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Ouvrages par genre
jeudi 18 janvier 2024
Les amibitieuses ~~~~ Virginie Girod
40 femmes qui ont marqué l'Histoire par leur volonté d'exister et d'agir !
Chez les hommes, elle coule de source.
Chez les femmes, elle est mal vue.
Vertu pour les uns, péché pour les autres, c’est la même ambition qui les anime pourtant – mais aux femmes elle demande plus. Plus d’audace. Plus de scandale… Les quarante indociles dont il est question entre ces pages, de Cléopâtre à Oprah Winfrey, de Jeanne d’Arc à Gisèle Halimi, ont chacune à leur manière révolutionné le monde. Mais à quel prix ?
Aux grandes ambitieuses, l’humanité reconnaissante…
mardi 24 octobre 2023
L'as de coeur ~~~~ Morgane Moncomble
🌕🌕🌚🌚🌚
jeudi 1 juin 2023
L'appel de la tribu ~~~~ Mario Vargas Llosa
"Le monde romanesque n'est que la correction de ce
monde-ci" nous dit Albert Camus dans L'homme révolté.
A explorer l'œuvre de Mario Vargas
Llosa, voilà une assertion que l'on peut mettre au crédit de l'œuvre de ce
dernier. de la même façon qu'avec cet ouvrage dans lequel le prix Nobel de
littérature convoque sa tribu, ceux-là même qui ont concouru à la genèse de sa
pensée politique, à l'instar d'un Albert Camus il sait revêtir le
costume du philosophe. Philosophie qu'il applique ici à la politique avec
cet ouvrage autobiographique dans lequel il nous décrit l'évolution de sa
pensée en la matière. Comme pour beaucoup, la maturité formant l'homme, elle a
évolué de l'utopique vers le pragmatisme libéral.
Libéralisme dont il nous détaille sa conception. Se défendant de le réduire à
une recette économique des marchés libres, l'orientant vers une « doctrine
fondée sur la tolérance et le respect devant la vie, d'amour de la culture, de
volonté de coexistence avec l'autre et sur une ferme défense de la liberté
comme valeur suprême. » Mais selon lui, le libéralisme ne fonctionnant qu'avec
des convictions morales solides l'intervention de l'Etat peut s'avérer
nécessaire selon un dosage subtil qui devra écarter toute tentative d'hégémonie
du collectif sur l'individu. L'écueil étant cet étirement vers les extrêmes que
le discours populiste tente de faire, à droite comme à gauche.
Evoquant au passage le paysage politique français, qu'il connaît bien pour
avoir séjourné en notre pays, Mario Vargas Llosa met en avant le fait
que les belles intentions affichées au fronton de nos édifices publics peuvent
comporter leur lot de contradiction. « Ainsi pour établir l'égalité, il n'y
aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la
surveillance et l'action toute puissante de l'Etat. Que l'injustice sociale
soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité – et que
fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des
causes plus négatives que positives, comme celui d'une guerre ou d'un
cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est
quelque chose de regrettable et difficile à accepter. » Mais selon lui, ignorer
ces contradictions serait plus grave que de les affronter et c'est sans doute
la raison de son engagement en politique, non seulement dans son œuvre mais
aussi dans ses actes. N'a-t-il pas été candidat, certes malheureux, à
l'élection suprême en son pays en 1990.
Dans l'appel de la tribu, Mario Vargas Llosa invite les penseurs
politiques qui ont concouru à forger sa conviction, depuis le précurseur de la
pensée libérale au 18ème siècle, Adam Smith, jusqu'à
des Raymond
Aron et Jean-François
Revel au 20ème siècle. Intellectuels qu'il situe parmi les derniers
célèbres pour l'originalité de leurs idées et leur indépendance, nos
contemporains du 21ème siècle étant quant à eux plus préoccupés de leur image
et du spectacle qu'ils donnent en apparaissant dans les médias.
Romancier philosophe ou philosophe romancier, quelle que soit l'étiquette que
l'on collera au personnage on ne peut être qu'emporté par l'érudition du
personnage et le talent qu'il met au service d'un humanisme lucide, vertu en
laquelle il voit la sauvegarde de toute société.
