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samedi 12 mars 2022

La tableau du maître flamand ~~~~ Arturo Perez-Reverte



Julia est restauratrice de tableaux. Elle se voit confier, en préparation de sa vente, la célèbre toile d'un maître flamand du XVIème siècle : la partie d'échecs. Ses travaux lui font découvrir, dissimulée sous les couches de peintures et vernis anciens, une inscription latine soumettant une énigme concernant la mort d'un des trois personnages représentés sur la toile. Présentée sous la forme d'une question concernant la prise d'un cavalier, elle se persuade que cette énigme se résout par le calcul des combinaisons offertes aux joueurs. Avec son ami et confident César l'antiquaire elle fait appel à un joueur expert pour élucider le mystère.

La vente du tableau donne lieu à des conflits d'intérêt opposant les parties prenantes, famille du propriétaire, galerie d'art, commissaire-priseur. Deux personnes de l'entourage de Julia sont assassinées. Un mimétisme machiavélique suggère à l'assassin de faire valoir ses identités et motivations au travers d'une énigme se superposant à celle de la toile du maître flamand.

Ce roman qui s'engage dans une forme d'enquête rétrospective sur la base de l'énigme proposée par le maître flamand devient thriller contemporain avec une montée en puissance très lente de l'intensité dramatique. La peur gagne Julia. Elle se persuade d'être la prochaine victime du meurtrier sans comprendre la raison de cet acharnement autour d'elle.

Arturo Perez-Reverte échafaude un roman érudit quant aux domaines dans lesquels il intègre son intrigue, en particulier le monde de l'art pictural, son histoire et ses techniques. Point n'est besoin par ailleurs d'être joueur patenté pour se prendre au jeu de ces énigmes qui s'imbriquent au travers des siècles. L'idée est intéressante.
Pourtant l'émergence du fait divers contemporain dans l'enquête sur l'énigme proposée par la toile du maître flamand est très artificielle et ouvre inévitablement sur un dénouement pour le moins tiré par les cheveux.

 C'est dommage d'une part parce qu'on se laisse volontiers prendre au jeu de l'enquête initiale laquelle fait appel à l'histoire et à la technique des échecs, d'autre part parce que la documentation est fouillée et le socle historique appréciable. C'est donc un thriller intéressant par l'intérêt qu'il suscite au départ, la qualité de son écriture et sa culture, ces dernières n'étant pas forcément des attributs du genre, mais un thriller qui fait long feu avec un dénouement assez décevant. 


Citation

Le joueur d'échecs lut à haute voix :
- La phrase que j'écris en ce moment est celle que vous lisez en ce moment... - Il regarda Belmonte, surpris.
Oui, et puis ?
- C'est tout. J'ai écrit cette phrase il y a une minute et demi et vous venez de la lire, il n'y a que quarante secondes. En d'autres termes, mon écriture et votre lecture correspondent à des moments différents. Mais sur le papier, ce moment et ce moment sont indubitablement le même moment... Donc la phrase est à la fois vraie et fausse ... Ou est-ce le concept de temps que nous lais
sons de côté ? ... N'est-ce pas un bon exemple de paradoxe ?

mercredi 24 novembre 2021

La bibliothécaire d'Auschwitz ~~~~ Antonio Iturbe


« Ce récit est construit à partir de matériaux réels, qui ont été unis dans ces pages grâce au mortier de la fiction » nous précise Antonio G. Iturbe, l'auteur de la bibliothécaire d'Auschwitz, en note de fin dans un chapitre qu'il a intitulé « étape finale » et dans lequel il nous relate la genèse de son ouvrage.

Rappelons, s'il en est encore besoin, que cet ouvrage relate l'histoire vraie de la sauvegarde clandestine dans le camp d'Auschwitz Birkenau de quelques livres aussi disparates en thèmes qu'en langues, sous la responsabilité d'une jeune adolescente juive pragoise. Entreprise clandestine qui aurait été bien entendu punie de mort immédiate en cas de découverte par les autorités du camp.

Ce « mortier » qu'évoque l'auteur est donc la part imaginaire de son cru avec laquelle il a construit son ouvrage. Ce dernier n'est pas un témoignage, mais presque, puisqu'il a été largement approuvé par la protagoniste principale, prénommée Dita et retrouvée fortuitement en Israël par Antonio G. Iturbe, laquelle la complimenté pour la qualité de son travail de recherche et de restitution.

