Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 3 décembre 2014

Les sirènes de Bagdad ~~~~ Yasmina Khadra

 


« Laissez-moi me rhabiller, gémissait-il. Y a mes enfants ». Lorsque les GI investissent la modeste maison du Bédouin et malmène le patriarche devant sa famille, plus que le sang qu'il a déjà vu couler à plusieurs reprises, c'est l'humiliation de son propre père qui va faire basculer la vie du fils de cette famille.

L'auteur démonte alors le mécanisme qui va métamorphoser ce jeune Bédouin, dont on ne connaîtra pas le nom, de la « chiffe molle », tel qu'il se qualifie lui-même, en un prétendant au suicide terroriste. Il décrypte pas à pas la démarche de manipulation mentale des leaders des organisations terroristes, depuis l'instant où ils ont repéré un candidat potentiel, l'être affaibli par les circonstances de la vie, jusqu'au moment où ils le sentent prêt à franchir le pas. Se barder d'explosifs et entrer en contact avec la cible.

Le style propre à Yasmina Khadra est tout indiqué pour analyser la psychologie d'un personnage dans son parcours mental sur le chemin de l'acte insensé. Ce style si particulier, fait d'un florilège d'allégories, de métaphores, qui chacune traduisent autant de ressentis. Mieux que tout diagnostic psycho-pathologique, un tel discours imagé interprète parfaitement la construction personnelle du personnage dans cette ascension vers la folie meurtrière.

Dans la bibliographie de Yasmina Khadra, on trouve souvent en toile de fonds des contextes de guerre qui impliquent la culture orientale. C'est cru et violent. Comme toujours la vie en pareilles circonstances. C'est criant de vérité. Il y a comme un tourbillon qui emporte malgré eux des personnages faibles et broyés par le destin. Mais c'est traité sans misérabilisme.

Yasmina Khadra fait toujours preuve d'impartialité dans le développement des thèses qui opposent les belligérants. Les sirènes de Bagdad lui donne toutefois l'occasion, au travers des propos de ses personnages, de développer un anti américanisme à peine voilé. Sans donner le moindre crédit au fanatisme aveugle, vingt ans après les faits qui servent de cadre à ce roman, et à la connaissance de l'histoire de ce conflit, on ne peut guère l'en blâmer. La motivation proclamée de cette guerre n'a en effet jamais pu masquer les intérêts mercantiles non avoués. Mais Yasmina Khadra est un être pétri d'humanisme. Il nous le prouvera en donnant ses limites au fanatisme. Comme un message d'espoir.

Le scenario et son dénouement, insoupçonnable jusqu'à la dernière page, manquent certainement de crédibilité. Mais ce n'est pas ce qui me fait revenir vers cet auteur. Je retrouve avec plaisir, ce qui a capté mon intérêt dès la découverte de son écriture : le talent pour faire percevoir les sentiments par l'image, la force du verbe, la richesse du vocabulaire. Une fois de plus, je n'ai pas été déçu.


lundi 3 novembre 2014

Je te vois reine des quatre parties du monde ~~~~ Alexandra Lapierre



 

Voila un formidable roman d'aventure, passionnant et fort bien écrit. Il relate sans trop de superlatifs une vie qui l'aurait pourtant mérité. Une vie de femme que la postérité a boudée et à qui Alexandra Lapierre a voulu restituer la grandeur qu'auraient dû lui valoir ses prouesses.

On ne mesure plus de nos jours la somme de courage et de foi qu'il fallait pour se lancer dans l'aventure de l'exploration, dans ce qui était le plus parfait inconnu en l'état des connaissances de l'époque, et bien entendu sans la possibilité du moindre secours dans la perdition.

Ce qui représentait un exploit pour un homme, l'était encore plus pour une femme. Car être femme au 16ème siècle, c'est ne pas s'appartenir. C'est ne recueillir que mépris de la part de la gente masculine seule capable de décider, de diriger, de gouverner.

L'auteure nous fait appréhender à merveille le climat instauré par la conjugaison de la hiérarchie des classes sociales, les luttes d'appropriation, les forces de caractère et le poids de la religion. Un maelström exacerbé par les situations de crise, le péril des tempêtes, de la maladie et de la famine.
Cet ouvrage fort bien construit nous laisse imaginer la somme de travail et de recherche, l'investissement de son auteure pour étayer avec le maximum de vérité et de précision l'histoire de cette vie de femme hors du commun. Alexandra Lapierre en a fait un excellent roman dans lequel elle comble d'une manière très crédible la part d'incertitude laissée par le manque d'archives historiques ou la subjectivité de celles qui existent.