L'homme est un animal politique selon Aristote, Mario
Vargas Llosa l'a bien entendu et n'est pas resté spectateur des choses de
ce monde. Avec cet ouvrage il nous offre l'occasion de mieux comprendre
l'univers dans lequel évolue beaucoup de ses personnages romanesques. Sachant
qu'avec lui de chaque roman il faut tirer une philosophie.
L'ouvrage foisonnant de substantifs en « isme » demande un effort
d'implication. Il est révélateur de la puissance conceptionnelle du personnage,
de ses hauteurs de vue lui permettant dans ses romans de disserter sur la
complexité de l'animal social qu'est l'homme. Sa force étant de garder un
discours à la portée de son lecteur le plus humble, sans toutefois amoindrir la
force du message.
lundi 31 janvier 2022
Le cri ~~~~ Nicola Beuglet
Quand la CIA s’occupe de nos âmes et de leur survie après le grand passage, nous sommes promis à l’exploration des trous noirs de l’univers, au plongeon dans l’ésotérique frigorifiant. Les croyants sont prévenus, ils vont y perdre leur latin et s’entendre dire des choses propres à ébranler leurs convictions.
Un bon départ pourtant pour ce thriller sous les frimas de la Norvège lorsque le patient d’un hôpital psychiatrique meure dans des circonstances qui retiennent l’attention de l’enquêtrice dépêchée sur place. Surtout lorsque le directeur de l’établissement, acculé par ses questions, met le feu à ses locaux pour faire disparaître des indices compromettants. Mais dès le transport de l’action en notre hexagone national le rythme devient effréné, sous la dictature d’un compte à rebours fatal pour la vie d’un enfant pris en otage par des tortionnaires insensibles.
Notre enquêtrice s’adjoint alors les services d’un reporter, tuteur de l’enfant dont les parents ont été éliminés par des hommes de main sans état d’âme, à l’accent slave guerre froide oblige. Tous deux deviennent les pantins du dernier survivant d’un programme de recherche de la CIA laquelle lui a fait endurer le calvaire d’un traitement chimique destiné à …
… à quoi d’ailleurs ? C’est ce qu’il veut savoir avant de quitter ce monde. Ses jours sont comptés. Qu’est-ce qui a bien pu faire pousser par les malheureux cobayes de la CIA ce cri d’outre-tombe qui donne son titre à l’ouvrage et fait trembler d’effroi ? Le dernier survivant veut connaître les tenants et aboutissants de ce programme de recherche diabolique. C’est la raison pour laquelle, sous la menace d’exécuter l’enfant, il lance notre couple d’enquêteurs de circonstance au travers de la planète entière pour connaître et la justification de son supplice et le nom de celui qui en a tiré les ficelles.
Cet ouvrage tire son intrigue d’un fait historique : en période de guerre froide l’opération secrète de la CIA baptisée MK-Ultra avait pour but de prendre le contrôle d’individus en altérant leurs capacités mentales afin de les manipuler, pénétrer les secrets de leur cerveau et en faire les marionnettes utilisables en tous lieux et circonstances, à toutes les vilénies imaginables.
La distance de l’ouvrage avec la réalité est, pour le fond, la connotation religieuse que prend l’intrigue. Pour la forme, c’est l’accumulation d’invraisemblances qui donne à nos enquêteurs des super pouvoirs pour reconstituer les preuves de l’opération que la CIA s’est pourtant attachée à faire disparaître en 1973. Dans le genre, je n’ose évoquer le dictaphone retrouvé dans le bunker délaissé par la CIA lequel retrouve la voix après quarante années de silence humide.
