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mercredi 16 septembre 2020

La méthode Schopenhauer ~~~~ Irvin D. Yalom


Selon les propos de Tacite mis dans la bouche de Schopenhauer dans cet ouvrage, "la soif de la gloire est la dernière des choses à laquelle l'homme sage doit s'intéresser". Et pourtant ne passons-nous pas notre vie dans la quête de la reconnaissance de nos pairs ?

C'est l'évidence qui saute aux yeux de Julius Hertzfeld lorsqu'il apprend qu'une maladie incurable le condamne à brève échéance. L'urgence l'assaille alors de trouver sens à sa vie avant de la quitter. Il est un psychiatre reconnu. Il se met en demeure de fouiller dans le registre de ses patients en quête de ceux qu'il aura guéris de leur mal être et auront retrouvé ainsi goût à la vie. Mais contre toute attente son attention se porte sur le nom d'un homme, Philip, lequel souffrait d'une obsession sexuelle irraisonnée et méprisante de ses partenaires, dont le cas aura été l'échec de sa carrière.

Philip en voie de devenir lui-même psychothérapeute cherche un tuteur pour sa thèse. Un marché se conclut entre eux : Julius accepte de devenir son tuteur à la condition que Philip intègre un groupe de patients en thérapie collective. Féru de philosophie, de Schopenhauer en particulier dont les préceptes lui ont permis de trouver apaisement à son addiction au sexe, c'est à contre coeur que Philip intègre le groupe. Il voue en effet à ses congénères la même misanthropie que celle qui animait son maître à penser en son temps. Cette indisposition sera augmentée lorsqu'il découvrira parmi les personnes constituant le groupe une de ses partenaires d'un soir. Elle cultive logiquement à son endroit une rancoeur féroce.

Gagné à l'obsession de faire de sa vie un bénéfice pour les autres et non de laisser le souvenir de sa personne, Julius déploie son ardeur à guérir Philip de l'affliction qu'il identifie comme l'origine de tous les maux sur terre : l'indifférence voire le mépris de l'autre. Lequel s'était exprimé chez lui par des conquêtes sexuelles innombrables et sans lendemain.

Voilà donc le quatrième ouvrage que je lis de la main d'Irvin Yalom. Après NietzscheSpinoza, Épicure, je le retrouve aux prises avec les thèses de Schopenhauer. le psychothérapeute qui se ressource chez les philosophes se frotte dans cet ouvrage au plus atrabilaire d'entre eux à l'égard de ses congénères. Son intention étant de contrer la propension des uns à fuir leurs semblables, dont Schopenhauer s'était fait un porte drapeau, et à faire naître la conviction que la communauté humaine ne peut être que réconfort de tout un chacun lorsqu'il est confronté à l'angoisse de la mort. Julius s'en est convaincu lui-même en forme de résilience après avoir accusé le coup de l'annonce de sa fin prochaine.

La caractéristique de la vie est son impermanence. La mort est inéluctable. Aussi Irvin Yalom, à l'unisson des grands philosophes humanistes, veut nous convaincre que la meilleure façon de l'aborder est de donner sens à sa vie, en se tournant vers les autres et non se focalisant sur sa propre personne. de pouvoir se dire à l'échéance ultime que l'on revivrait volontiers la même vie, si tant est qu'elle fut dépourvue de l'âpreté au gain, de la satisfaction de ses moindres désirs, y compris sexuels, lesquels ne sont que voleurs de conscience.

Irvin Yalom intègre son lecteur dans le huis clos de cette thérapie de groupe. Il développe les cheminements de pensée, étudie l'interaction des caractères et les processus d'évolution des mentalités vers le but que s'est fixé son héros et porte parole. Ce dernier se montrant le moins invasif possible dans les échanges, son rôle se limitant à relancer une discussion qui s'essouffle ou au contraire à calmer les ardeurs qui s'enflamment.

Comme à l'accoutumer dans les ouvrages d'Irvin Yalom, la thérapie portant essentiellement sur la libération de la parole, il fait le plus grand usage du dialogue dans ceux-ci. Cette méthode a le mérite de donner vie à l'écrit et de rendre la lecture très fluide. L'intrusion de la philosophie dans la psychanalyse est passionnante. Elle veut nous convaincre que l'homme doit s'assumer lui-même y compris et surtout en envisageant sa propre mort. Ne pas avoir recours aux expédients d'une quelconque religion, reposant donc sur la croyance, qui n'est à ses yeux, lui promettant une vie après la mort, que duperie et refus d'assumer sa finitude.


mardi 23 juin 2020

Le jardin d'Epicure ~~~~ Irvin D. Yalom

 



"Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face". C'est avec cette maxime De La Rochefoucauld qu'Irvin Yalom termine son ouvrage. Et s'il nous confirme la précaution de ne pas nous brûler les yeux en fixant l'astre de vie, il nous invite pour ce qui est de la mort à ne pas nous voiler la face. En adoptant par exemple les préceptes d'Épicure pour calmer nos angoisses éventuelles et apprivoiser l'idée de la mort, puisqu'il ne saurait être question de la dompter.