On ne connaît que trop les horreurs perpétrées par cette monstrueuse industrie de mort mise en œuvre par les nazis. L'ouvrage ne peut pas faire l'économie de la description de certaines scènes insoutenables. Aussi faut-il bien admettre que faire un roman traitant de cette abomination est un exercice périlleux. Celui-ci s'appuie certes sur une structure de faits réels mais il y avait grand risque en les reliant avec ce fameux « mortier de la fiction » à sombrer dans l'exploitation de la commisération. Ecueil que l'auteur a évité avec succès. Son sujet était autre.

Au-delà du sort des victimes de la Shoah, de l'instinct de survie qui pouvait les tenir éveillées au-dessus du cloaque de l'abjection, il s'agissait d'évoquer celui de la survie des cultures entretenues tant par la mémoire des vivants que par les livres. Il y avait cette volonté des adultes de concourir vaille que vaille à la transmission de leur savoir aux enfants, fussent-ils promis à la mort. Elle était pour eux à la fois le fol espoir de voir certains d'entre eux échapper au funeste sort qui les menaçait et une manière aussi de divertir l'esprit de cette perspective à la fois de ceux qui avaient accepté de devenir des professeurs de circonstance et de leurs jeunes élèves à l'innocence piétinée. Les livres et les compétences de chacun entretenaient l'ouverture au monde, l'accès à la lumière de la connaissance, la perpétuation de la culture de chaque communauté. L'antithèse de l'entreprise macabre mise en œuvre par ce régime assassin.

La bibliothécaire d'Auschwitz est un ouvrage d'une grande rigueur. A l'exactitude qu'il s'impose de la relation des faits et des sentiments s'ajoute la crédibilité de cette part d'imaginaire qui les agglomère. Sa loyauté à l'histoire en fait un ouvrage qui a sa part dans le devoir de mémoire dû aux victimes du nazisme. La meilleure juge de tout ceci étant bien entendu celle qui a vécu cette détestable épreuve. En accompagnant l'auteur dans sa visite des lieux du supplice elle a accordé son blanc-seing à ce roman historique lui conférant ainsi statut de témoignage.


 

dimanche 12 juillet 2020

L'écriture ou la vie ~~~~ Georges Semprun



George Semprun a choisi d'écrire certains de ses ouvrages autobiographiques en français, langue qu'il dominait comme tant autres. Il s'est alors heurté à une difficulté sémantique inattendue de la langue de Molière, une lacune. Il est un mot qui fait défaut à cette dernière, celui qui exprime le "vécu intime" de la personne. En français, le mot expérience a une connotation trop physique, presque scientifique, il ne fait pas suffisamment appel au ressenti qui grave la mémoire profonde comme peuvent le faire les substantifs idoines en allemand ou en espagnol.

Car c'est évidemment sur ce terrain que se situe la raison d'être d'un témoignage, la transmission du "vécu intime" d'une page de l'histoire personnelle d'un être aussi tragique qu'a pu être celle des camps de la mort. Comment faire comprendre à autrui que celui qui en est revenu n'est plus celui qui y est entré, à celui qui est dehors ce qu'a vécu celui qui était dedans. Cette discrimination du dedans dehors est le credo de son premier ouvrage le grand voyage. Comment faire comprendre que celui qui était dedans y a vécu la mort, si tant est que la mort puisse se vivre, même s'il en est revenu.

Alors évidemment, quand il s'agit de transmettre ce "vécu intime", les difficultés se font jour : que dire, quand le dire, comment le dire, et au final pourquoi le dire ? Car le témoignant se heurte en fait à l'écueil suivant : qui pour entendre, comprendre et surtout admettre ? Qui aura le courage de se placer dans l'inconfort moral d'affronter une vérité historique déshonorante pour l'humanité ?

Jorge Semprun avait observé le sort réservé à l'ouvrage de Primo Levi édité dès le lendemain de la guerre, en 1947. le rejet des grands éditeurs, la diffusion confidentielle, le piètre accueil de ses contemporains étaient perçus par lui comme une volonté d'occulter cette page sombre de l'histoire de l'humanité, comme un faux-pas de cette dernière. Jorge Semprun s'était donc imposé l'exercice surhumain de repousser le harcèlement du souvenir et la tentation de le crier à la face du monde. Il refusait la culpabilisation d'être revenu de l'enfer - Il faut lire à ce sujet en fin d'ouvrage ce qui concourut à la survie du matricule 44904, son matricule. Il voulait connaître le bonheur fou de l'oubli. Il se plaçait en posture de quête de repos spirituel.

