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samedi 15 avril 2023

Les mémoires de Zeus ~~~~Maurice Druon

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Nom de Zeus, quelle famille !

Je n'en suis à vrai dire pas vraiment surpris. J'avais connu une ouverture à cette fantasmagorie qu'est la mythologie avec l'excellent ouvrage d'Edith Hamilton : La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes. Une conviction s'ancre désormais en moi à la lecture des Mémoires de Zeus de Maurice Druon. Elle me fait regretter que le monothéisme nous ait fait perdre tant de volupté dans nos rapports avec Qui préside désormais à nos destinées. Car disons-le tout net, au regard de ce qu'ont pu connaître nos ascendants des première jusqu'à la quatrième race de mortels, puisque nous autres sapiens du XXIème siècle sommes les descendants de la cinquième race, Celui qui s'est arrogé l'exclusivité de nos dévotions, toutes confessions confondues, est bougrement rébarbatif. D'autant que Ses manifestations à notre attention sont pour le moins discrètes et nous obligent à la croyance.

Parce que les Dieux grecs pour ce qui les concerne, relayés par leurs alias romains, n'avançaient pas à visage masqué ; ils faisaient preuve auprès de leurs oyes de manifestations pour le moins démonstratives et avaient de bons gros défauts comme on les aime, de nature à affranchir les pauvres mortels de tout scrupule quant à leurs propres écarts de conduite. Car pour ce qui est du Seul que l'on révère en nos cathédrales, mosquées, synagogues et autres pagodes de nos jours, et revendique donc la majuscule, son appropriation monomaniaque et anti concurrentielle des consciences laisse planer le doute quant à notre filiation. On ne se reconnaît en réalité que peu d'affinité avec sa rigueur dogmatique tant nous avons de la fidélité une notion élargie et de la vertu un arrière-goût amer. Les défauts sont de notre nature. Mais n'est-ce pas Lui qui nous a faits ? Aussi, pourquoi voudrait-Il désormais nous en culpabiliser.

Le seul reproche que l'on pourrait faire aux Dieux de l'Olympe est le malin plaisir qu'ils se sont donné à nous compliquer la vie à nous autres pauvres mortels, à force de tarabiscoter l'arbre généalogique de leur fantaisie familiale, obsédés que nous sommes désormais à vouloir tout rationaliser, tout étiqueter et codifier. Et c'est grand mérite à Maurice Druon de tenter de nous effeuiller dans cet ouvrage l'arbre de Zeus dont les racines font de curieuses connexions en boucle avec les branches aux pouces les plus tendres. Il faut dire que le bougre ne craignait nullement la consanguinité pour faire commerce, comme on dit avec une pudeur toute littéraire, avec ascendance et descendance, pourvu que le plaisir soit à la clé. Bien qu'il connût quand même quelques manifestations de jalousie de sa légitime Héra. Sa justification d'honorer les mortels de la semence divine était argument fallacieux aux yeux de celle-ci. Allez comprendre pourquoi. Car figurez-vous que nos ancêtres de ces temps reculés pouvaient recevoir des dieux des preuves caressantes et culbutantes pourvu qu'ils fussent disposés à les accueillir en leur giron, et augmenter par là une ramure aux bourgeons déjà nombreux et ainsi mieux nous perdre en sa canopée.

Oui Zeus était volage. Maurice Druon n'omet aucune de ses nombreuses maîtresses, divines ou mortelles. Et bien que roi des dieux, il ne se sentait nullement une vocation d'exemple auprès de ses administrés. Car en cette époque bénie des dieux les comportements n'étaient ni louables ni blâmables, ils étaient tout simplement divins. Mais patience divine a ses limites et lorsque Héra, sa légitime, se fit trop intrusive pour surveiller ses errements, il n'hésita pas à la pendre par les cheveux, une enclume accrochée aux pieds. Quelle époque vivons-nous en ce siècle pour que notre code pénal trouve à redire à pareille manifestation d'autorité ?