Cet ouvrage est captivant. Je le recommande aux amateurs d'exotisme. Qui mieux qu'une femme pouvait en outre restituer avec le plus de justesse le ressenti d'un coeur de femme prise par la tourmente des éléments dans l'immensité de l'inconnu.

mercredi 29 octobre 2014

Inch Allah 2 ~~~~ Gilbert Sinoué


Dans ce second tome de la saga Inch'Allah, Les incursions romanesques sont anecdotiques. Cet ouvrage se présente en effet plus sous forme d'un rappel à l'histoire que d'un roman et le talent de conteur de Gilbert Sinoué s'y trouve contraint par l'implication de l'historien.

Natif de la région, en Egypte, de cette époque qui a connu l'arrivée au pouvoir de Nasser, Gilbert Sinoué est tout indiqué pour ce rôle. En promoteur du rapprochement des grandes religions monothéistes, il aime se souvenir, avec une certaine nostalgie, de l'époque où l'Egypte était un modèle de coexistence pacifique de toutes les communautés.

Dans le cri des pierres, comme dans l'ensemble de son œuvre, Gilbert Sinoué fait œuvre d'une grande impartialité dans l'évocation des rivalités qui opposent les protagonistes de ce conflit entre juifs et arabes. Au gré des alternances d'intervention au sein des chapitres, il déploie une scrupuleuse application à faire valoir les arguments de chacun des partis. On lui pardonnera toutefois, dans cet ouvrage, quelques traits de subjectivité qui ne font que trahir son attachement à son pays d'origine et de ce qu'il a pu représenter pour son idéal philosophique.

Chacun des belligérants du conflit du Moyen-Orient s'attache à prouver sa légitimité à occuper la terre de Palestine. La démarche donne lieu à un concours de rétrospective historique, aussi loin que les archives l'autorisent, prolongées par l'interprétation puis par l'imaginaire, dans lequel les protagonistes revendiquent tour à tour l'antériorité de leur présence sur ce sol. C'est la clé d'un conflit dont la mèche a été allumée par la déclaration Balfour en 1917.

Gilbert Sinoué connaît bien l'histoire, les mentalité et psychologie des peuples du Moyen-Orient. Il retrace avec dextérité leur parcours tumultueux et regrette avec beaucoup d'amertume les faux espoirs nés du discours d'Anouar el Sadate à la Knesset en 1977.

Mais quand la fiction prend le pas sur la réalité sous la plume de l'auteur, c'est pour lui donner l'occasion d'échafauder une utopie qu'il voudrait universelle : un roman d'amour entre un juif, Avram Bronstein, et une palestinienne, Joumana Nabulsi. La tentation est trop forte pour lui de prouver que l'amour peut venir à bout des querelles politiques et des conflits qui en découlent. Ce couple symbolise le vœu si cher à Gilbert Sinoué de voir Juifs et Palestiniens cohabiter sur une terre qu'ils revendiquent l'un et l'autre. Au jour où il met un point final à ce deuxième tome, la solitude de ce couple dans le paysage politique et dans la société civile exprime tout son regret de voir ce conflit se perpétuer sans perspective d'issue heureuse.

Gageons qu'il aimerait mettre en chantier un troisième tome avec l'espoir pour fil conducteur.


dimanche 14 septembre 2014

Le rêve Botticelli ~~~~ Sophie Chauveau


Rare sont les peintres des siècles passés qui ont connu la notoriété de leur vivant. Botticelli est de ceux-là. Fallait-il que son génie fût évident pour que ses compatriotes expriment un tel engouement pour son art.

Avec cet ouvrage magnifique, Sophie Chauveau nous accompagne dans une découverte documentée et bienveillante de cet artiste exceptionnel, de son œuvre et de son époque, sous le règne des Médicis dans la Florence du quattrocento. Elle nous fait aimer ses œuvres en décrivant la ferveur qui entourent leur conception. On n'a de cesse de les découvrir en images et de confirmer l'admiration qu'elles suscitent à juste titre. Internet est pour cela un outil fabuleux. C'est l'apothéose du figuratif en ce sens qu'au-delà du talent de représentation y transparaissent les sentiments qui ont présidé à la naissance de chacune des œuvres. Les états d'âme de leur créateur y sont décrits au point de nous faire palper son mal-être. Cet ouvrage nous fait percevoir une fois de plus la proximité du génie avec la névrose.

