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mardi 1 février 2022

Pourquoi j'écris ~~~~ George Orwell



Quel est ce monstre qui fait réagir George Orwell et commande à sa plume ? On avait bien compris avec ses deux plus célèbres romans, La ferme des animaux et 1984, qu'il y avait une forme de révolte contre toute notion de pouvoir établi, surtout quand il devient cette hydre qui se repaît de l'individu, se légitimant de raison d'état, d'intérêt supérieur, de sécurité nationale et autres justifications fallacieuses. Qui ne sont au final qu'emprise d'un système sur l'individu. Ce monstre qui fait horreur à Orwell porte un nom. Il n'a de cesse de le dénoncer : c'est le totalitarisme.

Il faut dire que George Orwell a été servi en la matière durant toute sa vie. Depuis sa naissance à la veille de 1ère guerre mondiale jusqu'à sa mort au lendemain de la seconde. Entre la révolution russe, l'Allemagne nazie, l'URSS de Staline, la guerre d'Espagne à laquelle il a pris part, les bombes atomiques sur l'impérialisme japonais, la guerre froide, il a eu tout le loisir de mesurer la goinfrerie de ces systèmes toutes obédiences confondues. S'ils s'attribuent souvent et revendiquent la dimension sociale de leur politique, c'est pour mieux leurrer leur proie et s'en repaître.

Son socialisme à lui, Georges Orwell, celui du partage des richesses, de l'égalité de traitement entre les sexes, les races, les religions, il n'en voit pas la couleur. Il ne voit que l'immensité de l'injustice et la misère du monde en pâture aux appétits des systèmes sur toute la palette politique « des conservateurs aux anarchistes ».

« En politique, on ne peut jamais faire que choisir entre le moindre des maux ».

En aucun modèle politique il ne trouve de condition propice à l'épanouissement de l'individu. Entre la pensée de droite qui commande à l'individu de se faire tout seul et celle de gauche qui prône la solidarité quitte à verser dans l'assistanat, entre l'ordre brutal et l'anarchie farouche, entre le ferme-ta-gueule et le cause-toujours, aucun modèle de vie collective ne trouve grâce à ses yeux en cette première moitié du 20ème siècle. Il n'est pas de système politique qui ne soit phagocyteur de la personnalité. Même dans une société qui semble gouvernée selon des principes démocratiques le totalitarisme surnage dans les mains des magnats de l'industrie, de la presse, de la finance.

Et que dire de l'écrivain. Il a quant à lui, sauf à déchoir de son rôle sociétal, une raison supérieure de se démarquer de la tentation politique. Un écrivain doit être un rebelle, un être à part : « accepter n'importe quelle discipline politique me semble incompatible avec l'intégrité littéraire. »

Orwell est trop lucide pour être utopique. Il n'est pas résigné non plus. le doute le gagne peut-être à déplorer l'instinct grégaire de l'animal intelligent. Il se trouve toujours un maître pour le soumettre à un ordre établi par lui et l'endormir avec sa langue de bois.

Las de faire parler les quatre-pattes de la ferme des animaux, de subir big Brother de 1984, Orwell s'investit personnellement et s'affiche dans ses convictions avec cette sélection de textes de sa main réunis dans cet opuscule. Il nous dit à la première personne ce qui lui fait courir sa plume pour laisser à la postérité d'une société qu'il espère plus juste son regret impuissant de voir l'individu livré à la collectivité organisée en société policée.

« Homo homini lupus est » L'homme est malade de sa propre nature. Ne serait-il pas fait pour vivre dans une société conçue par les hommes ?

mardi 9 novembre 2021

L'attrape-cœurs ~~~~ J. D. Salinger



Le cap de l’adolescence, c’est comme celui de Bonne-Espérance. Le franchir c’est passer d’un monde à l’autre dans le tumulte des eaux chahutées par la rencontre des océans. Laisser derrière soi la naïveté de l’enfance pour voguer vers la maturité dans le bouillonnement des hormones qui déferlent dans toutes les cellules du corps.

Mais ce cap est-il vraiment porteur de ce feu de l’espérance ? J. D. Salinger nous suggère une réponse dans l’attrape-cœurs avec son héros Holden Caulfield. L’horizon de l’adolescent est bouché au-delà de la portée du regard. Tout est remis en question, à commencer par la raison d’y aller vers cet horizon, paysage lointain dont ses parents lui sont le premier plan. L’adolescent n’a pas envie de leur ressembler dans un monde dont il va hériter et qu’il découvre hideux.

Beaucoup d’ouvrages traitent du franchissement de ce cap de la vie. Comment se singularise celui de J. D. Salinger ? L’auteur met l’accent sur la solitude de l’adolescent, en quelques jours de sa vie. Ce dernier prenant le lecteur à témoin avec son langage vernaculaire de jeune garçon dans l’Amérique des années 50. Sa fierté bravache mais chancelante lui fait éluder le mal-être qui l’habite. On doit comprendre à son errance qu’il ne voit aucune perspective dans le modèle que lui proposent les adultes de son entourage. Que ce soit à la maison ou au collège. L’ailleurs, il ne le connaît pas vraiment. Il l’explore avec déboires. Le monde est fait de profiteurs, de pervers lesquels lui ferment autant de voies qu’il croyait être des pistes d’évasion.

