Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 29 novembre 2020

La forêt des 29 ~~~~ Irène Frain

 

Pourquoi 29, et pas 28 ou 30 ? La réponse est simple et compliquée à la fois. Si on veut faire simple, on répond parce que c'est comme ça. C'est ce que disaient les hommes et femmes qui avaient fait leurs les 29 principes dictés par Djambo. Si on veut approfondir, on lit La forêt des 29 d'Irène Frain.

C'est tiré de faits réels. Cela s'est passé il y a longtemps, au XVème siècle au Rajasthan. Il y a d'ailleurs encore des prolongements de ce phénomène de nos jours. Modestes par leur ampleur géographique certes, mais incommensurables si on les considère à une échelle moins égocentrique que celle de l'individu. Car finalement tout est là. Au niveau de l'individu, cet être qui naît, vit et croît sur terre. Cet être assoiffé de tout pour lui-même et fait qu'aujourd'hui dès des premiers jours d'août la terre vit à crédit sur les ressources qu'elle peut offrir dans l'année.

Djambo aurait pu passer pour un illuminé, un gourou. Mais Djambo a été respecté. Il était "entré dans le non-temps où vivent les héros, les prophètes et les dieux." Respecté même par les plus avides, les plus puissants de ses voisins, lesquels n'avaient de cesse de convoiter, guerroyer, piller, s'approprier personnes et biens. Lesquels n'avaient de cesse d'accumuler des richesses et se vautrer dans les plaisirs, au plus grand mépris de l'autre, de demain. Et quand, par les tenants de l'une ou l'autre des religions, venait la question quel est ton Dieu, Djambo répondait : regarde autour de toi, Dieu est là dans cet arbre, les yeux de cette biche, les ailes de ce papillon, le chant de cet oiseau, le fruit de ce manguier, il est là partout autour de toi. Dieu est là à portée de main, Dieu c'est la Nature. Tout doit être respecté, toute forme de vie sur terre, du plus petit ver de terre au plus grand arbre de la forêt, au mettre titre que cet homme, cette femme ou cet enfant, quelle que soit ses origine, race, apparence et croyances. Avec Djambo, dans la forêt des 29 il n'y avait ni caste, ni clan, ni chef, encore moins de prêtre. Surtout pas de prêtre.

"Ce monde n'est qu'un campement provisoire. Et toute liturgie, un mensonge, une farce…"

Les 29 principes de Djambo – énoncés en fin d'ouvrage - n'ont d'autre finalité que de conserver aux êtres leur liberté, soumis qu'ils resteront aux seules lois de la Nature, afin de préserver le fragile équilibre du Monde. Equilibre qui lorsqu'il est perturbé peut avoir les conséquences les plus néfastes sur la vie des hommes. le problème étant d'en faire comprendre à ces derniers la relation de causes à effets, puisque toujours éloignés dans le temps. Relation que ces derniers se font fort de mépriser, harcelé qu'ils sont par le poison du désir. Criminelle fuite en avant vers une perdition reniée, mais de leur fait devenue inéluctable.

"Le seul lieu des hommes c'est le Temps. Il se chargera de les rattraper."

Un ouvrage qui interpelle à n'en pas douter. Comment ne pas extrapoler à ce que nous vivons aujourd'hui. Car si les appropriations sont moins brutales, encore que, l'irraisonnée soif du bien matériel a toujours la même prégnance sur la vie des hommes. Un ouvrage qui est quant à lui certes un peu long à imprégner son lecteur, mais qui, lorsque son objectif est entrevu, l'absorbe globalement, au même titre, on peut l'imaginer, qu'à pu le faire le regard envoûtant de Djambo sur ceux qui l'ont croisé.