Avec L'écriture ou la vie, Jorge Semprun nous propose une forme d'élévation, que lui autorise sa culture philosophique. Conscient qu'une écriture de témoignage de faits ne serait que "litanie de douleurs", qu'il faut pour frapper les esprits lui préférer une forme suggestive plus que figurative, il n'évoque jamais la haine mais dénonce le Mal absolu. Avec la majuscule qui donne à ce substantif la dimension mythologique que lui vaut l'ampleur des conséquences néfastes infligées à l'espèce humaine par le nazisme.

La mort de Primo Levi en 1987 a été pour Jorge Semprun la prise de conscience de la dépendance du souvenir au témoignage des seuls survivants des camps de la mort : "Le souvenir vivace, entêtant, de l'odeur du four crématoire : fade, écoeurante… l'odeur de chair brûlée… Un jour prochain, pourtant, personne n'aura plus le souvenir réel de cette odeur : ce ne sera plus qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur. Inodore, donc." La disparition de Primo Levi remettait la mort d'actualité. Jorge Semprun qui disait avoir vécu sa propre mort à Buchenwald acceptera quelques années plus tard, en 1992, une invitation à se rendre sur le site du camp. Il acceptait de confronter le rêve de la vie d'après, et d'avant aussi d'ailleurs, avec celui cauchemardesque qui lui avait volé ses vingt ans. Sa vie après le camp, c'était sa vie après la mort. Renaissance, aussi absurde que naissance, pour se voir confronté à une mort tout aussi stupide. Ce ne sont ni Camus ni Cioran qui le contrediront.

Après une stratégie de survie qui consistait à ne rien lire, ne rien écrire sur le sujet honni, à rechercher la compagnie de personnes ignorant tout de ce passé maudit et tenter de devenir un autre, Jorge Semprun trouve le courage d'affronter cette page de sa vie au travers de l'écriture, bien averti qu'elle le rendrait vulnérable aux affres de la mémoire. Il se convainc de dire que tout ce qui n'est pas du domaine du camp est du domaine du rêve, dans un ouvrage qu'il avait d'abord intitulé L'écriture ou la mort qui sera publié sous celui de L'écriture ou la vie.

Moi qui suis un lecteur de ces mots des Jorge Semprun, Primo Levi, et autres hommes et femmes témoins de l'enfer des camps, moi pour qui "l'odeur de la fumée du crématoire n'est qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur", je reste fasciné d'horreur à la lecture de chacun de ces ouvrages qui du Mal absolu ne me donne certes qu'une idée, mais qui m'attribuent ma juste part de responsabilité d'appartenir à une espèce capable de ce Mal.


mercredi 3 juin 2020

Le grand voyage ~~~~ Georges Semprun

 


Il y avait ceux qui était dedans et mourraient, et ceux qui continuaient à vivre dehors.

Jorge Semprun le dit lui-même, il lui aura fallu longtemps avant de prendre la plume et dire à ceux qui n'y étaient pas, ceux qui étaient en dehors de ça, comment c'était dedans. le dedans c'était le wagon. le camp par la suite. le dehors c'était tout le reste. En particulier les témoins, conscients ou non, mais toujours un peu complice quelque part, par action ou par démission. Ceux qui regardaient le train quitter la gare, longer la vallée de la Moselle, cahoter pendant des jours et des jours dans l'air glacial.

Le dehors c'est nous aujourd'hui, spectateurs incrédules d'une mémoire. Comment cela a-t-il été possible ? Nous n'y étions pas. Alors Jorge Semprun nous dit comment c'était dedans. C'était hier, c'était la réalité. C'était le cauchemar que l'imagination n'avait pu envisager. Et pour cause. L'imagination était restée dehors. C'est aujourd'hui le témoignage.

