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Ouvrages par genre
mardi 24 octobre 2023
L'as de coeur ~~~~ Morgane Moncomble
mardi 27 juin 2023
La main de Dieu ~~~~ Valerio Varesi
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J’ai fait cette belle découverte dans une boite à livres. Aussi pour me faire pardonner auprès de l’auteur de ne pas avoir apporté ma contribution au soutien de son talent, je me fais le devoir de déclarer ma satisfaction les pages de Babelio.
J’aime en effet ces polars dans lesquels le sang ne colle
pas les pages, dans lesquels le flic se sert de sa jugeote plus que de son
flingue. Pas de mise en scène sordide, de crime rituel, de fou cinglé qui
fracasse des vies au hasard. Et pourtant on ne s’y ennuie pas le moins du monde.
La preuve pour moi qu’on peut faire du polar moderne - car le contexte est actualisé
- sans sombrer dans le glauque racoleur.
Lorsque le torrent impétueux qui dévale la montagne livre un
cadavre sur ses berges, à l’approche de Parme, le commissaire Soneri comprend
vite qu’il va devoir remonter à la source pour trouver l’origine de cette
découverte morbide. Son auteur surtout, car le meurtre ne fait aucun doute.
Il n’a rien d’un super héros au pistolet greffé ce
commissaire. Son style le fait qualifier de Maigret parmesan en quatrième de
couverture par la critique littéraire du Point. Je la rejoins quant à ce
ressenti. Valerio Varesi nous livre un polar d’ambiance dans lequel décor et
psychologie des personnages sont restitués avec soin.
L’omerta sévit aussi en milieu montagnard. Chaque vallée est
un microcosme. Outre son expérience, il faut beaucoup de psychologie à ce flic
de la ville pour conduire son enquête. De sang-froid aussi, pour ne pas se
laisser impressionner par les taiseux au regard agressif ou les viandards exubérants
qui rentrent de la chasse excités par leur course au gibier.
Quelques belles réflexions sur la condition humaine, son
rapport à la religion, qui n’est jamais très loin en Italie, rehaussent les habituelles
procédures du limier parmesan. Ce subtil dosage nous conduit vers un dénouement
qui, bien qu’on le voie venir d’assez loin, ne perd rien de sa valeur grâce à la
teneur de la joute verbale qui le couronne.
La main de Dieu est un très bon polar qui ne se sent pas obligé
de sombrer dans le sensationnel pour entretenir l’attention de son lecteur. La
réalité est assez méprisable comme ça.
Figurez-vous qu’il y en avait un autre polar du même auteur
dans la boite à livres. Je ne vais donc pas me priver de faire plus amplement
connaissance avec ce flic fréquentable. C’est vrai qu’il a un style bien à lui sous
la plume de Valerio Varesi.
samedi 15 avril 2023
Marguerite-Marie et moi ~~~~ Clémentine Beauvais
C'est
fortuitement que Clémentine Beauvais apprend avoir eu une lointaine aïeule
religieuse, au XVIIème siècle. Cette dernière a été sanctifiée sur le tard sous
le nom de sainte Marguerite-Marie. Elle avait écrit le journal de sa vie et
c'est contre sa volonté que ce texte fut conservé. Elle avait en effet demandé
sur son lit de mort à son infirmière de procéder à la destruction du manuscrit.
Elle fut désobéie sur ce point.
Au XVIIème siècle on le sait les femmes n'écrivent pas, ou si peu. Encore moins des romans, genre qui n'existe pas encore. Et encore moins imaginent-t-elles être éditées. Il leur manque cette chambre à soi chère à Virginia Woolf dans un monde gouverné par les hommes qui seuls avaient l’espoir d’être édités. Mais peut-être ces intimité et solitude nécessaires à l’écriture, Marguerite-Marie les avait-elle quand même réunies en son couvent des visitandines à Paray-le-Monial, car son journal vit le jour. Alors sommes-nous portés à nous interroger sur son intention dans l’acte d’écrire ce qui relève de l’intime. Peut-être pour se mettre elle-même à l’épreuve de sa foi. Ou bien destinait-elle cet ouvrage à des yeux très hauts. A moins que, comme nous le confie Clémentine Beauvais, écrire c’est peut-être aussi détourner le regard de ce que l’on veut cacher. Y compris et surtout dans l’exercice du journal intime.
Clémentine Beauvais est quant à elle agnostique. Peut-être serait-elle même plus que cela si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne la retenait au bord du gouffre de l'athéisme. Gouffre qui n'en est d'ailleurs surement pas un pour elle, mais seulement un sujet de réflexion. De ceux qui font basculer de la foi vers la philosophie. De la croyance vers la raison.
Aussi lorsqu'une éditrice lui suggère d'écrire un ouvrage sur son aïeule, c'est sans doute par défi à sa foi absente que Clémentine Beauvais, autrice aux multiples ouvrages à succès, se livre à l'exercice. Elle qui ne connaît de l'amour que la version terrestre du sentiment – elle nous le confie - décide de se confronter à sa version céleste. Celle éprouvée par son aïeule pour le Christ, Lequel lui serait apparu à plusieurs reprises, au point de faire d’elle une exaltée. N’avait-elle pas brûlé ses mains au Sacré-Cœur. Et de se mortifier de sévices jusqu’à se voir reprocher, par Celui-là même vers qui était dirigé son adoration, d'une rigueur excessive.
J’ai
trouvé la démarche passionnante : la rencontre par ouvrage interposé
au-delà des siècles d’une agnostique avec une exaltée de Jésus-Christ. Ce qui a
parachevé mon intérêt pour me rendre cette lecture captivante, c’est évidemment
le style adopté par son autrice. Le style résolument moderne, rehaussé d’un
humour un brin caustique, un brin « provoc » mais pas trop. Un style
taillé sur mesure pour plaire au lectorat de notre temps dont on sait qu'il
n'est pas non plus très porté sur le mystique. Un style qui donne à cette
écriture sa fluidité et coupe court à tout ce que le sujet pourrait comporter
de rébarbatif. Il se police toutefois quelque peu au fur et à mesure que la
connaissance avec la lointaine aïeule s’approfondit. En même temps que l'une et
l'autre, par-delà les siècles se fassent connaître l'une à l'autre. Sans
intention de prosélytisme, entendons-nous bien. Juste pour faire admettre que
la tolérance réciproque dans sa conception tant religieuse que civile passe par
la connaissance mutuelle et le respect des consciences de chacun.
Un
style donc, pour insister sur le sujet tant il est influent quant au message à
faire passer, qui soutient l’ouvrage dans sa totalité pour en faire une lecture
vivante, attrayante. Il me fait au passage me demander, puisque c’est le
premier ouvrage que je lis de cette autrice, s’il est une marque de fabrique
chez Clémentine Beauvais ou bien s’il est volontairement adapté au sujet
traité, pour servir d’accroche à un lectorat volatile.