Un ouvrage que j'ai tardé à tirer des rayons de ma bibliothèque. Reposé deux fois après en avoir lu quelques pages. Puis enfin lu. Comme quoi les dispositions d'esprit du moment changent l'abord des choses. Il y a un temps pour tout, tout entendre, tout lire. Car c'est un ouvrage que j'ai finalement beaucoup apprécié, même si son écriture peut comporter à mon sens des anachronismes de langages eu égard à l'époque des faits qu'il relate. Mais n'est-il pas vrai aussi qu'il se raccroche au temps présent tant la nature humaine a aussi peu évolué dans ses défauts depuis les immémoriaux alors que l'animale est restée constante dans son incidence sur la nature.


lundi 23 novembre 2020

La guerre de la fin du monde ~~~~ Mario Vargas Llosa

 


Le Brésil, c'est là que Mario Vargas Llosa a choisi de planter le décor de son roman paru en 1981, La guerre de la fin du monde. Il exploite le fait historique de l'épopée guerrière d'une communauté politico-religieuse en butte à la toute nouvelle république qui venait de mettre un terme au régime conservateur, lequel prévalait en ce pays à la toute fin du 19ème siècle. Cette épopée est connue sous le nom de guerre de Canudos. du nom du village bâti de toute pièce dans la proximité de Salavador de Bahia par la communauté rassemblée autour d'Antonio Conselheiro, communément appelé le Conseiller, dans la région de ce pays que son seul nom suffit à situer : le Nordeste.

La guerre de Canudos a ceci de particulier qu'une colonie autonome de civils, non formés à l'art de la guerre ni équipés pour et désignés sous le vocable de Jagunços (que google traduit par voyous), a mis en échec l'armée nationale au point de lui imposer pas moins de quatre expéditions pour venir à bout de cet îlot de refus d'une république jugée par elle trop laïque et toujours trop favorable aux grands propriétaires terriens. Elle avait en particulier décrété la séparation de l'Eglise et Etat et institué le mariage civil. La répression sera à la hauteur des efforts rendus nécessaires pour venir à bout de ce furoncle sur le dos de la république. Se compteront ainsi sur les doigts d'une main les hommes qui échapperont au coutelas vengeur des assaillants au cours d'un abominable massacre. Ce village premier de Canudos sera rayé de la carte et aujourd'hui englouti sous la retenue d'eau d'un barrage.

Antonio Conselheiro, le Bon Jésus, le Messie revenu sur terre, avait regroupé autour de lui les laissés-pour-compte du Nordeste. Anciens esclaves récemment affranchis, indiens dépossédés de leur territoire, nombre de pauvres déshérités, mais aussi d'autres toutefois moins recommandables aux yeux des autorités en place, anciens repris de justice et donc loin d'être des anges, tous avaient été séduits par le pouvoir de séduction de l'homme à l'allure christique prêchant le détachement des biens matériels de ce monde, le salut de l'âme, la justice. Ils avaient trouvé à Canudos le havre de leur subsistance acquise à la force de leurs bras, de rachat de leur passé ou tout simplement un peu de considération par le nivellement des inégalités.

J'imagine volontiers que l'intérêt de Mario Vargas Llosa s'est porté sur cet événement historique afin d'illustrer les conséquences d'une vie privée de liberté de pensée et d'opinion. Il a mis son talent d'écrivain au service de cette cause dont il connaît trop bien les effets pervers lorsqu'elle est bafouée. Difficile d'élaborer un discours impartial, sans que le moindre écrit ne vienne en confirmation du penchant, lorsque l'on prend parti pour les plus démunis. On comprend dans cet ouvrage que l'auteur détermine son camp par la seule relation de l'anéantissement de ceux qui voulaient vivre d'espoir d'un monde plus fraternel, plus égalitaire et plus juste. Il déploie dans cet ouvrage une formidable capacité à décrire les situations complexes, retraçant avec clarté et discernement les péripéties, analysant les états d'esprits de chacun des protagonistes et les motivations qui les animent.

La fin du monde n'est donc pas à ses yeux l'anéantissement de l'espèce humaine dans l'apocalypse mais bien, au-delà du bain de sang, celui de la liberté d'opinion par ceux qui asservissent la pensée. Savoir le mettre en mots dans un ouvrage dénué d'emportement, favorisé par une écriture accessible au plus grand nombre, même si cet ouvrage souffre de quelques longueur par la précision voulue par son auteur dans la description de l'horreur, cette seule capacité vaut à elle seule la consécration suprême octroyée à ce grand auteur en 2010.


vendredi 20 novembre 2020

Sans feu ni lieu~~~~Fred Vargas

 



Ouvrage duquel le héros récurrent de Fred Vargas, le commissaire Adamsbrerg, est absent. Il connaît pourtant Louis Khelweiler et son animal fétiche, Bufo le crapaud, puisqu'ils ont eu à résoudre ensemble une affaire de déjection canine (voir Un peu plus loin sur la droite, pour les inconditionnels de Vargas). Mais cette fois l'homme au batracien-in-the-pocket se dépatouille tout seul avec ce grand benêt que lui amène son amie Marthe, l'ancienne prostituée au grand coeur, reconvertie en bouquiniste sur les bords de seine. C'est original, mais le trottoir ne se quitte pas comme ça.