"Si des esprits aussi chagrins que mal informés vous ont conté, chers mortels, que vous descendiez des singes, ne les croyez pas." C'est Ouranos, le grand-père de Zeus "qui créa l'homme qu'il tenait pour son chef-d’œuvre", à condition toutefois que sa vie ait une fin. Les Parques ayant mission de veiller à tous cela, en particulier Atropos chargée de couper le fil. Voilà donc un podium pour renforcer notre orgueil et un tombeau pour l'étouffer. Mais en toute occasion remercions Dionysos, plus connu sous son alias de Bacchus, le turbulent rejeton de Zeus, d'avoir couvert nos collines ensoleillées de la divine grappe afin de nous réjouir du succès et oublier le péril.

Quel bonheur en tout cas, dans l'attente du coup de ciseau fatal, de combler quelques heures entre les mains des Parques avec cet ouvrage de Maurice Druon dont je soulignerai respectueusement la qualité de la langue. Ouvrage ciselé, à la documentation exubérante, nous livrant à la compagnie de tant de noms célèbres mais inconnus de nous parce qu'interceptés trop furtivement au gré d'indiscrétions instruites, évoquant au passage les trois Grâces, les Muses, les Saisons, les Hespérides. Et tant d'autres dans le fourmillement d'une parentèle innombrable convoquée en ces pages par l'érudition de notre académicien.

Notre chronologie n'ayant rien de divine et désormais livrée en les mains d'Un seul, Lequel nous rend coupable dès la naissance puisque nous affublant du péché originel, coupable de naître donc, il me faut mettre un terme à ce propos et vous rendre à vos auteurs qui piaffent jalousement de savoir vos yeux rivés à ces lignes, lesquelles vous font l'éloge d'une biographie du roi des Dieux, qui pourrait donc durer ce que durent les dieux, éternellement.

Nom de Zeus, le temps nous est compté. Nous ne sommes plus au temps de l'Âge d'or.

mardi 22 février 2022

Le silence des vaincues ~~~~ Pat Barker



Ce qui est remarquable avec la mythologie c'est cette forme de connivence des dieux avec les mortels. Connivence qui ne s'exprime pas seulement par les turpitudes dans lesquelles les dieux entraînent ces derniers mais aussi par les alliances amoureuses dont ils se réservent l'initiative - à tout seigneur tout honneur - avec les inévitables descendances qui ne manquent pas d'en résulter. Dont on se demande toujours si le rejeton connaîtra l'immortalité, à défaut d'éternité puisque sa vie connaît un commencement. Achille, roi de Phthie, le plus valeureux guerrier de la guerre de Troie, en est un spécimen puisque fils de la Nymphe Thétis et du roi Pélée, un mortel. Un oracle prédit toutefois un terme à la vie d'Achille, une fois Hector passé au fil de son glaive.

La guerre de Troie, puisqu'il est question de cette épopée dans cet ouvrage de Pat Barker, est sans conteste le résultat de ces défauts bien humains qui caractérisent Zeus et consort. Consort étant en l'occurrence ces Belles du sommet des sommets : Héra, Pallas Athéna et Aphrodite, tout aussi anxieuses de se voir couronnées la plus belle de toutes. Jalousie, concupiscence, luxure et querelles conséquentes sont au programme, supposées corrigées par une valeur qui nous est désormais étrangère : l'honneur. La compétition aurait pu être loyale. C'était compter sans Eris, la méchante déesse de la Discorde qui, furieuse d'être oubliée dans la liste des invités au mariage de Pélée et Thétis, a jeté la pomme de la Discorde dans la salle du festin avec cette mention par laquelle tout s'enclenchera : « A la plus belle ».

Il n'en fallu pas plus aux trois déesses à revendiquer le titre d'intriguer et de fil en aiguille et en de sournoises manœuvres de jeter Hélène, épouse de Ménélas roi de Sparte, dans le bras de Pâris, fils de Priam roi de Troie. Et patatras, la guerre de Troie fut bel et bien engagée. Et Grecs et Troyens de s'entretuer durant dix années avec la fin que l'on connaît. Nom d'un cheval de bois !

Cette guerre de Troie, une nouvelle fois colportée à nous mortels des temps modernes par Pat Barker, est révélée dans cet ouvrage par celles qui d'habitude conservent un silence prudent, le silence des vaincues. Celles qui de reine à femmes du peuple de Troie sont devenues des trophées de guerre. Puisque telle était la condition réservée aux femmes des cités conquises dans cette haute antiquité managée par les divins fantasques de l'Olympe, une fois leurs valeureux époux ôtés à leur affection.

