Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
Affichage des articles dont le libellé est féminisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est féminisme. Afficher tous les articles

jeudi 30 mars 2023

Trois guinées ~~~~ Virginia Woolf

 🌕 🌕 🌕 🌗 🌚


1938, la guerre n'est déjà plus une hypothèse. le monstre d'outre Rhin fourbit ses armes. Virginia Woolf publie Trois guinées. La guerre est pour elle entre autres préoccupations une obsession. Autant que celle du statut de la femme dans la société humaine. Statut qui, s'il dédouane cette dernière de la responsabilité de la guerre, a contrario de son congénère mâle, ne l'exonère pas des dommages de cette calamité. Dommages qu'illustrent pour elle les photos « de cadavres et de maisons en ruine » venues d'Espagne, lequel pays fait déjà l'expérience du totalitarisme et son lot de conséquences néfastes.

Dans Trois guinées, Virginia Woolf répond à la lettre d'un homme lui demandant, en désespoir d'envisager lui-même une issue heureuse à la période de tension que connaît l'Europe, comment éviter la guerre. Mais sans doute ne s'attend-il pas à recevoir une réponse laquelle n'a rien d'un réconfort ou d'un espoir.

Une réponse mettant en cause le patriarcat dans sa responsabilité de la situation qui va conduire l'Europe au désastre. le patriarcat, cette moitié mâle de l'humanité qui a mis sous le joug l'autre moitié en instituant sa suprématie depuis l'origine des temps. Suprématie usurpée qui fait enrager Virginia Woolf. Même si en Angleterre les femmes ont obtenu le droit de vote en 1918, cette ouverture à la démocratie est encore loin de leur ouvrir les portes des universités et des carrières professionnelles, ne laissant encore aux femmes, selon Virginia Woolf, comme perspective de promotion sociale que le mariage et la maternité. Suprématie que la religion chrétienne, en contradiction avec la parole du Christ n'a pas su abolir, bien au contraire. Alors que les femmes quant à elles et de par leur complexion peuvent faire naître et prospérer une société égalitaire et pacifiste.

Virginia Woolf enfonce le clou. Dix ans après avoir publié son fameux Une chambre à soi, ouvrage qui l'a cataloguée parmi les militantes féministes. Elle a inventé le « psychomètre », instrument imaginaire propre à mesurer la force émotionnelle émanant de la personne et sa responsabilité dans les situations qu'elle engendre.

« Quel mot peut désigner le manque de droits et de privilèges ? Allons-nous une fois de plus faire appel au vieux mot de « liberté » ?

La « fille de l'homme cultivé », expression que Virginia Woolf invente, revient en leitmotiv dans cet ouvrage. Cette « fille de l'homme cultivé » est son spécimen étalon de l'être privé de droits et de privilège et par là assujetti à une tyrannie sexiste que Virginia n'hésite pas à comparer à la tyrannie totalitaire en train de gangréner l'Europe. Alors que si la femme se trouvait à parité de statut et de droit avec son frère elle serait à même de bâtir et faire prospérer une société de justice, d'égalité et de liberté.

« Les filles des hommes cultivés qu'on appelait contre leur gré des « féministes »… luttaient contre la tyrannie du patriarcat, comme vous luttez contre la tyrannie fasciste. »

Virginia Woolf est à ce point obnubilée par ce déséquilibre fondamental entre les sexes, que de sexe, au sens charnel du terme, il n'est nullement question dans son discours. Au point de l'avoir fait cataloguée de frigide par ses détracteurs. Sans doute à court de répondant à la lecture de ce que cette femme ose publier de ses récriminations émancipatrices. Dans trois guinées, elle nous assène un discours dont la redondance des idées peut paraître fastidieuse. Il témoigne de son obsession du déséquilibre fondamental qui prive ses consœurs de ces justice, égalité et liberté si chère à la femme qu'elle est. Ce martèlement accusateur tente de traduire son exaspération, celle de voir l'humanité courir à sa perte du seul fait de son manque de sagesse et sa cupidité à mettre au crédit de la moitié dominante. Et de clamer que « seule la culture désintéressée peut garder le monde de sa ruine. »

Exaspération qui virera au désespoir au point que Virginia, un jour de 1941, emplira ses poches de cailloux pour s'avancer dans la rivière. Et de fermer à jamais les yeux devant l'ampleur des horreurs du fascisme, dont le patriarcat assume selon elle la responsabilité.