Elle est convaincue que le jeune Clément qu'elle a élevé en partie, puisque laissé à la dérive par des parents indignes, ne peut être celui que tout accuse dans l'affaire qui défraye la chronique du moment : les meurtres en série et au hasard de jeunes femmes seules. C'est tout un poème ce hasard d'ailleurs. Mais les flics peu versés à la poésie restent insensibles à la rime qui pourrait les conduire au meurtrier. Aussi, Louis Khelweiler, l'ancien retiré du ministère de l'intérieur, devra donc se débrouiller dans la clandestinité puisque retiré des affaires officielles. Il mobilisera non sans peine ses colocataires du gourbi qu'ils occupent en bonne indépendance les uns des autres, des défroqués de l'institution comme lui et autres universitaires en mal d'université. Une belle brochette d'originaux qui ne manquent pas d'esprit.

Un bon moment de détente que cet ouvrage. Il nous fait mener notre enquête et cache bien son coupable jusqu'au dernier chapitre comme il se doit. le genre d'ouvrage dans lequel on se sent en famille dans l'univers de Fred Vargas tellement on les connaît ces êtres singuliers à la gouaille nébuleuse et la formule argotique. Ils se complaisent en marge de la société à laquelle les nécessités domestiques les rappellent à contre coeur. Il faut dire aussi qu'ils ont des fidélités. La vieille Marthe en fait partie. Alors même s'ils n'y croient pas à son coupable dé

signé mais innocent, parce que c'est elle ils fouilleront Paris. En avouant quand même du bout des lèvres que comme ils disent, les "situations merdiques" ça les stimulent.


samedi 14 novembre 2020

On ne s'endort jamais seul ~~~~ René Frégni



Il y a Marilou dans Elle danse dans le noir. Il y a Charlotte dans Sur les chemins noirs. Voici Marie dans On ne dort jamais seul. Et toujours cette mère qui fait défaut. Eternelle absente du tableau de l'amour. Souveraine absente qui galvanise l'amour paternel, lequel peine à combler le manque. Forcément. Un horrible manque pour qu'une petite fille puisse s'épanouir à la vie. Une petite fille dont le vocabulaire est amputé d'un mot. le plus beau. le plus essentiel : maman.

Aussi lorsque Marie disparaît et que l'enlèvement se confirme, c'est la terre qui se renverse, le ciel qui s'assombrit en plein jour. Pour son père, Antoine, Marie c'est tout : son univers, son avenir, son soleil. Marie c'est sa vie. C'est sa maman disparue.

Celui dont l'enfant a disparu n'a pas droit au désespoir. Désespérer c'est condamner. Aussi c'est avec une rage folle qu'Antoine sillonne Marseille en tous sens, s'agrippe à toutes les aspérités de la vie pour sortir du gouffre dans lequel il est tombé. Il harcèle la police. Il ne dort plus. Il sombre. Pas de désespoir, Il n'y a pas droit. Il sombre d'impuissance.

Jusqu'au jour où il rencontre Jacky Costello. Un ami d'enfance perdu de vue. Et pour cause. Dix ans de prison. La prison est aussi souvent présente chez Frégni que les collines aux senteurs de romarin. Costello c'est le mauvais garçon au grand cœur. Touché par la peine de son ami, il prend les choses en main. Il a des relations. Beaucoup de relations, dans toute la ville. Pas toujours des anges loin s'en faut, mais des fidèles. Il est respecté Costello dans le milieu. Et il a ses méthodes. Des méthodes que ne peut s'autoriser la police. Des méthodes un peu rudes pour faire parler ceux qui auraient pu justifier de leur droit de garder le silence aux yeux de la loi. Avec Costello, Antoine retrouve ses esprits, la tempérance, l'énergie de fouiller Marseille avec méthode cette fois. Il retrouve goût à la vie. La vie de Marie. La sienne reviendra avec.

