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samedi 6 janvier 2024

Le journal intime de la Vierge Marie ~~~~ Sophie Chauveau



« N’attend-on pas toujours un petit Dieu, un messie, un sauveur du monde, un libérateur pour notre peuple ? Si on ne le rêvait pas plus grand que tout, si l’on n’y croyait pas aussi fort, se déploierait-il en nous ? »
La jeune Marie apprend qu’elle attend un enfant. Pendant huit mois, elle tient un journal dans lequel elle note scrupuleusement les émotions et les sensations qui l’agitent avant cette naissance si particulière. Ses questionnements, ses rêves et ses peurs sont semblables à ceux que partagent nombre de futures mères.
À travers un récit dominé par la joie, Sophie Chauveau donne à voir une Marie forte et instruite, et nous dévoile, au-delà du mythe, des aspects méconnus de l’histoire qui changera la face du monde.

mardi 3 octobre 2023

L'Odyssée de Pénélope ~~~~ Margaret Atwood

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Quand on parle d’Odyssée, on pense immédiatement au périple d’Ulysse de retour de la guerre de Troie. A croire que Margaret Atwood en avait soupé de ce point de vue par trop masculin. Elle nous soumet ce périple mythique avec un autre regard, celui de Pénélope bien sûr. Mais pour que les femmes aient droit à la parole dans cette épopée choisit-elle l’artifice, si ce n’est la précaution, de le faire d’outre-tombe. Qui plus est au 21ème siècle, allant jusqu’à faire tenir un procès en reconnaissance de mérite, recommandant en outre aux magistrats et avocats, bien modernes ceux-là, de se garder de tout anachronisme et tenir compte des données du moment, celles d’il y a trois ou quatre mille ans. Epoque bénie pour la fantasmagorie mythologique au cours de laquelle les dieux régnaient en maître depuis l’Olympe.

Il s’agît-là bien entendu d’une démarche féministe. L’auteure allant jusqu’à faire dire à Pénélope, en guise de mise en garde adressée à son lecteur du 21ème siècle, de ne pas considérer sa théorie comme « un ramassis de foutaises féministe sans fondement. » Ecornant au passage la gent masculine, toutes époques confondues, prévenant son lectorat, fût-il masculin, qu’il « est toujours imprudent de s’interposer entre un homme et l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence. »

Margaret Atwood se garde bien toutefois de faire du point de vue féminin, depuis Ithaque donc dans l’attente du retour du héros, un monde idéal pavé de nobles sentiments. On connaît le stratagème que Pénélope mit en œuvre pour surseoir aux appétits de ses prétendants, briguant en fait le trône on l’aura compris, on découvre la vie domestique du palais. Entre Anticlée, la belle-mère, Euryclée, la nourrice, celle que Laërte considérait comme une seconde mère pour son fils, les douze servantes versatiles quant à leur fidélité, et enfin Télémaque le rejeton indocile, cette vie donc n’avait rien d’une sinécure pour Pénélope, fût-elle reine. Augmentant d’autant son mérite à attendre chastement son époux. Contrarié qu’il fût quant à lui dans son voyage retour par le courroux de Poséidon, les entraves de la nymphe Calypso, et autres égarements fomentés par Circé, le chant des sirènes et consort.

« Dans les Chants on raconte que…, on insiste sur …, si vous croyez pareille chimère » vous serez un lecteur bien naïf nous fait entendre Pénélope depuis les rivages célestes où s’alanguissent les âmes. « Je me sens l’obligation de faire le point sur les calomnies dont je fais l’objet depuis deux ou trois mille ans. Toutes ces histoires sont totalement fausses. » Voilà qui remet les pendules à l’heure. Voilà donc la raison pour laquelle est intenté ce procès, en réparation de tant de siècles de suprématie masculine.

L’idée est originale. La mise en scène au demeurant fort judicieuse ne nous semble nullement incongrue. On l’aura compris, le procédé est inusité et le propos non dénué d’humour pour restituer à qui de droit les mérites du succès de la plus célèbre épopée du monde. Ecrit de main d’homme, à la gloire des seuls hommes, le plus vieux texte du monde qui ne fait de la femme que l’enjeu d’un conflit ou le jouet d’une convoitise méritait sa correction. Voilà qui est fait de la main de Margaret Atwood.

Et toi lecteur du 21ème siècle, ne perçois ni légèreté ni futilité dans cette mise au point. Ce n’est pas Margaret Atwood qui te le dit, c’est Pénélope. De l’expérience de ses trois mille ans d’observation du monde elle s’autorise une recommandation à ton adresse, celle de ne pas regarder avec mépris le monde antique tel qu’il t’est livré par l’histoire car « Je me rends compte que le monde d’aujourd’hui est aussi dangereux que celui que j’ai connu, sauf que la misère et la souffrance sont plus répandues. Quant à la nature humaine, elle est plus vulgaire que jamais. » L’auteure de la Servante écarlate, romancière dystopique, conserve avec cet ouvrage un regard désabusé sur ce que l’homme fait de son passage sur terre.



 

samedi 15 avril 2023

Les mémoires de Zeus ~~~~Maurice Druon

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Nom de Zeus, quelle famille !

Je n'en suis à vrai dire pas vraiment surpris. J'avais connu une ouverture à cette fantasmagorie qu'est la mythologie avec l'excellent ouvrage d'Edith Hamilton : La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes. Une conviction s'ancre désormais en moi à la lecture des Mémoires de Zeus de Maurice Druon. Elle me fait regretter que le monothéisme nous ait fait perdre tant de volupté dans nos rapports avec Qui préside désormais à nos destinées. Car disons-le tout net, au regard de ce qu'ont pu connaître nos ascendants des première jusqu'à la quatrième race de mortels, puisque nous autres sapiens du XXIème siècle sommes les descendants de la cinquième race, Celui qui s'est arrogé l'exclusivité de nos dévotions, toutes confessions confondues, est bougrement rébarbatif. D'autant que Ses manifestations à notre attention sont pour le moins discrètes et nous obligent à la croyance.

Parce que les Dieux grecs pour ce qui les concerne, relayés par leurs alias romains, n'avançaient pas à visage masqué ; ils faisaient preuve auprès de leurs oyes de manifestations pour le moins démonstratives et avaient de bons gros défauts comme on les aime, de nature à affranchir les pauvres mortels de tout scrupule quant à leurs propres écarts de conduite. Car pour ce qui est du Seul que l'on révère en nos cathédrales, mosquées, synagogues et autres pagodes de nos jours, et revendique donc la majuscule, son appropriation monomaniaque et anti concurrentielle des consciences laisse planer le doute quant à notre filiation. On ne se reconnaît en réalité que peu d'affinité avec sa rigueur dogmatique tant nous avons de la fidélité une notion élargie et de la vertu un arrière-goût amer. Les défauts sont de notre nature. Mais n'est-ce pas Lui qui nous a faits ? Aussi, pourquoi voudrait-Il désormais nous en culpabiliser.

Le seul reproche que l'on pourrait faire aux Dieux de l'Olympe est le malin plaisir qu'ils se sont donné à nous compliquer la vie à nous autres pauvres mortels, à force de tarabiscoter l'arbre généalogique de leur fantaisie familiale, obsédés que nous sommes désormais à vouloir tout rationaliser, tout étiqueter et codifier. Et c'est grand mérite à Maurice Druon de tenter de nous effeuiller dans cet ouvrage l'arbre de Zeus dont les racines font de curieuses connexions en boucle avec les branches aux pouces les plus tendres. Il faut dire que le bougre ne craignait nullement la consanguinité pour faire commerce, comme on dit avec une pudeur toute littéraire, avec ascendance et descendance, pourvu que le plaisir soit à la clé. Bien qu'il connût quand même quelques manifestations de jalousie de sa légitime Héra. Sa justification d'honorer les mortels de la semence divine était argument fallacieux aux yeux de celle-ci. Allez comprendre pourquoi. Car figurez-vous que nos ancêtres de ces temps reculés pouvaient recevoir des dieux des preuves caressantes et culbutantes pourvu qu'ils fussent disposés à les accueillir en leur giron, et augmenter par là une ramure aux bourgeons déjà nombreux et ainsi mieux nous perdre en sa canopée.