mercredi 8 décembre 2021

Les sorcières de Pendle ~~~~ Stacey Halls



Ce roman m’a remis en mémoire l’excellent ouvrage de Yannick Grannec : Les simples. Tous deux ont inscrit leur intrigue en un 16ème siècle où la guérison d’un malade tenait du miracle. Miracle dont la religion officielle ne voulait surtout pas se faire voler le bénéfice par quelque savoir empirique concurrent de la croyance imposée. Un guérisseur par les plantes avait tôt fait d’être qualifié de sorcier si d’aventure sa science remettait sur pieds un malade dont la toute puissante institution avait déjà fait un client au jugement dernier. Et bien entendu, cette qualification avait d’autant plus de chance d’être retenue si le guérisseur était une guérisseuse. Haro sur la sorcière.

« Etes-vous comme le roi, à penser que toutes les guérisseuses et les sages-femmes exécutent l’œuvre du diable ? ». Le roi en question c’est Jacques 1er d’Angleterre- conjointement 4ème du nom en Ecosse. Il avait fait de la chasse aux sorcières une obsession, y compris en écrivant un traité de démonologie lequel laissait aux accusées bien peu de chance d’échapper à la vindicte royale, sous légitimation de volonté divine bien évidemment. Le drame étant que pour être accusée point n’était besoin de preuve. Une simple dénonciation suffisait et peu importe si celle-ci était dictée par quelque rancœur ou jalousie.

A l’instar de celui de Yannick Grannec, on retrouve dans cet ouvrage des femmes douées de la connaissance des plantes - l’écorce de saule notamment dont on sait qu’elle sera à la base de l’aspirine quelques siècles plus tard. Ce pouvoir donné à des femmes est aux yeux de la gent masculine une source de suspicion quant à une velléité d’émergence de la condition dans laquelle elles sont entretenues. Condition qui s’apparente à celle du bétail selon l’héroïne de cet ouvrage, faisant référence au rôle qui les cantonnait à la reproduction de l’espèce. Chaque naissance suscitant au passage l’espérance d’une descendance mâle, au point de faire dire à l’héroïne des Sorcières de Pendle : « Je ne souhaite de fille à personne ».

On aura compris que ce roman est aussi et surtout un roman féministe. Fleetwood Shuttleworth, l’héroïne de cet ouvrage se bat pour extirper des griffes d’une justice aux ordres, arbitraire et expéditive des femmes accusées de sorcellerie, dont sa propre sage-femme. Mais le propos est plus général quant à la condition de la femme. Stacey Halls se joint à sa compatriote Virginia Woolf (*) pour regretter, du fait de ce statut avilissant « d’objet décoratif » dont elles sont affublées dans la société contemporaine de Shakespeare, de savoir ses consœurs avoir été empêchées d’écrire. Stacey Halls participe au rattrapage avec bonheur avec cet ouvrage. 

Les sorcières de Pendle est ouvrage intéressant, fondé sur des faits historiques. J’ai regretté toutefois le vocabulaire et les tournures syntaxiques quelque peu anachroniques qui ôte à cet ouvrage une part de sa teinte séculaire. Stacy Halls a toutefois le mérite d’avoir défendu avec ferveur la mémoire de ces pauvres femmes sans produire une diatribe enflammée contre une misogynie institutionnalisée. On ne refait pas l’histoire avec des colères rétrospectives. Mais on peut en tirer des enseignements …

Même si l’eau qui a coulé sous les ponts depuis Jacques 1er n’a pas encore lavé toute l’avanie d’un rapport de force déséquilibré, les sorcières modernes ont aujourd’hui pignon sur rue. Mais un maléfice ne pouvant être annulé que par celui qui l’a infligé, il reste encore du travail pour que le mâle concède le rééquilibrage des genres. Si l’on en croit ce qu’on nous assène régulièrement à nous qui nous accrochons à notre piédestal.