Ce genre d’ouvrage qui flatte la soif de sensations fortes au détriment de la crédibilité n’est pas de ma prédilection. Je suis trop attaché à la faisabilité par l’homme des choses humaines, en dehors de ce qui se revendique du genre fantastique bien entendu. Le toujours plus dans les sollicitations physiques rehaussé d’effets spéciaux version série américaine est à l’origine de trop d’invraisemblances et sombre dans la contrefaçon des émotions. Elles sont artificiellement suscitées pour répondre au stéréotype de scénario en vogue : un crime, un secret de famille, des méchants qui manipulent dans l’ombre, des enquêteurs qui se vouent indifférence voire hostilité au début et finissent par tomber dans les bras de l’un et de l’autre. Et pour couronner le tout une dose de pathétique avec l’enfant pris en otage dont la survie est suspendue au compte à rebours, lequel est supposé donner son rythme à l’intrigue. La ficelle est trop grosse pour émouvoir. On connaît la fin dès le drame engagé.
Mais à la décharge de ce sacrifice à la modernité il faut
dire que j’exècre la raison d’état lorsqu’elle broie l’individu au motif de
protection de la sécurité nationale. Le combat était perdu d’avance par l’ouvrage
pour me faire frissonner d’aise. Je salue quand même l’intention de faire
savoir que cela a existé et que notre avenir n’en est pas préservé des malfaisances
de cette sacro-sainte raison d’état. Mieux vaut ne pas se trouver sur son
chemin.
jeudi 30 avril 2020
Tours et détours de la vilaine fille ~~~~ Mario Vargas Llosa
- Alors, il est bien ce bouquin ?
- han… han…
- En tous cas, il a l'air prenant, je vois que tu ne le lâches pas.
- Oui. C'est vrai qu'il est prenant.
- Ça raconte quoi ?
- C'est l'histoire d'un amour impossible. Ricardo, un jeune péruvien – c'est la nationalité de l'auteur – est tombé fou amoureux d'une jeune et jolie compatriote. Mais, même si elle ne le rejette pas clairement, elle ne lui retourne pas de sentiments à la hauteur de ses espoirs, bien qu'elle accepte quand même de temps à autre de coucher avec lui. Elle est issue d'une famille très modeste. Elle semble plus préoccupée d'assurer son avenir matériel que sentimental.
- Il y a donc du sexe.
- Juste ce qu'il faut. Ils finissent quand même par se marier, mais cela ne sera pas pour autant la fin des frasques de cette fille, devenue femme au fil du roman et à qui il a attribué le sobriquet de vilaine fille. Elle est énigmatique et complètement imprévisible. Et lui, béat d'un amour qui ne tarit pas au fil du temps, la retrouve après chaque escapade avec la même flamme.
- Et c'est bien écrit ?
- Superbement. L'auteur est quand même prix Nobel de littérature 2010. La traduction est aussi très réussie.
- Prix Nobel, cela peut rebuter les lecteurs moyens que nous sommes.
- Oui, mais dans le cas présent, c'est très lisible et pas du tout rébarbatif. C'est même passionnant. L'écriture est sobre, sans métaphore. Elle dépeint notre amoureux transi sous un jour plutôt pathétique. On se prend volontiers de sympathie pour lui, même si on a envie de le secouer un peu.
- À part ça, qu'est-ce qui te plaît en particulier dans ce livre ?
- C'est une histoire singulière menée à un bon rythme. Les années passent vite dans des pérégrinations sur la planète entière : Lima, Paris, Londres, Tokyo et j'en passe. C'est raccroché à l'histoire, la grande. Et surtout les personnages sont attachants, chacun avec ses défauts. Et cette idée d'exclusivité sentimentale chez cet homme a quelque chose de touchant. Puis il y a surtout cette force qu'a cette femme de commettre des incartades invraisemblables et d'en faire porter la responsabilité à autrui. C'est bluffant. J'aime bien aussi l'idée que ce soit la femme qui soit la vagabonde sentimentale.
- C'est cela, oui. Il est vrai que chez un homme, l'exclusivité ça cache quelque chose. Et, ça finit comment ?
- Alors là, ma chère, je te laisse le découvrir toi-même.
- Tu avais déjà lu cet auteur ?
- Non, je découvre.
- Ça t'engage à essayer un autre de ses ouvrages ?