Comme beaucoup d'artiste de génie, Botticelli est un être torturé. La mélancolie est sa plus fidèle compagne. Il ne s'en cache pas. Il a cependant les pieds sur terre. Il analyse avec clairvoyance ce qui préside à son destin dans cette ville où la violence est souvent au rendez-vous, y compris envers lui. Ne terminera-t-il pas sa vie infirme des suites d'une agression, sans toutefois ne jamais se lamenter de son sort.

C'est un homme d'une grande sensibilité que la férocité de son époque révulse. Il est au bord de la nausée lorsque lui est imposé le spectacle du supplice de Savonarole, fût-il appliqué à son ennemi. A la nature humaine, il préfère la nature animale moins soumise aux arrières pensées.

Il est intéressant, dans cet ouvrage, de voir l'homosexualité masculine dépeinte par une femme. Elle lui rend cette prévenance, ce sentimentalisme, que lui ont fait perdre la condamnation des autorités de conscience et les moqueries du viril.
Leonard de Vinci, Pic de la Mirandole, Laurent de Médicis, Savonarole, Vespucci et dans une moindre mesure le rébarbatif Michel-Ange, sont autant de grandes figures qui peuplent l'environnement de Sandro di Mariano Filipepi dit Botticelli. Ils lui témoignent admiration et estime, lui qui en a si peu pour sa propre personne.
Une touche d'humanité est rendue à cet être complexe lorsque, sur le tard, il fait connaissance avec son fils déjà adolescent.
C'est un bel ouvrage que cette biographie qui ne porte pas son nom. La mort de l'artiste n'y est d'ailleurs pas évoquée. Comme pour illustrer l'immortalité de son œuvre.


 

mercredi 3 septembre 2014

Ce que le jour doit à la nuit ~~~~ Yasmina Khadra




C'est ouvrage est une merveille à deux titres. Par le choix de son thème et la façon de le traiter dans un premier temps. Par sa mise en forme ensuite, avec ce style prodigieux qui n'appartient qu'à Yasmina Khadra.

Un demi-siècle après la conclusion des accords d'Evian qui scellent l'indépendance de l'Algérie, le sujet est toujours explosif. Alors que nombre de protagonistes des deux partis sont encore de ce monde, il faut du courage pour s'attaquer au thème, de l'habileté pour ne pas relancer la polémique. L'exercice est sans doute plus aisé pour un Algérien de souche qui pourrait s'enorgueillir de cette page de l'histoire de son pays. Mais là n'est pas le propos de Yasmina Khadra. Il prône l'apaisement.

Il relate les faits sans parti pris et les opinions avec impartialité. Bien entendu il évoque aussi quelque part – il le fallait bien - les sources du mal, avec ce racisme latent qu'il rapporte par la bouche d'Isabelle : « Je suis une Rucillio, as-tu oublié ?… Tu m'imagines mariée avec un arabe ?... Plutôt crever ! ». Ce mal contre lequel Younès, alias Jonas, n'imaginera même pas se révolter, même s'il lui vole son bonheur. Mais Yasmina Khadra veut dépasser les clivages pour donner la parole au coeur. Il veut exprimer la somme de souffrances que les contemporains de cette époque en ce pays ont pu endurer, au cours de ce qu'on appelait pudiquement en métropole « les événements ».

Aussi toute généralisation étant forcément abusive, l'humanisme de l'auteur veut nous mettre en garde contre les assimilations. Emilie en sera le symbole. Elle s'insurgera de voir Younes ne pas répondre à son amour déclaré au mépris de toute ségrégation : « as-tu jamais osé une seule fois dans ta vie ?».

Younes est un spectateur indolent des soubresauts de ce pays qui s'ouvre au nationalisme. Il passe à côté de cette guerre, même si le malheur le rattrape souvent. Il voudrait tant que les choses soient plus simples, que le coeur parle plus fort que la raison.

Métaphores, allégories, font de cet ouvrage une merveille de style imagé, à l'alternance bien dosée entre les dialogues, les portraits et la narration.