(*) Une chambre à soi – Virginia Woolf

jeudi 2 septembre 2021

Une chambre à soi~~~~Virginia Woolf



Nous y voilà ! Enfin presque. En 1928 Virginia Woolf prédit que « dans cent ans les femmes auront cessé d'être un sexe protégé ». Protégé, à comprendre d'après ce que je viens de lire dans le sens de dominé. Je n'en suis guère étonné. Après Simone de BeauvoirBenoîte Groult, je poursuis mon parcours de découverte du combat féministe. Dernière expression que j'ai envie de convertir en combat égalitaire. Tant celles précitées n'ont eu de cesse de vouloir gommer la différenciation sexuelle pour que la femme trouve dans la société la juste place qui lui est due. Abolir toute hiérarchie de genre et devenir des égales. Ni plus ni moins.

C'est donc un espoir que formule Virginia Woolf dans Une Chambre à soi. Un espoir qui se dévoile au creux de ce pamphlet, lequel délivre aussi son lot de ressentiments. Un espoir timide et fragile comme la flamme d'une bougie dans le vent. C'est tout naturellement en sa qualité de femme de lettre que Virginia Woolf se penche sur le sort de la femme au travers du prisme de la production littéraire. Au XIXème siècle les femmes commencent seulement à se faire connaître en littérature. Bien sûr il y a eu au cours des siècles précédents des Jane AustenGeorge Eliot, Anne Finch, et autres sœurs Brontë pour ce qui est de la littérature britannique, mais Virginia Woolf clame haut et fort que le talent qu'elles ont déployé eut été décuplé si ces dames avaient disposé d'une chambre à soi. Expression choisie pour décrire les difficultés qu'ont eu ces auteures à faire éclater leur génie, tant les conditions matérielles, de temps mais surtout de solitude indispensable pour accueillir le fluide pur de l'inspiration leur étaient comptées. Jane Austen écrivait dans la pièce commune et cachait ses manuscrits à la vue des importuns. Se faire éditer était une autre difficulté. À l'indifférence, au mépris se substituait cette fois l'hostilité de la gente masculine qui maîtrisait le monde de l'édition. Virginia Woolf propose de relire Jane Austen en scrutant ces pans de talent qui ont été contraints. Allant jusqu'à conclure « Que pouvait-elle faire d'autre que mourir jeune, déformée et contrariée. »

Ce qui lui fait extrapoler que, la moitié du genre humain ayant été décrétée inférieure par nature, la femme de classe moyenne n'existe pas dans l'histoire. Citant Périclès pérorant que « la gloire pour une femme est que l'on ne parle pas d'elle. » C'est donc à une acrimonie rétrospective à laquelle se livre Virginia Woolf, s'inscrivant à la liste de celle qui ont eu le cran de critiquer le sort qui leur était réservé, parfois au prix de leur vie. Olympe de Gouge : « si une femme peut monter à l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune. »

Une lueur d'espoir donc dans l'esprit de Virginia Woolf lorsqu'elle écrit Une chambre à soi en ce tout début de XXème siècle. Y sommes-nous donc en 2021 ? Sur les 94 ouvrages dont Babelio dresse la liste pour cette rentrée littéraire, j'en ai compté 40 qui sont l'œuvre de femmes. 40 qui ont donc trouvé une chambre à soi pour s'isoler et donner libre cours à leur talent. Gageons qu'à la rentrée littéraire de 2029 on s'approche de la parité dans le domaine de l'édition. L'espoir de Virginia Woolf semble avoir été visionnaire en tout cas pour le temps nécessaire au rétablissement de l'équilibre. Quant aux domaines de la parité en politique, de l'égalité des salaires dans le milieu professionnel, de la répartition des tâches ménagères dans le couple, ce sont là d'autres sujets qu'il conviendra d'aborder après la rentrée littéraire de 2029. Une chose après l'autre. (Hum, hum...!)


samedi 31 juillet 2021

Les vaisseaux du cœur ~~~~ Benoîte Groult


 

Benoîte Groult l'annonce en avant-propos : « le langage ne viendra pas en aide pour exprimer le transport amoureux ».

Alors pourquoi écrire ? L'écriture n'est-elle pas la forme pérenne du langage, autant que son support résiste à l'usure du temps. Pourquoi faire durer les traces d'un langage qui n'exprimera jamais ce qu'est ce « frisson mystérieux » de l'amour ? Pourquoi d'ailleurs cette incapacité de l'être intelligent à décrire ce qui constitue sa quête de toute une vie ?