Oui Zeus était volage. Maurice Druon n'omet aucune de ses nombreuses maîtresses, divines ou mortelles. Et bien que roi des dieux, il ne se sentait nullement une vocation d'exemple auprès de ses administrés. Car en cette époque bénie des dieux les comportements n'étaient ni louables ni blâmables, ils étaient tout simplement divins. Mais patience divine a ses limites et lorsque Héra, sa légitime, se fit trop intrusive pour surveiller ses errements, il n'hésita pas à la pendre par les cheveux, une enclume accrochée aux pieds. Quelle époque vivons-nous en ce siècle pour que notre code pénal trouve à redire à pareille manifestation d'autorité ?

"Si des esprits aussi chagrins que mal informés vous ont conté, chers mortels, que vous descendiez des singes, ne les croyez pas." C'est Ouranos, le grand-père de Zeus "qui créa l'homme qu'il tenait pour son chef-d’œuvre", à condition toutefois que sa vie ait une fin. Les Parques ayant mission de veiller à tous cela, en particulier Atropos chargée de couper le fil. Voilà donc un podium pour renforcer notre orgueil et un tombeau pour l'étouffer. Mais en toute occasion remercions Dionysos, plus connu sous son alias de Bacchus, le turbulent rejeton de Zeus, d'avoir couvert nos collines ensoleillées de la divine grappe afin de nous réjouir du succès et oublier le péril.

Quel bonheur en tout cas, dans l'attente du coup de ciseau fatal, de combler quelques heures entre les mains des Parques avec cet ouvrage de Maurice Druon dont je soulignerai respectueusement la qualité de la langue. Ouvrage ciselé, à la documentation exubérante, nous livrant à la compagnie de tant de noms célèbres mais inconnus de nous parce qu'interceptés trop furtivement au gré d'indiscrétions instruites, évoquant au passage les trois Grâces, les Muses, les Saisons, les Hespérides. Et tant d'autres dans le fourmillement d'une parentèle innombrable convoquée en ces pages par l'érudition de notre académicien.

Notre chronologie n'ayant rien de divine et désormais livrée en les mains d'Un seul, Lequel nous rend coupable dès la naissance puisque nous affublant du péché originel, coupable de naître donc, il me faut mettre un terme à ce propos et vous rendre à vos auteurs qui piaffent jalousement de savoir vos yeux rivés à ces lignes, lesquelles vous font l'éloge d'une biographie du roi des Dieux, qui pourrait donc durer ce que durent les dieux, éternellement.

Nom de Zeus, le temps nous est compté. Nous ne sommes plus au temps de l'Âge d'or.

lundi 27 mars 2023

Le procès de Valerius Asiaticus ~~~~ Christian Goudineau

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Le procès de Valerius Asiaticus se déroule selon le temps judiciaire, dont on sait qu'il est long. Très long. Aussi, en ouvrant cet ouvrage ne faut-il pas s'attendre à entrer d'emblée en audience. Il y a d'abord comme il se doit enquête, laquelle établira ou non les chefs d'accusation. Enquête confiée dans cet ouvrage non pas à un limier mais à un philosophe massaliote renommé : Charmolaos.

Nous sommes à l'époque de la Gaule romaine. Il n'était alors point trop besoin de preuves pour faire condamner un citoyen de Rome lorsque l'épouse de l'empereur, Messaline en l'occurrence, avait décidé de se débarrasser d'un indocile, fût-il riche et puissant. Valerius Asiaticus, cet indocile, refusant de satisfaire le caprice de l'impératrice et lui restituer la villa dont elle appréciait les jardins et pourtant acquise par lui le plus légalement du monde.

Mais il y a une autre raison pour laquelle ce procès tarde à venir dans ce roman que l'on classera dans la catégorie historique du genre. Cette raison est que son auteur se donne le temps de dresser le décor. Las de ces ouvrages se disant historiques et négligeant pourtant non pas les faits, c'est un minimum pour le genre, mais le contexte, les mœurs de l'époque, la culture, les traditions, tout ce qui fait la réalité de la vie des hommes à une époque donnée, il veut imprégner son lecteur du mode de vie de ces temps et lieux dans lesquels il situe son œuvre. Il veut prémunir son lecteur de toute velléité de jugement hâtif, déconnecté des fondements, forcément mal documenté à qui n'est pas suffisamment instruit de l'histoire. Il veut le prémunir de cette tendance moderne d'une littérature trop vite écrite laquelle fait la part belle au sensationnel en étant déconnectée du contexte de vie contemporain des faits par insuffisance culturelle de leurs auteurs.

Il suffit aujourd'hui d'évoquer par exemple le mot esclave pour susciter des haut-le-coeurs. Alors que le patricien vivant sous l'époque de Caligula, Claude et autre Néron avait naturellement droit de vie et de mort sur ses esclaves sans avoir à en répondre à qui que ce soit dans la mesure où il avait fait l'acquisition de ces derniers sur les marchés dédiés. Il avait aussi au passage le droit de les affranchir. Juger de ce droit avec la culture d'aujourd'hui est forcément une altération de l'histoire. Aussi inhumain que cela nous semble aujourd'hui.

Il suffit de progresser de quelques pages dans cet ouvrage pour se rendre compte que l'on n'a pas à faire à un producteur de romans en série, animé d'intention mercantile, mais bel et bien à l'érudition pure. Celle d'un auteur qui veut instruire son lecteur plutôt que le séduire, lui donner les bases pour apprécier en connaissance du contexte, au lieu de juger à l'aveugle. La contrepartie pour le lecteur étant de faire œuvre de curiosité, peut-être d'approfondir, l'auteur lui en donne le goût, en tout cas de s'impliquer.

Aussi, cet ouvrage l'ai-je pris pour ce qu'il restera à mes yeux : un ouvrage exigeant, une formidable téléportation, une immersion en une époque qui ne nous a par la force des choses pas légué beaucoup de sources écrites et qu'il faut avoir longuement et profondément étudiée avant que d'en parler, et mieux encore avant que de faire parler des personnages dans un roman que l'on veut historique. Soit un ouvrage dans lequel la part romancée constituera le liant crédible des faits avérés.

Dans cet ouvrage, Christian Goudineau a adopté un style d'écriture moderne. Une façon de ne pas désorienter l'amateur de romans historiques contemporain, accoutumé qu'il est à une écriture certes anachronique au regard des faits rapportés mais accessible à son entendement. Entendement élaboré par le mode de vie superficiel qu'est devenu le nôtre.


samedi 25 février 2023

L'écriture du monde ~~~~ François Taillandier

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Par Ecriture du monde il faut entendre le monde tel qu'il se construit, tel qu'il se grave dans la mémoire du temps, sachant que « Dieu ne crée que de l'irréparable. La créature est une catastrophe. Et l'existence à laquelle il nous appelle, le destin de chacun, si humble soit-il, consiste à tenter de réparer le dégât d'être né. » Voilà pour Celui qui préside à nos destinées. Il en prend pour son grade avec cette assertion de François Taillandier.

Auteur que j'avais découvert et célébré l'écriture avec son excellente biographie d'Edmond Rostang. Découverte qui m'avait au passage imposé le devoir d'aller visiter la villa Arnaga au pays Basque. Ce que j'ai fait et qui m'avait transporté de ravissement. Je confirme mon goût pour ce genre d'écriture avec cet ouvrage.