« L'hiver se retira un soir sur la pointe des pieds pour faire place nette au printemps. Au matin, les hirondelles dentelèrent les fils électriques et les rues de Rio Salado fleurèrent de milles senteurs. »

Un romantisme un peu désuet contrebalance la dureté des événements : « Elle n'était plus de chair et de sang. Elle était une éclaboussure de soleil. » Les éléments naturels sont autant de personnages qui animent le récit : « La fournaise des dernières semaines s'était calmée. Dans le ciel épuisé par la canicule, un gros nuage filait sa laine, le soleil en guise de rouet. »
Le vocabulaire est familier sans être populaire, riche sans être pédant, imagé sans être fumeux, toujours juste. « Ils élevaient autour de leur bonheur des remparts imprenables en s'interdisant d'y creuser des fenêtres. »

Ce que le jour doit à la nuit est un très beau roman, ses enjeux sont nobles, sa lecture est un régal.


mardi 19 août 2014

Les hirondelles de Kaboul ~~~~ Yasmina Khadra




« Laisse-la crever. Je t'assure qu'elle est à sa place là où elle est. Après tout, ce n'est qu'une femme. » Dans la bouche du milicien taliban Qassim Abul Jabbar, cette phrase résume le livre. C'est un ouvrage court et cinglant, comme un coup de cravache. Tels ceux avec lesquels ces fous de Dieu, dans Kaboul, rabattent les fidèles vers la mosquée.

C'est un ouvrage sur la disparition de la femme du paysage humain. Reléguée au rang de vecteur de procréation, à la seule fin de perpétuer les adorateurs de Dieu. La femme chosifiée, ainsi que se qualifie Zunaira, l'avocate condamnée à dissimuler sa beauté sous ce tchadri qu'elle exècre.
C'est un ouvrage sur l'effacement des cultures, sur le détournement des écritures saintes à des fins d'appropriation du pouvoir.

C'est un ouvrage dans lequel des créatures sanguinaires, avec pour toute culture celle de la Kalachnikov, y parachèvent un obscurantisme nauséabond. C'est l'ouvrage du désespoir fait homme.

Kaboul n'est plus qu'un épiderme squameux où les tumulus des tombes comblées à la hâte, au gré des exécutions, sont autant de bubons qui témoignent de sa maladie.

Et pourtant, quelques sentiments émergent avec prudence de l'océan noir qui a englouti la joie de vivre dans ses abysses de haine. Des relents d'humanité se raniment alors, comme la flamme d'une bougie dans l'obscurité des catacombes. C'est ce qui arrive à Atiq, le geôlier malgré lui, qui laisse dépérir sa femme malade, sans le moindre secours. Il découvre un jour la grandeur d'âme de celle-ci, lorsqu'elle lui propose de prendre la place de Zunaira, condamnée à mort, à la faveur du tchadri, le voleur d'identité, qui pourra tromper les bourreaux.

Yasmina Khadra n'a pas son pareil pour traduire les ressentis, les infiltrer dans l'esprit de son lecteur et le convertir aux états d'âme de ses personnages.

Et au final le message qui passe. Prends garde ! Toi qui vis dans l'insouciance du confort. le sournois est dans ton dos. Jaloux de ton succès, il sera d'autant plus cruel qu'il aura forgé son ignorance et trompé son discernement au discours du prêcheur.

A lire absolument, d'un seul trait, comme un coup de cravache en travers de la figure. 

samedi 16 août 2014

Les révoltés de Cordoue ~~~~ Ildefonso Falcones

 


Comment se faire une idée de ce que pouvait être la vie des petites gens dans le sud espagnol, à la fin de la Reconquista, si ce n'est en lisant Les révoltés de Cordoue.

Des êtres sur le qui-vive perpétuel, dans un monde où règne la loi du plus fort. Des animaux traqués en quête de leur subsistance quotidienne, dans une société régie par les coutumes et la foi. La hiérarchie était celle de la naissance, la légitimité de toute position sociale celle de Dieu et la loi dictée par la religion. Bien piètre perspective pour le mal-né, le manant. Il n'avait alors de salut que dans le choix d'une mort fidèle à sa foi religieuse.

S'il est une constante en ce monde ce sont bien les conflits inter religieux. Notre actualité nous le prouve tous les jours. En cette fin de XVIème siècle en Espagne, après les juifs, un siècle plus tôt, les musulmans d'Andalousie à leur tour n'ont d'autre choix que se convertir ou s'expatrier, après sept siècles de coexistence confessionnelle.

C'est l'atmosphère dans laquelle évolue Ibn Hamid, alias Hernando Ruiz, maure espagnol traqué par une inquisition triomphante à l'heure où le christianisme reprend le monopole des consciences. Et pourtant, en dépit du double handicap d'être né maure et au bas de l'échelle sociale, notre héros va naviguer en eaux troubles, rejeté par les siens, mal accueillis par les chrétiens, et curieusement monter dans l'échelle sociale grâce aux sauvetages que sa philanthropie lui dicte aux hasard de ses revers de fortune.

