Ce fut bel et bien un coup de coeur. Julie était tombée sous le charme de l'officier portant beau dans son uniforme chamarré. La lune de miel n'aura pourtant pas duré longtemps. Les élans de celui qui sera devenu son mari feront dire à l'histoire que le coup de coeur ne fut qu'un coup de tête de la jeune écervelée, mais entêtée Julie, que son père n'aura su réprimer.
Cette entrée en matière donne à Balzac le champ pour se
lancer dans une analyse sur les déboires et déconvenues de la vie matrimoniale,
venus se substituer à tous les rêves insensés que peut nourrir le coeur tendre
d'une jeune fille. Il nous dresse un tableau calamiteux de la noble institution
du mariage sous le sceau de laquelle "l'homme a toutes les libertés et la
femme tous les devoirs".
Un ouvrage qui fait s'étonner le lecteur quant au titre que
Balzac a voulu lui donner, car il s'agit bien de suivre la malheureuse Julie
d'Aiglemont sa vie durant, de sa prime jeunesse jusqu'à son dernier souffle.
Mais il coupe court aux interrogations quand ce même lecteur découvre son
engouement pour "ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des
femmes" parvenues à ce stade où "elles connaissent tout le prix de
l'amour et en jouissent avec la crainte de le perdre". Autour des trente
ans, il n'est que frivolité inconséquente en amont, regret d'une jeunesse qui
s'enfuit en aval. Comment ne pas y lire le secret fantasme d'un auteur prolixe
pour ce qui est en ce siècle une majorité accomplie.
Et pour perdre Julie corps et bien dans son naufrage, sa
déconvenue sur le mariage ne lui fera pas pour autant reporter son affection
vers sa progéniture. A ses yeux les enfants qui naîtront de l'union avec son
époux ne seront que des "enfants du devoir" et non ceux de l'amour,
auxquels elle ne s'imposera pas en outre le devoir de leur consentir un amour
maternel assidu. Ses échappatoires romanesques dans les bras de quelques amants
touchés par sa beauté auront la même conclusion périssable. Femme, mère,
épouse, la vie de Julie aura été un champ de ruines. C'est pourtant elle qui
survécut à toute la famille.
Triste fresque que nous dépeint Balzac sur l'institution du
mariage, contrainte par les codes moraux de la bonne société de l'époque. Ils
ne laissaient que peu de latitude à la jeune épousée. On ne défait pas en ce
temps un mariage qui n'a pas répondu aux aspirations légitimes. On le subit. Et
la soumission étend son préjudice sur plusieurs générations quand les enfants
n'y trouvent pas leur compte en termes d'affection. Les solitudes
s'additionnent sans se compenser, les rancoeurs se multiplient sans s'abolir.
Si l'on n'est pas surpris dans un roman balzacien par les
longueurs descriptives et l'interprétation des sentiments au travers de chaque
geste ou attitude, on l'est plus par la structure de cet ouvrage qui agglomère
ce qui aurait pu s'éditer en six nouvelles. On est encore plus déstabilisé par
les alternances de rythme qu'il imprime à ce périple romanesque dans lequel
certains passages nous versent sans transition des atermoiements du cœur à
l'aventure la plus folle. Y compris quand il faut déchoir une fortune bien
assise par des spéculations hasardeuses et jeter sa victime dans un exil
américain. Le roman sentimental se fait roman d'aventure aux multiples rebondissements.
Une lecture en forme de goutte d'eau dans l'océan qu'a été
la production littéraire de Balzac. Immense bibliographie qui a le mérite de
nous dépeindre par le détail les mœurs de son temps. Un ouvrage qui est arrivé
à point dans mon parcours de lecture pour compléter un de ces cycles
historiques auquel je m'adonne parfois avec appétit. Je venais de refermer le
siècle des lumières et l'Été des quatre rois (Charles X et consort) que j'avais
beaucoup apprécié, au-delà des références historiques précises, par la qualité
de sons écriture.