Il a fallu des années pour que le temps fasse son œuvre. Que l'oubli fasse son œuvre. Pas l'oubli de l'inoubliable bien sûr. Il est désormais inscrit dans chaque cellule de celui qui y était. Mais l'oubli de l'effroi, de la colère, de la vengeance. Il lui a fallu, à lui Jorge Semprun, le temps de bannir de son vocabulaire les mots durs, ceux dictés par la fièvre, pour en parler avec ceux de la mémoire, des mots froids et purs. Dépouillés du ressentiment.
Les mots adoucis ont plus de force pour exprimer l'indicible, et soulager le cœur.

Il a fallu écrire, plutôt que dire. Écrire pour ne pas être interrompu par un contradicteur. Il y en a eu. Il y en a encore. Écrire pour que les mots franchissent les générations et ne s'éteignent pas avec celui qui était dedans. Écrire pour que cet ouvrage rangé dans ta bibliothèque te fasse signe de temps à autre et te rappelle à l'inoubliable. Il y en a qui étaient dedans, et y sont restés. Tu es hors de tout ça. Spectateur éberlué.

N'oublie pas en particulier ces enfants dont je ne peux passer sous silence le sort qui leur a été réservé. Ces quinze enfants entre huit et douze ans, descendus miraculeusement d'un wagon en provenance de Pologne où tout le monde était mort congelé debout après dix jours sans boire ni manger. Quinze enfants massacrés parce que descendus vivants du wagon, d'une façon que je ne peux taire et te le dis page 194, édition Folio. C'est IN-SOU-TE-NA-BLE.

Le grand voyage, un ouvrage écrit en un seul chapitre ou presque. Comme un barrage qui se rompt d'avoir trop encaissé les coups de boutoir du cauchemar. Des souvenirs écrits à la première personne par celui qui était dedans. Dans le wagon. Des fragments de vie inoubliables avant, pendant, après le wagon. Après la libération. Des fragments qui se bousculent pêle-mêle tout au long d'un chapitre sans respiration. Et puis un deuxième chapitre, très court, écrit à la troisième personne. Par celui qui est dehors à l'heure où il écrit ces mots, rescapé, harcelé par ses propres souvenirs gravés dans son être, mais alors purgés de la haine après une convalescence nécessaire à l'épuration de ce venin qui est la cause de tout.

J'ai lu plusieurs témoignages de ceux qui ont été dedans, moi qui suis dehors. On ne peut dire que l'un est plus saisissant que l'autre. le fond est toujours dans les abysses de la bassesse humaine. C'est la forme, le savoir dire qui fait la différence. Celui de Jorge Semprun nous aspire dedans.

L'être n'est-il donc que corruption de lui-même au point de précipiter son retour vers le non-être ?


mercredi 5 avril 2017

Confiteor ~~~~ Jaume Cabré

 



"L'acoustique d'un livre", fabuleuse expression de Marguerite Yourcenar dans sa préface d’Alexis. Elle conviendrait si bien à cet ouvrage tout aussi fabuleux de Jaume Cabré. Car un violon y est institué en personnage. Ce violon, c'est le Vial. Un parmi les meilleurs de l'histoire de la lutherie. Un Storioni.

L'acoustique de ce livre, ce pourrait aussi être l'écho d'un cœur qui bat. Celui d'Adrià Ardèvol, vibrant d'un amour à la fois intransigeant et raisonné pour la belle Sara.

Mais l'acoustique de ce livre pourrait être beaucoup plus lugubre. Elle pourrait renvoyer les cris de terreur des enfants que l'on opère à vif sous prétexte d'expérience dans les camps de la mort. Ceux de la femme déclarée adultère et lapidée par son accusateur. Elle a eu le tort d'être violée par lui-même. Ce pourrait être encore ceux de cet hérétique dans les carcans de l'inquisition. Car du Mal – avec un M majuscule - il est question dans cet ouvrage. le Mal absolu. Celui qui survit aux générations, car inscrit dans les gènes de ces êtres qui constituent le genre humain.

Une main passée dans les cheveux eut été un geste d'amour inespéré pour Adrià. Car d'amour il n'a pas connu dans son enfance. Ni de la part de son père, ni de la part de sa mère. Préoccupés qu'ils étaient de lui tracer l'avenir qu'ils n'avaient su se ménager à eux-mêmes. Un grand humaniste lettré pour l'un, un virtuose du violon pour l'autre. Heureusement qu'il y avait Carson et Aigle noir, à la sagesse légendaire, en tuteurs instruits de sa conscience orpheline. Aussi lorsque l'un et l'autre de ses parents disparaîtront, les yeux d'Adrià resteront aussi secs que le désert affectif de son enfance.