Cet
ouvrage m'a séduit tant il m'a paru particulièrement judicieux, courageux dans
son intention et sa démarche aussi quand on apprend de la main de Clémentine
Beauvais le contexte familial dans lequel elle décide de se livrer à pareille
aventure éditoriale. Un ouvrage qui peut-on dire est une biographie croisée de
deux personnes, l’autrice et son aïeule, avec la confrontation de leurs
opinions respectives sur le sujet de la croyance. Même si le genre de la
biographie n’est pas le plus approprié, au point que les éditions J’ai Lu lui
affecte l’étiquette de récit. Les chausse-trappes ne manquaient pas et c'est
avec brio que Clémentine Beauvais a réussi cet exercice à mes yeux. Même si elle
n'est déjà plus une novice en matière littéraire autant par son érudition que
par ses succès d’édition, je le découvre en faisant sa connaissance avec cet
ouvrage. Il me reste désormais qu'à confirmer mon goût pour pareille écriture
décomplexée avec un autre ouvrage de sa main.
mercredi 12 avril 2023
Ce que nous confions au vent ~~~~ Laura Imai Messina
Il y a au Japon à l’égard des événements catastrophiques,
séismes, tsunamis, une certaine prédisposition d’esprit qui s’apparente à la
fatalité. Comme une contrepartie à payer à la fierté de vivre dans le pays du raffinement.
Aussi, lorsque survient l’un de ces événements qui emporte son lot de vies
humaines, ce n’est ni la rébellion ni l’invocation de sanction divine qui
prévaut, encore moins les lamentations, c’est l’acceptation mélancolique et l’idée
de poursuivre le chemin entrepris avec eux, par la pensée.
C’est la raison d’être du téléphone du vent que M. Suzuki a
installé dans je jardin sur la colline de la baleine. Il n’est relié à aucun
réseau. Il n’est relié qu’aux esprits des disparus. Les épargnés des
catastrophes peuvent venir y parler à leurs défunts. Les entretenir de ce quoi est
fait leur quotidien désormais sans eux. Réconfort ultime mais pas illusoire.
Comment continuer à vivre après. C’est à cet enseignement
auquel nous convie Laura Imai Messina dans cet ouvrage fort bien conçu et écrit.
Une leçon de résilience avec la pudeur nippone. Rien de larmoyant, encore moins
d’apitoyant dans cet ouvrage. De l’intelligence sensible, de la retenue, pour
continuer à vivre. Et par exemple faire retrouver la parole à une petite fille
demeurée silencieuse depuis la disparition de sa mère.
Magnifique ouvrage fort bien construit et écrit avec des
mots de tous les jours. Les mêmes mots que lorsque qu’ils étaient encore là. Il
ne faut rien changer. Seulement être prudent avec les sentiments.
mardi 28 mars 2023
La Breizh brigade ~~~~ Mo Malo
Voilà un ouvrage bon-enfant qui nous distrait du surcroit de
violence qui s'est désormais imposé dans la littérature du genre. Le genre
étant le polar. Il est avec cet ouvrage revisité à la sauce aigre-douce. Et si
en peine de trouver une once de crédibilité à l'intrigue on se rabat sur la
psychologie des personnages, il en est un qui s'impose et fait de l'ombre aux
autres, c'est bien la matriarche de la Breizh brigade : Maggie. Cette brigade
bretonne étant un trio de de femmes, trois générations de la famille Corrigan,
laquelle gère un gîte dans la proximité de Saint-Malo.
Maggie est un personnage haut en couleurs tant le comportement que dans le
verbe. Bi lingue le verbe, car Maggie est d'origine irlandaise, et si l'on veut
apprécier les subtilités de son langage il faut avoir recours au traducteur en
ligne. Il nous met alors en garde devant ce qu'on appelle désormais pudiquement
un contenu inapproprié, lorsque la crudité devient très crue.
Maggie est-elle la grand-mère dont on rêve ? Elle donne dans la liberté des mœurs
et collectionne les amants qu'elle relègue sans scrupule après consommation.
Elle mène son monde à la baguette et à bientôt soixante-dix ans dirige sa
Breizh brigade au sein de laquelle elle s'est instituée directeur d'enquête.
Une fois n'est pas coutume, les hommes n'ont pas le beau rôle dans cette
aventure provinciale. Car Maggie n'a rien à voir avec une mamie-tricot qui
végèterait dans un décor figé et empoussiéré depuis la disparition de son
époux. Disparition qui ferait d'ailleurs bien un sujet d'enquête. Il faudra
qu'elle se penche sur le cas. Mais las, le temps passe et les préoccupations de
la matriarche sont plus à compenser l'absence qu'à en découvrir les
circonstances.
Mais pour l'heure le trio Corrigan a décidé, d'éclaircir le mystère de la mort
d'un célèbre joueur de cornemuse du renommé Briac Breizh Bagad, accessoirement
ancien amant de Maggie. Reléguant de facto le flic de service en charge de
l'enquête officielle, quand même, et qui, même s'il est le beau gosse de
l'appareil judiciaire, n'est reste pas moins un figurant devant les menées
investigatrices de la Breizh Brigade. Il est toujours en retard d'un coup sur
l'échiquier maloin.
Les aux autres personnages paraissent bien falots à côté de ce boute-en-train.
Exception faite de sa petite fille qui lui emboite le pas dans la spontanéité
du comportement, avec toutefois un peu plus de pudeur dans le langage.
Sous la plume de l'auteur, Mo Malo, la belle
région de Saint-Malo (coïncidence ?) qui sert de décor à ce polar-détente entre
dans l'inventaire des attractions pour cet ouvrage tant elle nous invite à
prendre les embruns sur ses remparts.
Avec un personnage aussi truculent que cette Maggie enquêtrice d'occasion mais
bien décidée à doubler sur le fil l'officiel désigné par le procureur, c'est
évidemment le dialogue qui relève et pimente le plat. Car pour ce qui est de
l'intrigue, on la découvre le sourire aux lèvres, avec l'indulgence de rigueur
à l'égard d'un ouvrage dont la vocation est de détendre son lectorat.
dimanche 4 décembre 2022
La vallée ~~~~ Bernard Minier
A trop explorer les vices de l'espèce humaine, il faut
aujourd'hui avoir beaucoup d'imagination pour troubler l'amateur de polar. Avec
tout ce que la littérature du genre a pu lui mettre sous les yeux, la barre est
haute pour le faire frissonner. Les auto-tamponneuses ne suffisent plus, il
faut des grands huit vertigineux. Il faut lui couper le souffle à ce lecteur
blasé. Il ne faut plus seulement le surprendre, il faut le choquer, le
décontenancer, avec des mises en scène de crime sordides, des coupables improbables.
C'est le défi de l'auteur de polar moderne qui voudra ne pas décevoir les
inconditionnels du genre.
Le flic quant à lui doit rester un être doué de sensibilité. Un être avec ses
peurs et ses faiblesses. Un homme qui a une vie sentimentale, ou qui essaie en
tout cas. le métier ne lui facilite pas la tâche dans ce domaine. Aimer, être
aimé, quand on a une vie de famille en pointillé, qu'on est confronté
quotidiennement à la haine, la folie, la détresse, le chantage, c'est une
gageure. Comment ne pas faillir quand on laisse un enfant à la maison dans les
bras d'une femme qui elle-même tremble pour son compagnon dès qu'il franchit la
porte de la maison. Et peut-être même avant. Auquel s'ajoute la pression d'une
hiérarchie et de politiques qui veulent des résultats rapides et surtout pas de
vague. Les médias sont à l'affût.
Tout cela Bernard
Minier le maîtrise. Il a bien appréhendé ce contexte d'une vie de flic
de nos jours. Un funambule sur un filin au-dessus de la cage aux fauves. Un
autre défi est aussi pour l'auteur de polar celui de mettre en échec le lecteur
perspicace qui aura résolu l'enquête avant tout le monde. La surenchère dans
l'obscur est donc obligatoire. Au risque de prendre ses distances avec le
vraisemblable. Mais le crime ne relève-t-il pas toujours de l'invraisemblable ?
