Ecrit quelques mois après la défaite de la France submergée par les troupes allemandes en 1940, cet ouvrage est un chaos de réflexions jetées sur le papier par celui qui n'est pas encore en 1942 l'auteur du Petit Prince, pris de saisissement qu'il fut par la déroute de son pays.
Attentif à n'en culpabiliser aucunement ses compatriotes, que son humanisme de
croyant lui interdit de juger, Saint-Exupéry cherche
à comprendre mais plus urgemment à mobiliser le peuple américain autour du sort
des Européens. Avec cet ouvrage il se fait l'avocat de ses compatriotes et veut
faire comprendre qu'ils n'ont pas démérité, et qu'il y a urgence à leur venir
en aide pour éradiquer la peste brune répandue en son pays.
Sur fond d'un amour patriotique blessé, aux préoccupations d'ordre technique –
il est pilote avant tout – se mêlent les réflexions de l'humaniste qui s'est
découvert aux yeux du public au gré de ses précédents ouvrages. Les
insinuations spirituelles du croyant sont plus sibyllines. Elles seront plus
évidentes dans Citadelle.
Sans doute veut-il s'exonérer de toute allusion à une forme de punition céleste
contre quelque jouissance terrestre coupable de ses compatriotes assoupis par
le pacifisme rampant du lendemain de la première guerre mondiale.
Il ne veut en tous cas et à toute force ne pas rester passif face au désastre
car « l'inertie est une forme fruste du désespoir », un ultime abandon dont il
se défend tant il veut croire au sursaut. Qu'il ne connaîtra malheureusement
pas. Cet ouvrage est avant tout celui d'un amoureux de son pays offusqué par la
débâcle. Sa cohérence n'est pas dans une intrigue, une histoire, un récit de
guerre, elle est dans ce fil rouge qu'est la détermination du patriote à
mobiliser les énergies pour restituer à son pays sa fierté, sa liberté. Ce n'est
pas une lecture facile.