Benoîte Groult connaît bien l'écueil. Elle franchit pourtant le pas. Elle le fait dans ce roman qui m'a prouvé que si le langage a cette insuffisance de ne savoir décrire la quête suprême de l'intime, il est certaines personnes pour le décrypter mieux que d'autres et le suggérer. Les poètes sont de celles-là. Benoîte Groult est de celles-là. Je conserve le présent à dessein à son propos, n'avons-nous pas encore le fruit de son ressenti à notre disposition dans ses écrits.

J'ai aimé que ce soit une femme qui aborde la nature de la relation amoureuse y compris et surtout lorsque cette relation s'exprime par la communion des corps. L'homme a ce boulet au pied qui le décrédibilise sur le sujet. Avec lui, l'amour s'assimile trop spontanément au sexe. Il ne pense qu'à ça, nous disent-elles. Et pourtant Benoîte Groult ne dissocie pas l'amour du sexe, bien au contraire. Elle le fait dans ce roman en confidence crue d'un amour adultère : la relation qui réunit George, sans s comme George Sand, une écrivaine universitaire en histoire et Gauvain, un pêcheur breton. Ils se sont connus adolescents, feront leur vie chacun de son côté et se retrouveront périodiquement. Obstinément. le sujet est abordé sans fausse pudeur. S'interrogeant de savoir si ce n'est que pour le sexe qu'elle et lui font autant d'efforts pour se rencontrer. George [elle] y répondant aussitôt avec un franc démenti : « ça vient de plus loin, de plus profond … c'est aussi puissant qu'une communion mystique ».

George [elle] est toujours à l'initiative pour provoquer leurs rencontres avec pourtant la ferme conviction que c'est l'absence qui sauve leur amour. « Attendre un amant est bien meilleur qu'accueillir un mari. » Elle veut bien se priver de son amour mais pas le perdre. « À vivre longtemps éloignés, il est vrai qu'on se laisse emporter par ses rêves. On finit par aimer quelqu'un qui n'existe plus tout à fait mais que dessine votre désir. » L'idée que son amant existe quelque part et pense à elle l'aide à vivre. Il en est de l'amour comme de toute chose, il ne pourrait résister à l'usure du quotidien.

Pour cerner au plus près l'évidence irritante du désir amoureux, alors que l'ensemble de l'ouvrage est narré à la première personne, dans certains chapitres évoquant la rencontre charnelle, George abandonne le « je ». Elle s'extrait de la narration et parle d'elle à la troisième personne, se plaçant alors en contemplatrice objective de leurs corps enlacés. S'employant par la même occasion, en féministe obsessionnelle qu'est Benoîte Groult, à ce que nul n'exerce d'ascendant sur l'autre : « nos sexes n'étaient plus mâle et femelle, nous nous sentions hors de nos corps, un peu au-dessus plutôt, nous balançant très vaguement, âme à âme, dans une durée indistincte ». Consciente que dans l'histoire de l'humanité les femmes se sont fait flouer, elle s'attache à abolir toute tentation dominatrice de l'un ou l'autre dans la joute amoureuse. Avec quand même une petite pique revancharde affirmant que « contrairement à ce que l'on prétend, c'est l'homme qui se donne en amour. le mâle se vide et s'épuise tandis que la femelle s'épanouit. »

Mais « le sexe n'est pas aussi sexuel qu'on le dit » la rencontre des corps quand elle ne répond pas une obligation de fréquence et de performance est « un vertige qui fait perdre la notion du bien et du mal ». C'est en construisant ce roman d'une relation amoureuse idéalisée que Benoîte Groult nous parle le mieux de cette « délicieuse drogue d'être adorée », d'être l'objet d'un « désir qui n'a pas de configuration descriptible. »

C'est donc une femme qui dédiabolise le sexe. le féminisme c'est aussi cela. C'est conférer aussi aux femmes l'initiative dans ce domaine. Ne plus le subir, à condition toutefois de restituer à la rencontre charnelle cette dimension qui en fait non pas une obligation mais une preuve d'amour. C'est en en parlant sans se voiler la face, avec tout le vocabulaire que le langage peut gauchement y appliquer que chacun peut parvenir à son épanouissement propre. Faire que s'aimer ne soit pas « une banale union des corps … mais rester deux jusqu'au déchirement ». Son amant « n'est pas et ne sera jamais son semblable. C'est peut-être ça qui fonde leur passion. »