Né d'une femme violée par un prêtre, il consacrera sa vie à tenter de mettre en évidence les traces dans la genèse de chaque religion qui pourraient les rapprocher et les faire vivre en harmonie. Il gardera au coeur l'amertume de voir ces deux mondes restés irréconciliables
Les cruautés sont le lot quotidien de ces êtres enchaînés par leur foi. On s'étonne de la froide détermination des tortionnaires à tailler dans les chairs, briser les membres, faire couler le sang, arracher les enfants à leur mère. On s'étonne encore plus à voir les suppliciés chevillés à leur foi, lui rester fidèles sous le calvaire de la question. Doux euphémisme qui ne traduit pas son lot d'horreur et de souffrance. Les sentiments, les convictions sont d'autant plus forts que le contexte dans lequel il s'exprime est féroce.

C'est un ouvrage qui montre la force de l'ancrage de la religion transmise à la naissance, perpétuée par l'éducation, la force des femmes qui, plus que les hommes, endurent les conséquences des conflits, la force des sentiments de cette époque régie par des valeurs dont notre monde d'aujourd'hui se démunit.

Toutefois, l'écueil potentiel avec ce genre de gros volume est de provoquer des longueurs dans l'intrigue. La plume facile d'un auteur capable de produire une telle fresque historique romancée peut fort bien être trahie par son souci du détail et se trouver à la peine pour conserver l'attention de son lecteur au long de certains chapitres. C'est un peu ce qui se produit avec cet ouvrage d'Ildefonso Falconnes. Il n'aurait pas démérité avec une réduction d'un bon tiers de son nombre de pages. A l'instar de la cathédrale de la mer qui m'avait incité à m'attaquer à ce nouveau roman de son auteur.

La traduction a-t-elle aussi peut-être modernisé certaines expressions au point de les rendre presque anachroniques ? Les révoltés de Cordoue, qui aurait pu conserver son titre original, La main de Fatima, n'en reste pas moins un excellent ouvrage remarquablement documenté sur une période douloureuse de l'histoire de l'Espagne. Je le recommande aux amateurs de beaux romans historiques.


mardi 5 août 2014

Inch Allah Tome 1~~~~Gilbert Sinoué

 


En août 2014, nous connaissons une fois de plus une flambée de violence au Moyen-Orient. Expression devenue banale dans le langage journalistique de nos jours. Expression usée qui ne dépeint désormais plus son lot de souffrance et de mort dans l'esprit des Européens blasés que nous sommes. Des Européens qui ont soit oublié, soit jamais appris, leur part de responsabilité dans cette tragédie sans issue, fruit de politiques expansionnistes désastreuses.

L'armée israélienne réplique comme elle sait bien le faire à des provocations de la part des Palestiniens de la bande de Gaza. le sang coule encore, comme cela se fait depuis bientôt un siècle dans cette région, depuis cette fameuse déclaration Balfour envisageant la création d'un foyer national pour le peuple juif en Palestine.

Qui est légitime pour posséder cette terre sacrée et maudite à la fois ? Gilbert Sinoué nous introduit dans cette poudrière et a choisi de nous rappeler à l'histoire en nous faisant vivre le quotidien de familles palestinienne, irakienne, syrienne, et égyptienne. Il nous convainc que le Moyen-Orient fera encore longtemps la une de l'actualité, non seulement pour notre génération, mais aussi pour nombre de générations à venir.

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Natif de cette région, de cette époque qui a connu le Souffle du jasmin et vu l'Egypte se sortir des griffes du lion britannique, qui mieux que lui pouvait nous emporter dans ce tourbillon, avec la force du romanesque qu'on lui connaît, pour nous imprégner des rancœurs, des colères, du désarroi de ces peuples condamnés à se déchirer. J'aborde avec le plus grand intérêt le tome 2 d'Inch Allah, cette épopée de notre temps.


dimanche 27 juillet 2014

L'âme du monde ~~~~ Frédéric Lenoir

 



Les pessimistes diront qu'un tel ouvrage est un coup d'épée dans l'eau. Les optimistes seront satisfaits d'y trouver un auteur qui ose encore prôner la sagesse. Est-ce bien raisonnable dans notre société de consommation pour laquelle le bonheur est fondé sur le pouvoir d'achat ?