Épicure dont les jouisseurs auront travesti la philosophie à leur avantage, ne retenant du bien vivre sa vie que le simulacre réducteur de faire bonne chair. Que ce soit sous la dent ou sous la couette, oubliant sans vergogne les élans d'humanité qui prévalaient dans l'esprit du philosophe, privilégiant une généreuse cohésion entre congénères affublés du même poids sur la conscience qu'est l'impermanence de la vie. Démarche en quête d'ataraxie, la tranquillité de l'âme. Être acteur de l'ici et maintenant, valoriser ainsi chaque instant de sa vie, condition nécessaire selon lui pour affronter son échéance inéluctable avec le sentiment d'avoir rempli le rôle non-dit dévolu à tout être doué de raison apparu sur terre. Car dans le mystère de la vie, on s'interroge en fait sur l'intention qui la déclenche et la reprend.

Irvin Yalom dénie le recours au dogme religieux quel qu'il soit sans toutefois en faire reproche aux convaincus. Il lui préfère ce que la raison permet de déduire de ses cogitations intimes. C'est à n'en pas douter ce qui lui vaut ses affinités avec un Spinoza ou un Nietzsche, lesquels ne voyaient en la religion que soumission naïve, dénuée d'esprit critique, inculquée par une éducation despotique.

J'ai eu à cette lecture la satisfaction de retrouver un concept dont mes pauvres réflexions secrètes avaient envisagé l'hypothèse. C'est la théorie de la symétrie. Épicure avance que l'état de non existence avant la naissance est le même que celui d'après la vie. Il n'y aurait donc pas d'angoisse à avoir d'une mort qui n'est jamais qu'une situation déjà connue – on ne sait quel terme employer quand il s'agit d'évoquer le non-être – mais qui ne nous aurait donc laissé aucun souvenir. Que pourrait être en fait souvenir du néant ?

Le jardin d'Épicure est un ouvrage de réflexions potentiellement secourables fondé sur la riche expérience d'un thérapeute de renom, construit à partir de témoignages choisis par lui pour leur valeur pédagogique et qui encouragera l'angoissé en détresse à trouver une oreille avisée. Celle d'un confrère. Un spécialiste apte à décrypter l'origine de certaines peurs ou angoisses harcelant le conscient ou l'inconscient de tout un chacun. Il y a donc quand même en filigrane dans cet ouvrage une autopromotion de la profession à laquelle Irvin Yalom a consacré sa vie, sachant pertinemment que l'angoisse de la mort est un fonds de commerce qui a de l'avenir.

Mais cantonner cet ouvrage à une finalité mercantile serait un détournement d'intention auquel je ne me livrerai pas. Il a une réelle valeur didactique puisqu'il n'est question ni de spiritualité ni de métaphysique ou encore d'ésotérisme. C'est un ouvrage qui aborde un sujet lourd auquel, aux dires de l'auteur, beaucoup de ses confrères rechignent, confrontés qu'ils sont eux-mêmes à leur propres doutes. le dernier chapitre leur est d'ailleurs dédié avec la précaution oratoire de l'expurger du jargon technique afin d'emmener jusqu'au point final le profane, lequel aura trouvé dans le reste de l'ouvrage les ressources suffisantes pour ne plus se voiler la face et dormir du sommeil du juste, en faisant que ses rêves ne deviennent pas cauchemars.


samedi 20 juin 2020

Le problème Spinoza ~~~~ Irvin D. Yalom

 


A trouver le nom de Spinoza en titre d'un ouvrage on est surpris de le voir associé à celui d'un Alfred Rosenberg, l'idéologue du parti nazi.

Rosenberg, personnage en retrait, plus introverti, moins exposé que ceux avec qui il partagea le banc des accusés au procès de Nuremberg, nourrissait en lui-même trois contrariétés souveraines. Il n'était en premier lieu pas aimé des têtes d'affiche du parti, au premier rang desquels son idole Hitler. Ce dernier ne le gratifiant de compliments que pour les diatribes racistes enflammées qu'il publiait dans le journal dont il était rédacteur en chef. En second lieu, son arbre généalogique pouvait faire ressortir, à qui aurait su fouiller les archives, une lointaine ascendance juive. Et enfin, il se confrontait au problème Spinoza.