Une écriture riche que celle de ce phraseur érudit, une écriture qui pondère des sentences devenues par le fait lourdes de sens, d'une portée invitant à la réflexion. A l'introspection même, lorsque comme tout un chacun on s'interroge sur le sens de la vie et le rôle de la religion face à cette question sans réponse, devenue pour le coup fondamentale. Des religions devrais-je dire d'ailleurs, car dans le domaine de la croyance, il y a pluralité, il y a divergence et contre toute attente intolérance. Et donc malheureusement affrontement.

François Taillandier a choisi deux personnages qui ont laissé leur cicatrice sur la terre dans cette époque succédant tout juste à la chute de l'empire romain et nous ouvre aux formidables bouleversements consécutifs et aux appétits que cela a pu faire naître chez des peuples jusque-là sous domination : Cassiodore, un homme politique lettré qui a servi sous le nouveau maître de ce qui n'est pas encore l'Italie du nord, le roi ostrogoth Théodoric. Et Théolinda qui devint reine des Lombards et jouera un rôle prépondérant dans la conversion de ces « barbares » à la foi chrétienne.

Ce premier tome d'une trilogie que je me fais l'obligation de compléter dans ma PAL ouvre ses premières pages en un temps où la religion chrétienne commence donc à installer ce qu'elle voudrait bien être un monopole sur le vieux continent. En ce sixième siècle de notre ère, elle commence à prendre le pas sur le paganisme, l'arianisme et ne s'attend pas encore à voir poindre une nouvelle concurrente. L'ouvrage se referme sur l'année 630 avec l'entrée de Mahomet à La Mecque à la tête de quelques milliers d'hommes, bien décidé à imposer le culte exclusif d'Allah.

Superbe fresque historique d'un temps pour lequel les références écrites sont rares et sujettes à caution. Tout le talent de l'auteur est dans la précaution qu'il prend avec ces références et dans la crédibilité du liant qu'il applique aux faits avérés.


mardi 3 mai 2022

Alexandre le Grand ~~~~ Joël Schmitt


 

Douze ans de règne seulement. Et pourtant une trace indélébile dans l'histoire. Au point d'inspirer tout ce que la terre a compté d'affamés de pouvoir après lui, à vouloir eux-aussi graver leur nom dans l'histoire.

Certes, il n'y est pas allé de main morte. Douze ans de règne qui ont été douze ans de conquêtes. Loin vers l'orient qu'aucune carte ne répertoriait alors. Connaissant pourtant l'existence de l'Inde qu'il convoitait, avec sa côte sur l'Océan indien et l'ouverture sur un autre monde. Mais une certaine forme d'intelligence stratégique lui a fait comprendre que c'était trop. En tout cas trop tôt. Son sens supérieur de maîtrise des peuples lui a fait entendre qu'il fallait consolider son pouvoir sur les contrées conquises à marche forcée et rabattre les prétentions de ceux laissés derrière lui à la gouvernance de provinces et montrant déjà quelques signes d'indépendance.

Alexandre (356 - 323 av. J.-C), fils de Philippe II de Macédoine est devenu Alexandre le grand et le restera tant que l’Histoire colportera aux hommes les épopées de leurs ancêtres. Tant qu'il y aura des historiens tel Joël Schmidt pour nous en faire bénéficier. Avec la précision avec laquelle il le fait. C'est ce qui m'a interpelé dans cet ouvrage.

J'ai le souvenir récent de la biographie de Théodora par Virginie Girod laquelle ne comptait pratiquement que sur un auteur contemporain, Procope de Césarée, pour témoigner de la vie de cette femme politique devenue à cause de ce manque de témoins fiables autant légendaire qu'historiquement attestée. Elle vécut pourtant quelques huit siècles après Alexandre de Macédoine. Et comparativement, la vie d'Alexandre le grand est relatée dans un détail foisonnant par pléthore de témoignages que Joël Schmidt a rassemblés dans cet ouvrage des plus complet.

Encore que, en parlant de témoignages, faut-il préciser que les originaux ayant disparu pour la plupart, ceux-ci sont relatés par des propos et rapports décalés, de ceux-là même qui sont de nature à forger des mythes. Il n'en reste pas moins que nombre de contemporains d'Alexandre – Ptolémée 1er, l'un de ses principaux généraux, Aristobule de Cassandreias, historien, Callisthène son historiographe officiel, Clitarque d'Alexandrie, historien et rhéteur – pour ne citer qu'eux, ont écrit sur celui qu'ils portaient aux nues. On peut donc affirmer que s'agissant d'un conquérant exceptionnel, non seulement de bravoure guerrière mais aussi d'intelligence politique, Alexandre le Grand a certainement été mieux servi par ses contemporains en termes de réputation que Théodora. Elle avait en effet le double tort d'être de basse extraction et femme se mêlant de politique en une époque où son sexe ne l'eut prédestiné qu'à la perpétuation d'une lignée monarchique et au plaisir des yeux, si ce n'est aux plaisirs tout courts.

C'est un ouvrage étonnamment précis et complet que nous adresse Joël Schmidt sur la vie de ce monarque qui n'aura pas usé sa culotte sur son trône macédonien, tant il fut à poursuivre et finalement déchoir Darius III, le dernier roi de l'empire perse, et à maîtriser ses peuplades affiliées. Alexandre le grand doit son qualificatif mythique aussi bien à son érudition, son sens stratégique et politique qu'à sa grandeur d'âme et sa qualité de meneur d'hommes et parfois aussi sa cruauté de despote. Bien convaincu qu'il était que toute bonne gestion des affaires humaines sait faire usage de la carotte autant que du bâton. C'est ce que nous laisse bien comprendre Joël Schmidt. La question étant de savoir quelle longévité eut pu être celle d'un empire aussi vaste sous la férule d'un homme à l'ambition hypertrophiée si la maladie ne l'avait emporté à trente trois ans. Une biographie qui est une véritable cavalcade dans le grand orient dont on à peine à imaginer qu'elle pût se faire au pas du fantassin.

Ceux qui l'ont voulu pour modèle ont pu se rendre compte que n'est pas Alexandre qui veut. A jouer sur la partition qui va de la plus grande rigueur à la plus intelligente magnanimité. Chef de guerre incarné, à se battre au premier rang et galvaniser ses troupes puis régenter les pays conquis et fonder nombre de cités dont la plus célèbre, Alexandrie, abritera la grande bibliothèque de l'Antiquité à l'initiative de son fidèle Ptolémée, récompensé et devenu roi d'Egypte. Belle façon de rendre hommage à conquérant mentor qui était aussi un érudit.


dimanche 24 avril 2022

Lettres a Lucilius ~~~~ Sénèque



 « Que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés, parce qu'on les voit chez tout le monde ou presque ! L'une des causes de nos malheurs est que nous vivons en prenant exemple sur autrui : nous ne nous réglons pas sur la Raison, mais nous laissons détourner par les usages. »

A lire cette citation on se dit qu'il s'agit d'une réflexion de quelque observateur bien contemporain de nos coutumes consuméristes. Il faut alors que je détrompe le lecteur de ces lignes en lui dévoiler que cette citation est tirée de la lettre CXXIII, que Sénèque adressa à son ami Lucilius dans les années 60 (tout court) de notre ère. Peu de temps avant que son élève pour le moins turbulent, le bien Nommé Néron, empereur de Rome de 54 à 68 après JC, ne lui suggère de se suicider.

Cette citation, que deux millénaires nous séparent de son auteur, nous fait dire que peu de choses ont changé en ce bas monde depuis qu'il est peuplé de bipèdes investis par l'intelligence. Intelligents peut-être, mais quand même pas suffisamment accessibles à la Raison, qui pour le coup sous le stylet de Sénèque prend la majuscule tant elle est haussée au pinacle du comportement intellectuel. Faculté de l'Être pensant prônée par le philosophe pour faire contrepoids à celle prônée par le dévot : la Croyance.