- le prochain est déjà épinglé au pense-bête. Ce sera La fête au bouc. Mais à propos d'exclusivité, dis m'en un peu plus …
mercredi 20 février 2019
La troisième Hemingway ~~~~ Paula McLain
Lorsque je me suis vu proposé de confier ma perception de ce nouvel ouvrage de Paula McLain, je n'ai pas hésité une seconde. Persuadé que j'étais de retrouver dans La troisième Hemingway, ce talent avec lequel l'auteure avait su me faire entrer dans l'intimité de ses personnages, sans sombrer dans le parti pris ou le voyeurisme. Paula McLain sait convaincre de la sincérité sentimentale, de la force de caractère qu'il a fallu à ces femmes pour exister en des époques où la notoriété ne pouvait être que masculine.
Avec un style agréable et limpide, l'auteure fait revivre ses personnages avec une incroyable authenticité. Personnages féminins qu'elle évoque avec une complicité subtile, sans se laisser déborder par la solidarité féminine qui ne peut pas ne pas l'animer. Surtout lorsque ces femmes sont confrontées à des monstres de célébrité comme cela a pu être le cas avec Hemingway.
Martha Gellhorn s'est battue pour exister, ne pas rester à l'ombre de ce mari célèbre et envahissant, être reconnue pour elle-même puisqu'elle écrivait elle-aussi. C'est sans doute une des raisons qui l'a poussée à prendre tous les risques dans ce métier de reporter de guerre qui répondait à ses aspirations aventurières. C'est ce combat-là, d'être soi-même et non le faire valoir d'un autre, ou la femme de …, que Paula McLain nous fait appréhender dans cet ouvrage consacré à la troisième épouse du futur prix Nobel de littérature.
En contre poids de ses sentiments à l'égard de l'écrivain repu de son succès, consciente de la faiblesse de sa position, Martha Gellhorn a tenu à préserver son indépendance. Elle a eu l'intelligence de dominer ses sentiments, en forme de mise à l'épreuve de ceux de son illustre époux. Prudente, elle n'a pas voulu avoir d'enfant de son héros tout en se prenant d'affectation pour les trois garçons qu'il avait eus avec ses deux premières épouses. Une mise à l'épreuve qui dévoilera malheureusement la volatilité de cet époux et sa soif d'exclusivité. le talent est exigent, le succès est égoïste. Martha Gellhorn s'est brûlé les ailes au contact de cet homme des cavernes avide de la reconnaissance des autres, avare de la sienne.
C'est à chaque fois un univers féminin dans lequel Paula McLain nous
incorpore. C'est tellement bien écrit qu'on voudrait qu'il soit objectif. Elle
choisit des personnages forts qui n'inspirent pas la compassion. Je repense à
cet autre ouvrage de son cru qui m'avait séduit, L'aviatrice.
Il y a chez cette auteure cette grande faculté à lier les références
historiques avec une atmosphère du quotidien des plus crédibles. Y aurait-t-il
de sa plume un ouvrage sur les autres madame Hemingway que
je m'empresserais de me le procurer.
lundi 28 août 2017
Fanny Stevenson : entre passion et liberté ~~~~ Alexandra Lapierre
Une façon d'approcher un personnage célèbre consiste à faire la connaissance de ceux qui ont partagé sa vie. C'est ce que nous propose Alexandra Lapierre avec cette biographie romancée de la femme de l'auteur de L'île au trésor : Fanny Stevenson. Un ouvrage particulièrement fouillé et documenté. Il faut dire que la correspondance entretenue par les époux Stevenson avec leurs familles respectives et leur entourage, baignant souvent dans les milieux artistique et littéraire, a été particulièrement abondante.
Alexandra
Lapierre en tire un ouvrage absolument captivant sur ce que fut la vie
de cette femme hors du commun. Elle voua une dévotion passionnée à l'égard
de Robert
Louis Stevenson. Elle a été tout sauf une pâle figurante dans la vie de
celui qu'elle avait épousé après avoir arraché le divorce à son premier mari,
ce qui dans l'Amérique puritaine du 19ème siècle était déjà une prouesse en
soi. Fanny
Stevenson a véritablement sacrifié sa vie à celui envers qui elle
nourrissait un amour démesuré, au point de se rendre jalouse de sa propre fille
lorsque cette dernière empiétait sur le rôle de première lectrice des oeuvres
de Stevenson.
