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mardi 31 mai 2022

L'amour au temps du choléra ~~~~ Gabriel Garcia Marquez


L'amour au temps du choléra aurait pu s'intituler l'amour à l'épreuve du temps. Car c'est bien longueur de temps que nous fait vivre Gabriel Garcia Marquez avec ce roman d'une incroyable densité romanesque. L'amour serait-il lui aussi une maladie, comme le choléra, une menace sur la vie des gens.

Amour à l'épreuve du temps, mais aussi du qu'en-dira-t-on. Quand d'aucuns voudraient prétendre qu'à partir d'un certain âge l'amour devient indécent. Amour à l'épreuve de l'assiduité du lecteur aussi, de la part d'un auteur qui veut le faire s'imprégner de l'alanguissement du soupirant éconduit. Il faudra au lecteur à la fois affronter la vie d'un couple légitime livré à son quotidien dont on sait combien il est un tue-l'amour et endurer l'attente résignée d'un amoureux qui ronge son frein.

Mais le style est là pour soutenir l'intérêt quand les événements se font désirer pour relancer l'intrigue. L'écriture de l'auteur nobelisé est là avec toute sa puissance au service de l'oeuvre romanesque. Une écriture sûre de son fait, érudite tout en restant accessible. Une écriture d'une remarquable précision qui dissèque les caractères, analyse les émotions et livre au lecteur l'intimité de ses personnages ainsi mise à nue. Véritable effeuillage psychique qui dévoile leur palette sentimentale à l'épreuve des codes moraux d'une société dans son époque. Comme un écorché de psychologie humaine pour nous faire endurer une vie d'asservissement à la passion.

Avec L'amour au temps du choléra on n'est pas aux confins du fantastique comme dans Cent ans de solitude, on est au plus profond de l'être, à tenter de palper ce secret qui fait qu'une personne s'éprend d'une autre. Amour indifférent à l'érosion du temps. Attendant son heure, même si dans la bonne société en ce début de XXème siècle il fait détourner le regard lorsqu'il s'expose dans la grande maturité. L'alanguissement ne décourage pas son lecteur lorsqu'il est soutenu par la formidable écriture de Gabriel Garcia Marquez.


jeudi 4 juillet 2019

Cent ans de solitude ~~~~ Gabriel Garcia Marquez



Lorsque la famille Buendia s'exile vers une contrée reculée, encore inhabitée, pour y fonder Macondo, on l'imagine livrer un combat contre une nature vierge et hostile avec tous les dangers auxquels se confrontent les pionniers. On se rend très vite compte que Gabriel Garcia Marquez ne fait que transplanter la graine de l'humaine condition dans une terre nouvelle pour l'y observer dans sa germination et sa croissance. Espérant sans doute la voir tirer enseignement d'une civilisation qui a montré ses imperfections et lui donner l'occasion de nourrir une nouvelle prospérité.

Il s'affranchit de la contrainte du tangible dans le seul but de se focaliser sur les thèmes qu'il veut développer avec l'artifice d'un laboratoire à ciel ouvert. L'expérience démontrera pourtant rapidement que, peu importe le terroir, les gènes prévalent. La petite société ainsi constituée reproduit à son niveau les travers que la culture à plus grande échelle avait développés. La plante humaine reste humaine. La transplantation n'a pas épuré son ADN des tares congénitales et originelles qui la caractérisent.

La dérision peut se montrer d'une redoutable efficacité pour traiter de sujets graves. Autant qu'un réalisme magique pour focaliser sur le fond du sujet et s'affranchir d'une forme trop encombrée de ses codes moraux et sociaux, quand ce n'est pas mystiques. Carcan cousu au fil de l'histoire et propre à distraire de l'essentiel. Les références bibliques sont pourtant lisibles. Mais pourquoi refaire le scenario d'une genèse quand un est déjà prêt pour servir de support à une démonstration.

Observateur froid et objectif de l'expérience, le narrateur regarde prospérer les nouveaux sujets, les décrivant retourner à leurs vieux démons, "prisonnier de la solitude et de l'amour et de la solitude de l'amour", mais leur ôtant la gravité "à prouver l'existence de Dieu à l'aide de subterfuges au chocolat."

La consanguinité origine de tous les maux. L'observation d'une communauté réduite au périmètre de Macondo peut-elle avoir valeur de généralisation ? le petit cercle, symbolisé par celui que trace le colonel Aureliano autour de lui, peut-il s'extrapoler à l'échelle de la planète, pour prouver l'enfermement de l'humaine condition dans le cycle de l'éternel recommencement, éternelle dégénérescence ? N'y a-t-il point d'échappatoire à toutes ces obsessions qui font rejaillir "les plus anciennes larmes de l'humanité." D'échappatoire à cette condition qui "poussent des gamines à se mettre au lit pour ne plus avoir faim."

Même si j'ai peiné sur l'arborescence d'un arbre généalogique dans lequel on confond ramure et racines, qui se termine en queue de cochon, je n'ai pu qu'applaudir des deux mains ce burlesque sévère et foisonnant. Il n'est que de lire à la page 440, éditions Points, le viol consenti d'Amaranta Ursula par Aureliano – je ne sais plus le combien, mais cela importe peu. C'est ce genre de ravissement à la virtuosité qui nous fait rejoindre la voix de ceux qui plaident pour classer cet ouvrage parmi les cent meilleurs de tous les temps.

Au lecteur d'être à la hauteur !

"Il ne lui était jamais venu à l'idée que la littérature fût le meilleur subterfuge qu'on eût inventé pour se moquer des gens, comme le démontra Alvaro au cours d'une nuit de débauche. Il fallut un certain temps à Aureliano pour se rendre compte qu'un jugement si arbitraire n'avait d'autre source que l'exemple même du savant catalan, pour qui le savoir était peine perdue s'il n'était possible de s'en servir pour inventer une nouvelle manière d'accommoder les pois chiches."