Des parents trop occupés par la vie professionnelle, un frère aîné parti vivre sa vie à l’autre bout du pays, un autre plus jeune mort prématurément – est-ce une chance ? – et une petite sœur. Elle est vive et intelligente. Elle semble bien dans sa peau. Curieusement Holden se sent porté vers elle. Elle est le fragile lien de rattachement avec sa famille. Lui qui a quitté le collège avec ses valises et erre dans New York avec l’incertitude du lendemain.

Le langage adolescent fait de formules argotiques de dédain et d’exagération est quelque peu rébarbatif au début de l’ouvrage. Il a fallu au traducteur retranscrire ce fameux « bloody » que les anglosaxons mettent à toutes les sauces lorsqu’ils sont blasés de tout. L’auteur ne nous épargne rien des répugnances qui peuvent assombrir l’image que l’adolescent se fait de la vie adulte. Holden ne trouve pas non plus de recours dans sa vie sentimentale. Les garçons et les filles sont-ils faits pour s’entendre ? Heureux celui qui ne considère les filles que comme objets de désir sexuel. Au moins ne se posent-ils pas de questions existentielles. Aux filles de se protéger des appétits insincères.

Le langage rébarbatif trouve sa raison d’être et s’adoucit au fur et à mesure que la désillusion ouvre la porte du désespoir. Le lecteur devenu confident comprend vite le désarroi de l’affabulateur. La cuirasse de celui qui veut jouer les durs se fendille peu à peu, jusqu’à faire jaillir quelques larmes. Que reste-t-il à Holden Caulfield pour retrouver espoir en l’avenir. Partir pour un ailleurs improbable, mais d’abord aller dire au revoir à sa petite sœur adulée. C’est là peut-être que se singularise l’Attrape-cœurs de J. D. Salinger lequel nous adresse un roman touchant sur le franchissement du cap de l’adolescence. Pour qu’il reste celui de bonne espérance.


 

samedi 20 mars 2021

La mer de la fertilité, tome 4 : L'ange en décomposition ~~~~ Yukio Mishima

 

Quatrième et dernier (?) opus de la mer de la fertilité. Il n'est que d'extraire certains passages de cet ouvrage pour comprendre que nous sommes parvenus au bout du chemin. Ce chemin n'est pas seulement celui d'une oeuvre littéraire. C'est aussi celui d'une vie. La vie de son auteur.
45 ans ! C'est l'âge de Yukio Mishima lorsqu'il met le point final à son œuvre testament. Sa jeunesse lui a filé entre les doigts. Il est plus que temps.

"Il n'y a jamais eu pour moi ce qu'on aurait pu appeler l'apogée de ma jeunesse, et par conséquent aucun moment pour l'arrêter. C'est à l'apogée qu'il faudrait s'arrêter. Je n'en ai discerné aucune. Chose étrange je n'en ai nul regret.

Mais non, il est encore temps après que la jeunesse est un peu passée. Survient l'apogée, c'est alors le moment." 25 novembre 1970, c'est alors le moment de quoi ? le regard s'est-il suffisamment appesanti sur le paysage ? le verbe l'a-t-il suffisamment célébré ?

La beauté du corps s'est dissoute dans les traits de ceux qui narguent leurs aînés de leur vigueur toute fraîche. C'est donc le moment de ne plus se compromettre dans le naufrage de la vieillesse, dans la décomposition de l'ange.

"Beauté physique infinie. Voilà le privilège particulier de ceux qui abrègent le temps. Juste avant l'apogée où il faut abréger le temps, se trouve l'apogée de la beauté physique."
Le bout du chemin est là. L'ascension est terminée. Après, c'est la déchéance. "Quelle puissance, quelle poésie, quelle félicité ! Pouvoir abréger le temps, au moment même où l'on aperçoit la blancheur étincelante de l'apogée. On en a la préscience dans la fièvre délicieuse de la montée, le décor changeant de la flore alpine, l'approche de la ligne de crête. « C’est avec lucidité et la pleine possession de ses facultés qu'il faut décider de basculer dans la lumière de l'autre monde. Le monde blanc.

"Je n'aime pas le genre de personnes, faibles ou malades, qui se suicident. Il n'y en a qu'une catégorie que je conçoive. Ce sont ceux qui se suicident pour démontrer leur personnalité."
L'oeuvre littéraire est la perpétuation de son auteur. Sa vie n'est que le segment d'une continuité. Il se retrouvera sous les traits d'une nouvelle jeunesse quelque part dans le monde.
"Même si l'on arrête le temps, la vie se réincarne. Cela aussi, je le sais."

Il n'est pas de point final pour qui croit en la transmigration des âmes. Tout au long de sa vie, Honda s'est convaincu de voir son ami Kiyoaki, pris au piège d'un amour imprévisible, se réincarner sous les traits d'Isao Iinuma d'abord, de la princesse Ying Chan ensuite, du jeune Toru enfin. Chacun porteur de la flamme fragile de la vie.