La posture favorite de Fanny
Stevenson était de se ranger du côté du plus faible. Épouser Robert Louis
Stevenson restait dans cette droite ligne si l'on considère sa santé
particulièrement fragile. Au point que cet aspect a commandé toute leur vie. Il
leur a fait parcourir le monde à la recherche d'un climat favorable à
l'apaisement des hémorragies pulmonaires dont souffrait cet homme. Optimiste de
nature, il ne s'en plaignait pourtant jamais.
Stevenson terminera
sa vie et sera enterré aux îles Samoa, au sommet du mont Vaea. Fanny qui
n'avait émis la moindre objection à s'isoler au milieu du Pacifique, quand
c'était pour son mieux aller, l'y rejoindra 20 ans plus tard. Ils avaient tous
deux gagné la vénération des populations autochtones en soutenant leur combat
contre la colonisation.
On ne lirait que trois pages de cette passionnante biographie romancée fort
volumineuse, ce serait la lettre que Fanny
Stevenson a adressée à celui qui était un de ses points d'ancrage,
l'avocat Rearden, pour lui apprendre la mort de son fils, le petit Hervey (page
181 - éditions Pocket). Ce texte, à lui seul, fait comprendre combien cette
femme ne vivait que pour les autres, pour les plus faibles et son
exceptionnelle dignité dans le chagrin.
La vie de Fanny
Stevenson a été particulièrement riche en aventures et en amour dédié
aux autres. Elle est tout sauf ennuyeuse au lecteur. Alexandra
Lapierre sait nous faire admirer et aimer ce personnage hors du
commun, le réhabiliter aussi, même si c'est par solidarité féminine, quand
d'aucuns ont pu le dénigrer. Dans ce couple singulier qu'ils ont formé tous
deux, tirant souvent le diable par la queue, elle a vécu, tel que le sous-titre
l'auteur, entre passion et liberté.
vendredi 30 juin 2017
Le monde d'hier : Souvenirs d'un européen ~~~~ Stefan Zweig
Le sol s'est dérobé sous les pieds de Stefan Zweig. Tout s'est écroulé autour de lui. Cet ouvrage dont il ne connaîtra pas la publication, le Monde d'hier, est le testament d'un "citoyen du monde" devenu apatride. Pas seulement chassé de son Autriche natale, mais chassé de la culture universelle puisque désormais privé de publier dans sa langue maternelle, l'allemand.
Nous sommes en 1941. Anéanti de
voir le sort qui lui est réservé, ainsi qu'à ses coreligionnaires, Stefan Zweig décide
de se lancer dans l'écriture d'un ouvrage d'une longueur inhabituelle chez lui.
Un ouvrage dans lequel explose sa rancœur à l'encontre de celui qui a plongé
la planète dans le chaos, la haine faite homme : Hitler. Peut-être aussi la rancœur de voir la conscience collective d'un peuple se laisser manipuler et
entraîner dans une entreprise funeste.
Submergé par le désespoir, il
perd l'objectivité qui caractérisait son humanisme forcené. Il dresse alors un
tableau idyllique de sa jeunesse, période bénie qu'il qualifie de "monde
de sécurité", oubliant ainsi qu'il avait été favorisé par le destin, le
faisant naître au sein d'une famille riche, auréolé d'un talent qui lui valut
très tôt le succès littéraire.
Son rêve d'une "Europe unie
de l'esprit" avait déjà été malmené par l'abomination du premier conflit
mondial. Il ne peut supporter l'idée d'être le témoin, encore moins la victime,
d'une nouvelle catastrophe de pareille ampleur, du seul fait d'une idéologie
assassine.
Stefan Zweig commence
son ouvrage par un avant propos qui nous fait comprendre qu'une décision est
prise : "Jamais je n'ai donné à ma personne une importance telle que me
séduise la perspective de faire à d'autres, le récit de ma vie." Une vie
dont il ne conçoit donc désormais plus qu'elle ait une suite. C'est le cancer
de la haine qui le ronge.