Benoîte Groult a réussi l'exploit de me parler de sexe dans l'amour, aussi crument qu'on peut le faire, parce qu'il est chose humaine, mais sans être jamais obscène. Il n'en reste pas moins que la sublimation du sentiment tient beaucoup au désir et au rêve qui seuls fomentent la plus sublime des extases. La rencontre occasionnelle des corps ayant cette forme d'aboutissement indispensable pour entretenir la mémoire et stimuler l'imaginaire. Benoîte Groult ne m'a pas parlé d'amour au féminin. Elle m'a parlé d'amour entre deux êtres qui ont trouvé leur point d'équilibre, à égale convoitise, égal accomplissement. Ni homme, ni femme. L'amour a tout nivelé. Ensemble ils sont passés de l'autre côté de la vie « quand elle tient tout entière dans l'instant. »

Reste un autre mystère : pourquoi eux ensemble, pourquoi elle, pourquoi lui ? Mais là force est d'admettre avec Benoîte Groult qu'il n'y a rien de plus impossible à comprendre et raconter que l'amour. 

samedi 24 juillet 2021

Ainsi soit-elle ~~~~~ Benoîte Groult

 


"J'imagine les lecteurs de bonne volonté que leurs femmes auront décidés à parcourir ce livre…" Ainsi s'engage le chapitre V d'Ainsi soit-elle.

Hé bien moi, je vous le dis Madame Benoîte Groult, il y a des hommes qui auront lu votre ouvrage de leur propre initiative. Je suis de ceux-là. Ce n'est en outre pas la première que je lis un ouvrage féministe. J'avais commencé par le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, voilà bientôt deux ans. Vous me rétorquerez que c'est un peu tard. Je vous donnerai la réplique que l'on fait toujours à pareille admonestation. Mieux vaut tard que jamais. Je prendrai toutefois mes distances en déclarant ma neutralité. Je ne suis ni féministe ni misogyne. J'ai sur la nature humaine un regard asexué qui me fait parfois déplorer que la physiologie animale, qui est à la base de sa constitution, se soit vue affublée d'une intelligence laquelle la fait souvent agir en sa défaveur, quand ce n'est pas contre nature. Nature dans laquelle je confonds les deux sexes.

Benoîte Groult publierait son ouvrage en 2021, qu'y retrancherait ou ajouterait-elle ? Quel progrès ou quelle régression y ferait-elle valoir ?

Il y certes de nos jours une présence féminine plus importante à la représentation nationale. 8 femmes députées lors de la publication d'Ainsi soit-elle en 1975, 224 aujourd'hui. Mais serait-ce un progrès suffisant pour faire admettre à Benoîte Groult que la position de la femme a évolué dans le bon sens en notre pays, avant d'élargir le débat à la condition féminine de par le monde. Je suis un homme, j'aurais tendance à dire oui. Mais je suis aussi quelqu'un de prudent, qui se sait progresser en terrain glissant et ne veut pas se prononcer à la place d'autrui (substantif neutre fort heureusement). Allons-y donc à pas comptés.

Car j'ai lu en effet à la page 212 de l'édition le Livre de Poche toutes les occasions édictées pour un homme d'être taxé de misogynie, selon Benoîte Groult. J'ai donc peur d'aller plus avant dans cette chronique, au risque de faire un faux pas et être vertement recadré par les contributeurs de Babelio, dont on sait que la grande majorité est constituée de contributrices.

Je me suis risqué à lire Ainsi soit-elle. le risque étant, en qualité de représentant de la partie incriminée que je suis, de s'entendre dire des vérités quelque peu dérangeantes. Plongé dans cet ouvrage, j'avais l'impression d'être ce jeune homme que Benoîte Groult avait rencontré dans la Librairie des femmes, rue des Saints-Pères à Paris (*). Un intrus, un égaré ? Peut-être pas. Il avait osé franchir la porte de cette boutique qui n'affiche que des ouvrages d'auteures (ou autrices, que je trouve moins heureux) dans ces rayons. J'allais préciser auteures féminines. Mais je me suis rendu compte à temps que notre contexte linguistique ayant évolué – dans le bon sens ? – je m'empêtrais dans le pléonasme puisque le substantif se suffit désormais à lui-même pour indiquer le genre de celui ou celle qui tient la plume, plus souvent le clavier de nos jours. Il y a toujours des exceptions qui confirment la règle. Je ne me risquerai pas à féminiser sapeur-pompier.