Raison contre Croyance, pour une finalité toutefois identique : venir au secours de l'Être pensant contre l'obsession de sa finitude. Apprivoiser l'idée de la mort. L'idée, nous dit Sénèque, étant plus assassine que la mort elle-même. Figurez-vous, nous dit-il, qu'il en est qui se donnent la mort pour se libérer de l'idée de la mort. Un comble.

A lire des textes de philosophes antiques, les éminents qui ont pignons sur rue en la matière tel Sénèque, il faut s'attendre à aborder ces questions essentielles telles que, outre la plus fondamentale de toutes qu'est la vie et son issue, le bonheur, les plaisirs terrestres, le rationnel et l'irrationnel, le vice et la vertu, l'amitié, la sagesse, la maladie, la douleur, et tant d'autres réflexions que Sénèque adressa à son ami Lucilius dans ses lettres dont les copies sont miraculeusement parvenues jusqu'à nous, et certaines retranscrites dans cet ouvrage de la collection Agora chez Pocket.

Même si « la philosophie n'est point un art fait pour plaire à la foule » selon Sénèque dans sa lettre XVI, son discours est empreint de simplicité dans le langage et accessible au vulgaire, dont je suis un digne représentant, grâce la traduction qui nous est offerte par cette collection. Il est bien clair que sans ce travail de latiniste patenté, mes universités dissipées me rendraient la parole du célèbre rhéteur inabordable. Il est bien clair aussi que pour les disciples d'Epicure que nous sommes devenus par facilité de préférence au discours du sage lequel veut nous éloigner des plaisirs du corps, le discours d'un Sénèque peut sembler rébarbatif. Mais l'âge venant et l'idée de la fin obsédant conduisent les uns à se rapprocher de l'autel du mystique, les autres à avoir recours à la Raison.

Il est quand même un sujet sur lequel on ne le suivra pas le grand Sénèque, lequel a joint le geste à la parole, quand il nous dit qu'il vaut mieux se donner une fin honorable plutôt que de vivre dans la mésestime de soi. Une chose que l'on doit ajouter au crédit de notre époque, outre les crèmes anti rides pour satisfaire notre narcissisme, est le recours aux psychologue et anti dépresseurs, à défaut du philosophe plus culpabilisant à notre goût, pour nous aider à supporter nos humeurs chagrines. Autre temps autre mœurs même si « que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés. » etc… etc…

dimanche 17 avril 2022

Théodora ~~~~ Virginie Girod


 

« Les hommes redoutent toujours le pouvoir féminin qu’ils pressentent si supérieur au leur ». C’est une des rares citations de cet ouvrage dans laquelle on peut dénicher une note de compensation en faveur des femmes après des millénaires de domination par son congénère masculin. Car là n’est pas le propos de Virginie Girod. Même s’il s’agit de faire le recentrage de la réputation d’une femme colportée par tant de voix discordantes.

Avec l’érosion des sources historiques il y a deux autres raisons de mal connaître la valeur et l’impact des femmes en politique. C’est qu’elles étaient femmes justement d’une part. Que leur action politique ne pouvait se concrétiser que par l’entremise d’un homme. Et que d’autre part, jusqu’à encore très récemment, écrire était resté privilège masculin. Ce n’est pas Virginia Wolf qui le contredira. Elle s’en expliquait dans Une chambre à soi. Il est donc évident que dans pareils contexte et circonstances la voix des femmes ne pouvait être que rapportée par celui qui n’avait aucun intérêt à déchoir de son piédestal.

Théodora ayant eu en son siècle un destin de femme, et même un destin tout court pourrais-je dire pour ôter la notion de genre à cette allégation, un destin donc hors du commun qui ne pouvait laisser personne insensible. Surtout pas les hommes qui eurent à la connaître. Ils pouvaient l’aimer ou la détester avec la subjectivité qui s’attache à chaque attitude, jamais rester indifférents. Mais femme des tréfonds de l’histoire, sa vie, son œuvre ne sont connues que de propos rapportés par des hommes. Au premier rang desquels son contemporain Procope de Césarée (1), lequel ne lui vouait aucune admiration bien au contraire. Se complaisant à supplanter l’intelligence politique qui fut la sienne au profit de son passé moins reluisant, ne concédant à son avantage que le charme de ses traits. Encore en faisait-il un atout pour servir son appétit de pouvoir.

Dans cet ouvrage Virginie Girod fait le point sur les sources orientales mises au jour depuis ce temps lointain contemporain de Théodora et de Procope. Elle concède dans un chapitre en fin d’ouvrage « qu’écrire la biographie de Théodora est une gageure. L’historien navigue entre les sources et les ouvrages qui lui sont favorables ou hostiles. » Elle vient pourtant nuancer cette vision manichéenne du personnage. La tentation de la solidarité féminine est absente du portrait qu’elle essaie de peindre de la fille d’un dresseur d’ours devenue impératrice. Même si la restitution d’une sensibilité féminine qui a longtemps fait défaut à tous ceux qui ont évoqué le personnage jusqu’alors est un éclairage appréciable de la part de cette spécialiste de l’antiquité. Comme dans les deux précédents ouvrages que j’ai lus de sa main, je retrouve cette volonté de rééquilibrage légitime et bien mené de la réputation d’un personnage trop longtemps polluée par des sentiments opposés et exacerbés. Son tort n’a après tout été que d’accéder au pouvoir en un temps où les femmes devaient s’en tenir à leurs travaux d’aiguille.

Mais derrière toute cette histoire d’une « femme fatale, puissante, dont l’aura n’a pas encore disparu mille cinq cents ans après sa mort », il y a une histoire d’amour dont Virginie Girod se convainc de la sincérité. Celle qui a uni cette femme « belle, intelligente, manipulatrice, dominatrice, déterminée » à Justinien. Ils formèrent un couple fidèle et solidaire. L’empire byzantin n’eut pas à souffrir de leur union, bien au contraire. A eux deux ils le conduisirent à son apogée par la fortune de leur complémentarité. Et peut-être même Justinien a-t-il duré au pouvoir que parce qu’il avait cette souscrit à cette alliance tant décriée.

Bel ouvrage de Virgine Girod fort bien construit autour de cette « femme libre, intelligente et insoumise [qui] pourrait être érigée en modèle. »

(1) Procope de Césarée né vers 500 et mort vers 565, est un rhéteur (avocat) et historien byzantin dont l'œuvre est consacrée au règne de l'empereur Justinien. (Source Wikipédia)


jeudi 14 avril 2022

Agrippine ~~~~ Virginie Girod

 



Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.

Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités, Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.

Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage de Virginie Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.

Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.

L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.

Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps. Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais : Suétone, Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique, numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres. L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle décoratif.

C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières armes dans le plus vieux métier du monde.

samedi 2 avril 2022

La véritable vie des douze Césars ~~~~ Virginie Girod


« Macron accepte de bonne grâce l’adultère de sa femme tant qu’il augure d’un bénéfice secondaire » …

Par les temps qui courent, voilà une citation qu’il y a urgence de replacer dans son contexte : … « Il escompte bien rester préfet du prétoire sous le principat de Caligula. »

Nous sommes dans la Rome au temps des Julio-Claudiens, puis des Flaviens. Ceux que l’histoire retiendra sur la liste dressée par Suétone (*) dans son ouvrage biographique La vie des douze Césars. Ouvrage que Virginie Girod a décidé de revisiter au point d’intituler son ouvrage La « véritable » vie des douze Césars.

