"De la nuit et de la Mort naquit l'Amour et dès sa naissance l'ordre et la beauté remplacèrent la confusion aveugle". Convenons qu'il s'agit là d'une bien belle manière d'évoquer la naissance du monde. Que nos scientifiques contemporains réduiront, avec moins de bonheur, à un anglicisme d'artificier : le big bang.
Cette tournure poétique est empruntée à Hésiode, paysan-poète et philosophe
avant l'heure, l'un des premiers à s'interroger sur l'origine et la raison de
toute chose et tout être issus du Chaos. En tout cas, l'un des premiers à avoir
livré ses pensées à la postérité, à avoir déploré l'absence de réponses à ses
questions, qui deviendront pour le coup questions fondamentales. Et de dépit,
l'un des premiers à invoquer le recours palliatif à une ou des volontés
supérieures pour justifier l'injustifiable. Les dieux sont entrés en scène.
Sauf que, a contrario de ce que nous connaissons aujourd'hui, en ces temps de
sagesse ignorante d'un messie, innocente de toute religion, les dieux des
mythologies grecque et romaine étaient moins rébarbatifs que nos champions de
l'accaparement des croyances actuels, désormais seuls à la barre des
consciences puisque prophètes en religions monothéistes. Les Titans, les grands
Olympiens et leur descendants ne revendiquaient pas la majuscule en tout ce qui
touchait à leur allusion, ni la transcendance tyrannique sur l'esprit de
l'homme puisque leurs prérogatives étaient partagées et leur substance, plus
trivialement immanente, nichait au fond de la nature. Leur nature propre, quant
à elle, ne l'était pas vraiment en réalité. Elle leur conférait de bons gros
défauts comme on les aime, nous autres mortels prisonniers d'un corps gouverné
par ses instincts. Libertinage, colère, jalousie et autres délices et
turpitudes étaient au menu de leurs frasques divinement humaines.
Tout cela on le découvre, ou on le confirme selon son bagage culturel, en
lisant l'ouvrage d'Edith Hamilton, hautement recommandable à qui veut se
frotter aux fantasmagories de la mythologie, connaître au passage certains de
leurs errements et déboires qui survivent dans le langage populaire en quelques
expressions dont trop d'utilisateurs ignorent l'origine, et peut être jusqu'à
la véritable signification : nettoyer les écuries d'Augias, suivre le fil
d'Ariane, ouvrir la boite de Pandore, tomber de Charybde en Scylla, etc…etc…
Sans être vulgarisateur l'ouvrage d'Edith Hamilton est un excellent condensé
qui peut se lire dans sa globalité ou rester à portée de main pour, grâce à ses
annexes, table des matières, index et autres arborescences généalogiques,
servir d'antisèche pour épater son entourage.
Mais prenons garde à l'esbroufe. La mythologie n'est pas forcément simple et
limpide. Les arborescences se construisent au fil d'un millénaire et plus, sont
restituées par des sources dont la cohérence n'est pas l'intention première. Il
suffit pour s'en convaincre de scruter endétail celle de Zeus, le dieu des
dieux, alias Jupiter. Le larron n'y est pas allé de main morte pour compliquer
les chronologies, leurrer son épouse officielle et mettre à l'épreuve sa
jalousie à se livrer aux plaisirs de la chair, divine et mortelle, et faire
pâlir nombre de ceux moins bénis des dieux puisque
mortels-à-craindre-ses-colères. Outre épouse et concubines, le bougre
n'hésitait pas à faire commerce avec sa propre descendance franchissant sans
coup férir les générations pour y jouir à perpétuité de fraîcheur et de beauté,
jusqu'à porter en gestation lui-même le fruit de ses amours avec Sémélé,
arrachée trop tôt à son amour. Avouons que notre imaginaire moderne a quelques
longueurs de retard.