Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 12 février 2017

Check-point ~~~~ Jean-Christophe Rufin

 


L'univers des ONG est rarement exploré dans la littérature romanesque. Il l'est dans cet ouvrage de Jean-Christophe Ruffin. Certes pas forcément à son avantage. Mais après tout, ce n'est pas parce qu'elles oeuvrent dans l'humanitaire qu'elles devraient être exemptes de défauts. Elles aussi sont des entreprises humaines. Elles n'échappent donc pas aux rivalités de toutes sortes. C'est aussi ce qui donne sa crédibilité à pareil ouvrage.

Intervenant dans les zones de conflits, les ONG peuvent être malgré elles un canal d'infiltration pour des individus profitant de la couverture humanitaire et ainsi mener à bien des agissements partisans. Maud et Lionel, deux membres d'une ONG lyonnaise vont faire les frais de ces intentions divergentes. Les coéquipiers qui embarquent avec eux dans le convoi de ravitaillement affrété pour secourir des familles musulmanes encerclées dans la poche de Kakanj, au centre de la Bosnie alors en plein chaos, ne sont pas tous motivés que par des intentions humanitaires.

Les guerres civiles donnent champ libre à tout ce que la terre comporte de malfaisants pour commettre leurs crimes en toute impunité. Elles leur donnent l'occasion de s'approprier des biens et des territoires qu'ils contrôleront en installant ce genre de postes frontières, aussi mobiles qu'éphémères, que le langage moderne a retenu sous l'anglicisme de check-points.
Durant le conflit bosniaque des années 90, l'imbrication des zones ainsi contrôlées par les trois belligérants résultait de la même imbrication des communautés qui vivaient autrefois en harmonie. Avant que la haine ne se prenne à gouverner les esprits. Les frontières étaient alors devenues aussi mouvantes que fluctuants les rapports de force. Un parcours au travers de l'ex Yougoslavie était ainsi jalonné de franchissements de Check-points, le plus souvent improvisés par des milices de défense auto proclamées. Elles menaient alors leur entreprise scélérate sous couvert de motivation politique.

Jean-Chritophe Ruffin a donc choisi ce contexte pour mettre en scène son roman. L'intrigue conserve sa vraisemblance tout au long de ce road movie en presque huis clos, d'un check-point à un autre. La présence d'une femme dans l'aventure la supplémente avec avantage d'une affaire de cœur. Même si l'entreprise a une vocation humanitaire, le lecteur est préservé de la grandiloquence de bons sentiments sur vitaminés. Il est tenu en haleine jusqu'au tableau final où tout peut arriver.

En nous immergeant dans les péripéties de l'action humanitaire ce roman nous désigne ses acteurs comme de véritables aventuriers. Voilà un très bon ouvrage qui nous rappelle au passage à la précarité des situations de paix. Jean-Christophe Ruffin le souligne avec grande lucidité dans sa postface : "Il y a dans ce passé déjà lointain un peu de notre présent et, je le crains, beaucoup de notre futur". Restons vigilants.

Les années douces ~~~~ Iromi Kawakami

 



Cet ouvrage, j'ai failli l'abandonner. Je sais maintenant que je le relirai. Libéré que je serai de ma soif de sensation. Libéré que je serai de l'avidité de son l'épilogue. Je pourrai alors savourer l'humilité de chacune de ses phrases. Je pourrai comprendre la raison d'être d'autant de futilités. Celles d'une vie ordinaire. Je saurai alors qu'il ne faut pas chercher de cohérence chez qui se cherche lui-même. Je saurai alors pourquoi des années si pauvres en événements auront été … Les années douces.

Cette histoire est à la fois simple et insolite. Mais le lien qui, à son corps défendant, va unir Tsukiko à son ancien professeur de japonais est tissé par la pureté des sentiments. La démarche est hésitante et chaotique, souvent embrumée par les vapeurs de saké. le discours est économe. le vocabulaire est pauvre. Ce dépouillement déconcerte dans la première moitié de l'ouvrage. Il trouve sa glorification dans la seconde.

Dans notre société cupide et frivole, on oublie que la richesse est à portée de main. On oublie que les convenances sont autant d'entraves à la spontanéité. On oublie que quelques mots maladroits, mais sincères, peuvent suffire au cœur.

