On ne s'étonnera pas, sous la plume d'un auteur de sa gracieuse majesté, de voir le dictateur de la ferme des animaux affublé du nom de Napoléon. Pas plus qu'on ne sera surpris de le savoir dépeint sous les traits d'un cochon.
En tout homme sommeille un cochon, se plaisent à dire celles qui ont été
épargnées de l'attribut du genre. George Orwell nous
prouve que la réciproque se confirme. L'espèce porcine, aussitôt aux commandes
de la société des animaux, s'empresse de chausser les bottes des
"Deuxpattes" avec tout ce que le travestissement peut comporter de
blâmable. Ce qui avait été vendu par le discours comme modèle de société
animale, antithèse de société humaine, tombe très vite dans les travers de
cette dernière dès que l'intelligence y fait des progrès.
Car derrière l'intelligence, l'ego est en embuscade. Avec son cortège de vices
qui ramènent tout à lui : orgueil, cupidité, paresse, égoïsme et consorts. Et
notre Napoléon devenu roi de la ferme
des animaux de faire sien le proverbe selon lequel on n'engraisse pas
un cochon à l'eau claire, transgressant sans plus de formalités, et à son
bénéfice il va de soi, les sept commandements qui devaient faire de la société
animale un exemple de société altruiste, pour en faire une société bien
humaine. Cochon qui s'en dédit.
C'est ainsi que sous la férule porcine, George Orwell nous
décrit le processus qui fait glisser le rêve de démocratie vers le cauchemar de
l'autocratie. Discours flatteur, manipulation, boucs émissaires, lavage de
cerveau, justice partiale et expéditive sont au menu pour que notre cochon de
Napoléon, ayant pris soin de s'entourer d'un ministre de la propagande, au nom
bien calibré de Brille-Babil, et de mâchoires vindicatives, règne en maître
absolu sur la ferme
des animaux. Et du bien à autrui se satisfera du bien aux truies quand
elles feront son plaisir.
On ne s'y trompera pas, ce qui se présente à nous sous une forme d'un conte
pour enfants a une réelle portée philosophique. Tant que la société sera faite
d'une réunion d'egos les commandements philanthropiques supposés la régir dans
le discours flatteur seront tôt remplacés par le seul et unique qui prévaudra jusqu'à
la fin des temps : tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux
que d'autres. Cela vaut naturellement pour le plus animal de tous qu'on aura
reconnu sous les traits du cochon qui sommeille en lui. On ne refait pas le
monde.