Quel est ce monstre qui fait réagir George Orwell et commande à sa plume ? On avait bien compris avec ses deux plus célèbres romans, La ferme des animaux et 1984, qu'il y avait une forme de révolte contre toute notion de pouvoir établi, surtout quand il devient cette hydre qui se repaît de l'individu, se légitimant de raison d'état, d'intérêt supérieur, de sécurité nationale et autres justifications fallacieuses. Qui ne sont au final qu'emprise d'un système sur l'individu. Ce monstre qui fait horreur à Orwell porte un nom. Il n'a de cesse de le dénoncer : c'est le totalitarisme.
Son socialisme à lui, Georges Orwell,
celui du partage des richesses, de l'égalité de traitement entre les sexes, les
races, les religions, il n'en voit pas la couleur. Il ne voit que l'immensité
de l'injustice et la misère du monde en pâture aux appétits des systèmes sur
toute la palette politique « des conservateurs aux anarchistes ».
« En politique, on ne peut jamais faire que choisir entre le moindre des maux
».
En aucun modèle politique il ne trouve de condition propice à l'épanouissement
de l'individu. Entre la pensée de droite qui commande à l'individu de se faire
tout seul et celle de gauche qui prône la solidarité quitte à verser dans
l'assistanat, entre l'ordre brutal et l'anarchie farouche, entre le
ferme-ta-gueule et le cause-toujours, aucun modèle de vie collective ne trouve
grâce à ses yeux en cette première moitié du 20ème siècle. Il n'est pas de
système politique qui ne soit phagocyteur de la personnalité. Même dans une
société qui semble gouvernée selon des principes démocratiques le totalitarisme
surnage dans les mains des magnats de l'industrie, de la presse, de la finance.
Et que dire de l'écrivain. Il a quant à lui, sauf à déchoir de son rôle sociétal,
une raison supérieure de se démarquer de la tentation politique. Un écrivain
doit être un rebelle, un être à part : « accepter n'importe quelle discipline
politique me semble incompatible avec l'intégrité littéraire. »
Orwell est trop lucide pour être utopique. Il n'est pas résigné non plus. le
doute le gagne peut-être à déplorer l'instinct grégaire de l'animal
intelligent. Il se trouve toujours un maître pour le soumettre à un ordre
établi par lui et l'endormir avec sa langue de bois.
Las de faire parler les quatre-pattes de la ferme
des animaux, de subir big Brother de 1984, Orwell
s'investit personnellement et s'affiche dans ses convictions avec cette
sélection de textes de sa main réunis dans cet opuscule. Il nous dit à la
première personne ce qui lui fait courir sa plume pour laisser à la postérité
d'une société qu'il espère plus juste son regret impuissant de voir l'individu
livré à la collectivité organisée en société policée.
« Homo homini lupus est » L'homme est malade de sa propre nature. Ne serait-il
pas fait pour vivre dans une société conçue par les hommes ?