Je me rappelle mon passage sous les drapeaux à une époque où les femmes faisaient leur entrée dans le métier. Jeunes enorgueillis de notre triomphante virilité sous l'uniforme, nous nous sommes entendus dire par un gradé qu'il y aurait désormais des femmes hommes du rang. L'institution a mis quelques mois à corriger le discours par une directive officielle. Il s'agissait alors de dire des femmes militaires du rang, et que cela valait pour les hommes.

Je n'étais donc plus vierge de lecture traitant du féminisme après m'être ouvert au sujet avec l'ouvrage de Simone de Beauvoir comme je l'ai déjà dit. Ouvrage qui m'avait ouvert à ce que mon éducation de garçon m'avait laissé concevoir comme naturel de traiter l'Autre avec morgue, avant que ce ne soit avec convoitise - l'Autre étant la femme et représentant quand même la moitié de l'humanité nous dit Simone de Beauvoir – que cette vision de la femme était le résultat d'une histoire datant de l'origine des temps depuis que l'homme s'est octroyé un statut de supériorité sur la femme. Statut dont elle peine encore à démontrer le caractère infondé, usurpé. Je ne vais pas dire que je tombais de haut. Mais s'entendre clamer des vérités propres à déchoir son acquit, inculqué, gravé dans la personne par une éducation ad' hoc - puisqu'il ne saurait être question d'inné en ce domaine - est toujours un peu déstabilisant. Il s'agissait donc d'une remise en question fondamentale.

Et pour ce qui est des vérités déstabilisantes, il y a ce qu'il faut dans l'ouvrage de Benoîte Groult. Elle nous les assène avec un langage certes moins policé que celui de Simone de Beauvoir dont le propos est aligné sur le registre philosophico-historico-sociologique édulcoré. Benoîte Groult n'hésite à renvoyer le mâle à ses insuffisances, à lui faire constater l'assoupissement de ses attributs virils à peine a-t-il volé un plaisir égoïste à celle à qui il n'a pas été capable de faire partager son extase fugace. Laquelle a quant à elle l'indulgence coupable de ne pas faire état de sa frustration. le verbe est cru avec Benoîte Groult. L'inventaire des motifs d'usurpation de supériorité est exhaustif. Et de déplorer que des millénaires d'injustice ne se corrigeront pas en quelques années, qu'il faudra encore attendre des générations avant le complet mea culpa masculin et espérer obtenir l'égalité des sexes. Au constat de l'inertie masculine, le compte n'y est donc pas encore en 2021 alors que je prête une oreille distraite à ce phénomène culpabilisant que quelques courageuses s'époumonent à clamer parfois au péril de leur vie.

On ne naît pas femme, on le devient nous a dit Simone de Beauvoir. Vous naissez hommes et voulez le rester et ne rien lâcher de votre statut usurpé nous dit Benoîte Groult. À quand ce que nous a promis la grande Révolution gravant sur le fronton de nos édifices publics une devise nationale qui peinent à se réaliser : Liberté Égalité Fraternité. D'autant que les Jacobins et autres Montagnards de service au pied du rasoir national s'étaient rendus compte, entre deux charrettes en chemin vers le supplice ultime, s'être quelque peu avancés quant aux prétentions égalitaires, réalisant ce qu'ils avaient à perdre. Dans leur esprit la devise n'incluait donc pas forcément nos consœurs et il convenait de rabaisser les prétentions d'une Olympe de Gouge, pionnière du féminisme, à déclarer à la face des badauds avides de voir sa tête rouler dans la sciure que si la femme peut monter à l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune.

Même prévenu du blâme qui planait au dessus de mon incrédulité masculine, que d'aucunes pourront déclarer feinte, je dois quand même avouer être quelque peu abasourdi, si ce n'est effaré, par ce qui a pu être dit ou écrit par des personnes éminentes - des hommes bien entendu mais pas seulement lorsqu'on lit les propos de certaines femmes dont la reine Victoria - et dont Benoîte Groult nous fait l'inventaire dans son ouvrage, sans parler des mutilations sexuelles qui cantonnaient les femmes à la seule procréation les privant de toute sensualité . Écrivains, hommes politiques, psychanalystes (Freud a particulièrement les faveurs de notre auteure féministe), médecins et hommes de sciences et autres marabouts, tous y ont contribué, sans parler des hommes d'église qui bien entendu intervenaient quant à eux qu'en porte parole de Dieu, tous à proférer ignominies, insanités et menaces qui leur vaudraient aujourd'hui la saisine des tribunaux mais qui en leur temps ont conforté l'idée que "l'absence de pénis, c'est con". Dixit Benoîte Groult qui n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer ce postulat faisant de la misogynie un racisme encore plus tenace, plus universel et surtout plus facile à exercer que tous les autres.