Ce stade est même déjà dépassé. le toujours plus a trouvé ses limites. A peine le bien désiré est-il acquis que la convoitise s'oriente vers un autre. Alors cette fuite en avant cherche déjà ses dérivatifs et l'esprit matérialiste se brûle les ailes dans la quête de paradis artificiels. Les drogues et autres psychotropes inondent le monde, toutes classes confondues. On n'apprécie plus rien sans effets spéciaux. Les médias suscitent le besoin, entretiennent la frénésie consommatrice, font miroiter des nirvanas aux démunis, traquent et harcèlent les plus réfractaires à l'achat. Comment imaginer qu'on puisse « quitter cette logique de l'avoir pour passer à celle de l'être ». C'est pourtant ce que suggère Frédéric Lenoir avec cet ouvrage qui veut remettre en lumière les clés de la sagesse.

L'auteur extirpe de leur quotidien huit personnages, religieux et laïcs, de tous âges, y compris des enfants, et bâtit un conte moderne qui les conduira dans la vraie quête, celle de la plénitude. le monde terrestre est au bord d'un cataclysme majeur. L'espèce humaine est parvenue, essoufflée, au terme de sa course dans l'erreur, au fond de l'impasse. Elle va prendre un nouveau départ. Ces huit sages qui représentent l'ancienne voie, réunis à Toulanka, vont tenter, forts de leur expérience malheureuse, de donner les bases saines d'un nouveau départ à deux jeunes adolescents. Cette nouvelle voie ne peut donc plus être celle de la satisfaction des instincts primaires. Elle n'est pas non plus celle des religions. Elles ont prouvé leur inaptitude à réunir les hommes. Elles prêchent toutes la tolérance et ont dans le même temps été à l'origine de la plupart des conflits qui ont fait se déchirer les peuples. Cette nouvelle voie ne peut donc être que celle de la sagesse.

C'est un conte des temps modernes auquel Frédéric Lenoir nous convie, dans le sens où il se tient de nos jours. Mais aussi un conte modernisé, car il a une valeur intemporelle et ne fait finalement que remettre au goût du jour les préceptes des philosophes de l'antiquité. A ceci près que de nos jours, la machine s'est emballée, tout va trop vite, il faut lever le pied. Il faut prendre le temps de refaire connaissance avec soi-même, se libérer de l'esclavage que nous imposent nos instincts. Il s'agit pour chacun de retrouver un nouvel équilibre, en harmonie avec le monde, dépassant les limites de sa propre vie sur terre.

Et tout commence par l'estime de soi. Car il n'est pire ennemi que soi-même. Estime de soi, qu'il ne faut pas confondre avec narcissisme ou promotion de son égo. « L'égo veut prendre et dominer ». L'estime de soi est la condition sine qua none pour entrer en harmonie avec le monde dans lequel on vit.

Une lecture superficielle de cet ouvrage laissera l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, de déclamer des évidences. Et pourtant ! Les choses ne sont-elles pas finalement toutes simples.
Une première lecture intégrale vous laissera le goût de revenir dans ces chapitres, au hasard. de rechercher les multiples interventions lorsque « le sage prend la parole et dit : ». Il faut alors écouter la parole du sage, refermer le livre, prendre son temps, méditer, s'interroger, comprendre, regarder autour de soi, regarder en soi, pour finalement s'accepter tel que l'on est, accepter les autres tels qu'ils sont. Accepter son sort aussi, avec son début et sa fin, pour comprendre que cette fin n'est qu'apparente, que tout être se perpétue dans l'Âme du monde.

Ce n'est pas un ouvrage religieux. Il serait même presque anti religieux. Il clame haut et fort « qu'aucune religion ne peut prétendre posséder la totalité de la vérité. ». C'est tout sauf de la béatitude.

Il ne faut pas craindre de lire l'Âme du monde, de placer repères et des index dans ces pages, de le crayonner pour retenir ce que l'on veut, retrouver ces préceptes si évidents qu'on les a oubliés, et surtout oublié de les mettre en pratique.


samedi 12 juillet 2014

Petit traité d'histoire des religions ~~~~ Frédéric Lenoir



Un petit traité, certes, mais un ouvrage suffisamment documenté pour qui veut s'ouvrir à la connaissance des religions sans devenir un spécialiste. Et peut-être une base de départ pour qui voudra approfondir le sujet.

