Il y a chez René Frégni une
néfaste dichotomie, véritable écartèlement entre deux mondes qu'il voudrait
pourtant bien concilier. Deux mondes aux antipodes l'un de l'autre : le monde
de la violence et celui de la poésie. Pas forcément la poésie des grands du
genre, celle dont le rythme imprimé aux vers nous fredonne une mélodie à
l'oreille. Mais une poésie de mots sans autre ambition que de dire le bonheur
de vivre, de s'éblouir d'un soleil radieux, s'emplir les poumons de la senteur
de la garrigue, se réjouir du chant de oiseaux.
Ce combat, il y a quelques années
de cela il se refusait à le savoir perdu. Il espérait toujours. Au point
d'animer durant quelques années des ateliers d'écriture dans ces lieux de
concentré de violence que sont les prisons. Fol espoir de ramener des égarés
dans la voie de la bienveillance par la lecture, l'écriture. Par la magie des
mots à qui l'on ferait dire en les libérant au bout de sa plume ce qui n'a pas
pu franchir les lèvres. Ce qui n'a pas vu le jour faute d'avoir rencontré
d'oreille compatissante.
Kader avait participé à ces ateliers d'écriture à la prison des Beaumettes à
Marseille. C'est là qu'il a fait la connaissance de René. Lorsqu'il s'évade, il
le contacte pour trouver refuge, le temps d'organiser sa disparition. René
mesure la gravité de ce qu'il fait, pourtant il n'hésite pas. Il lui prête son
appartement. Lui a trouvé un nid douillet chez la charmante Isabelle,
institutrice à l'école des tout petits.
Mais un truand en cavale, c'est
difficile à gérer. Il a la police aux trousses, mais pas seulement. Il y a
aussi les rivaux. Et ceux-là ne connaissent que la loi de la violence. Quand
René réalise cette évidence, il prend peur. Pour lui, mais aussi pour la
charmante Isabelle qui est tellement loin de tout ça. Son bonheur est en
danger. Il n'en dort plus.
C'est véritablement un ouvrage
entre ces deux mondes, en parfaite opposition, les maux contre les mots, ou
l'inverse, que nous délivre René Frégni, au
point que sa force poétique s'en trouve altérée. Son aptitude à la
contemplation dont il sait si bien nous faire profiter et mettre nos sens en
éveil laisse très vite place à cette réalité envahissante du tumulte de la vie
des hommes. Enfant des quartiers, de la rue, comme il se plaît à le rappeler,
il a une indulgence particulière pour ceux qui n'ont pas eu comme lui
l'opportunité de trouver le moyen d'exprimer leur ressenti profond par les
mots. Broyés qu'ils ont été par une société corrompue et ceux qui la régissent,
auxquels il attribue l'origine de tous les maux.
Mais que faire de ceux qui volent
et tuent des innocents pour exprimer leur mal-être s'il ne faut pas les écarter
de la société. René
Frégni ne donne pas la solution. C'est le contre poids de son utopie
humaniste à laquelle on ne peut qu'adhérer lorsqu'il clame de se satisfaire de
la liberté dans les collines de Provence ou de la chaleur du coeur d'Isabelle.