Voilà donc avec Ainsi soit-elle de quoi déchoir qui pêche par mâle attitude. Cette survivance d'un passé encore présent que n'ont pas encore nivelée les lois sur la contraception et l'interruption volontaire de grossesse chèrement acquises par celles qui ont eu le courage d'affronter des assemblées très majoritairement masculines. Ces dernières légiférant sans vergogne sur des questions spécifiquement féminines auxquelles ils ne pouvaient par nature rien comprendre puisqu'affaires de femmes. Femmes dans leur vécu intime, leurs entrailles comme le veut la physiologie mais plus surement dans leur cœur tant ces questions ont fait couler de larmes.

Et Benoîte Groult de secouer le cocotier, y compris la variété femelle de l'espèce, pour faire comprendre à ses consœurs qu'elles ont leur part de responsabilité à se laisser enfermer dans le statut de dominées. J'espère Madame Groult que l'observation de votre postérité vous laisse quelque espoir, si cette notion a un sens dans l'au-delà, pour que ce cri de colère gravé dans les pages d'Ainsi soit-elle et abandonné à notre entendement désormais éclairé fasse enfin accéder la femme à cet état psycho-affectif que vous briguiez pour elle, en forme d'un idéal qui ne serait finalement que normalité : l'accomplissement de la personne enfin déconnectée de la notion de genre.

(*) maintenant 33/35 Rue Jacob, 75006 Paris - site Web https://www.librairie-des-femmes.fr/


samedi 22 juin 2019

Le deuxième sexe - tomme 1~~~~Simone de Beauvoir

 



"Toute l'histoire des femmes a été faite par les hommes", et la hiérarchie instaurée, perverse et tenace, qui veut que la femme soit inférieure à l'homme remonte aux temps primitifs. Époque où l'impact du représentant de l'espèce sur son environnement dépendait avant tout de sa force physique. Caractéristique qui avantageait le mâle, on l'aura bien compris. C'est la biologie qui l'a voulu. Cela ne nous dit pas qui a voulu la biologie, mais c'est un autre sujet.

Quelques milliers d'années plus tard, cet avantage n'en est plus un. Même les mâles n'usent plus de leur force physique dans leur rapport au monde. Monsieur Colt aura pu faire dire dans une publicité restée célèbre vantant sa machine de mort que son invention avait supprimé l'inégalité originelle fondée sur la force. D'autres machines plus pacifiques celles-là ont pris le relais, avec le même succès pour supprimer le recours à la force physique, mais il faut l'avouer, avec tout l'orgueil que l'homme peut tirer de son évolution, dans son rapport à l'espèce il est resté primitif. La position qu'il s'est octroyée sur le fondement de la force physique est restée à son avantage. Il y a encore du chemin à faire pour arriver à ce que Simone de Beauvoir n'avait pas encore appelé la parité.

En 1949, lorsqu'elle écrit le deuxième sexe, la femme vient tout juste d'obtenir le droit de vote en France. En porte drapeau de la pensée féministe Simone de Beauvoir cherche à répondre à la question concernant ses consoeurs : "pourquoi la femme est-elle l'Autre ? … comment en elle la nature a été reprise au cours de l'histoire; il s'agit de savoir ce que l'humanité a fait de la femelle humaine".

Il faut parfois savoir se mettre en danger. Il faut parfois savoir se mesurer à plus fort que soi. Pour le représentant mâle de l'espèce que je suis, se mettre en danger c'est oser entendre les arguments qui battent en brèche l'orgueil masculin. Se mesurer à plus fort que soi, c'est faire une pause dans la lecture facile, et affronter des esprits hauts et forts. Comme par exemple lire Simone de Beauvoir.