Ce grand humaniste sans frontière
se considère comme dépossédé, non seulement de sa patrie, mais du monde entier.
Ce monde, il sait déjà qu'il va le quitter. Pour où, il ne sait pas. Il n'y a
pas d'avenir pour les apatrides.
Ouvrage bouleversant, indispensable pour qui se passionne pour l'œuvre de Stefan Zweig.
dimanche 12 mars 2017
Limonov ~~~~ Emmanuel Carrère
1992, sur les hauteurs de Sarajevo. La guerre bat son plein. Edouard Limonov est filmé en compagnie de Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie, par une équipe de la BBC qui réalise un reportage. Il sera diffusé sous le titre Serbian epics. On y voit Edouard Limonov, "the famous russian writer", qui s'essaye au tir à la mitrailleuse depuis les collines dominant la ville. Tir à l'aveugle. Pour voir. Dans les rues de Sarajevo, on rase les murs, on se jette au sol. La guerre donne libre cours à ce genre de comportement insensé ou situation dramatique selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de l'arme.
Cet épisode de sa vie vaudra à Limonov l'étiquette de fasciste qui lui collera
désormais à la peau. Surtout dans les milieux intellectuels français. Il avait
séjourné auparavant quelques temps à Paris, dans l'errance de sa vie de
dissident russe, et déjà plus soviétique.
Curieuse ambivalence chez un personnage tout aussi singulier, fondateur et
idéologue d'un parti politique atypique lui aussi, mais sans gloire, celui des
nasbols, pour parti national-bolcheviks. Grand écart des idéologies dans les
oscillations du balancier de l'irrésolution, entre la nostalgie d'un communisme
moribond et les dérives extrémistes droitières. le tout sur fonds de chaos de
l'effondrement de l'union soviétique, dans une Russie ressuscitée trop vite,
que la pègre a prise de vitesse à la course vers l'économie de marché, doublant
ainsi les nouvelles autorités maladroites dans leur nouveau costume pseudo
libéral.
On peut se demander ce qui a pu inciter Emmanuel Carrère à se lancer dans la
rédaction de pareille biographie d'un personnage encore de ce monde. le
sentiment qui entre en jeu avec pareille intention est bien sûr celui de la
fascination. Celle suscitée par un héros qui a, non pas tout réussi, mais bien
tout foiré dans sa vie. Enfin presque, si l'on compare sa notoriété à son
ambition. Celle de faire de sa vie un mythe. Exigence suprême d'un narcissisme
prédateur. Il en convient lui-même, ne serait-ce que dans le titre de ses
ouvrages tels le Journal d'un raté, le petit salaud et Autoportrait d'un bandit
dans son adolescence.
La célébrité lui est quand même tombée dessus sur le tard. Elle est venue le
chercher en prison alors qu'il purgeait une peine pour ses menées subversives.
Sans doute parce que les autorités de l'époque, sous la férule de Vladimir
Poutine, ont estimé qu'il était moins dangereux libre, en trublion à la maigre
audience, que détenu. L'emblème du martyr aurait bien pu germer dans l'esprit
des déboussolés que cette période de bouleversements a pu jeter à la dérive.
Limonov, le beau gosse, l'auteur prolifique en sa langue natale, mourir ne lui
fait pas peur, ce qui le hante c'est de mourir dans son lit, inconnu. Aussi
n'a-t-il cessé de braver les autorités, de choquer les esprits, de chercher la
consécration dans le combat politique protestataire, puisque la séduction
n'avait pas porté ses fruits. Autant d'actions désordonnées à travers le monde,
New York, Paris, Moscou, Sarajevo et tant d'autres lieux où son entourage sera
témoin de ses extravagances, de ses comportements licencieux, en butte à un
monde qui ne l'adule pas à la hauteur de ce qu'il lui devrait. Ses ouvrages
clament ses désillusions.