Ce roman n'affiche pas de prétention. Oubliées chimères et convoitise, il saura combler son lecteur et lui dire comment l'ordinaire peut devenir prospère.

jeudi 9 février 2017

L'éducation sentimentale ~~~~ Gustave Flaubert

 


Le style. Ah ! le beau style de monsieur Flaubert. Oui mais …

Je me suis donc risqué au style de ce ténor du langage, tout seul, comme un grand, avec la lecture de L'éducation sentimentale, que les initiés hissent très haut sur les rayons de la littérature classique. Moi qui n'ai à me reprocher d'autre étude littéraire que celle d'un bac scientifique. Moi qui me rangeais du côté des férus de trigonométrie pour brocarder nos congénères des classes littéraires.

Pour ma défense, et contre toute attente, j'avoue avoir toujours eu un a priori favorable pour cette époque, chère à Flaubert, où quelques perspectives parisiennes ouvraient encore sur des pans de campagne, où les rues de notre capitale n'étaient pas encore ceintes de l'anneau sonore et empuanti d'un boulevard périphérique. Bien que des encombrements elles en connaissaient déjà, les rues parisiennes de Flaubert. Mais les senteurs étaient plus fauves, les sonorités moins ronflantes, les voix humaines encore audibles au dessus du tumulte urbain. Et Dieu sait si Flaubert, en stakhanoviste du langage qu'il était, s'attachait, s'évertuait même, à les décrire avec une minutie obsessionnelle, avec tant de détails que l'action en est devenue anecdotique. Point de rêverie inspirée toutefois chez lui : du réel et du concret, de la précision dans le trait, les formes, les matières, les couleurs. De la précision à longueur de chapitres avant même que de cette exactitude n'émerge un geste, un événement, une intention, une vibration, une peur, une joie, enfin quelque chose qui nous fasse comprendre que le décor n'est qu'un écrin de la vie des hommes, que le langage n'est qu'un moyen de le traduire. Et non une finalité.

En plaidoyer à pareille incursion dans la littérature du 19ème siècle j'avoue en outre avoir adjoint à ce penchant nostalgique, un faible pour les convenances, surtout quand il s'agit d'arpenter le long chemin si périlleux qui mène au coeur des dames. Notre vocabulaire contemporain ponctué d'anglicismes, dont les locuteurs eux-mêmes ignorent jusqu'au sens, le culte de la médiocrité assumée, l'inconséquence et la vulgarité de notre temps me rebutent quand même parfois. Tout cela me fait regretter les tournures enflammées au verbe bien calibré, la sensualité des belles phrases que notre langage moderne d'onomatopées a désormais phagocytée.

Le penchant pour les sciences qui a gouverné ma vie avait quelque peu bâillonné ma sensibilité. Avec l'âge elle refait surface. Dois-je parler de romantisme, quand Flaubert qualifiait ces épanchements de "désespoir factice", réfutait " cette espèce d'échauffement qu'on appelle l'inspiration" et jugulait ces élans du coeur pour donner corps dans ses écrits à un pessimisme chevillé à l'âme.

Je me rappelle m'être alangui avec Madame Bovary, assoupi peut-être même. J'ambitionnais le retour en grâce du roman psychologique, le réveil de la passion. J'ai sombré avec l'Éducation sentimentale. J'ai découvert que lorsqu'un amour est impossible, avec Flaubert, il le demeure. Aussi, l'entêtement érodant la sensualité, je me suis enlisé dans les longues litanies descriptives du maître, plus figuratives que les toiles de ses contemporains paysagistes. Je me suis laissé obnubiler par les oscillations entre bienséance et illusion amoureuse, horripiler par les atermoiements infligés par fortune et rang social.

Peu d'événements, rien d'émoustillant dans la vie de Frédéric Moreau, pâle héros impuissant à conduire sa propre vie, empêtré qu'il est dans les contingences matérielles, les codes sociaux. Homme de toutes les faiblesses, il laisse couver son feu intérieur plutôt que lui donner l'oxygène qui le ferait devenir flamme et réduire en cendre ce décor dans lequel il se dilue. Dans lequel Flaubert le dilue. A force de le fignoler ce décor, de le ciseler, de le polir, de le retoucher. Pour qu'il soit parfait.