La beauté ayant de tous temps ayant été la plus grande injustice originelle, même si les critères ont varié selon les époques, ne devenaient trophées auprès des rois que celles gratifiées de cette qualité. Briséis l'était. Belle femme de l'aristocratie troyenne, devenue depuis sa capture, l'esclave du roi Achille. A ne pas seulement le servir à table imaginons bien. C'est donc elle qui nous raconte sa guerre de Troie dans le silence des vaincues. Si Hélène a été le sujet de discorde entre Grecs et Troyens, Briséis l'a été entre Achille et Agamemnon. le roi de Mycènes, roi des rois de la Grèce antique et accessoirement frère de Ménélas-le-cocu fut donc obligé, par l'offense faite à la famille, extrapolée à tous les Grecs, de partir en guerre contre Troie.

Même si le mythe laisse une large plage d'interprétation aux détails des événements, Pat Barker reste dans le communément admis du poème original, éludant toutefois de ces péripéties les multiples interventions des dieux que la légende nous a laissé envisager. Excepté peut-être le rôle de Thétis, la nymphe mère d'Achille, nul autre dieu n'intervient aussi directement dans les événements relatés par Pat Barker, alors que la légende nous dit qu'ils savaient se rendre visibles à qui ils voulaient et faire usage de leurs super pouvoirs dirait-on aujourd'hui pour influer sur le cours des opérations. Diomède et Pâris entre autres ont su en profiter. Pat Barker fait donc de cette guerre une affaire entre mortels. C'est dommage car elle nous prive de toute la fantasmagorie qui enjolive les péripéties et dont les dieux de l'Olympe sont des instigateurs imaginatifs et impénitents.

Pat Barker choisit donc de nous faire vivre cette guerre interminable au travers du prisme de celles qui en d'autres temps ne pouvaient que se taire, le petit bout de la lorgnette. Ce que leur condition leur autorisait de voir, de subir. Sois belle et tais-toi si tu veux vivre. Vivre en esclave de roi pour le meilleur, c'est le cas de Briséis. Livrée à la troupe avinée pour le pire si tu ne combles pas ton nouveau maître de faveurs propres à le soulager des maux de la guerre.

Outre cet angle d'observation original, Pat Barker prend le parti d'évoquer cette guerre avec une écriture résolument moderne, peu châtiée, version Kaamelott d'Alexandre Astier. « Qu'ils aillent se faire foutre les dieux » - page 321 édition J'ai lu, pour que des lecteurs tout aussi modernes et mécréants que nous sommes devenus s'y reconnaissent sans doute bien dans leur langage commun. Autre temps, autres mœurs, autre langage, l'important étant de bien comprendre les enjeux de pareil conflit initialement rapporté par Homère, sous une autre forme à n'en pas douter.

Le pari était risqué quand des lecteurs, comme c'est mon cas, s'étaient auparavant délectés des ouvrages de Madeline Miller : le chant d'Achille en particulier pour l'Illiade, Circé pour l'Odyssée, dont on va dire qu'ils sont faits d'une écriture aussi rayonnante et policée que la documentation est fouillée. Mais, même si d'un ton en dessous, pari réussi à mes yeux pour cette version de l'Illiade. Je n'ai pas craint de voir les personnages se jeter des noms d'oiseau à la figure. L'angle d'observation du plus célèbre des conflits est original, tout autant que son écriture. Pourquoi pas. Moi qui ai toujours eu du mal à lire Montaigne dans sa langue native, je ne crains pas les efforts de modernisation pour nous rendre la mythologie accessible. J'inscris même dans mes projets de lecture la suite de cette « ambitieuse réécriture de l'épisode le plus célèbre de la mythologie grecque » : Les exilés de Troie.