Mais le doute pernicieux s'est insinué en l'esprit de Honda. le grand âge l'a peut-être leurré. Toru a brûlé le livre des rêves laissé par Kiyoaki.

"La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes".
Est-ce donc avec le poison du doute insinué en son esprit quant à la réincarnation que Mishima a décidé de basculer dans le monde blanc le 25 novembre 1970 ? le point final de L'Ange en décomposition était-il celui de la Mer de la fertilité, ou bien quelque part en ce monde pourrait-il s'écrire un cinquième opus ?


vendredi 22 janvier 2021

1984 ~~~~ George Orwell


 

Je ne regarderai désormais plus de la même façon ces caméras qui s'installent dans tous nos espaces publics. Je viens de lire le plus célèbre roman de George Orwell1984, dans la nouvelle traduction de Josée Kamoun. Version modernisée, adaptée aux formes linguistiques et idiomes contemporains. La novlangue qu'ont connue les lecteurs francophones de la première traduction de 1950 est devenue le néoparler. Mais Big Brother est resté Big Brother. Il a survécu au temps, s'y est incrusté, et a même prospéré, pas seulement dans le langage. Ne l'avait-il pas prophétisé ?

Je sors de cette lecture un tantinet oppressé. J'ai besoin d'air pur. Si la traduction est réussie au goût du lecteur tardif que je suis, je suis heureux que prenne fin la torture de ce talent littéraire. Talent immense et incontestable. Au point qu'il peut enfermer le lecteur dans son monde pervers et remettre en question ni plus ni moins que son plaisir de lecture. Et ne lui donner qu'une seule hâte, celle de sortir des griffes de Big Brother.

Et pourtant, dans les griffes de Big Brother, nous autres lecteurs du 21ème siècle nous y précipitons volontairement de nos jours à grands pas, par le truchement de ces appareils qui ne quittent plus nos poches, se sont installés chez nous, ces autres qui suivent les déplacements de notre carte bancaire, et tant d'autres encore. George Orwell en grand visionnaire d'une époque où n'existait encore ni internet, ni reconnaissance faciale avait envisagé cette ère qui est déjà là. Une ère qui au petit homme retire son libre arbitre pour l'inclure avec son assentiment inconscient, à l'insu de son plein gré, selon une expression désormais galvaudée, dans ce que Yuval Noah Harari dans son ouvrage Homo Deus, une brève histoire du futur, appelle la grande bulle de données. Bonne nouvelle l'intelligence survivra. Mauvaise nouvelle, elle sera artificielle. A qui profite le crime ? L'être humain devient la cible du grand marchandage planétaire. Et quid du sentiment dans tout ça ?

Sentiment dont George Orwell vide la conscience humaine, y compris le plus noble : l'amour. L'individu n'existe plus. Il est part d'un tout. Absorbé, phagocyté par une organisation aux contours mal définis mais omnipotente, laquelle a pouvoir de vie et de mort sur terre y compris de retirer à l'individu ce qui fait prospérer l'humanité, le corollaire de l'amour : l'instinct sexuel. Et de gérer la reproduction, la perpétuation de l'espèce sur un plan comptable et non plus affectif.

Au sortir de la seconde guerre mondiale et de l'avènement du communisme, George Orwell est inspiré par ces grandes tyrannies broyeuses d'individus qui s'ingénient à faire des individus des êtres décérébrés, dépourvus de toute velléité de pensée autonome, inféodés à une idéologie totalitaire. le régime s'autogère de façon collective et se perpétue par voie biologique. Eugénisme, sélection, assujettissement, bienvenue dans le monde de Big Brother. "Le pouvoir, rien que le pouvoir pur". le pouvoir n'est pas un moyen, il est une finalité.

La grande idée étant la réécriture du passé, l'abrogation de la mémoire, le modelage de la pensée aux contingences du moment. le présent abolit le passé. le mensonge est institué en vérité. La grande idée c'est aussi le "Ministère de la paix en charge de la guerre, celui de l'amour qui s'occupe de la torture, le Ministère de la vérité de la propagande et celui de l'abondance de la disette". Tout cela savamment orchestré pour entretenir et diriger la rancoeur de la grande masse des "prolos" vers des boucs émissaires. C'est du grand art. C'est déprimant à souhait. Voyage dans les abysses du désespoir, de la résignation, pour la prospérité du Parti et d'une minorité qui a fomenté tout cela à son grand bénéfice. Comme d'habitude, on ne refait pas le monde. La Ferme des animaux nous le confirme.

Archétype de dystopie, un ouvrage qui vous lave le cerveau. Vous fait promettre de ne pas le relire. A moins que…

A moins que la réécriture du passé vous fasse oublier sa lecture et qu'un d'optimisme inconsidéré guide votre main vers sa reliure sur le rayon de la bibliothèque, que vos yeux se portent sur les premières lignes : "C'est un jour d'avril, froid et lumineux et les pendules sonnent 13:00." … Et vous voilà de nouveau sur les pas de Winston Smith à ne plus pouvoir vous en extirper jusqu'à vous convaincre d'amour pour Big Brother. La boucle est bouclée. Bonne chance à vous.