Quand Frégni donne dans le genre polar, il n'est plus question de nostalgie contemplative d'une Provence chatoyante et nostalgique. le rythme est endiablé. Les coups pleuvent. On fréquente les bas-fonds de la ville, et surtout les confins de la légalité. On n'est plus dans le monde des atermoiements et de la tendresse. La justice est expéditive. On se laisse gagner par la rage de rattraper les malfaisants, les plus monstrueux des monstres, ceux qui s'en prennent aux enfants.

Sauf que, le rythme est tellement soutenu que le roman s'essouffle. L'épilogue tombe aussi franc et vite qu'un couperet. C'est un peu cousu de fil blanc. C'est une fin en surexposition, une élévation. Un tableau épique qui porte aux nues un lien indéfectible : l'amour d'un père pour sa fille. Celle qui restera toujours sa petite fille, Marie.

Le grand gagnant dans tout ça c'est l'élan qui relie un père à sa fille, le lien indéfectible de l'amour réciproque. le grand gagnant c'est aussi l'amitié en dehors des chemins de la légalité. Une amitié forgée dans la rue, souvent à coups de poings. Une fidélité à l'épreuve du temps et des vicissitudes de la vie. Même si ce roman est un peu expéditif on y retrouve une constante chez Frégni, le besoin d'aller chercher cette lueur cachée au fond de l'être qu'il faut savoir extraire comme un précieux minerai pour ne pas désespérer de l'espèce humaine.

 

samedi 7 novembre 2020

Les chemins noirs ~~~~ René Frégni

 



Les chemins noirs de René Frégni n'ont rien à voir avec ceux de Sylvain Tesson. Si pour ce dernier il s'agissait de retrouver ce qui a échappé à l'aménagement du territoire de notre société mercantile dévorant la nature, pour René Frégni il s'agit de se soustraire à la justice des hommes en laquelle il ne reconnaît pas de légitimité. Il est dur de vivre en société lorsqu'on est un idéaliste épris de liberté. On comprend déjà à la lecture de ce premier ouvrage de René Frégni que les contraintes de la vie en société étouffent le poète qui se révèlera dans ses ouvrages à venir. Avec ce premier ouvrage il a sacrifié au besoin de s'exposer dans un roman trépidant, partiellement autobiographique.

Partiellement on l'espère en tout cas. Car si l'on comprend bien que les lois et règlements sont pour lui un carcan et ceux qui les font appliquer des garde-chiourmes, on peut dire qu'il tente le diable dans son rejet des contraintes de la société, allant jusqu'à tuer, certes sans intention de donner la mort ainsi que le qualifierait le juge, pour conserver sa liberté. La cavale effrénée qui s'imposera à lui dès lors sera ponctuée de nombreuses péripéties et autres malversations que la morale réprouve.

Mais que vaut la morale quand elle est écrite par des institutions, civiles ou religieuses, qui n'ont de la personne humaine qu'une notion administrative et comptable destinée à grossir des bataillons de fidèles ou de contribuables dociles. Que vaut la morale quand elle ne voit dans le sentiment qu'une circonstance atténuante dont il faudra encore prouver la sincérité. Ne vouloir vivre que d'amour et de l'air du temps se paie au prix fort.

René Frégni n'est pas tendre avec cette société dont il se fait fort de transgresser les lois, usant volontiers d'humour et d'ironie pour en brocarder les travers et contraintes. La formule lui tombe sous la plume comme grêle sous nuage d'orage; il en use volontiers pour lacérer de ses bons mots les tares et laideurs de l'espèce humaine. La jeunesse de son narrateur a besoin d'amour et des frivolités qui vont avec, mais celles qui croisent sa route et enflamment son coeur le fuient aussi vite que lui la maréchaussée.


Sauf qu'un jour il y aura Charlotte qui ouvrira ses yeux sur la grisaille de ce monde. Cette petite que sa mère de rencontre à Istanbul a abandonnée dans les bras du fugitif qu'il est deviendra son port d'attache, le point focal de son amour. Elle deviendra celle qui lui fera regretter son passé empoisonné. Il sait que Charlotte, a défaut d'avoir une mère, a besoin de sécurité, d'avenir. La fuite salutaire deviendra alors une maladie, un crève-coeur.