L'obsession principale d'un idéologue tel que lui étant la légitimation de ses théories, plus ces dernières sont scabreuses, voire malsaines jusqu'à être nauséabondes, plus le recours aux références du passé lointain s'impose pour dissoudre leurs fondements dans le bourbier d'une mémoire invérifiable. C'est l'exercice auquel se livre Rosenberg dans son intention de soutenir la thèse de la nature vénéneuse de la race juive, en remontant bien au-delà du siècle qui a vu naître Spinoza, le penseur juif d'ascendance portugaise dont la famille persécutée avait trouvé refuge aux Pays Bas. Mais Spinoza pose problème dans l'argumentation historique du théoricien du fait de l'aura qu'il a auprès des penseurs allemands de souche, au premier rang desquels Goethe. Les Allemands plaçant ce dernier très haut sur l'échelle des célébrités du pays et l'évoquant volontiers quand le discours se fait nationaliste, sans doute au grand dam de sa mémoire. Sa notoriété fait référence. Spinoza avait certes été excommunié à vingt-trois ans par les autorités religieuses de sa confession, mais selon Rosenberg le poison juif n'est pas dans la religion, mais bien dans le sang de la race. Aussi, la célébrité de Spinoza auprès de l'intelligentsia allemande, de purs Aryens, est-elle un caillou dans la chaussure du théoricien névrosé et pervers qu'il est et dont le racisme imprègne chaque cellule de son corps.

En peine de comprendre les écrits du philosophe, dont a fortiori son ouvrage majeur l'Ethique, Rosenberg qui se dit lui-même philosophe, s'empresse, dès la conquête des Pays Bas par l'armée allemande en 1940, de s'approprier la bibliothèque de Spinoza. Espérant sans doute y trouver la clé du succès des pensées de ce dernier auprès des intellectuels allemands et élucider ainsi ce qui était devenu en son esprit le problème Spinoza.

Spinoza, refusant de voir son raisonnement étouffé par le dogme, avait été un problème pour ses coreligionnaires contemporains. Ils avaient été conduits à le marginaliser. Il en est resté un pour les idéologues nazis en sa qualité de juif dont ils auraient pu épouser les thèses si ce n'était le soi-disant poison que sa naissance avait introduit en ses veines.

Beaucoup des personnages des ouvrages d'Irvin Yalom deviennent fictivement ses patients. Il est un psychanalyste américain de renom et la thérapie psychanalytique reposant beaucoup sur la libération de la parole, il fait grandement usage dans ses ouvrages de la technique du dialogue. Elle a le mérite de rendre ses ouvrages très vivants, de structurer de manière très lisible au profane le cheminement de pensée dans la recherche des sources du mal. Cette approche convaincante permet d'intégrer le processus intellectuel qui a pu amener une personne à commettre le pire. Même si, s'agissant des théoriciens de l'idéologie nazie, on ne peut déceler de justification intelligible à leurs thèses. L'exploration de leur raisonnement débouche dans l'impasse de la perversité pure, laquelle a pu trouver en la personne du schizophrène mégalomane qu'était Hitler la prédisposition à l'envoutement hypnotique des masses.

Le problème Spinoza est un ouvrage absolument passionnant en ce sens qu'il confronte par chapitre alternés le bien et le mal absolus, la philosophie libérée de la tradition, de la prière, des rituels et de la superstition d'un Spinoza à la théorie irrationnelle et contrainte d'un Rosenberg. le premier plaçant la raison au dessus de tout quand le second se focalise les critères de race. L'esprit éclairé contre l'obscurantisme le plus opaque et le plus malfaisant.

Ma lecture de "Et Nietzsche a pleuré" m'avait fait découvrir et apprécier cet univers de l'évocation philosophique au travers du prisme de la psychanalyse, avec une écriture accessible dépouillée du jargon technique spécialisé, ce second ouvrage que j'ai lu de cet auteur me conforte dans cet engouement. Ouvrage très enrichissant tant sur le plan historique que sur celui des mécanismes de pensée.


samedi 16 mai 2020

Et Nietzsche a pleuré ~~~~ Irvin D. Yalom

 


Pour qu'Irvin Yalom la provoque dans cet ouvrage, la rencontre n'était donc pas si improbable que cela. Elle aurait même été envisagée par les amis du philosophe dont le visage n'était que regard et moustache, tant le premier était insondable et cette dernière lui mangeait le visage. Confrontation envisagée mais jamais aboutie, de deux hommes certes, mais au-delà de cela, de deux démarches de réflexion : la philosophie et la psychanalyse. Si la première avait déjà fait ses armes depuis que l'écriture nous en rapporte les traits, la deuxième en était à ses balbutiements en cette fin de XIXème siècle.