Pour remplir ces conditions, Bernard Minier fait
de cet ouvrage un huis-clos dans une vallée, coincé entre un éboulement qui
bloque la route d'accès et des habitants excédés, apeurés, prêts à en découdre
avec les autorités, sur fonds de réminiscence de lutte des classes. Des
meurtres y sont commis dans des conditions qui font froid dans le dos. Selon un
rituel qui met la police au défi d'en résoudre l'énigme. Cela donne un roman au
rythme soutenu qui n'offre pas de pause à ce commandant de police lequel sort
d'une affaire lui ayant valu la mise à pied. Difficile de ne pas sortir des
clous quand on est livré à des êtres qui ne connaissent quant à eux ni loi ni
barrière. Martin Servaz est donc dans cet ouvrage le spectateur averti de
l'action de ses confrères. Il piaffe de les voir patauger dans le bourbier
d'une affaire pour le moins alambiquée. Mais, même empêché par une procédure
qui traîne en longueur, il ne peut se retenir de s'impliquer. Quand on est
Martin Servaz, le récurrent de Bernard Minier,
on n'est pas habitué à rester sur la touche.
Depuis que j'ai découvert cet auteur je m'attache à scruter sa capacité à
dresser la fresque d'une société qui donne libre cours à ce que l'espèce
humaine a de plus vil. Une société dans laquelle les troubles psychologiques, la
déconnexion de la réalité rivalisent avec l'appât du gain, toute forme de
déviance y compris et surtout sexuelle pour susciter le crime. Cet ouvrage est
autant un tableau de notre société contemporaine qu'un polar. le trait est
certes un peu forcé, mais ne faut-il répondre à l'attente du toujours plus en
matière d'effroi. Il faut surprendre encore et toujours et surtout ne pas se
laisser doubler par le lecteur avant de lui livrer le coupable les menottes aux
mains. Encore un polar de bonne facture de la part de Minier.
dimanche 30 octobre 2022
La chasse ~~~~ Bernard Minier
J'ai découvert l'univers de Bernard Minier tout récemment avec son ouvrage intitulé Sœurs. Cette première m'avait donné le goût d'explorer son œuvre. Je le fais avec cet ouvrage. Il confirme l'ancrage régional de la zone de compétence de son héros. Il y ajoute en prime cette fois l'ancrage dans l'actualité. Ouvrage très contemporain si l'on en juge par l'allusion récurrente à ce masque bleu sur le nez qui nous a étouffé pendant de longs mois mais que l'on garde encore à portée de main. Allusion au récent deuxième confinement dans cet ouvrage avec le lot de problèmes qui ont assailli tant de professionnels dont les tenanciers de bistrots et de restaurants qui ont très souvent leur rôle dans les polars.
Voilà un ouvrage qui ratisse large dans les maux de notre société moderne dont,
non le moindre, celui de l'insécurité. Le sujet nourrit le débat politique à
chaque élection, opposant les tenants de la ligne répressive à ceux de
l'éducative. le seul point commun les accordant étant le manque de moyens pour
mener à bien leurs actions.
La chasse est
donc dans cet ouvrage une chasse au délinquant. Une chasse à mort, orchestrée
avec une mise en scène destinée à frapper les esprits. Une chasse à laquelle se
livre un groupuscule de justiciers autoproclamés déplorant le laxisme de la
justice de ce pays, au constat du nombre de délinquants laissés en liberté pour
toutes les raisons que l'on peut imaginer, parmi lesquelles surement la
surpopulation carcérale.
Martin Servaz, le policier toulousain de Minier, a pris
du grade, de la maturité et acquis une notoriété qui en font de lui à la fois
un sujet d'admiration et une cible. La hiérarchie ne pardonne rien à ceux qui
ont placé haut la barre des résultats. Elle leur demande toujours plus. le
pouvoir politique quant à lui ne fait pas de sentiments. Il veut des résultats
qui servent ses ambitions. Pas de vagues surtout. C'est dans ce contexte que le
déjà célèbre commandant de Minier exécute
son rôle d'équilibriste entre vie professionnelle et vie privée. Vie privée
difficile à préserver quand on passe ses nuits traquer les truands. Vie privée
qui peut être point de faiblesse quand les truands se sentent pris dans les
serres du limier toulousain. On sait où trouver ta famille, Commandant !
Roman qui extrapole dans les problèmes de société. Peut-être un peu trop
d'ailleurs, parcourant la planète des grands maux de l'humanité. En
justification des menées transgressives de cette faction rigoriste qui
monopolise toute l'énergie du commandant et de son groupe d'enquête. Commandant
se reprochant parfois l'égoïsme de sa personne face à la détresse des
populations dans le besoin. Mais Martin Servaz reste inflexible au service de
la mission. Les tentatives de corruption n'ont pas de prise sur sa conscience
professionnelle, même lorsqu'il déplore être chaussé de semelles de plomb par
la paperasserie qu'impose son métier et l'énergie qu'il doit dépenser pour voir
finalement un avocat balayer d'un effet de manche des journées et des nuits de
traque d'un criminel notoire, pour vice de procédure.
L'épilogue de cet ouvrage est un peu trop convenu pour ce flic qui peine à
stabiliser sa vie sentimentale. La chasse n'en
reste pas moins un roman immersif pour son lecteur. Il partage les nuits
blanches et les casse-têtes de son flic sur la brèche 24/24. le rythme est
soutenu à l'initiative du commandant qui ne s'en laisse pas compter, stimulé
par une hiérarchie pressante comme il se doit. Les rebondissements sont
cependant assez prévisibles. On apprécie dans cette écriture le réalisme d'un
quotidien surchargé, le langage coloré du jargon argotique du milieu, le style
qui fait courir les yeux. Cela reste du très bon polar qui nous rappelle à lui
quand on a réussi à le poser. Il nous reprend alors très vite dans son intrigue
bien ficelée.
vendredi 15 avril 2022
Femmes en colère ~~~~ Mathieu Menegaux
Selon la loi de notre pays la légitime défense ne peut se concevoir que
proportionnée et simultanée de l'agression subie. Dès l'instant où elle
l'exerce en temps décalé, Mathilde Collignon devient justiciable. C'est son
procès que nous vivons dans cet ouvrage.
S'il est un lieu éminemment secret, c'est bien la salle de délibéré d'une cour
d'assise. Sa porte en est gardée tout le temps que dure la séance de délibéré.
le silence sur les débats est imposé par la loi à chacun des jurés ad vitam
aeternam. Même et surtout à l'égard des proches. Ils auront prêté serment.
Avec cet ouvrage Mathieu Menegaux nous
ouvre ce saint des saint et nous rend auditeur du délibéré du procès de
Mathilde Collignon. Il nous instruit par la même occasion sur les règles qui
régissent cette procédure si codifiée, si particulière, à laquelle tout un
chacun peut se voir convier à partir du moment où il est inscrit sur les listes
électorales. Un huis clos qui n'est pas sans rappeler le film de Sidney Lumet :
Douze Hommes en colère.