Citation

- Aurais tu vraiment épousé l’homme qui a tué tes frères ?
- Eh bien, premièrement, on ne m’aurait pas laissé le choix. Mais, oui, probablement. Oui, j’étais esclave, et une esclave ferait tout, absolument tout, pour ne plus être une chose et redevenir une personne.
- Je ne comprends pas comment tu pourrais faire ça.
- Bien sûr que vous ne comprenez pas. Vous n’avez jamais été esclave.


samedi 26 décembre 2020

Le chant d'Achille~~~~~~Madeline Miller

 


Brad Pitt savait-il, en acceptant le rôle, qu'Achille était allé jusqu'à s'exiler sur l'île de Scyros et se travestir en fille dans un groupe de danseuses pour échapper à la guerre. Voilà qui aurait pu quelque peu ternir l'image du héros guerrier et ôter des scrupules à l'acteur vedette, lequel se reprochait d'avoir accepté un rôle trop racoleur.

Il est un euphémisme de dire que l'adaptation de la guerre de Troie par Wolfgang Petersen est très libre. Dans son film, entre autres écart avec l'Iliade, la guerre de Troie est l'affaire de deux semaines et passe sous silence les atermoiements du héros de Troie plus enclin à jouir de ses amours que de gloire militaire. Si l'on en croit en tout cas la version que nous livre Madeline Miller dans le chant d'Achille.

Dans la controverse qui s'est faite jour au fil des siècles à propos de l'amitié qui unissait Achille et Patrocle, Madeline Miller a faite sienne la version de l'éminent historien Bernard Sergent, président de la Société de Mythologie française, abondant à une relation homosexuelle. Et pour couper court à l'autre aspect de la controverse quant au statut de l'un par rapport à l'autre, Eraste (le plus âgé, pour ne pas dire vieux) Eromène (le plus jeune), Bernard Sergent a trouvé dans ses recherches approfondies suffisamment d'éléments pour faire de leur idylle une passion entre jeunes amoureux de même âge. L'homosexualité jouissant en cette époque aux dires des spécialistes de la plus grande tolérance. Époque donc bénie des dieux à leur égard et à leur regard. Sauf que ce dernier était assombri, ou éclairé selon l'intention qui préside, par une autre valeur de l'époque, aujourd'hui disparue : l'honneur. Valeur qui, lorsqu'elle est bafouée, aux délices de l'amour commande de lui préférer la guerre .

C'est comme ça que la légende se fait histoire

Histoire d'amour entre deux jeunes garçons donc, mais contrariée par l'honneur souverain – ils ont dix-sept ans lorsqu'Agamemnon les entraîne dans cette folle épopée pour reprendre Hélène aux Troyens – que nous suggère la version de Madeline Miller dans ce bel ouvrage. Version que l'on prend au sérieux. Elle a mis dix ans pour écrire ce roman qu'on qualifiera d'historique puisque fondé sur des textes dont les premiers nous viennent de l'antiquité grecque. Sachant qu'ils étaient déjà loin d'être contemporains des faits générateurs de la légende qu'ils colportaient. C'est comme ça que la légende se fait histoire pour qui n'y prend garde, se nourrissant à l'envi d'imaginaire épique, celui-là même qui de bouche à oreille au fil du temps sculpte un héros de marbre dans un bloc de calcaire à peine dégrossi. Après tout "La vérité, c'est ce que croient les hommes", déclare Ulysse à ses deux jeunes qui voudraient dissimuler leurs sentiments réciproques. Mais on n'est pas prince ou demi-dieu pour vivre dans le mépris de ce que commande l'honneur, sauf à sombrer dans l'opprobre et perdre son statut.

Il est celui dont les sentiments sont à la fois les plus humbles et les plus purs

Patrocle est le narrateur de cette épopée. On ne s'étonnera pas, connaissant le sort qui lui est réservé sous les murs de Troie, de le savoir à la fin de l'ouvrage s'adresser à nous n'étant plus alors "constitué que d'air et de pensées." Plus que tout autre il est celui qui endure et subit cette guerre pour rester fidèle et loyal envers son amant devenu son maître. Ne dit-il pas de lui-même être considéré par les autres "seulement comme l'animal de compagnie d'Achille". Il est celui dont les sentiments sont à la fois les plus humbles et les plus purs. Lorsque figé dans sa fierté offensée Achille refusera de combattre aux côtés d'Agamemnon, Patrocle se substituera à celui-ci pour sauver sa réputation. Se sachant haï par Thétis, la déesse mère d'Achille, il ne peut espérer aucun secours des dieux. Sa fidélité à la grandeur de son amant le perdra. Mais "aucune loi n'oblige les dieux à être justes".