Car l’éminente historienne, bien contemporaine de nous autres lecteurs de ce temps d’un autre Macron, a appris à connaître ce secrétaire d’Hadrien, en particulier pour son goût du trivial. Un goût quelque peu imposé par le contexte dans lequel il rédige ses écrits, rangés à l’époque dans l’art mineur de la biographie nous dit-elle. Elle imagine que lesdites biographies, si elles ne sont pas sujettes à caution, sont moins soucieuses du rôle historique de ses sujets que de leurs frasques. Un de ses confrères historien du 19ème siècle, Alexis Pierron, ira jusqu’à qualifier Suétone de « colporteur d'histoires d'antichambre ».

La motivation de Virginie Girod est donc là : ajouter le qualificatif véritable au titre de l’ouvrage de Suétone et tenter de corriger cette tendance à l’errance entre vices et travers des Césars, à faire fi de leur rôle politique. Sans négliger le formidable apport pour les historiens du futur qu’est l’œuvre de Suétone ni le contexte dans lequel il écrit, Virginie Girod justifie en avant-propos bénéficier à la fois des avancées dans la connaissance historique et des neurosciences entre autres, mais se défend de juger une époque avec les acquis des millénaires en termes de morale, d’esprit de justice, d’avancée sociale mais aussi d’empathie, dernière qualité qui eut pu figurer source de faiblesse dans une époque de violences psychologique et physique.

Comment comprendre en effet qu’on puisse se débarrasser du « princeps », premier citoyen de l’empire, intermédiaire entre les dieux et les hommes, parce que grisé par son pouvoir il avait sombré dans la folie paranoïaque, était devenu incontrôlable par des contre-pouvoirs muselés, voire inexistants. Comment comprendre aussi que le grand César, qui n’était quant à lui pas empereur puisque sous le régime d’une république laquelle n’avait de ce régime plus que le nom, s’était vu honoré du titre, car c’en était un, de dictateur à vie, s’étant vu confier tous les pouvoirs par le Sénat. Comment comprendre encore que le suicide soit institué en porte de sortie honorable et restaure sa noblesse à un empereur qui avait perdu sa crédibilité aux yeux de ses sujets. Comment comprendre enfin que l’on puisse créer une succession patrilinéaire du pouvoir en adoptant son successeur, comme on le ferait d’un enfant, y compris à titre posthume.

Les temps ont bien changé. Les mœurs, les croyances et les valeurs qui vont avec. Ces dernières ayant pratiquement disparu, les croyances se focalisant en une croyance unique, ou pas, désormais. Les Césars étaient loin d’être exempts des travers dont Suétone faisait ses choux gras pour plaire à son maître du moment, l’empereur Hadrien, nous confirme Virginie Girod. Elle réussit à nous faire comprendre avec cet ouvrage rationnel, foisonnant, qui se veut aussi objectif que l’autorisent les avancées dans la connaissance de l’époque, en quoi leur personnalité et leurs actes étaient en harmonie avec le contexte d’une Rome onirique. Il faut l’avoir étudiée comme l’a fait cette spécialiste de l’antiquité pour comprendre à quel point le pouvoir corrompt les puissants et fascine ses spectateurs, qui voudraient peut-être leur ressembler.

J’aime l’histoire. Et quand elle est bien écrite, je suis comblé. Cet ouvrage de Virginie Girod remplit les conditions pour me faire plébisciter le formidable travail d’étude qu’il a fallu pour sa gestation.

A écrire La véritable histoire des douze césars, il faut s’attendre à une lecture critique des sources, à usage du conditionnel quand elles font naître le doute. Virginie Girod le fait avec une intelligence qui inspire le respect, un naturel qui fait recevoir ses allégations comme une évidence. Elle nous adresse un fort bel ouvrage propre à entretenir notre intérêt pour ceux « qui incarnent les figures paroxystiques de nos passions ».

(*) Suétone (70-122 apr. J.C.) haut fonctionnaire romain, membre de l'ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont la Vie des douze Césars qui rassemble les biographies de Jules César à Domitien en passant chronologiquement par Octave (Auguste), Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus.

mardi 15 mars 2022

La tente rouge ~~~~ Anita Diamant


Est-ce la réécriture d'une page de l'Ancien Testament que nous propose Anita Diamant ? A-t-elle voulu en finir avec le silence assourdissant des femmes dans les textes bibliques ? Anita Diamant ne veut-elle plus que les femmes existent en tant que fille de…, soeur de…, épouse de… ? le temps est venu depuis la Genèse qui à Eve impute la faute originelle, depuis que la parole des hommes s'est substituée à celle de Dieu dans la Bible, le temps est venu pour que le rôle de la femme dépasse le cercle de la famille et apparaisse enfin en société, où depuis l'aube des temps ne se trouvent que des hommes.

La tente rouge n'est pas seulement le lieu où la fille devient femme, où la femme devient mère, La Tente rouge est le siège d'un secret. Secret inaccessible à la constitution physiologique et mentale de son congénère mâle, ce fameux « continent noir » dont certains attribuent la paternité de l'expression à Freud, en évocation de ce jardin réservé qu'est la féminité. Secret que l'homme a voulu circonscrire, de peur qu'il ne rivalise avec sa condition propre. La masculinité ne faisant l'objet d'aucune mention tant elle est évidente.

Pour sortir du cercle restreint dans lequel a voulu l'enfermer son congénère mâle, Anita Diamant a choisi de donner la parole à l'une d'elle : Dina. Elle est bien sûr fille de…, soeur de…, mais quand elle a voulu devenir la femme de…, de celui qu'elle avait osé choisir par amour faisant ainsi valoir son droit au bonheur, il s'en est trouvé dans sa propre famille pour la rabaisser à son statut imposé d'être obéissant et silencieux. Anita Diamant a donc choisi de réhabiliter la personne qui a vécu en son corps de femme. C'est sa mémoire qui intervient dans cet ouvrage.

Ainsi affranchie par ce procédé narratif des contingences terrestres et des lois dictées par l'autre sexe, libérée des peurs et des convoitises, la mémoire de Dina nous dit ce qu'a été sa vie et celles de ses consœurs en ces temps bibliques alors que la nature humaine vivait en symbiose avec la nature tout court. Invoquant dieux et déesses qu'elles concevaient à la mesure de leurs peurs et leurs espérances, en cette époque non encore assujettie au monopole d'un seul dieu. N'imaginant pas encore être libérées de la tutelle de ceux qui les réduisaient au rôle de mère de leur progéniture, de préférence mâle.

En cette période de l'histoire de l'humanité où s'écrit de qui deviendra le Livre, préparant les esprits au sexisme des textes bibliques, faisant table rase d'une mythologie somme toute plus favorable au genre féminin – ce ne sont ni Athéna ni Héra et autres consœurs de l'Olympe qui le contrediront – même si ce n'est pas la Bible des femmes que nous propose Anita Diamant c'est en tout cas le point de vue féminin qu'elle fait émerger de la tente rouge, dans laquelle elles ne sont ni impures ni blâmables. Une façon de combattre la subjectivité historique instituée en parole divine. Redonner aux femmes leur histoire. Redonner les femmes à l'Histoire.