Au-delà du rôle pédagogique très intéressant que revêt la forme de cet ouvrage,
il ouvre le débat sur ce sentiment légitime d'une victime lorsqu'elle réalise
que ses agresseurs ne seront pas sanctionnés. L'analyse des sentiments et
réactions de chacun des jurés est fort bien restituée, notamment selon qu'ils
sont homme ou femme, mais aussi citoyens ordinaires désignés comme jurés ou
magistrats. Ils forment ce jury d'assise lequel ne sortira de la salle de
délibéré que lorsqu'il aura répondu aux questions retenues lors de l'audience,
avec les règles de majorité qui s'attachent à chaque type de question :
Coupable ou non des chefs d'accusation retenus ? Quelle sentence dans la limite
de ce que prévoit le Code Pénal ?
Même s'ils forment un collège de justice réuni dans la même pièce, chacun se
retrouve finalement seul avec sa conscience. La même solitude gagne l'accusée
dans l'attente du délibéré. Elle était une bonne mère de famille, une
professionnelle reconnue dans son métier, aimée et respectée de tous. Et
maintenant elle attend de savoir si elle va voir grandir ses filles. Les voir
arrachées à son amour de mère. Privées de ses gestes d'affection du quotidien.
Pour combien de temps. Quelle part de leurs jeunes années sera occultée de sa
mémoire.
Un ouvrage qui, subtilement organisé en chapitres alternés, prend une tournure
de thriller psychologique. C'est profitable et absolument passionnant.
vendredi 8 avril 2022
Les oiseaux chanteurs ~~~~ Christy Lefteri
Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.
Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais
dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme
ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au
chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent
leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités,
Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.
Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage
de Virginie
Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela
évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se
targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que
me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.
Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la
relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été
attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses
avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité
laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera
personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à
contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité
physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de
modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une
disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de
prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une
autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait
faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le
truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les
autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au
pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle
un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au
point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.
L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui
ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve
dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et
références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de
l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable
travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique
foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.
Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son
ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité
dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette
crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée
qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps.
Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des
historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais
: Suétone,
Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et
interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des
recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique,
numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres.
L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le
contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui
voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux
julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un
impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle
décoratif.
C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers
ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire
connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières
armes dans le plus vieux métier du monde.
jeudi 24 février 2022
Les miracles du bazar Namiya ~~~~ Keigo Higashino
La porte qui donne accès au bazar Namiya n'est pas
seulement une frontière entre l'intérieur et l'extérieur. Elle l'est aussi
entre deux époques. Des époques suffisamment proches pour être contenues dans
l'espace-temps d'une vie, tout en étant suffisamment éloignées pour confronter
l'ingénuité de la jeunesse à l'expérience de la maturité. Mais pas seulement.
Car l'intérieur du bazar connaît l'avenir. Ce qu'il adviendra des personnes que
la jeunesse remplit d'incertitude et de doute au point de la faire hésiter
quant à une décision à prendre, une attitude à adopter. Oui mais voilà, comment
faire connaître son avenir à une personne qui se heurte à l'indécision, aux
états d'âme sans passer pour un illuminé.
Son propriétaire s'identifiant à l'établissement aux yeux de ceux qui le
sollicitent, c'est tout l'art de l'argumentation mise en oeuvre par le bazar
Namiya au moyen d'échange de lettres que son pouvoir de compression du temps
rend instantané. Son art consistant à travestir en sagesse de vieux philosophe
ce qu'il connaît de l'avenir afin de ne pas surprendre ou effrayer son
correspondant, voire passer pour un charlatan.
Libre à celui qui le lit de faire ce qu'il entend de sa vie. Il aura été
prévenu. L'âge venu il tirera les conclusions de ses actes. La boîte aux
lettres magique lui sera ouverte trente-trois ans après la mort de l'initiateur
du concept pour confier au bazar, supposé alors déserté, la suite qu'il aura
réservée aux conseils prodigués. Même si son locataire n'est plus le même. Les
murs conservent cette mémoire et la transmette à ses occupants, fussent-ils
alors de jeunes squatters en rupture de ban devenus à leur tour par la magie du
lieu et à leur corps défendant des conseilleurs d'occasion.
Entrelacs de parcours de vie, croisement des générations, les destins se
télescopent au carrefour du bazar Namiya. Il semble y avoir un lieu commun avec
un foyer de jeunes dans sa proximité, lesquels ne sont pas les derniers à
s'interroger sur leur place dans un Japon en mutation entre les années 80 et
nos jours. Nous voici avec ce roman versé dans un conte philosophique aux
frontières du fantastique, dans une nébuleuse temporelle où coexistent les
époques d'une vie de part et d'autre d'une simple porte. C'est à la fois
captivant et attendrissant. Je me suis fait prendre dans les filets de ce
roman-échappatoire-au-quotidien, me demandant où il pouvait bien me conduire.
Mais que l'on se rassure, la vie reste la vie et non un conte de fée. Cette
compression du temps a d'autant plus de crédibilité qu'elle est source de leçon
de vie. Un délicieux moment de lecture.
lundi 24 janvier 2022
Le manuscrit inachevé ~~~~ Franck Thilliez
Thilliez,
commence à m'énerver grave celui-là. Non content de me voler ma liberté quand
j'suis dans ses bouquins, à peine j'ai terminé le manuscrit qu'est pas fini
qu'y faut que j'y r'tourne. J'aime bien avoir tout compris quand j'ferme un
polar. Mais là ça va pas. Déjà que j'y ai passé une partie de la nuit. C'est
dimanche, bon sang. On va aller s'aérer.
Faut dire que j'en ai marre de ces mecs qui soignent leur mal-être en
bousillant la vie de jeunes beautés. Y paraît que ça existe. Si en plus faut
remettre le nez dedans pour tout piger. Il a pas l'air de s'en douter le
gars Thilliez,
mais j'suis comme tout le monde, j'ai une PAL qui prend du ventre. Faut que
j'envoie du bois comme y disent chez les fabricants de papier.
Alors je vais vous la faire courte. Les palindromes, moi j'ai tout compris. Un
palindrome c'est un truc qui se lit pareil dans les deux sens. Et bien le
gars Thilliez,
y vous dit rien d'autre que ça. Son bouquin c'est comme les palindromes, faut
le lire dans l'autre sens. Un aller retour pour tout comprendre. Et encore
c'est pas sûr. Il abuse quand même !
« Hé toi là-bas, la vaisselle tu y penses ?
- Ouais, ouais, j'y pense, mais j'ai un métier moi ! J'suis lecteur de Thilliez, et
j'peux te dire que c'est pas une scène de cure.
- Une sinécure tu veux dire sans doute ?
- Si tu veux mais veut pas me lâcher avec son bouquin. »
Bon, vous avez compris qu'y en a qui confonde pas présence avec travail comme …
enfin s'cusez moi ! Faut donc que j'y aille.
Ha, au fait, j'vais vous donner un tuyau quand même avant de quitter l'antenne,
si vous aussi vous êtes à la peine pour piger son truc au gars Thilliez -
parce que chez moi y'a pas que les miroirs qui réfléchissent : la première et
la dernière phrase, tout est dedans. Il suffit de faire comme Vic. Si vous avez
suivi c'est le flic hypermnésique. C'est lui qui a décodé les lettres du tueur.
Suffit de faire comme lui pour savoir qui a franchi le garde-corps à la fin.
J'dis ça, c'est pour vous soulager des questions qui tournent encore dans vot
tête en r'posant le bouquin.