Un excellent tour d'horizon sur le thème, dans l'espace et dans le temps. Avec en prime l'allégation incontestable que les religions sont invention de l'homme, donc forcément dans l'erreur quand elles revendiquent la possession de la vérité et l'universalité de leur prêche.
Difficile de rester neutre sur le sujet. Frédéric Lenoir y parvient. La thèse à soutenir est que toutes ont leur raison d'être ou de ne pas être. L'important étant de ne rien imposer et de laisser chacun à sa croyance devant le grand mystère de la vie.
Une religion n'est jamais qu'une secte qui a réussi.


lundi 9 juin 2014

L'équation africaine ~~~~ Yasmina Khadra

 


Il faut savoir terminer un roman. le lecteur qui progresse au fil des pages s'interroge toujours sur l'épilogue. Quand on replace cet ouvrage de Yasmina Khadra sur le rayon de sa bibliothèque, on se dit qu'on y reviendra. Avec un sujet aussi grave, la fin ne déprime pas. Elle est un peu comme la flamme d'une bougie dans un univers de ténèbres. Fragile, mais obstinée. C'est une force dans la conception d'un ouvrage que de savoir le terminer sans pour autant laisser augurer de l'issue dès les premiers chapitres. Et si je commence par la fin, c'est que je m'y suis retrouvé sans m'en rendre compte, tellement le voyage a été absorbant.

La fin est une chose, mais le corps du texte en est une autre. Et là encore, cet ouvrage de Yasmina Khadra, c'est du généreux, du sincère, du bienfaisant. Quel plaisir de lire de telles pages de littérature, dans une langue de qualité.

J'avais découvert cet auteur avec " L'attentat". Je m'étais promis d'approfondir sa connaissance et le fais avec " L'équation africaine". Je confirme ma première impression, la conforte même. Cet ouvrage, plus encore que le premier, me subjugue par la qualité de la retranscription des sentiments, de leur traduction en mots, en phrases. Et Dieu sait si l'exercice est difficile. La colère, la révolte, la résignation, le découragement, l'indignation, la détresse, la déprime, l'irritation, le mal-être, l'humiliation, le lecteur se les approprie, les ressent à la place des héros. Mais curieusement jamais de haine. Comme si finalement, après l'avoir déprécié, déconsidéré, Yasmina Khadra révèle une foi souveraine en l'Homme. Et puis bien sûr, et heureusement, l'espoir, la jubilation. Même l'amour dont on perçoit le frisson, ses bouffées de sensualité, presque incongru, mais tellement troublant et tyrannique.


Pour avoir vécu quelques temps en Afrique de l'est, j'ai retrouvé dans ces pages la touffeur de l'air immobile surchauffé, le sable qui colle à la peau moite, la bouche douloureuse de sécheresse, le regard qui se perd sur ces étendues de sables et de roches volcaniques, l'usure du corps et de l'esprit sur les pistes rocailleuses quand chaque pas est un exploit.

Il y a certes de l'action dans ces pages, mais la richesse est surtout dans cette capacité à décrire et faire comprendre les états physiques et psychologiques, le ressenti, le vécu intérieur. J'ai retrouvé ce qui avait retenu mon intérêt chez cet auteur avec peut être encore plus d'acuité. Une force suggestive inouïe.

Placés dans un contexte contemporain, dans les soubresauts désordonnés des confrontations modernes, les protagonistes vont vivre des événements avec une intensité paroxysmique. Ils en connaissaient certes l'existence, mais de façon dérisoire, à la manière de l'Européen blasé qui se fait bourrer le crâne des malheurs du monde par les médias, sans savoir ce que cela recouvre réellement. Comme une fiction.

Mais aussi, à quoi sert la détresse si elle n'a pas de spectateur. Si elle ne peut pas éclater à la face du monde. de ce monde de nantis qui vivent dans le confort, abreuvé d'informations dont ils ne mesurent pas le poids de souffrance. Quand il ne reste alors aux êtres abandonnés que ce combat d'arrière-garde contre la mort en ultime bravade dédaigneuse. Là est la vérité du vivant sur terre.
Je me suis promis de relire cet ouvrage pour en capter toute la substance. On ne peut pas la percevoir dès la première lecture. Il n'y a aucune phrase superflue, aucune fioriture. Tout est vrai, lourd de sens. Même l'anecdote, quand au milieu de nulle part, lorsque le regard du novice ne voit que sable et cailloux, alors qu'il croit être seul au monde, surgit d'on ne sait où, comme de sous une pierre, un enfant au regard fixe, une femme décharnée, ployée sous le poids d'un bidon d'eau ou d'un fagot de bois. Ce n'est pas anecdotique en fait. C'est vrai. C'est le désert qui vit. C'est l'Afrique.


samedi 7 juin 2014

L'enfant de Bruges ~~~~ Gilbert Sinoué

 



Avec cet ouvrage, Gilbert Sinoué nous transporte au 15ème siècle, dont les historiens ont fait une transition entre la Moyen-âge et le Renaissance, avec pour décor les prestigieuses cités de Bruges et de Florence. C'est un véritable “polar” dans lequel l'intrigue et les personnages tiennent le lecteur en haleine, jusqu'à ce que … le soufflé retombe. Mais n'en disons pas plus quant au dénouement.