Emmanuel Carrère a été séduit par ce personnage fantasque. A-t-il éprouvé de
l'affection pour lui ? Sans doute. A-t-il compati à sa déconvenue? Il s'en est
bien gardé. C'eût été lui faire injure. Je dirais plutôt qu'il a compris les
battements d'ailes de ce papillon contre le miroir du monde. Il a mis son style
limpide au service de cet esprit engoncé dans le costume de l'intellectuel en
mal de reconnaissance et qui n'a eu de cesse de tambouriner à la porte du
succès. Elle lui restait obstinément close. Il a été doublé sur le fil par
Joseph Brodsky dans la compétition au prix Nobel de littérature. Il s'en est
estimé floué. Il conservera envers ce dernier une rancune tenace.
Emmanuel Carrère a pu le désigner comme le prototype de qui ne se satisfait pas
de l'ignorance dans laquelle le laisse ses congénères. A l'indifférence, il
préfère le mépris. Même s'il faut choquer pour attirer l'attention sur soi.
Voilà pourquoi le "salaud magnifique" relate ses frasques sexuelles
durant sa vie de clochard à New York avec cet ouvrage: le poète russe préfère
les grands nègres.
Le style d'Emmanuel Carrère, il est agréable à lire. Il fait courir les pages
sous les yeux de son lecteur. Il est toutefois entaché à mes yeux de passages
d'une grande obscénité qui nous replonge dans la bassesse de la condition
humaine. Mais peut-être est-ce voulu pour s'identifier au comportement de son
sujet. Bien qu'à la lecture du Royaume, j'avais déjà pu me rendre compte
qu'Emmanuel Carrère ne s'embarrasse pas à tourner autour du pot. Appelons un
chat un chat, et tant pis pour qui s'en offusque. Cela n'a pas empêché son
auteur de glaner le Prix Renaudot 2011 avec cet ouvrage. Au diable le
conformisme à la bienséance.
Limonov, ou ne pas "mourir obscur". Voilà quel pourrait être le sous
titre de cet ouvrage passionnant.
mardi 31 janvier 2017
Le royaume ~~~~ Emmanuel Carrère
Avec des "si" on ne met pas seulement Paris en
bouteille, on peut donner dans l'uchronie. Cette pratique consiste à refaire
l'histoire sur la base de variantes hypothétiques. Elle est aussi appelée,
moins pompeusement, histoire alternative.
Aussi, sur ce registre et dans le sujet qui fonde son ouvrage, le Royaume,
Emmanuel Carrère peut-il extrapoler : si Jésus n'avait été mis en croix dans sa
trente-troisième année, mais était parti de sa belle mort, le grand âge venu,
le christianisme aurait-il vu le jour ? Hypothèse pour une histoire alternative
du christianisme qui celle-ci tournerait court.
Si le christianisme est devenu ce qu'il est aujourd'hui, vingt siècles plus
tard, c'est bien aux apôtres et disciples de Jésus qu'on le doit, parmi
lesquels Paul et Luc qu'Emmanuel Carrère à choisis pour centrer le sujet de ce
qu'il qualifie d'enquête sur la naissance du christianisme.
Cet ouvrage était fait pour moi. Il l'a été et le sera pour d'autres encore à
n'en pas douter, mais pour ce qui me concerne, je me le suis approprié avec le
plus vif intérêt. Même s'il est tellement fouillé et documenté que le souci du
détail finit par provoquer quelques longueurs et redites. Mais peut-on
reprocher à un auteur de vouloir aller au fond des choses dans son
argumentation ?
Dans la formulation d'hypothèses aussi. Car, comme le dit Emmanuel Carrère, les
certitudes que l'on a de cette époque sont, par la force du temps mais pas
seulement, nécessairement clairsemées. De grands blancs ont ainsi laissé le
champ libre à l'imagination de qui aura voulu faire valoir sa propre
conviction. Conviction qui sera le plus souvent travestie en vérité. Mais
vérité n'est pas exactitude. Ce n'est pas Marguerite Yourcenar qui le
démentira.