Mais Y'a quand même un truc qui m'a tracassé tout au long du bouquin, c'est que
quand un hypermnésique rencontre un amnésique, est-ce que ça remet l'aiguille
au nord de la boussole et qu'ça expliquerait tout ? Parce qu'au point final,
l'aiguille de ma boussole à moi elle affiche le nord à l'ouest. Et ça, pouvez
comprendre que ça me perturbe. M'énerve le gars Thilliez.
Ouais parce quand même, y'est allé un peu fort avec les lettrés comme moi.
C'est l'histoire d'un romancier qui écrit un bouquin sur une romancière qui se
dit romancier, elle a pris un pseudo, un bouquin qu'y termine même pas
d'ailleurs, que son fils est obligé de faire pour lui alors qu'y savait même
pas ce que son père avait dans la tête. Et tout ça dans le bouquin de Thilliez qu'est
quand même le mec qui raconte tout ça dans son bouquin à lui au final, qu'est
pas un final d'ailleurs parce qu'à la fin de cette histoire on sait plus qui a
dit quoi, qui a fait quoi. Enfin pauv' gamines quand même. Parce que là non
plus y'est pas allé de main mort le gars Thilliez. Avec
lui j'voudrais pas être légiste. Pas étonnant que quand j'arrive au bout, j'y
retrouve pas mes p'tits. J'y vois double. Si vous voyez ce que je veux dire.
Cette fois faut que je vous laisse. Y'a des circonstances où la présence ça
suffit pas. Faut payer d'sa personne. Bon où j'en étais ? MammaM c'est le
chien, Noyon c'est en Picardie, le FNAEG c'est ce foutu fichier dans lequel y
s'ont collé mes empreintes….
vendredi 14 janvier 2022
Les choses humaines ~~~~ Carine Tuil
De consentement il est encore question dans cet ouvrage
de Karine Tuil. Je dis encore parce que je venais de terminer celui de Vanessa
Springora qui porte ce titre. Sans le présager je suis resté dans le même registre.
Où l’on se rend compte que la notion de consentement peut aussi porter à
caution.
Mais de manipulation point dans Les choses humaines, puisque le crime, que d’aucun voudrait bien requalifier en délit, se produit lors de la rencontre fortuite de deux parcours de vie. Une soirée entre convives dérape. Un bizutage imbécile, comme souvent, et deux vies qui basculent. Ce que le père de l’accusé appellera fort maladroitement « vingt minutes d’action ». Ce que l’avocat de la plaignante requalifiera en « vingt minutes pour saccager une vie ». Y’a-t-il eu viol ou relation consentie ?
Notre société moderne a tendance à niveler la gravité des actes. L’inconséquence prévaut désormais. Les violences physique et sexuelle sont en libre-service sur tous les supports médiatiques, officiels ou sous le manteau. Dans le monde virtuel qui s’impose désormais les esprits s’accoutument à ce que violenter soit anodin. Le danger est dans le franchissement de cette frontière immatérielle qui ouvre sur la réalité, en particulier lorsqu’il est favorisé par le recours aux psychotropes. Aussi lorsque dans une soirée où alcool et drogues prennent possession des esprits, se « taper une nana » et rapporter sa culotte en forme de trophée, ce n’est jamais qu’une forfanterie. De toute façon elles savent où elles mettent les pieds.
Pour l’agresseur, elle n’a pas dit non, ne s’est pas enfuie. Elle a donc consenti. Pour la victime c’est l’envers du décor. Le choc psychologique a étouffé ses cris et paralysé ses membres.
Dans un système qui privilégie trop souvent la recherche du solvable au détriment du coupable, faudra-t-il désormais se retrouver sur le banc des accusés dans une salle d’audience pour réaliser la portée des actes ?
Je me suis retrouvé dans la salle d’audience pris dans les joutes oratoires superbement transcrites entre partie civile et défense. La restitution est étonnante de réalisme immersif. Karine Tuil veut que la dimension humaine en matière de justice conserve ses prérogatives et ne rien céder ni à la mécanique judiciaire aveugle d’une société sur codifiée, ni au lynchage orchestré par les lâches qui déversent leur fiel sous couvert d’anonymat sur les réseaux sociaux. Elle veut rendre à la conscience humaine son droit régalien de peser le bien et le mal. Pour la victime comme pour l’accusé. Il s’agit de réattribuer des conséquences aux actes en un juste équilibre des responsabilités et ne pas se plier à la loi des intérêts.
Cet ouvrage m’a passionné de bout en bout. Il est remarquablement bien construit, documenté, et écrit. Résolument moderne. L’exposition médiatique conditionnent les comportements. La justice se rend sur les réseaux sociaux où la présomption d’innocence n’existe pas. L’épilogue est logique sans être prévisible. L’épilogue de l’épilogue est plus surprenant. Moins engageant. Mais surement inéluctable.
Je découvre cette autrice qui vient de publier son nouvel opus : La décision. Je sais déjà que je m’y intéresserai. Il y est encore question de la justice des hommes. Une justice que Karine Tuil ne veut décidément pas voir mise en algorithmes. La justice doit rester affaire de conscience humaine et penser à la vie après le jugement.
mardi 11 janvier 2022
Le consentement ~~~~ Vanessa Springora
J’avais un a priori défavorable vis-à-vis de cet ouvrage,
au point de m’être promis de ne pas en faire l’acquisition. Convaincu que
j’étais de succomber au grand déballage en vogue avec son déferlement d’accusations
rétrospectives tous azimuts.
Puis j’ai eu l’occasion de voir la vidéo de l’émission d’Apostrophe (2 mars 1990 ; lien ci-dessous) au cours de laquelle Bernard Pivot recevait celui dont Vanessa Springora ne veut plus prononcer le nom et ne l’appeler que par ses initiales : GM. J’ai été tellement sidéré par la suffisance, la certitude affichée de son bon droit, le cynisme et l’abjection du personnage que je me suis reproché mon préjugé (une fois de plus, mais je me soigne, je lis) et n’ai plus hésité lorsqu’une amie m’a tendu l’ouvrage.
Dans cette vidéo de l’émission de Bernard Pivot j’avais été à la fois interloqué par la complaisance dont a été l’objet GM de la part du célèbre animateur et interpelé par le courage dont a fait preuve Denise Bombardier pour avoir été la seule à apporter la contradiction, à faire état de la nausée que lui inspirait non seulement le mode de vie du personnage, mais aussi et surtout la gloire qu’il en tirait et le blanc-seing qui lui était donné par la communauté littéraire.
Et que dire de mon effarement lorsqu’en fouillant un peu le sujet, j’ai appris que l’auteur prolifique en matière de récits autobiographiques inconvenants s’était vu attribuer le Prix Renaudot en 2013. La censure est un spectre effrayant. Mais entre laisser faire et primer il y a un pas à ne pas franchir.
Je reste sur la conviction qu’il est fallacieux de juger une époque avec les codes moraux d’une autre, forcément postérieure. Mais les années Matzneff, celles de sa gloire éditoriale, ne sont pas si lointaines que cela et suis encore abasourdi par le fait qu’en 1990, un homme affiche, écrive, se glorifie de pédophilie, puissent l’assumer au grand jour et, cerise sur le gâteau, se voit couronné d’un prix littéraire. C’était nier que le talent qu’on voulait récompenser avait été mis, avec le même succès, au service de la manipulation d’esprits immatures à des fins condamnables.