La tente rouge est à n'en pas douter un ouvrage qui trouve aujourd'hui un écho singulier, lui conférant valeur intemporelle. Il a fait sa popularité de bouche à oreille et convaincu nombre de lecteurs dont on ne dit pas combien étaient des lectrices. Je me suis glissé dans ce nombre et me suis satisfait de cette initiative, de son originalité, y faisant intervenir le point de vue rétrospectif de celles dont l'influence dans le cours de l'histoire est occultée. De peur sans doute de s'entendre confirmer que c'est elles qui construisent le monde quand son congénère mâle n'a de cesse de le mettre à mal.

mardi 22 février 2022

Le silence des vaincues ~~~~ Pat Barker



Ce qui est remarquable avec la mythologie c'est cette forme de connivence des dieux avec les mortels. Connivence qui ne s'exprime pas seulement par les turpitudes dans lesquelles les dieux entraînent ces derniers mais aussi par les alliances amoureuses dont ils se réservent l'initiative - à tout seigneur tout honneur - avec les inévitables descendances qui ne manquent pas d'en résulter. Dont on se demande toujours si le rejeton connaîtra l'immortalité, à défaut d'éternité puisque sa vie connaît un commencement. Achille, roi de Phthie, le plus valeureux guerrier de la guerre de Troie, en est un spécimen puisque fils de la Nymphe Thétis et du roi Pélée, un mortel. Un oracle prédit toutefois un terme à la vie d'Achille, une fois Hector passé au fil de son glaive.

La guerre de Troie, puisqu'il est question de cette épopée dans cet ouvrage de Pat Barker, est sans conteste le résultat de ces défauts bien humains qui caractérisent Zeus et consort. Consort étant en l'occurrence ces Belles du sommet des sommets : Héra, Pallas Athéna et Aphrodite, tout aussi anxieuses de se voir couronnées la plus belle de toutes. Jalousie, concupiscence, luxure et querelles conséquentes sont au programme, supposées corrigées par une valeur qui nous est désormais étrangère : l'honneur. La compétition aurait pu être loyale. C'était compter sans Eris, la méchante déesse de la Discorde qui, furieuse d'être oubliée dans la liste des invités au mariage de Pélée et Thétis, a jeté la pomme de la Discorde dans la salle du festin avec cette mention par laquelle tout s'enclenchera : « A la plus belle ».

Il n'en fallu pas plus aux trois déesses à revendiquer le titre d'intriguer et de fil en aiguille et en de sournoises manœuvres de jeter Hélène, épouse de Ménélas roi de Sparte, dans le bras de Pâris, fils de Priam roi de Troie. Et patatras, la guerre de Troie fut bel et bien engagée. Et Grecs et Troyens de s'entretuer durant dix années avec la fin que l'on connaît. Nom d'un cheval de bois !

Cette guerre de Troie, une nouvelle fois colportée à nous mortels des temps modernes par Pat Barker, est révélée dans cet ouvrage par celles qui d'habitude conservent un silence prudent, le silence des vaincues. Celles qui de reine à femmes du peuple de Troie sont devenues des trophées de guerre. Puisque telle était la condition réservée aux femmes des cités conquises dans cette haute antiquité managée par les divins fantasques de l'Olympe, une fois leurs valeureux époux ôtés à leur affection.

La beauté ayant de tous temps ayant été la plus grande injustice originelle, même si les critères ont varié selon les époques, ne devenaient trophées auprès des rois que celles gratifiées de cette qualité. Briséis l'était. Belle femme de l'aristocratie troyenne, devenue depuis sa capture, l'esclave du roi Achille. A ne pas seulement le servir à table imaginons bien. C'est donc elle qui nous raconte sa guerre de Troie dans le silence des vaincues. Si Hélène a été le sujet de discorde entre Grecs et Troyens, Briséis l'a été entre Achille et Agamemnon. le roi de Mycènes, roi des rois de la Grèce antique et accessoirement frère de Ménélas-le-cocu fut donc obligé, par l'offense faite à la famille, extrapolée à tous les Grecs, de partir en guerre contre Troie.

Même si le mythe laisse une large plage d'interprétation aux détails des événements, Pat Barker reste dans le communément admis du poème original, éludant toutefois de ces péripéties les multiples interventions des dieux que la légende nous a laissé envisager. Excepté peut-être le rôle de Thétis, la nymphe mère d'Achille, nul autre dieu n'intervient aussi directement dans les événements relatés par Pat Barker, alors que la légende nous dit qu'ils savaient se rendre visibles à qui ils voulaient et faire usage de leurs super pouvoirs dirait-on aujourd'hui pour influer sur le cours des opérations. Diomède et Pâris entre autres ont su en profiter. Pat Barker fait donc de cette guerre une affaire entre mortels. C'est dommage car elle nous prive de toute la fantasmagorie qui enjolive les péripéties et dont les dieux de l'Olympe sont des instigateurs imaginatifs et impénitents.

Pat Barker choisit donc de nous faire vivre cette guerre interminable au travers du prisme de celles qui en d'autres temps ne pouvaient que se taire, le petit bout de la lorgnette. Ce que leur condition leur autorisait de voir, de subir. Sois belle et tais-toi si tu veux vivre. Vivre en esclave de roi pour le meilleur, c'est le cas de Briséis. Livrée à la troupe avinée pour le pire si tu ne combles pas ton nouveau maître de faveurs propres à le soulager des maux de la guerre.

Outre cet angle d'observation original, Pat Barker prend le parti d'évoquer cette guerre avec une écriture résolument moderne, peu châtiée, version Kaamelott d'Alexandre Astier. « Qu'ils aillent se faire foutre les dieux » - page 321 édition J'ai lu, pour que des lecteurs tout aussi modernes et mécréants que nous sommes devenus s'y reconnaissent sans doute bien dans leur langage commun. Autre temps, autres mœurs, autre langage, l'important étant de bien comprendre les enjeux de pareil conflit initialement rapporté par Homère, sous une autre forme à n'en pas douter.

Le pari était risqué quand des lecteurs, comme c'est mon cas, s'étaient auparavant délectés des ouvrages de Madeline Miller : le chant d'Achille en particulier pour l'Illiade, Circé pour l'Odyssée, dont on va dire qu'ils sont faits d'une écriture aussi rayonnante et policée que la documentation est fouillée. Mais, même si d'un ton en dessous, pari réussi à mes yeux pour cette version de l'Illiade. Je n'ai pas craint de voir les personnages se jeter des noms d'oiseau à la figure. L'angle d'observation du plus célèbre des conflits est original, tout autant que son écriture. Pourquoi pas. Moi qui ai toujours eu du mal à lire Montaigne dans sa langue native, je ne crains pas les efforts de modernisation pour nous rendre la mythologie accessible. J'inscris même dans mes projets de lecture la suite de cette « ambitieuse réécriture de l'épisode le plus célèbre de la mythologie grecque » : Les exilés de Troie.

Citation

- Aurais tu vraiment épousé l’homme qui a tué tes frères ?
- Eh bien, premièrement, on ne m’aurait pas laissé le choix. Mais, oui, probablement. Oui, j’étais esclave, et une esclave ferait tout, absolument tout, pour ne plus être une chose et redevenir une personne.
- Je ne comprends pas comment tu pourrais faire ça.
- Bien sûr que vous ne comprenez pas. Vous n’avez jamais été esclave.


samedi 26 décembre 2020

Le chant d'Achille~~~~~~Madeline Miller

 


Brad Pitt savait-il, en acceptant le rôle, qu'Achille était allé jusqu'à s'exiler sur l'île de Scyros et se travestir en fille dans un groupe de danseuses pour échapper à la guerre. Voilà qui aurait pu quelque peu ternir l'image du héros guerrier et ôter des scrupules à l'acteur vedette, lequel se reprochait d'avoir accepté un rôle trop racoleur.

Il est un euphémisme de dire que l'adaptation de la guerre de Troie par Wolfgang Petersen est très libre. Dans son film, entre autres écart avec l'Iliade, la guerre de Troie est l'affaire de deux semaines et passe sous silence les atermoiements du héros de Troie plus enclin à jouir de ses amours que de gloire militaire. Si l'on en croit en tout cas la version que nous livre Madeline Miller dans le chant d'Achille.