A prendre le parti de l'amour sincère entre deux jeunes hommes, Madeline Mille n'en trahit pas pour autant ce qui est communément admis du sort de Troie et de ses héros des deux camps. On n'en dira pas autant du film de Wolfgang Petersen. Autant que puissent être l'univers des dieux et les fantasmagories de la légende, l'amour reste une valeur qui ne varie ni avec le temps ni avec la qualité de ceux qu'il favorise. Mais depuis que le monde est monde une valeur autant malmenée par l'homme toujours prompt à lui mettre des bâtons dans les roues.

Madeline Miller m'avait conquis avec Circé. le chant d'Achille confirme mon engouement. A quand un troisième ouvrage de cette auteure inspirée pour combler mon avidité à fréquenter dieux et demi-dieux. Ils me dissipent de notre réalité trop nourrie d'humaine nature dont on sait combien elle est avide de la chose matérielle. Et sous l'emprise d'un dieu avare de manifestations mais n'en revendiquant pas moins quand même monopole et majuscule.


samedi 30 mai 2020

Circé ~~~~~~Madeline Miller




 
La mythologie grecque ne compte dans ses rangs que deux sorcières, Circé et Médée. Si elles possèdent des pouvoirs magiques quelque peu redoutables, leur apparence n'a toutefois rien d'effrayant. Elles sont jeunes et ravissantes. Madeline Miller a jeté son dévolu sur la première des deux pour nous faire partager sa vie. Une partie infinitésimale de celle-ci dois-je préciser car en sa qualité de déesse sa vie ne saurait connaître de fin. Et à l'heure où j'écris ces mots peut être Circé me regarde-t-elle de je ne sais quelle hauteur, peut-être est-elle penchée sur mon clavier à s'intéresser à ce que je pourrais dévoiler de ses péripéties affectives. Aussi dois-je prendre garde de ne pas la vexer.


Ce bout de chemin que Madeline Miller nous propose en sa compagnie nous projette dans un monde où le fantastique et le réel sont intimement liés. Un monde que nous relate les premiers poètes grecs, lesquels envisageaient des dieux à leur image, non seulement d'apparence mais aussi de comportement. Une façon de les apprivoiser, de se rassurer surtout, en leur prêtant des défauts et qualités bien connus d'eux et fidèlement transmis à nous autres leurs descendants. Car il faut préciser que de tous temps, aussi puissants et omniscients qu'ils pussent être, les dieux n'en étaient pas moins dangereux dans leurs colères et donc craints des mortels, dont le modeste représentant que je suis.

Circé a été bannie et condamnée à l'exil sur l'île de AEaea, où elle réside peut-être encore. Telle fut la sentence de son père Hélios, dieu du soleil, lequel avait tenu conseil avec Zeus, après que celle-ci eût fait absorber à la nymphe Scylla, sa rivale de cœur, un philtre qui la transforma en monstre hideux à six têtes et tentacules. Je prendrai donc garde à ce que j'absorberai après avoir publié cette chronique.

Expatriée en face de Charybde elle fit du détroit (de Messine) l'écueil redouté de tous les marins et accessoirement l'origine du dicton dont on use encore de nos jours : tomber de Charybde en Scylla. Éviter un péril pour succomber à un autre. Circé n'en était d'ailleurs pas à son coup d'essai pour provoquer la colère de ses illustres parents. N'avait-elle pas auparavant tenté d'adoucir le sort de Prométhée, lui-même condamné au supplice par Zeus pour avoir donné le feu aux hommes. Je lui dois donc de pouvoir faire quelques grillades sur mon barbecue, mais là encore point trop n'en faut, au risque d'attirer les foudres de Zeus.

Une affaire de cœur est donc à l'origine du triste sort de Circé dont Madeline Miller a décidé de nous entretenir, à mon grand plaisir de lecteur aux jours comptés. Car figurez-vous que les dieux et déesses de la mythologie grecque éprouvent des sentiments et convolent entre eux sans préoccupation d'inceste et consanguinité mais pas seulement, ils ou elles convoitent aussi les faveurs des mortels, sans préoccupation de chronologie cette fois, car leur temps n'est pas le nôtre forcément. Avec donc la certitude de voir leurs amours se dissoudre dans l'éternité divine, petite fenêtre de concupiscence contre un espoir fou pour l'élu(e) d'accéder à l'immortalité. Circé convoitait le cœur du modeste pêcheur Glaucos, en fit un immortel.