Dans l'héritage, il y a la boutique du père. Elle regorge de pièces rares, parmi lesquelles des manuscrits originaux. Il y a surtout le Vial, ce violon à la sonorité exceptionnelle. Mais accepter un héritage, c'est accepter aussi le passif. Ce sera pour Adrià le point de départ vers "les enfers de la mémoire" dans lesquels les spoliateurs et les escrocs sont légion.

Confiteor est un voyage dans les révélations, au rythme des pensées qui se télescopent dans l'esprit de son narrateur, provoquent autant de digressions et enchaînement hasardeux. Cet un ouvrage d'une exigence rare envers son lecteur. Il ne lui autorise aucun relâchement d'attention, au risque pour lui de perdre le fil d'une pensée qui, dans la même phrase, passe d'un siècle à l'autre, de Barcelone à Tübingen ou au Vatican. Il traduit ainsi la fébrilité de son narrateur. Elle va crescendo jusqu'à la frénésie de l'urgence, dans le dénouement de cet héritage assumé. Dans ce chaos des manifestations du mal au travers de l'histoire le repentir est vain. Et de la vibration des cordes du violon émerge au fil des pages celle d'une vérité honnie.

Un auteur se fond rarement avec pareille dextérité dans l'intimité de son personnage, au point de leurrer son lecteur. C'est du grand art. Dans la même phrase le "je" du narrateur-acteur, presque autobiographique, alterne avec le "il" du narrateur externe et ajoute à la sublime confusion des souvenirs. Ils surgissent en désordre et s'imposent comme les témoins d'une histoire parfois lointaine dans laquelle se trouvent les racines du mal. Ils pèsent si lourd dans cet héritage qu'ils sont le véritable écho de l'acoustique de cet ouvrage.

On regrette que les contingences quotidiennes viennent nous extirper de ce faisceau de souvenirs dans lequel l'auteur nous abîme. On regrette que notre propre rythme biologique nous oblige à fractionner la lecture d'un tel pavé de 900 pages. Cette immersion est une dérobade à sa propre vie. 

jeudi 8 mai 2014

La cathédrale de la mer ~~~~ Ildefonso Falcone

 


Je déconseille fortement la lecture de cet ouvrage à qui veut rester maître de son temps. Dans le train vous laisserez passer votre arrêt, votre rendez-vous chez des amis. C'est un livre qui vous soustrait à votre quotidien. On est emporté au fil des pages qui se tournent, et lorsque la lecture fait une pause, par obligation, il faut se réapproprier le présent.

Ce parcours de vie dans la Barcelone médiévale est rythmé, haletant, soutenu. Il n'y a ni longueur, ni relâchement.

C'est un ouvrage sur l'inhumanité des relations sociales du moyen-âge avec ses extrêmes dans les conditions de vie. C'est un ouvrage sur la force des sentiments, sans mièvrerie ni attendrissement. C'est un livre sur la tolérance entre religions quand le Christianisme revendique l'exclusivité.
On y ressent la douleur des corps sous le poids des charges, la moiteur de la peau dans le labeur exténuant, les odeurs pestilentielles des locaux d'incarcération, le frôlement de la peau duveteuse des rats dans les cachots, l'angoisse des esprits sous la menace de l'inquisition, la ferveur des consciences pour lesquelles la croyance est la seule bouée de sauvetage.

On touche la sécheresse des corps décharnés atteint par la maladie et la malnutrition. On s'imprègne du désespoir et de la résignation. On enrage d'injustice.

Heureusement qu'il y a le sourire de la Vierge.

C'est poignant de vérité, touchant de sensibilité, vibrant de ferveur, glaçant d'angoisse, mais aussi parfois palpitant de sensualité contenue. Les cinq sens sont mis à contribution dans ce roman d'immersion spatiale et temporelle. Mais aussi ce que ne perçoivent pas les sens et qui fait que des corps s'attirent, se repoussent, s'unissent, se déchirent.

Bien sûr il y a quelques raccourcis dans les parcours de vie qui s'écartent et se recroisent et mettent à mal la vraisemblance, mais globalement c'est criant de vérité, évocateur d'histoire.