J'ai quand même pour moi d'avoir compris, à l'éclairage de son ouvrage, que je me sentais inconsciemment plus d'affinité avec un Stendhal qui "jamais ne se borne à décrire ses héroïnes en fonction de ses héros" plutôt qu'un Montherlant pour qui "la chair féminine est haïssable dès qu'une conscience l'habite. Ce qui convient à la femme, c'est d'être purement chair." Sans remonter jusqu'à ce cher Pythagore qui a fait nos délices dans les classes de mathématiques, dont j'ai découvert un autre de ses théorèmes, lequel s'énonce ainsi : "Il y a un principe bon qui a créé l'ordre, la lumière et l'homme et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme." Celui-là n'est le résultat d'aucune démonstration. Il est le résultat de ce qui reste de primitif en nous. Difficile d'abandonner les avantages acquis. Difficile de rétrograder, même quand l'évidence s'impose.

Mais attention les machos de tous bords, dès lors que la force physique n'est plus une norme déterminante dans le rapport à la nature, celui qui a coutume de s'en prévaloir au regard du sexe dit faible pourrait bien se voir déclassé. Elles commencent à nous voler nos défauts, mais nous pas encore leur qualités, elles ont de l'audience au foot, elles fument bientôt plus que nous. Le troisième millénaire sera féminin ou ne sera pas.

Jusqu'à ce jour le mâle se vantait d'incarner la transcendance, cantonnant la femme à l'immanence, à puiser dans ses propres ressources pour exister et servir de nids douillet pour héberger l'embryon qu'il aura condescendu à lui confier le temps d'une gestation. Priant pour que ce soit un garçon. Oubliant avec sa virilité triomphante que s'il n'y avait plus de fille, la survie de l'espèce tournerait court. On avait appris que la prise au monde de la femme était moins étendue que celle de son congénère mâle, la voici plus étroitement asservie à l'espèce.

Quand la religion s'est mise en demeure de régner sur les consciences, le sort de la femme ne s'en est pas trouvé amélioré pour autant. Figurez-vous qu'il s'en est découvert un pour déclarer que si l'âme n'habite l'embryon qu'à partir du quarantième jour de sa conception pour un garçon, il faut attendre le double pour une fille. L'auteur de ce postulat a été sanctifié pour sa perspicacité. Convenez qu'avec cette finesse dans l'observation, la femme n'avait pas encore trouvé d'allier dans les prédicateurs en religion monothéiste. Quel que soit le prophète promu seul et unique dieu, ils ont tous eu grand soin de conserver à la femme le statut que sa masse musculaire lui avait fait attribuer.

Voilà un ouvrage qui parle de l'homme avec une minuscule. Non pas dans le sens où il ne représente que la moitié de l'espèce, excluant l'Autre, mais dans le sens où la minuscule convient fort bien pour rabaisser le prétentieux à ce qu'il est : un être de chair pétri de peur de se voir détrôné de la position qu'il s'est arrogée au fil des millénaires. Et si l'Autre, la femme donc, reste un mystère à ses yeux éblouis de lui-même, elle ne l'est pas plus du fait de son sexe mais bien du fait qu'elle est une autre personne. Chacun est un mystère pour l'autre.

Je ne cacherai pas qu'il est certaines des phrases de cet ouvrage que j'ai relues plusieurs fois avant de les croire apprivoisées par mon entendement. Non que je fasse le sourd à la pertinence de son argumentation, mais bien parce qu'elles sont d'une force conceptuelle qui a réveillé quelques uns de mes neurones assoupis. Le deuxième sexe est un essai philosophico sociologique qui est forcément plus fouillé et élaboré que ce que je pourrais en restituer. Il a encore toute sa valeur aujourd'hui, et quand ces dames utilisent les réseaux sociaux pour secouer le cocotier je ne suis pas sûr qu'elles fassent encore descendre sur terre toutes les noix récalcitrantes à entendre raison.

Pour ce qui me concerne, je ne voudrais pas non plus passer pour un ange. On n'a d'ailleurs toujours pas déterminé leur sexe. Je dirai simplement en toute sincérité que la seule chose qui me retiendrait à envisager une réincarnation en femme, ce sont les chaussures. Celles qui perchent le talon et élancent la jambe à faire fantasmer les hommes. Envisager la souffrance n'est pas notre fort à nous les mâles.