A ce propos Circé si tu me regardes…
Non, bon, c'était juste une suggestion comme ça !

Mais pour en revenir à Glaucos, devenu immortel mais ingrat, ce dernier se laissa tenter par les charmes de Scylla. Pour le plus grand déboire des deux rivales et de nombre de ceux qui, en victimes expiatoires, croisèrent la route de chacune d'elles. C'est ce qu'on appelle des dommages collatéraux.

L'exil de Circé sur son île sera toutefois adouci par quelques visiteurs. Au rang desquels Hermès, avec qui elle réchauffera sa couche, mais certes pas de son cœur. Car le messager des dieux, que certains présentent comme ancêtre d'Ulysse, avait une attitude quelque peu ambiguë, voire déloyale vis-à-vis de l'exilée. Jason y fera escale aussi, de retour de sa quête de la toison d'or. Mais c'est surtout le héros de l'Odyssée dans son périple de retour vers sa chère Pénélope qui s'autorisera quelques mois de repos auprès de Circé et conditionnera par là même une part de son avenir, dont on apprécie mal la durée tant il est confus de s'imaginer ce que peut être l'avenir d'un immortel.

On a compris qu'Ulysse ne sera pas aussi fidèle que sa tendre et chère dont on connaît le stratagème pour repousser les prétendants convaincus de la disparition du héros de la guerre de Troie. Il faut bien dire qu'ayant provoqué le courroux de Poséidon, il était encore loin du terme de son errance sur les mers. Il quittera cependant Circé sans savoir que le fruit de leurs amours sera un fils, Télégonos. Madeline Miller n'évoque que celui-là dans son ouvrage quand d'autres références mentionnent une filiation plus prolifique avec le roi d'Ithaque. Mais les sources de la mythologie étant ce qu'elles sont, les interprétations peuvent être diverses et contradictoires et donc aussi fantaisistes que plausibles.

"L'un de nous doit avoir du chagrin. Je n'allais pas accepter que ce soit lui". Voilà des propos empreints d'un amour tout maternel mis dans la bouche de Circé à l'égard de ce fils bâtard d'Ulysse lorsque la puissante Athéna, également aussi belle que redoutable, réclama son tribut en compensation de la mort de son protégé, Ulysse. Cet épisode nous fait toucher du doigt l'humanité avec laquelle Madeline Miller s'est intéressée au sort de Circé. Il nous ouvre sur la somptueuse dramaturgie en forme de réhabilitation d'une sorcière, car si l'on en croit cette auteure, Circé n'avait de démoniaque que ses pouvoirs surnaturels et non les intentions malfaisantes que notre culture moderne serait tentée de lui attribuer. Ses écarts n'étaient que la conséquence d'un cœur en proie aux déboires d'une sensibilité toute féminine.

C'est ainsi qu'en recevant en son île Pénélope devenue veuve et son fils Télémaque, l'auteure nous offre une belle passe d'arme chargée d'émotions entre ces deux femmes, toutes deux mères d'un fils d'Ulysse. L'ouvrage déjà riche en péripéties que l'on imagine dans la fantasmagorie mythologique connaît un sursaut digne d'une tragédie classique dans lequel le devoir s'oppose à l'amour, filial celui-là. le sacrifice d'une mère, fût-elle déesse, pour un fils mortel. Une éternité de chagrin donc pour un fils qui sur terre ne fait que passer. Voilà bien la preuve que l'amour ne connaît d'échéance que la mort de celui qui l'éprouve. Et lorsque celui-là est immortel, l'amour l'est autant.

Magnifique ouvrage de Madeline Miller qui offre aux fervents des mythes et légendes une page d'émotions affranchie des contraintes du temps.


mercredi 15 novembre 2017

La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes ~~~~ Edith Hamilton




 
"De la nuit et de la Mort naquit l'Amour et dès sa naissance l'ordre et la beauté remplacèrent la confusion aveugle". Convenons qu'il s'agit là d'une bien belle manière d'évoquer la naissance du monde. Que nos scientifiques contemporains réduiront, avec moins de bonheur, à un anglicisme d'artificier : le big bang.