Ma réticence à lire l’ouvrage de Vanessa Springora était en partie due à ma certitude que cette dernière sacrifiait à la tendance actuelle qui défraye la chronique avec les #metoo, #balancetonporc et autre slogans racoleurs des réseaux sociaux, histoire d’endosser le costume du moment et ne pas rester sur le bord du chemin de celles et ceux qui avaient jusqu’alors tu leur mal-être d’avoir été abusés, en s’en attribuant la culpabilité, comme c’est toujours le cas.
Abusés parce qu’insuffisamment armés pour affronter ceux dont la sexualité n’est pas l’aboutissement d’une démarche sentimentale, une preuve d’amour, mais un exutoire à pulsions égoïstes. Méprisant la personne, l’être sensible, le cœur qui bat dans ce corps dont il se servent comme d’un objet vivant pour satisfaire leurs bas instincts. Même et surtout si le discours qu’ils tiennent argumente de sentiments authentiques. Comment peut-on justifier d’authentiques sentiments pour une personne quand on est un « amoureux » vagabond qui multiplie les conquêtes à l’infini.
Le début de cette lecture m’a fait penser à la crise d’une adolescente qui veut faire un pied de nez à l’autorité parentale, quand elle ne sait que contraindre et non guider. Quels parents d’ailleurs ? Un père démissionnaire de son rôle du fait de l’entrave à sa liberté qu’est la paternité. Une mère post soixante-huitarde démissionnaire elle aussi, pour une autre raison, parce qu’adepte de l’interdit-d’interdire. Plus de jalon, de repère, de guide, de préparation aux contraintes d’une vie qui en comporte beaucoup. Résultat : une jeune fille à la dérive, qui se raccrochera à ce qu’elle croit être une bouée de sauvetage. Parce qu’elle entend le discours, trouve l’attention qui lui ont fait défaut. Une attention qui s’avérera être l’obsession de s’abreuver aux charmes d’un corps juvénile. Sous couvert de délicate initiation, il va de soi, puisque les partenaires de l’âge de la victime ne peuvent être que de piètres éducateurs.
Et patatras : amour égale sexe. A quatorze ans. Rêves, imaginaire, espoir, tout cela sombre dans le marigot glauque d’un écrivain au talent dévoyé lequel ne pense qu’à une chose : satisfaire ses envies dans un corps qui sert de déversoir à son trop-plein de testostérone. En le justifiant à la face du monde avec tous les arguments que son talent de manipulateur lui porte à la bouche. Un homme qui ne cache pas se « payer » des petits garçons à l’autre bout du monde. Rêve d’amour, de protection, de sécurité, d’avenir, tout cela à la poubelle des désillusions pour une jeune fille abandonnée par des géniteurs qui ont oublié d’être des parents, qu’un enfant c’est le plus noble des devoirs : c’est une personne à construire.
Au fil de l’ouvrage, le transfert s’est fait dans mon esprit. Le tort que j’attribuai a priori à l’insouciance de la jeunesse s’est converti en blâme au manipulateur pervers. C’est la victoire de cet ouvrage. Vanessa Springora a su me convaincre de la sincérité de ses propos, de la franchise avec laquelle elle raconte son histoire sans s’exonérer de torts, d’erreurs qu’elle confesse et dont on comprend qu’elles sont celles d’une enfant solitaire, en errance affective. Belle proie pour le monde de la perversion.
Ce n’est pas le genre d’ouvrage qui fait plaisir à lire, mais il mérite d’être lu. Vanessa Springora a su le construire pour faire comprendre ce que peut être la manipulation, l’abus de faiblesse. Car si pour beaucoup l’innocence est une bénédiction, pour Matzneff elle est une faille à exploiter. Pour sa jouissance égoïste. Peu importe qu’il y ait une personne porteuse de cette innocence.
https://www.youtube.com/watch?v=TjZmJkLdwN8&ab_channel=InaClashTV
jeudi 19 août 2021
La panthère des neiges ~~~~ Sylvain Tesson
Puisqu'il faut aller à l'autre bout de la terre, par 5000 m
d'altitude et moins 20 degrés de température pour trouver un animal épargné par
la domestication, si ce n'est par l'éradication, Sylvain Tesson n'hésite
pas, il y va. L'attente, la patience sont contre nature chez lui mais l'idée de
trouver un être qui échappe à la mise en coupe réglée de la nature par l'homme
balaie ses réticences et comble ses aspirations. Lorsque Vincent Munier l'invite
à la rencontre de la panthère des neiges, il n'hésite pas. Il sait qu'il a rendez-vous avec les
origines de la création. Même si le rendez-vous n'est pas honoré par l'animal
convoité, l'affût sera une quête salutaire. Une quête philosophique qui ouvrira
à la réflexion sur la place de l'homme dans ce monde qui l'a vu naître et
prospérer.
Prospérer au point d'occuper toute la place. Homo sapiens n'a plus de
prédateur. Après avoir éliminé tous ses concurrents, il est au sommet de la
chaîne alimentaire. Une chaîne qui est aujourd'hui mécanisée et n'a plus rien
de naturel. En dépit des promesses de la publicité qui a investi les écrans et
vante une nature aseptisée. Les animaux sont étiquetés dans les oreilles et
élevés en batterie. Les herbivores s'habituent tout doucement à consommer des
farines animales. À consommer contre nature.
Au-delà de la beauté virginale de la nature, c'est autant l'espoir de rencontre
avec un symbole qui pousse Sylvain Tesson à
affronter les solitudes glacées du Tibet. Stimulé par son goût de l'aventure,
épaulé par tous les philosophes et autres auteurs illustres dont il s'est
nourri des écrits, il répond à l'invitation de Vincent Munier.
La réputation de ce dernier n'est plus à faire en matière de photographie
animalière. Et c'est de nos jours par la force des choses dans les lieux les
plus inhospitaliers de la planète que se sont réfugiés les spécimens rescapés
de voracité de l'homme.
La
panthère des neiges. Beauté et noblesse de l'animal sauvage que l'homme n'a
pas encore avili. Que l'homme n'a pas encore entaché de ses jugements à
l'emporte-pièce entre le beau et le laid, le bien et le mal, le vice et la vertu,
le doutes et la certitude. Quand il est repu l'animal peut dormir une journée
entière. Pas besoin de raison pour vivre encore moins de croyance pour espérer.
Pas besoin de confort ni de ce superfétatoire qui empuantit la planète à force
de consumer ses ressources. C'est la pureté animale. Cette aurore des temps
préservée que Sylvain
Tesson est venu chercher si loin, si haut, dans le froid mordant. Et
se convaincre finalement que les instants de grâce qu'il aura glanés dans ces
affûts incommodes et douloureux lui vaudront enseignement pour la vie. Pour
l'observation des moineau, cigale et autre gardon qui luttent pour exister dans
les interstices que l'aménagement du territoire leur abandonne en leurre de sa
bonne conscience de préservation de la nature.
Animal versus homme : instinct de vie contre déterminisme fatal. Avec Sylvain Tesson chaque
pas sous toutes les altitudes et latitudes est un pas dans les méandres de la
raison pour disséquer cette obstination qu'a l'homme à se précipiter vers sa
perte. C'est fort de réflexion et asséné à grands renfort d'aphorismes et de
formules comme il en a le secret. C'est scandé comme une marche obstinée sur
des sentiers empierrés, martelé dans les pages d'un livre qu'homo sapiens lira
dans son canapé, se disant que c'est beau la nature dans les ouvrages de Vincent Munier.