Les deux personnages que le roman fait se confronter sont Josef Breuer, l'un des pionniers de la psychanalyse - Sigmund Freud alors étudiant est son ami - et Friedrich Nietzsche, qu'on ne présente plus dans son domaine. Encore que la rencontre se tienne en un temps où ce dernier n'avait pas encore acquis ses lettres de noblesse dans sa discipline, puisque la limpidité de sa pensée n'a éclaté aux yeux de ceux qui deviendront ses disciples qu'après que sa maladie eût raison de ses facultés intellectuelles.

Un prétexte a donc été trouvé par Irvin Yalom pour provoquer la rencontre. Nietzsche étant réfractaire à tout épanchement, toute confidence, reclus dans le fortin d'une solitude qu'il cultivait pour ne pas voir la pureté de sa pensée profanée par celle d'autrui. Les horribles maux de tête qui le harcelaient régulièrement furent ce prétexte. Un pacte fut conclut entre les illustres protagonistes pour escompter une guérison réciproque. Le premier de ses migraines, le second d'un mal qu'il croyait s'inventer : le désespoir.

Les séances de thérapie croisée donnent lieu à de formidables joutes verbales de haut vol qui permettent à l'un et l'autre de dispenser le fruit de leur réflexion profonde et user de leur partenaire pour affuter leur thèse. Au point que progressant dans l'ouvrage on ne discerne plus très bien qui soigne qui, d'un mal physique ou d'une angoisse. Dernière hypothèse dans laquelle le docteur Breuer fonde ses espoirs pour trouver à toute pathologie une origine psychologique.

Les deux forteresses armées de leurs certitudes et de leur théorie tentent de faire tomber le rempart adverse de l'apparence pour mettre au jour la véritable cause de leurs symptômes respectifs


D'un côté le sujet est revêche, hermétique, voire associable, campé sur l'obsession d'amener à son terme la transcription de sa pensée d'avant-garde pour les générations futures. Ses contemporains étant jugés par lui inaptes à assimiler la hauteur de celle-ci diffusée à grand renfort d'aphorismes. De l'autre, le praticien établi, d'ascendance juive mais athée, ouvert à la psychanalyse, qui croyait s'inventer un fonds de tourments pour susciter l'intérêt du philosophe. Les deux forteresses armées de leurs certitudes et de leur théorie tentent de faire tomber le rempart adverse de l'apparence pour mettre au jour la véritable cause de leurs symptômes respectifs. Peurs morbides et histoires de coeur seront tour à tour causes et conséquences des angoisses qui tenaillent les contradicteurs.

Car l'amour n'est pas absent des débats, aussi longtemps que s'en défendent les pugilistes du verbe. Mais amour destructeur ou salvateur, créateur d'angoisses ou remède à celles-ci. Convenons quand même que de la part de nos protagonistes c'est tenir la femme en cette fin de XIXème en un rôle qui ne lui laisse que peu de prise sur le débat, cantonnée qu'elle est au confort sentimental de son soupirant.

"Deviens qui tu es"

Irvin Yalom situe la rencontre périlleuse autant que prodigieuse entre les deux célébrités à la veille pour Nietzsche de se lancer dans la rédaction de son ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra dans lequel il fera du leitmotiv qu'il assène à son médecin-patient, ou patient-médecin selon les alternances d'ascendance de l'un sur l'autre, une recommandation impérieuse : "Deviens qui tu es", en suivant ta propre voie.

Magnifique ouvrage qui rend accessible au lecteur peu averti, dont je suis, le fruit des réflexions et théories afférentes de l'illustre penseur et de la contradiction du thérapeute. Ouvrage qui se lit comme un roman et dont l'auteur justifie la raison d'être par une citation d'André Gide : "L'histoire est un roman qui a été; le roman une histoire qui aurait pu être."

Ouvrage qui me contente accessoirement d'avoir trouvé un auteur passionnant et m'engage à nourrir ma PAL d'autres de ses oeuvres, dont une qui met en scène un autre penseur en vogue en ce début de XXIème siècle alors que l'homme ferait bien de se remettre en question dans sa frénésie consumériste : Spinoza.