lui dont l'innocence a dû s'humilier pour survivre. "Moi, j'ai choisi de vivre, et ma punition, c'est ma vie", quand tant d'autres ne sont pas revenus de l'enfer.

Et lorsque la paix retrouvée, un inconnu se présente au village, avec l'intention d'y séjourner, les interrogations vont bon train. D'autant qu'il semble plutôt perspicace pour ausculter les consciences, cet inconnu, sans toutefois être très causant. Une présence étrangère silencieuse, ça fait naître l'inquiétude et courir les rumeurs. La population du village pourrait bien en avoir sur la conscience justement, au lendemain de la guerre.

Aussi, lorsque comme un seul homme, la population du village lui aura réglé son compte à cet étranger embarrassant, c'est à Brodeck, le seul à avoir fait des études, que le maire du village demandera de rédiger le rapport. Peut-être aussi pour l'impliquer, car il n'a pas participé à la folie meurtrière. Un document que le maire veut suffisamment complaisant pour ne rien expliquer.

C'est avec un style qui fait de cet ouvrage une grande allégorie que Philippe Claudel dresse une fresque de la nature humaine, capable de faire de gens ordinaires des monstres. Que ce soit en circonstances de guerre ou non. Mais à l'instar de Romain Gary, il ne blâme pas les hommes. Qui est le vrai responsable ? "Dieu? Mais alors, s'Il existe, s'Il existe vraiment, qu'Il se cache. Qu'Il pose Ses deux mains sur Sa tête, et qu'Il la courbe … aujourd'hui, je sais qu'Il n'est pas digne de la plupart d'entre nous, et que si la créature a pu engendrer l'horreur, c'est uniquement parce son Créateur lui en a soufflé la recette?"


jeudi 11 février 2016

L'arbre du pays Toraja ~~~~ Philippe Claudel

 


Une âme plane dans l'infini de l'espace et du temps. Elle s'installe un jour dans une enveloppe charnelle. le temps d'une vie, l'intemporelle se contraint alors au rythme d'une horloge biologique. Devient conscience. Se tourmente de questions. Sur l'avant, l'après, le pourquoi. Puis s'arrête un jour le tic-tac du temps et retourne à son infini. N'est-ce que cela la vie ?

Les peurs, les douleurs des autres nous ramènent aux nôtres. Au chagrin de la perte de son ami, un auteur scénariste se plaît à imaginer que le livre dans lequel il évoquera son souvenir va se refermer sur son esprit, l'inclure à jamais dans son texte et le faire monter peu à peu vers les cieux. Comme le fait le peuple Toraja des enfants morts en bas âge, en plaçant leur corps dans une cavité d'un arbre majestueux. Il les emporte alors vers le ciel au rythme lent de sa croissance ligneuse.

Un texte fort. Conceptuel. Une élévation. Un texte qui dédramatise la mort.


mardi 9 février 2016

Education européenne ~~~~ Romain Gary




Lorsque Romain Gary prend la plume pour écrire ce qui deviendra son premier roman édité sous ce nom, il ne connaît pas encore l'issue de cette guerre qui écrase son pays natal sous la botte des feldgrau de l'Allemagne nazie. L'Europe est plongée dans la dévastation. Pourtant, lui n'accable pas l'espèce humaine. Il est convaincu que l'homme, fût-il allemand, n'est pas responsable de son malheur : "Mon Dieu, est-ce vraiment Toi qui tire les ficelles. Comment peux-Tu ? Comment peux-Tu ? "

Au comble de la détresse, Romain Gary condamne la guerre à sa manière. Il ne s'épanche pas sur le sort des victimes. Ne Console ni ne plaint. Il ne vilipende pas non plus les traitres et les bourreaux. Il use du subterfuge de la déraison pour les engloutir dans le grand tourbillon du ridicule. Tel sergent décore de sa croix de fer la neige pour saluer son rôle dans le sort des batailles. Tel général soviétique se fait tirer l'oreille pas son petit caporal de père. Tels soldats allemands chevauchent des troncs d'arbres dans un ballet nautique délirant sur la Volga.

1943 ! L'issue de la guerre n'est pas encore envisagée. Quand sa ville natale est le théâtre des exactions qui banalisent la mort, Il lance ce "cri désespéré qui semble clamer d'avance la certitude de l'échec, la vanité de toute tentative, le deuil fatal de tout espoir humain."

La Bataille de Stalingrad sera peut-être un tournant. C'est la première fois que l'armée allemande est tenue en échec. Janek a alors 15 ans, son père l'a mis à l'abri dans une cache souterraine. Les événements le dépassent, mais les épreuves le rattrapent et lui volent sa jeunesse. Une maturité venue trop vite le jette dans l'action. Il rejoint un groupe de partisans qui se cache au coeur de la forêt.

"Education européenne, pour lui ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes…". C'est cet énorme gâchis que Romain Gary dénonce. Mais il le dit et le répète : "Ce n'est pas la faute des hommes. C'est la faute à Dieu."

1943 ! Il faut se mettre dans la peau de cet homme, auteur au succès encore en devenir, qui a choisi de combattre avec les Forces françaises libres. Alors que le bout du tunnel n'est pas en vue, il prend la plume pour crier l'absurdité de la guerre, tout en rejetant le défaitisme. N'a-t-il pas choisi la lutte, en contradiction avec ses convictions humanistes.

A contre-courant du catastrophisme général, il se force à envisager un sursaut de sagesse. C'est pour cela que Janek rencontre l'amour au coeur de l'hiver et de la misère, au fond de son trou dans la forêt, quand un sac de pommes de terre est une manne tombée du ciel. C'est pour cela qu'il arrache Zosia à son commerce infâme qui lui fait vendre son corps à l'ennemi pour la bonne cause.

Roman noir écrit au plus profond de la guerre, mais roman d'espoir quand même. La raison des hommes triomphera de la déraison dans laquelle les plonge son Créateur. La démence déploie ses ailes dans des chapitres qui tirent en longueur. Mais n'est-ce pas cela cette guerre qui n'en finit pas et qui ne peut être qu'oeuvre de folie. Ne sommes-nous pas 1943 ?