Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 10 décembre 2019

Je me souviens de tous vos rêves ~~~~ René Frégni

 



"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir demeurer en repos dans une chambre" nous disait Pascal. Avec ses mots à lui, René Frégni n'a de cesse de nous le resservir.

Cet utopiste avait imaginé que l'on pût se complaire dans la compagnie des livres sans se préoccuper du lendemain

De cette incapacité à vivre de contemplation naissent trop de carences qui nous livrent à un monde de confrontation. Y compris quand elle se manifeste par la voix de banquiers, lesquels viennent rappeler à la réalité économique le libraire de Banon. Cet utopiste avait imaginé que l'on pût se complaire dans la compagnie des livres sans se préoccuper du lendemain. Rattrapé par ses dettes, il apprit à ses dépens qu'on ne peut vivre seulement de rêves sous la tonnelle de son jardin. Comme l'avait sans doute appris elle aussi cette jeune voisine que Frégni observe de chez lui et qui confine sa solitude dans la fumée de sa cigarette.

Lui, René Frégni, s'est rescapé du naufrage en couchant sur le papier ses rancoeurs contre un monde de violence. Il a ainsi fait de sa mélancolie un bonheur. Il a appris à dire aux autres le bien-être qu'il y a à se libérer des contraintes que nous impose notre nature. Lui refusant ce vers quoi elle nous pousse avec entêtement : la convoitise.

Favoriser l'évasion qu'autorisent les mots avec l'imagination pour seule clé de la liberté

Tout lui est prétexte à prendre carnet et crayon. A jouir de voir les mots s'égayer sur les pages comme les oiseaux s'élancer vers le ciel lorsque s'ouvre la cage. C'est pour cela qu'il anime des ateliers d'écriture. Favoriser l'évasion qu'autorisent les mots avec l'imagination pour seule clé de la liberté, à défaut de voir s'ouvrir les lourdes portes de la prison. Puisqu'il faut bien rendre des comptes à la société quand on a meurtri ses membres.

Peut-être n'a-t-il pas encore tout dit, peut-être n'ai-je encore pas encore suffisamment lu René Frégni pour savoir ce qui a bien pu le mettre en butte à toutes les institutions, à commencer par l'école. Le coeur tendre qu'il est y a sans doute fait son apprentissage de la violence pour en avoir une telle répulsion. Au point de s'enivrer désormais de la paix des gens simples et tranquilles, de la nature, dans les endroits où l'homme n'a laissé qu'une empreinte que la première pluie effacera.

Pourquoi tout le monde ne satisfait-il pas de s'enivrer de l'air des collines et remplir ses yeux des couleurs de l'automne ?


vendredi 6 décembre 2019

La femme de trente ans ~~~~ Honoré de Balzac

 



Ce fut bel et bien un coup de coeur. Julie était tombée sous le charme de l'officier portant beau dans son uniforme chamarré. La lune de miel n'aura pourtant pas duré longtemps. Les élans de celui qui sera devenu son mari feront dire à l'histoire que le coup de coeur ne fut qu'un coup de tête de la jeune écervelée, mais entêtée Julie, que son père n'aura su réprimer.

Cette entrée en matière donne à Balzac le champ pour se lancer dans une analyse sur les déboires et déconvenues de la vie matrimoniale, venus se substituer à tous les rêves insensés que peut nourrir le coeur tendre d'une jeune fille. Il nous dresse un tableau calamiteux de la noble institution du mariage sous le sceau de laquelle "l'homme a toutes les libertés et la femme tous les devoirs".

Un ouvrage qui fait s'étonner le lecteur quant au titre que Balzac a voulu lui donner, car il s'agit bien de suivre la malheureuse Julie d'Aiglemont sa vie durant, de sa prime jeunesse jusqu'à son dernier souffle. Mais il coupe court aux interrogations quand ce même lecteur découvre son engouement pour "ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des femmes" parvenues à ce stade où "elles connaissent tout le prix de l'amour et en jouissent avec la crainte de le perdre". Autour des trente ans, il n'est que frivolité inconséquente en amont, regret d'une jeunesse qui s'enfuit en aval. Comment ne pas y lire le secret fantasme d'un auteur prolixe pour ce qui est en ce siècle une majorité accomplie.

Et pour perdre Julie corps et bien dans son naufrage, sa déconvenue sur le mariage ne lui fera pas pour autant reporter son affection vers sa progéniture. A ses yeux les enfants qui naîtront de l'union avec son époux ne seront que des "enfants du devoir" et non ceux de l'amour, auxquels elle ne s'imposera pas en outre le devoir de leur consentir un amour maternel assidu. Ses échappatoires romanesques dans les bras de quelques amants touchés par sa beauté auront la même conclusion périssable. Femme, mère, épouse, la vie de Julie aura été un champ de ruines. C'est pourtant elle qui survécut à toute la famille.

Triste fresque que nous dépeint Balzac sur l'institution du mariage, contrainte par les codes moraux de la bonne société de l'époque. Ils ne laissaient que peu de latitude à la jeune épousée. On ne défait pas en ce temps un mariage qui n'a pas répondu aux aspirations légitimes. On le subit. Et la soumission étend son préjudice sur plusieurs générations quand les enfants n'y trouvent pas leur compte en termes d'affection. Les solitudes s'additionnent sans se compenser, les rancoeurs se multiplient sans s'abolir.

Si l'on n'est pas surpris dans un roman balzacien par les longueurs descriptives et l'interprétation des sentiments au travers de chaque geste ou attitude, on l'est plus par la structure de cet ouvrage qui agglomère ce qui aurait pu s'éditer en six nouvelles. On est encore plus déstabilisé par les alternances de rythme qu'il imprime à ce périple romanesque dans lequel certains passages nous versent sans transition des atermoiements du cœur à l'aventure la plus folle. Y compris quand il faut déchoir une fortune bien assise par des spéculations hasardeuses et jeter sa victime dans un exil américain. Le roman sentimental se fait roman d'aventure aux multiples rebondissements.

Une lecture en forme de goutte d'eau dans l'océan qu'a été la production littéraire de Balzac. Immense bibliographie qui a le mérite de nous dépeindre par le détail les mœurs de son temps. Un ouvrage qui est arrivé à point dans mon parcours de lecture pour compléter un de ces cycles historiques auquel je m'adonne parfois avec appétit. Je venais de refermer le siècle des lumières et l'Été des quatre rois (Charles X et consort) que j'avais beaucoup apprécié, au-delà des références historiques précises, par la qualité de sons écriture.