Ce premier roman nous donne déjà la clé pour comprendre le contemplatif que deviendra son auteur, niché au creux de ses collines s'enivrant des senteurs provençales. Il confirmera dans ses écrits futurs ce besoin de prendre ses distances avec tout ce qui veut faire autorité. Il y cultivera le fantasme fou de rechercher au fond de tout être mis au ban de la société les rêves d'enfant étouffés dans l'oeuf. René Frégni est un prospecteur qui du désert glacé d'une société avaricieuse tentera d'extraire les coeurs meurtris.


mardi 3 novembre 2020

La Mer de la fertilité, tome 1 : Neige de printemps ~~~~~Yukio Mishima


J'en suis averti, la tétralogie dans laquelle je m'engage en lisant Neige de printemps de Mishima est une oeuvre testament. le testament d'un homme qui n'est pourtant ni condamné par la maladie ni en âge suffisamment avancé pour envisager l'échéance ultime prochaine. Mais pourtant, ainsi que l'écrit Marguerite Yourcenar dans l'essai qu'elle a consacré à cet auteur fascinant – Mishima ou la vision du vide – c'est le testament d'un homme qui prépare son "chef-œuvre" : son suicide rituel.

Cette connaissance de l'acte irréparable est à la fois nuisible et profitable à pareille lecture. En refermant Neige de printemps, le premier tome de la mer de la fertilité, je sais déjà que j'irai au terme de cette splendide œuvre romanesque en me procurant les trois autres opus d'une tétralogie qui prend des allures de monument. Un monument érigé par celui-là même qu'il rappelle à notre souvenir.

Nuisible la connaissance de ce parcours testamentaire, parce que je sais déjà que mon esprit va inconsciemment chercher au fil des pages les indices du cheminement intellectuel vers une fin décidée. Cette quête inconsciente peut me faire reprocher un voyeurisme morbide. Mais profitable plus encore, je veux m'en défendre, sera cette lecture. D'abord parce que les deux autres ouvrages que j'ai lus de cet auteur – le Pavillon d'or, Confession d'un masque – me donnent la certitude de me confronter au talent pur, ensuite parce que ce chemin sur lequel je m'engage est celui qu'il veut faire parcourir à son lecteur dans une démarche initiatique consciente du but fixé.

Kiyoaki est jeune et beau. Satoko est jeune et belle. Ils sont les héros de Neige de printemps. Ils se savent attirés l'un vers l'autre. Mais ne savent pas encore à quel point l'un est devenu indispensable à l'autre. Ils pensent encore pouvoir jouer de leur libre arbitre et mettre leur amour à l'épreuve des codes moraux de la société aristocratique dans laquelle ils sont nés. Ils ne se rendront pas compte qu'un jour ils auront dépassé le point de non-retour.

Neige de printemps est d'une esthétique rare

Il est des fictions tellement bien apprêtées qu'on ne doute plus qu'elles aient été vécues par leur créateur. Des fictions qui mettent tous les sens du lecteur à contribution au point de lui faire vivre les événements, les personnages, au point de le gagner aux émotions de ces derniers. Neige de printemps est d'une esthétique rare. Beauté de la nature, beauté des sentiments, tout est porté par un style épuré, une écriture solennelle, débarrassée des impuretés accumulées par l'usage. Une performance d'auteur qui nous livre un distillat, un absolu de pensée.

D'aucuns pourraient éprouver certaines longueurs dans des épanchements descriptifs. Mais il n'est que de se souvenir que l'auteur est engagé sur un chemin funeste, que chaque regard est un regard d'adieu et qu'il vaut la peine de s'appesantir sur quelques merveilles de la nature quand elle est écrin d'un cœur qui souffre.

J'ai décidé de continuer le chemin avec Mishima, ce marcheur obstiné. Je vais donc me procurer les trois tomes qui pavent la fin de son parcours. Mais j'attendrai que covid veuille bien nous rendre notre liberté pour aller me procurer ces ouvrages dans ma librairie préférée. Je ne veux pas qu'elle baisse le rideau parce que j'aurais été pressé d'accompagner un auteur vers le bout de son chemin. Je ne veux pas qu'un clic de souris éteigne à jamais la vitrine d'un libraire. La vitrine de mon libraire c'est la vie dans la rue, c'est mon ouverture au monde.