Et l'ouvrage de Sylvain Tesson toujours
aussi évident de bon sens désespéré - en peine perdue ? -aride de croyance,
cristallisé de pudeur, avec toutefois une pensée aimante pour « sa pauvre mère
», mais surtout avec les mendiants du plateau tibétain l'espoir de « ne pas
être réincarné en chien, ou pire en touriste ».
lundi 18 janvier 2021
Mes vies secrètes ~~~~ Dominique Bona
Le roman, univers de l'imagination sans frontière, du rêve, de la chimère, genre majeur de la littérature quand la biographie doit se cantonner à la vérité, si ce n'est à l'exactitude. Quelle grandeur dans la restitution d'un parcours de vie, semble l'interroger François Nourissier ?
C'est à cette question que Dominique Bona tente de répondre dans ce très bel ouvrage : Mes vies secrètes. Une partie de la réponse est selon elle dans le choix des personnages qu'elle a fait pour en dresser la biographie. Car, nous fait-elle comprendre, il en est dont la vie est un véritable roman tant la réalité de ce monde semblait ne pas s'imposer à eux. Qu'ils aient été acteurs ou victimes de cette réalité, ils rayonnaient par leur talent à contrer la fatalité ou à composer avec elle. Laissant derrière eux l'illusion d'avoir leurré "les forces de la nuit."
Mes vies Secrètes c'est tout sauf une justification, c'est une biographie des biographies, une biographie de la séduction pour un personnage qui a présidé à chacune de ses entreprises. Avec à chaque fois, selon Dominique Bona, l'espoir d'identifier les ressorts qui ont animé la personne choisie pour qu'il devienne aux yeux du monde un personnage. L'espoir de détecter "ce qui est mystérieux dans une existence, ce qui est en dehors des champs du raisonnement, de la logique." Si "le roman cultive le mentir-vrai … la biographie ne peut pas mentir. Elle repose tout entière sur le vrai ou tente de s'en approcher … ce vrai est le diamant brut du genre, son trésor, son orgueil."
Rédiger une biographie s'apparente à l'art de la sculpture qui à partir du monolithe brut le débarrasse de ses scories, dégrossit, arrache les éclats, affine, polit les formes pour finalement offrir à la lumière les traits du personnage qui se cache au creux du bloc, et restituer ce que le temps à tendance à enrober de la gangue de l'oubli. Sachant bien qu'aussi figurative soit l'œuvre, le sujet conservera toujours cette part d'ombre que chacun emporte avec lui dans l'au-delà.
Si j'en juge par la qualité de cet ouvrage intimiste de Dominique Bona, j'augure que les biographies de son cru, qu'il m'engage à découvrir, savent restituer plus que l'apparence des sujets qu'elle a choisis pour en dresser le portrait. J'augure qu'à l'instar des œuvres d'une Camille Claudel - laquelle a fait partie de ses sujets, les biographies de Dominique Bona, plus que restituer le portrait de ses modèles, savent suggérer au lecteur une part de ce mystère qui habite tout un chacun, un mystère d'autant plus ensorcelant que le personnage a fait lui-même de sa vie une œuvre.
Mais au final, s'intéresser à la vie des autres n'est-ce pas se chercher soi-même dans le miroir de leur destinée ?
Jardins secrets de Lisbonne ~~~~~ Manuela Gonzaga
Cette pérégrination dans la Lisbonne des initiés est organisée en neuf chapitres titrés jardins secrets et numérotés. A la lecture des deux premiers, j'en étais à me demander si je n'allais pas faire valoir mon droit de retrait. En le refermant, je déclare cet ouvrage en coup de coeur de cette année. Je n'en reviens pas moi-même.
Pareille construction est à l'évidence délibérée de la part de l'auteur. Une
façon de mettre son lecteur à l'épreuve, de tester sa capacité à aborder un
développement empreint de psychologie humaine. Un ouvrage qui enfièvre les
sentiments aux antipodes de la frivolité. Des sentiments exacerbés par l'attente
anxieuse d'un dénouement triomphal. Des sentiments qui commandent à la raison,
échappent à la condition terrestre de qui les éprouve.
Entrer dans pareil ouvrage n'est pas de première évidence. Il faut dire que
pour faire connaissance avec ses personnages, Manuela Gonsaga ne ménage pas son
lecteur. Elle ne fait pas les présentations. Qui sont ces "je",
'il" ou "elle" qui font mystère de leur personnalité. Il faut
traverser les premiers jardins secrets, l'esprit sur le qui-vive, pour se
familiariser avec ceux dont on découvre la complexion par petites touches. Mais
lorsque l'on a été admis dans l'intimité des caractères, qu'on est devenu un
familier d'Alice,
d'Amalia, de Brigite ou encore de Jorge, le
séducteur malgré lui, on se trouve compromis dans des intrigues amoureuses qui
exaltent le noble sentiment. Pour une plus grande désillusion ? L'Amour
majuscule serait-il inaccessible à la pauvre nature humaine ? Inaccessible au
coeur assoiffé de plénitude de la femme en butte à l'autre, homme ou femme,
quand il est lâche, arrogant ou dédaigneux.
"Fuis le serpent, mais garde sa semence". C'est ce que retient Alice de
l'amour qu'elle voue à Jorge. Un être
dont la nature est toute de répulsion mais dont l'absence lui est
insupportable. Alice ne
comprend pas elle-même cette force qui la dirige vers Jorge, un homme
qui n'a pourtant rien pour plaire : banal d'apparence, alcoolique, brutal en
parole, mais toutefois jamais en acte, qui en outre est marié. Un homme sans
attrait et pourtant indispensable. Un génie de la séduction qui parvient à
l'entraîner dans tout ce qui peut terrifier une femme : les toiles d'araignée
dans les cheveux, les rats entre les pieds dans les souterrains de Lisbonne,
comme dans les dédales de l'âme humaine, entre attirance et répulsion. Les confins
de la folie. Incompréhensible penchant. Il le déclare lui-même : "Alice, qu'est-ce
que tu fais avec moi ? Je ne fais de bien à personne. Je n'apporte de bonheur à
personne. de moi tu n'obtiendras rien de bon." C'est le mystère, le grand
paradoxe de l'amour. Celui qui fait fi de l'apparence, du comportement et
pourtant crée entre deux êtres une attraction souveraine. Amour divin et nocif
à la fois.
Amalia connaît aussi son déboire sentimental. Amalia est d'une beauté rare.
Elle reste pourtant dans l'attente inassouvie d'un geste, d'un simple mot,
puisque de déclaration il ne peut être question, de la part de celui qu'elle
aime. Pourtant elle s'est dénudée devant lui. Il a fait des photos d'elle. Des
photos qui ne témoigneront cependant pas de la sensualité qui brûle son corps,
ardent du désir de voir une main se poser sur sa peau. Meurtrie d'indifférence,
Amalia laissera Brigite, la mère maquerelle qui a pour Amalia une attention
toute maternelle, vendre sa virginité au plus offrant et faire commerce de son
corps avec la même indifférence que celle qui avait été la seule réponse à son
attente fébrile.
Là encore, le théâtre de ces mélodrames est autant personnage du roman que
celles et ceux dont le coeur palpite sous les coups de boutoir de l'amour. Un
ouvrage qui m'a fait regretter de ne pas connaître Lisbonne. La langue aussi.
J'ai dû avoir recours à une portugaise de naissance pour me faire traduire un
terme auquel notre langue n'offre pas d'équivalent. Un terme essentiel pour
traduire le sentiment complexe qui anime ces femmes en proie au désarroi du
coeur. Ce terme c'est la "saudade". Il pourrait être un autre titre à
cet ouvrage pour exprimer cette oppression faite de mélancolie, de nostalgie en
même temps que d'espoir.