Une religion, fût-elle l'une des trois qualifiée, sans doute abusivement, de
religion du Livre, n'est jamais qu'une secte qui a réussi. L'audience de l'une
ou l'autre, reposant sur la croyance qu'elle parvient à ancrer dans l'esprit de
ses adeptes, est à mettre au crédit de ses prêcheurs, de leur charisme, de leur
force de persuasion. L'enquête d'Emmanuel Carrère cherche à décortiquer ce
mécanisme qui a fait le succès du christianisme. Ce processus qui fait qu'un
gourou devient Dieu sur terre.
La démarche est d'autant plus intéressante, nous confie-t-il dans la première
partie de son ouvrage, qu'agnostique au moment où il l'écrit, il avait été
gagné par la foi quinze ans plus tôt. Elle avait envahi son esprit comme la
maladie le corps, par contagion. Devenu sceptique depuis, il a pu s'autoriser
une confrontation de la vision des choses. L'approche métaphysique versus
l'approche historique, réputée plus objective, quoi que... Il avoue même, dans
quelques entretiens de promotion de son ouvrage, avoir pris dans sa posture
rationaliste des positions de nature à choquer le croyant qu'il avait été. Et
donc ceux qui le sont aujourd'hui. Ces derniers pourront l'être d'ailleurs à la
seule vulgarité des styles et vocabulaires de certains passages. Et plus
surement encore à la relation des prédilections sexuelles de leur auteur.
L'effet était recherché. Pour être du domaine du mystique, la religion n'en est
pas moins affaire d'hommes. Pour preuve, les glorieux temps, sans doute bénis,
de l'apogée du christianisme, au cours desquels, fort de leur monopole, les
plus hauts dignitaires de l'Eglise qu'il faut alors écrire avec une majuscule,
n'ont pas été les derniers à amasser de grandes richesses bien terrestres
celles-là et se vautrer dans d'autres voluptés tout aussi dénuées de
spiritualité, tout en prêchant pauvreté et abstinence. Les Cathares en leur
temps qui avaient bien perçu l'écueil ont très vite été disqualifiés, affublés
d'hérésie et éradiqués. Dans la paix du Seigneur bien entendu.
Emmanuel Carrère a réalisé un travail énorme pour venir à bout de son ouvrage.
En partant d'ailleurs d'une vingtaine de cahiers de notes qu'il avait remplis
du temps de sa phase mystique. Le célèbre historien Paul Veyne, plusieurs fois
cités dans l'ouvrage, a été le premier à le reconnaître. L'auteur du Royaume
essaie de faire la part des choses entre le reconnu historiquement par tous et
les interprétations des mêmes, comblant ainsi les vides chacun à sa façon,
selon sa conviction. Le résultat étant que ce que "l'un affirme, certains
le trouvent lumineux, et lorsque d'autres affirment le contraire, certains
autres le trouvent tout aussi lumineux."
L'ouvrage s'organise en trois parties. La première autobiographique, la seconde
consacrée à l'apôtre Paul, dont les lettres révèlent une fulgurance, un vrai
talent d'écrivain, la troisième centrée sur Luc, médecin grec, non juif,
compagnon de Paul et l'un des quatre évangélistes. En rédigeant Les Actes, il
est devenu chroniqueur de ce temps. Ses écrits nous content l'histoire de ce
groupe de fidèles de la première heure. Mais, les témoins directs disparus,
l'histoire de la vie de Jésus s'est aussi et surtout colportée de bouche à
oreille, en prenant au fil des siècles cette distance avec la réalité qui a
renforcé son aura mystique et fait certitude de ce qui avait pu être inventé
par les prêcheurs de tout acabit. Pas toujours au bénéfice de la vérité vraie,
loin s'en faut.
Dans notre culture chrétienne, ce terme de secte affecte une connotation de
marginalisation. Pourtant, nous dit Emmanuel Carrère, adopter le dogme d'une
secte est plus noble que de persister dans celui de la religion qui nous
accueilli le jour de notre naissance. Choisir est toujours plus noble que se
laisser dicter sa conduite.
L'essentiel est de croire. C'est à partir de là que tout commence, ou selon,
tourne court.
Très bel ouvrage qui nous est soumis dans un style moderne dénué des béatitudes
et précautions qui auréolent habituellement les thèmes religieux. C'est ouvrage
était vraiment fait pour moi.