Dans la controverse qui s'est faite jour au fil des siècles à propos de l'amitié qui unissait Achille et Patrocle, Madeline Miller a faite sienne la version de l'éminent historien Bernard Sergent, président de la Société de Mythologie française, abondant à une relation homosexuelle. Et pour couper court à l'autre aspect de la controverse quant au statut de l'un par rapport à l'autre, Eraste (le plus âgé, pour ne pas dire vieux) Eromène (le plus jeune), Bernard Sergent a trouvé dans ses recherches approfondies suffisamment d'éléments pour faire de leur idylle une passion entre jeunes amoureux de même âge. L'homosexualité jouissant en cette époque aux dires des spécialistes de la plus grande tolérance. Époque donc bénie des dieux à leur égard et à leur regard. Sauf que ce dernier était assombri, ou éclairé selon l'intention qui préside, par une autre valeur de l'époque, aujourd'hui disparue : l'honneur. Valeur qui, lorsqu'elle est bafouée, aux délices de l'amour commande de lui préférer la guerre .

C'est comme ça que la légende se fait histoire

Histoire d'amour entre deux jeunes garçons donc, mais contrariée par l'honneur souverain – ils ont dix-sept ans lorsqu'Agamemnon les entraîne dans cette folle épopée pour reprendre Hélène aux Troyens – que nous suggère la version de Madeline Miller dans ce bel ouvrage. Version que l'on prend au sérieux. Elle a mis dix ans pour écrire ce roman qu'on qualifiera d'historique puisque fondé sur des textes dont les premiers nous viennent de l'antiquité grecque. Sachant qu'ils étaient déjà loin d'être contemporains des faits générateurs de la légende qu'ils colportaient. C'est comme ça que la légende se fait histoire pour qui n'y prend garde, se nourrissant à l'envi d'imaginaire épique, celui-là même qui de bouche à oreille au fil du temps sculpte un héros de marbre dans un bloc de calcaire à peine dégrossi. Après tout "La vérité, c'est ce que croient les hommes", déclare Ulysse à ses deux jeunes qui voudraient dissimuler leurs sentiments réciproques. Mais on n'est pas prince ou demi-dieu pour vivre dans le mépris de ce que commande l'honneur, sauf à sombrer dans l'opprobre et perdre son statut.

Il est celui dont les sentiments sont à la fois les plus humbles et les plus purs

Patrocle est le narrateur de cette épopée. On ne s'étonnera pas, connaissant le sort qui lui est réservé sous les murs de Troie, de le savoir à la fin de l'ouvrage s'adresser à nous n'étant plus alors "constitué que d'air et de pensées." Plus que tout autre il est celui qui endure et subit cette guerre pour rester fidèle et loyal envers son amant devenu son maître. Ne dit-il pas de lui-même être considéré par les autres "seulement comme l'animal de compagnie d'Achille". Il est celui dont les sentiments sont à la fois les plus humbles et les plus purs. Lorsque figé dans sa fierté offensée Achille refusera de combattre aux côtés d'Agamemnon, Patrocle se substituera à celui-ci pour sauver sa réputation. Se sachant haï par Thétis, la déesse mère d'Achille, il ne peut espérer aucun secours des dieux. Sa fidélité à la grandeur de son amant le perdra. Mais "aucune loi n'oblige les dieux à être justes".

A prendre le parti de l'amour sincère entre deux jeunes hommes, Madeline Mille n'en trahit pas pour autant ce qui est communément admis du sort de Troie et de ses héros des deux camps. On n'en dira pas autant du film de Wolfgang Petersen. Autant que puissent être l'univers des dieux et les fantasmagories de la légende, l'amour reste une valeur qui ne varie ni avec le temps ni avec la qualité de ceux qu'il favorise. Mais depuis que le monde est monde une valeur autant malmenée par l'homme toujours prompt à lui mettre des bâtons dans les roues.

Madeline Miller m'avait conquis avec Circé. le chant d'Achille confirme mon engouement. A quand un troisième ouvrage de cette auteure inspirée pour combler mon avidité à fréquenter dieux et demi-dieux. Ils me dissipent de notre réalité trop nourrie d'humaine nature dont on sait combien elle est avide de la chose matérielle. Et sous l'emprise d'un dieu avare de manifestations mais n'en revendiquant pas moins quand même monopole et majuscule.


samedi 30 mai 2020

Circé ~~~~~~Madeline Miller




 
La mythologie grecque ne compte dans ses rangs que deux sorcières, Circé et Médée. Si elles possèdent des pouvoirs magiques quelque peu redoutables, leur apparence n'a toutefois rien d'effrayant. Elles sont jeunes et ravissantes. Madeline Miller a jeté son dévolu sur la première des deux pour nous faire partager sa vie. Une partie infinitésimale de celle-ci dois-je préciser car en sa qualité de déesse sa vie ne saurait connaître de fin. Et à l'heure où j'écris ces mots peut être Circé me regarde-t-elle de je ne sais quelle hauteur, peut-être est-elle penchée sur mon clavier à s'intéresser à ce que je pourrais dévoiler de ses péripéties affectives. Aussi dois-je prendre garde de ne pas la vexer.


Ce bout de chemin que Madeline Miller nous propose en sa compagnie nous projette dans un monde où le fantastique et le réel sont intimement liés. Un monde que nous relate les premiers poètes grecs, lesquels envisageaient des dieux à leur image, non seulement d'apparence mais aussi de comportement. Une façon de les apprivoiser, de se rassurer surtout, en leur prêtant des défauts et qualités bien connus d'eux et fidèlement transmis à nous autres leurs descendants. Car il faut préciser que de tous temps, aussi puissants et omniscients qu'ils pussent être, les dieux n'en étaient pas moins dangereux dans leurs colères et donc craints des mortels, dont le modeste représentant que je suis.

Circé a été bannie et condamnée à l'exil sur l'île de AEaea, où elle réside peut-être encore. Telle fut la sentence de son père Hélios, dieu du soleil, lequel avait tenu conseil avec Zeus, après que celle-ci eût fait absorber à la nymphe Scylla, sa rivale de cœur, un philtre qui la transforma en monstre hideux à six têtes et tentacules. Je prendrai donc garde à ce que j'absorberai après avoir publié cette chronique.

Expatriée en face de Charybde elle fit du détroit (de Messine) l'écueil redouté de tous les marins et accessoirement l'origine du dicton dont on use encore de nos jours : tomber de Charybde en Scylla. Éviter un péril pour succomber à un autre. Circé n'en était d'ailleurs pas à son coup d'essai pour provoquer la colère de ses illustres parents. N'avait-elle pas auparavant tenté d'adoucir le sort de Prométhée, lui-même condamné au supplice par Zeus pour avoir donné le feu aux hommes. Je lui dois donc de pouvoir faire quelques grillades sur mon barbecue, mais là encore point trop n'en faut, au risque d'attirer les foudres de Zeus.

Une affaire de cœur est donc à l'origine du triste sort de Circé dont Madeline Miller a décidé de nous entretenir, à mon grand plaisir de lecteur aux jours comptés. Car figurez-vous que les dieux et déesses de la mythologie grecque éprouvent des sentiments et convolent entre eux sans préoccupation d'inceste et consanguinité mais pas seulement, ils ou elles convoitent aussi les faveurs des mortels, sans préoccupation de chronologie cette fois, car leur temps n'est pas le nôtre forcément. Avec donc la certitude de voir leurs amours se dissoudre dans l'éternité divine, petite fenêtre de concupiscence contre un espoir fou pour l'élu(e) d'accéder à l'immortalité. Circé convoitait le cœur du modeste pêcheur Glaucos, en fit un immortel.

A ce propos Circé si tu me regardes…
Non, bon, c'était juste une suggestion comme ça !

Mais pour en revenir à Glaucos, devenu immortel mais ingrat, ce dernier se laissa tenter par les charmes de Scylla. Pour le plus grand déboire des deux rivales et de nombre de ceux qui, en victimes expiatoires, croisèrent la route de chacune d'elles. C'est ce qu'on appelle des dommages collatéraux.