Un coup de coeur qui au point final vous fait revenir vers le début de
l'ouvrage, revisiter les premiers jardins
secrets de Lisbonne avec un regard averti. Encore plus curieux. Encore
plus avide de s'imprégner de la "saudade" qui répand son voile sur le
coeur d'Alice et
d'Amalia.
"Fuis le serpent, mais garde sa semence". Beau, beau, bel
ouvrage que les Jardins
secrets de Lisbonne. Vraie performance d'auteur à mon goût.
Je remercie Babelio et les éditions le poisson volant de m'avoir gratifié de
pareil moment de lecture.
mercredi 21 octobre 2020
Sérotonine ~~~~ Michel Houellebeq
Je m'étais retenu jusqu'à ce jour où de passage devant une
librairie de Bayonne l'édition J'AI LU me toisa en vitrine. J'ai cédé, j'ai lu,
Je suis foutu. Aurait dit un célèbre conquérant qui a laissé les traces de sa
culture en nos contrées. Quand je parle de traces, j'évoque la marque de ses
spartiates sur notre profil de combattant râleur, valeureux mais laminé quand
même par ses légions.
C'est la fin des haricots. D'habitude, il - Michel pas Jules - comptait sur sa
libido pour se requinquer, regonfler son moral en même temps son attribut du
genre. Mais avec Sérotonine il
a été mis en berne grave, comme diraient avec leur idiome à la mode ceux qui
ont encore l'âge de croire que leur mâlitude sera éternelle. Solitude, déprime,
la tombe se creuse au fil des pages. Y'a-t-il un espoir au fond du trou ?
J'avais déjà bien entamé la descente aux enfers en ayant lu les précédents
ouvrages de notre goncourisé frigorifié. Cette fois nous y sommes. Justifiez
l'appellation de votre métier les hommes en noir, mordez-moi les orteils avant
de visser le couvercle. On ne sait jamais. Un sursaut …
Je ne sais pas qui s'est essoufflé de nous deux, moi le lecteur, lui l'auteur.
J'ai bien peur que ce ne soit le premier que je suis car pour ce qui est de la
déprime, je sens bien que notre trublion de la littérature moderne en a encore
sous le pied. Je crains pour le prochain ouvrage de sa main. J'ai bien peur que
sauf sursaut d'optimisme inespéré il ne soit écrit d'outre tombe. Un autre y a
déjà publié ses mémoires. Encore que l'essai a déjà été transformé avec La
carte et le territoire, ouvrage post mortem d'un martyr de la société de
consommation. Peut-être apprendrons-nous alors enfin des raisons de ne pas nous
alarmer de notre trépas prochain, car pour ce qui est de la vie terrestre la
grisaille s'opacifie très vite. Au fur et à mesure que les jeunes et jolies
jeunes filles tournent leur regard vers d'autres que ceux qui n'ont pas encore
atteint à leurs beaux yeux l'âge de la transparence.
Cet ouvrage qui nous enterre avec son narrateur a quand même quelques mérites.
Il attire notre regard sur une profession malmenée par la mondialisation.
Labourage et pâturage ne sont plus les mamelles de la France. La mammographie
européenne a dévoilé le malaise. le lait français n'est plus bon qu'à être
répandu devant les préfectures. Nos braves paysans sont trop nombreux, trop
chers.
Il est toujours aussi savoureux dans son écriture cet ouvrage. Il n'envoie
personne dire à la place de son auteur ce qui ne lui plaît pas chez un tel ou
un autre. Il a un sens aiguisé de l'observation des moeurs de nos
contemporains, le verbe caustique pour pointer du doigt les perversions de
notre mode de vie moderne. Mais en fil rouge il y a quand même une histoire
d'amour. Une vraie. Pas qu'une histoire de sexe. Mais c'est un raté, cette
histoire. L'amour et le sexe ne feraient-ils pas bon ménage. Une faute, une
erreur de parcours a tout foutu en l'air. Un seul être vous manque et… Et
Camille si tu savais.
mercredi 7 octobre 2020
Sacrifices ~~~~ Pierre Lemaitre
J'ai commencé par la fin de la trilogie Verhoeven. Il me manque donc d'avoir lu les deux autres tomes pour mieux connaître le commissaire à la taille de nain. On apprend dans cet ouvrage que ce limier doit cette obligation de lever la tête pour croiser le regard des autres au tabagisme de sa mère. Cela ne nous dit pas pourquoi Pierre Lemaître a fait de son héros un nain. Sans doute parce qu'une taille de 1,45m imposera à celui qui en est affublé un surcroit de volonté et de détermination pour s'imposer à son entourage, mais aussi et surtout aux géants de la délinquance que son métier met sur sa route.
La nature a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités nous dit Tahar Ben Jelloun. Inégalités qui requièrent des prouesses de caractère pour être combattues. Le commandant Verhoeven de la brigade criminelle semble ne pas en manquer tout en conservant une certaine sensibilité. Il faut dire que la vie ne l'a pas épargné en lui prenant sa bien aimée quatre ans auparavant. Avec Sacrifices, celle qui comble sa solitude de temps à autres est elle aussi menacée. Quel métier !
Ce flic, petit par la taille mais grand par la conscience professionnelle,
n'échappe pas au sort des héros : il est solitaire. C'est donc dans un déficit
de soutien qu'il devra conduire cette enquête dont il fait une affaire
personnelle en dépit de la règle du métier selon laquelle un enquêteur ne peut
travailler sur un cas qui le touche de près. le sentiment est forcément mauvais
conseiller dans les affaires professionnelles. Verhoeven le
sait mieux que quiconque. Il persiste. Il met sa carrière en jeu. Advienne que
pourra, il se fait un devoir de coffrer le tortionnaire de celle qui partage sa
vie. Autant que puisse être partagée une vie de flic.
Seul face à la hiérarchie. Seul face à la justice. Seul face aux truands. Mais
au fait, pourquoi ces derniers ont-ils épargné celle qu'il tenait au bout de
leur canon de fusil, au risque d'être reconnus, après l'avoir copieusement
maltraitée au point de la rendre méconnaissable ? Verhoeven est
seul pour échafauder les hypothèses. Seul mais déterminé.
Le temps est compté pour le flic qui se lance sur les traces des voyous sans avoir l'aval de la hiérarchie, policière autant que judiciaire. le roman est minuté. Les cruautés ne manquent pas au tableau. Autant physiques que psychologiques. Sans doute une marque de fabrique chez Pierre Lemaitre, chez qui la compromission se paye cher. A héros atypique, polar atypique. Anti héros serait-on tenté de dire. Pierre Lemaitre nous offre un beau baroud d'honneur pour ce flic qui ne veut pas d'une sympathie compatissante.
J'ai fait une infidélité à Adamsberg de Fred Vargas avec
ce polar. Mais l'un comme l'autre me font prendre goût au polar. Nos yeux
courent sur les lignes comme le flic aux fesses des truands. le suspens y est
habilement dosé, la qualité des énigme, construction et dialogue n'a pas besoin
des effets spéciaux qu'on se croit obligé de nous servir trop souvent désormais
pour compenser certaines pauvretés. Avec un épilogue comme je les aime. Un
épilogue qui ouvre l'avenir autant qu'il le ferme.