Oui, mais voilà, la perfection, c'est peut-être aussi l'ennui. Il lui aurait peut-être bien fallu un petit grain de folie à ce Frédéric Moreau pour aller forcer la porte de son aimée et l'emporter, la ravir à son confort. Car certainement qu'elle aussi s'ennuyait dans sa vie bourgeoise bien rangée.

Décidément il manque encore quelque chose à mes affinités littéraires pour décoder la quintessence de ce style dont on vante la perfection, en isoler les constituants et goûter les subtilités, l'excellence d'un auteur perfectionniste à l'extrême autant que besogneux. Et oublier le besoin d'action. Je n'ai pas perçu le piquant de cette passion amoureuse irraisonnée que la morale de son siècle réprouvait. Il me reste à l'esprit qu'une sorte de fadeur de personnages sans lustre, la représentation d'une société bourgeoise que Flaubert exècre tant qu'il veut nous la dépeindre dans le plus infime détail, le plus pâle reflet. Il me colle au souvenir une forme de grisaille. Cela me laisse imaginer sans peine les murs et les ruelles sombres de notre capitale au crépuscule du romantisme. Peut-être que c'est ça le style de Flaubert. Peindre son temps au point de rebuter son lecteur avec tout ce qui le rebute lui-même. Flaubert eut été peintre, il aurait représenté la laideur avec maestria.

Deviendrai-je mystique avec le temps que je ne trouverai pas plus grâce aux yeux du maître. Avec lui la vie s'observe, se palpe, se respire, se dépeint. Elle s'écrit avec des phrases d'orfèvre. Elle ne s'inspire pas.

Alors le style de M. Flaubert, il est beau. C'est vrai. Mais la perfection ça manque de chaleur, de sensibilité, ça sent l'obsession maniaque. Ça ennuie. Et ça m'a fait perdre le goût des belles phrases. Dommage.


jeudi 2 février 2017

Les tendres plaintes ~~~~ Yôko Ogawa


 

Même dans la multitude la vie des hommes est histoire de solitude.

Ruriko, l'épouse délaissée par son mari volage dans le japon contemporain, tente de dissoudre son amertume loin de l'univers de sa déconvenue. Elle se réfugie dans le chalet de son enfance.

Inhibé par la présence d'un auditoire, les mains de Nitta se crispent sur le clavier de son piano. Son talent ne peut s'exprimer que loin de ceux qui pourraient le reconnaître. Il a choisi de s'isoler lui aussi et d'exprimer sa créativité dans la fabrication de son instrument de prédilection. Il est devenu facteur de clavecins.

Deux solitudes confrontées à l'errance. Leurs chemins vont se croiser. le fantasme les effleurera de trouver ensemble consolation à leur désillusion.

Dans cet ouvrage un peu sombre, où deux êtres sont en quête d'un sursaut du destin, les seconds rôles sont attribués à qui ou quoi n'a de prise sur l'événement qu'en prétexte à y trouver diversion aux déboires de la vie.

Quoi, c'est le clavecin. Il est omniprésent dans cet ouvrage. On le personnifie. On l'assassine quand un exemplaire présente un défaut de fabrication qui en fait un objet dépossédé de sensualité musicale. On l'inhume, on lui dresse sépulture.

Qui, c'est Dona le chien aveugle et sourd. Sa perception du monde, c'est la caresse de son maître. Il ne se plaint pas. Sa compréhension de la vie lui fait trouver satisfaction avec un biscuit ou une odeur familière.

Roman aux saveurs douces-amères d'une culture japonaise tout en pudeur et retenue. Sans effusion. Des pleurs silencieux. Des espoirs jamais formulés. Superstition ou sobriété culturelle ? Des embrassades chastes et prudentes.

J'ai regretté quelques incohérences. L'auteure n'a pas dû avoir de chien sourd et aveugle. Elle ne le ferait pas sauter de ses bras ou divaguer au bord de la rivière ou encore se «jeter en courant de la terrasse pour se précipiter vers moi » - page 172 Editions Babel.

Les métaphores et images ne sont pas toujours très heureuses. Elles manquent de force suggestive, de poésie. Faiblesse de la traduction ?

Il n'en reste pas moins que cet ouvrage rend fort bien une atmosphère d'états d'âme maîtrisés, auréolée de pudeur chevillée au coeur, très typique de la culture asiatique. J'ai aimé son épilogue dénué de mièvrerie, aux antipodes de ce que l'on nous sert trop souvent de nos jours. Mais il ne faut pas en parler.