L'exil de Circé sur son île sera toutefois adouci par quelques visiteurs. Au rang desquels Hermès, avec qui elle réchauffera sa couche, mais certes pas de son cœur. Car le messager des dieux, que certains présentent comme ancêtre d'Ulysse, avait une attitude quelque peu ambiguë, voire déloyale vis-à-vis de l'exilée. Jason y fera escale aussi, de retour de sa quête de la toison d'or. Mais c'est surtout le héros de l'Odyssée dans son périple de retour vers sa chère Pénélope qui s'autorisera quelques mois de repos auprès de Circé et conditionnera par là même une part de son avenir, dont on apprécie mal la durée tant il est confus de s'imaginer ce que peut être l'avenir d'un immortel.

On a compris qu'Ulysse ne sera pas aussi fidèle que sa tendre et chère dont on connaît le stratagème pour repousser les prétendants convaincus de la disparition du héros de la guerre de Troie. Il faut bien dire qu'ayant provoqué le courroux de Poséidon, il était encore loin du terme de son errance sur les mers. Il quittera cependant Circé sans savoir que le fruit de leurs amours sera un fils, Télégonos. Madeline Miller n'évoque que celui-là dans son ouvrage quand d'autres références mentionnent une filiation plus prolifique avec le roi d'Ithaque. Mais les sources de la mythologie étant ce qu'elles sont, les interprétations peuvent être diverses et contradictoires et donc aussi fantaisistes que plausibles.

"L'un de nous doit avoir du chagrin. Je n'allais pas accepter que ce soit lui". Voilà des propos empreints d'un amour tout maternel mis dans la bouche de Circé à l'égard de ce fils bâtard d'Ulysse lorsque la puissante Athéna, également aussi belle que redoutable, réclama son tribut en compensation de la mort de son protégé, Ulysse. Cet épisode nous fait toucher du doigt l'humanité avec laquelle Madeline Miller s'est intéressée au sort de Circé. Il nous ouvre sur la somptueuse dramaturgie en forme de réhabilitation d'une sorcière, car si l'on en croit cette auteure, Circé n'avait de démoniaque que ses pouvoirs surnaturels et non les intentions malfaisantes que notre culture moderne serait tentée de lui attribuer. Ses écarts n'étaient que la conséquence d'un cœur en proie aux déboires d'une sensibilité toute féminine.

C'est ainsi qu'en recevant en son île Pénélope devenue veuve et son fils Télémaque, l'auteure nous offre une belle passe d'arme chargée d'émotions entre ces deux femmes, toutes deux mères d'un fils d'Ulysse. L'ouvrage déjà riche en péripéties que l'on imagine dans la fantasmagorie mythologique connaît un sursaut digne d'une tragédie classique dans lequel le devoir s'oppose à l'amour, filial celui-là. le sacrifice d'une mère, fût-elle déesse, pour un fils mortel. Une éternité de chagrin donc pour un fils qui sur terre ne fait que passer. Voilà bien la preuve que l'amour ne connaît d'échéance que la mort de celui qui l'éprouve. Et lorsque celui-là est immortel, l'amour l'est autant.

Magnifique ouvrage de Madeline Miller qui offre aux fervents des mythes et légendes une page d'émotions affranchie des contraintes du temps.


mercredi 15 novembre 2017

La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes ~~~~ Edith Hamilton




 
"De la nuit et de la Mort naquit l'Amour et dès sa naissance l'ordre et la beauté remplacèrent la confusion aveugle". Convenons qu'il s'agit là d'une bien belle manière d'évoquer la naissance du monde. Que nos scientifiques contemporains réduiront, avec moins de bonheur, à un anglicisme d'artificier : le big bang.

Cette tournure poétique est empruntée à Hésiode, paysan-poète et philosophe avant l'heure, l'un des premiers à s'interroger sur l'origine et la raison de toute chose et tout être issus du Chaos. En tout cas, l'un des premiers à avoir livré ses pensées à la postérité, à avoir déploré l'absence de réponses à ses questions, qui deviendront pour le coup questions fondamentales. Et de dépit, l'un des premiers à invoquer le recours palliatif à une ou des volontés supérieures pour justifier l'injustifiable. Les dieux sont entrés en scène.

Sauf que, a contrario de ce que nous connaissons aujourd'hui, en ces temps de sagesse ignorante d'un messie, innocente de toute religion, les dieux des mythologies grecque et romaine étaient moins rébarbatifs que nos champions de l'accaparement des croyances actuels, désormais seuls à la barre des consciences puisque prophètes en religions monothéistes. Les Titans, les grands Olympiens et leur descendants ne revendiquaient pas la majuscule en tout ce qui touchait à leur allusion, ni la transcendance tyrannique sur l'esprit de l'homme puisque leurs prérogatives étaient partagées et leur substance, plus trivialement immanente, nichait au fond de la nature. Leur nature propre, quant à elle, ne l'était pas vraiment en réalité. Elle leur conférait de bons gros défauts comme on les aime, nous autres mortels prisonniers d'un corps gouverné par ses instincts. Libertinage, colère, jalousie et autres délices et turpitudes étaient au menu de leurs frasques divinement humaines.

Tout cela on le découvre, ou on le confirme selon son bagage culturel, en lisant l'ouvrage d'Edith Hamilton, hautement recommandable à qui veut se frotter aux fantasmagories de la mythologie, connaître au passage certains de leurs errements et déboires qui survivent dans le langage populaire en quelques expressions dont trop d'utilisateurs ignorent l'origine, et peut être jusqu'à la véritable signification : nettoyer les écuries d'Augias, suivre le fil d'Ariane, ouvrir la boite de Pandore, tomber de Charybde en Scylla, etc…etc…

Sans être vulgarisateur l'ouvrage d'Edith Hamilton est un excellent condensé qui peut se lire dans sa globalité ou rester à portée de main pour, grâce à ses annexes, table des matières, index et autres arborescences généalogiques, servir d'antisèche pour épater son entourage.

Mais prenons garde à l'esbroufe. La mythologie n'est pas forcément simple et limpide. Les arborescences se construisent au fil d'un millénaire et plus, sont restituées par des sources dont la cohérence n'est pas l'intention première. Il suffit pour s'en convaincre de scruter endétail celle de Zeus, le dieu des dieux, alias Jupiter. Le larron n'y est pas allé de main morte pour compliquer les chronologies, leurrer son épouse officielle et mettre à l'épreuve sa jalousie à se livrer aux plaisirs de la chair, divine et mortelle, et faire pâlir nombre de ceux moins bénis des dieux puisque mortels-à-craindre-ses-colères. Outre épouse et concubines, le bougre n'hésitait pas à faire commerce avec sa propre descendance franchissant sans coup férir les générations pour y jouir à perpétuité de fraîcheur et de beauté, jusqu'à porter en gestation lui-même le fruit de ses amours avec Sémélé, arrachée trop tôt à son amour. Avouons que notre imaginaire moderne a quelques longueurs de retard.

Notre époque est de ce point de vue moins enchanteresse en matière de divinité. A prôner en termes d'adoration abstinence et prière à l'égard d'une instance supérieure à qui on ne saurait donner d'apparence, surtout si elle s'appelle Allah. Une divinité qui ne supporte pas la concurrence, que l'on dit bonne et toute puissante mais qui laisse ses ouailles s'entredéchirer. Une divinité surtout qui étouffe l'imaginaire en dictant dans un grand livre ses commandements en forme de code de conduite dans lequel toute gaudriole est bannie. Pauvres de nous. Il nous reste à invoquer Prométhée, le sauveur du genre humain ; les dieux ne sont plus ce qu'ils étaient. Quelle époque !