Cette tournure poétique est empruntée à Hésiode, paysan-poète et philosophe avant l'heure, l'un des premiers à s'interroger sur l'origine et la raison de toute chose et tout être issus du Chaos. En tout cas, l'un des premiers à avoir livré ses pensées à la postérité, à avoir déploré l'absence de réponses à ses questions, qui deviendront pour le coup questions fondamentales. Et de dépit, l'un des premiers à invoquer le recours palliatif à une ou des volontés supérieures pour justifier l'injustifiable. Les dieux sont entrés en scène.

Sauf que, a contrario de ce que nous connaissons aujourd'hui, en ces temps de sagesse ignorante d'un messie, innocente de toute religion, les dieux des mythologies grecque et romaine étaient moins rébarbatifs que nos champions de l'accaparement des croyances actuels, désormais seuls à la barre des consciences puisque prophètes en religions monothéistes. Les Titans, les grands Olympiens et leur descendants ne revendiquaient pas la majuscule en tout ce qui touchait à leur allusion, ni la transcendance tyrannique sur l'esprit de l'homme puisque leurs prérogatives étaient partagées et leur substance, plus trivialement immanente, nichait au fond de la nature. Leur nature propre, quant à elle, ne l'était pas vraiment en réalité. Elle leur conférait de bons gros défauts comme on les aime, nous autres mortels prisonniers d'un corps gouverné par ses instincts. Libertinage, colère, jalousie et autres délices et turpitudes étaient au menu de leurs frasques divinement humaines.

Tout cela on le découvre, ou on le confirme selon son bagage culturel, en lisant l'ouvrage d'Edith Hamilton, hautement recommandable à qui veut se frotter aux fantasmagories de la mythologie, connaître au passage certains de leurs errements et déboires qui survivent dans le langage populaire en quelques expressions dont trop d'utilisateurs ignorent l'origine, et peut être jusqu'à la véritable signification : nettoyer les écuries d'Augias, suivre le fil d'Ariane, ouvrir la boite de Pandore, tomber de Charybde en Scylla, etc…etc…

Sans être vulgarisateur l'ouvrage d'Edith Hamilton est un excellent condensé qui peut se lire dans sa globalité ou rester à portée de main pour, grâce à ses annexes, table des matières, index et autres arborescences généalogiques, servir d'antisèche pour épater son entourage.

Mais prenons garde à l'esbroufe. La mythologie n'est pas forcément simple et limpide. Les arborescences se construisent au fil d'un millénaire et plus, sont restituées par des sources dont la cohérence n'est pas l'intention première. Il suffit pour s'en convaincre de scruter endétail celle de Zeus, le dieu des dieux, alias Jupiter. Le larron n'y est pas allé de main morte pour compliquer les chronologies, leurrer son épouse officielle et mettre à l'épreuve sa jalousie à se livrer aux plaisirs de la chair, divine et mortelle, et faire pâlir nombre de ceux moins bénis des dieux puisque mortels-à-craindre-ses-colères. Outre épouse et concubines, le bougre n'hésitait pas à faire commerce avec sa propre descendance franchissant sans coup férir les générations pour y jouir à perpétuité de fraîcheur et de beauté, jusqu'à porter en gestation lui-même le fruit de ses amours avec Sémélé, arrachée trop tôt à son amour. Avouons que notre imaginaire moderne a quelques longueurs de retard.

Notre époque est de ce point de vue moins enchanteresse en matière de divinité. A prôner en termes d'adoration abstinence et prière à l'égard d'une instance supérieure à qui on ne saurait donner d'apparence, surtout si elle s'appelle Allah. Une divinité qui ne supporte pas la concurrence, que l'on dit bonne et toute puissante mais qui laisse ses ouailles s'entredéchirer. Une divinité surtout qui étouffe l'imaginaire en dictant dans un grand livre ses commandements en forme de code de conduite dans lequel toute gaudriole est bannie. Pauvres de nous. Il nous reste à invoquer Prométhée, le sauveur du genre humain ; les dieux ne sont plus ce qu'ils étaient. Quelle époque !