La technique émergente de la peinture à l'huile est venue concurrencer, et peut-être condamner, la peinture a tempera. C'est en tout cas ce qui suscite l'intrigue. Je veux bien admettre être passé à côté de l'événement - de cette locution latine aussi - mais celui-ci est présenté comme une véritable révolution dans l'histoire de “l'Art des arts”. A tel point qu'il provoque un choc des consciences contemporaines averties et une réaction aux tournures imprévisibles, à la violence aveugle.

Comme à l'habitude avec Gilbert Sinoué, nous prenons une leçon d'histoire. Outre bien sûr le héros, Jan van Eyck, grand peintre flamand, on fréquente la cour de Côme de Médicis à Florence, on s'y rappelle que le Duc de Bourgogne régnait sur les Pays-Bas, que Nicolas Rolin a fait ériger les Hospices de Beaune, que nous sommes à l'époque de l'ouverture au Nouveau Monde, à la veille de la démocratisation de l'écrit par l'imprimerie et enfin que les Grands de ce monde l'étaient d'autant plus qu'ils s'érigeaient en mécènes.

Ce n'est pas, à mon sens, le fleuron de la bibliographie de Gilbert Sinoué. C'est comme ça que je le perçois. Mais avec cet auteur il y a toujours des richesses à glaner et cela reste d'un excellent intérêt. Ne serait-ce par l'ancrage de ces péripéties dans un contexte historique et les sujets de réflexion que cet ouvrage suscite sur le rôle de l'art dans la société et dans la vie tout simplement.

Il y a bien sûr aussi ces thèmes qui pourraient être perçus comme secondaires mais qui fondent en réalité la pensée humaniste de l'auteur. On les retrouve dans ces fameux coups de griffes à tous les promoteurs d'intolérance et d'immoralité auxquels il nous habitue dans ses ouvrages. L'esclavage est un des thèmes ciblé dans celui-ci, où les Noirs africains y sont présentés, dans la bouche d'Anselm de Veere, comme le “brouillon de Dieu” avant la création de sa grande oeuvre. On s'interroge aussi sur la place de la Femme dans ce roman très masculin, son accès difficile au devant de la scène. La mère adoptive de Jan est effet une marâtre mal aimante. Sa mère biologique ne fait qu'une apparition fugace. Elle est blâmée du crime d'abandon, même si pour son rachat, l'auteur lui fait donner sa vie pour sauver son enfant.

Quant au sujet essentiel de cet ouvrage dans la monde de l'art, on appréciera les descriptions documentées des techniques picturales, mais aussi la compréhension de ce principe du mécénat, seule chance pour un artiste d'émerger et de vivre de son art. C'était bien entendu extrêmement élitiste. Dans ce domaine, comme dans la vie en général à cette époque, seuls les plus forts avaient des chances de survivre. C'était pour l'art, en tous cas, un gage de qualité.


samedi 24 mai 2014

Le livre de saphir ~~~~ Gilbert Sinoué

 



Dès les premiers chapitres de cet ouvrage, je me suis reproché de ne pas avoir préalablement ingurgité l'Ancien et le Nouveau Testaments, la Torah et le Coran. La certitude de perdre en consistance du message proclamé par son auteur s'est ancrée en moi au fur et à mesure du déferlement de ce vocabulaire tiré des textes sacrés, de cette avalanche de personnages mystiques, qui sous des noms souvent multiples peuplent les évangiles, les sourates, les versets et autres fragments de ces textes fondateurs des grandes religions monothéistes.

Bien sûr, ayant déjà « consommé » du Sinoué, j'étais averti de l'opulence culturelle de l'écrit et savais m'engager sur un parcours d'enrichissement. Mais une fois de plus, je lui en ai voulu de m'avoir fait jauger ma petitesse, à l'instar du badaud ébahi devant la pyramide de Khéops, appréciant la démesure de l'œuvre.

C'est au cœur de l'Espagne du 15ème siècle, en prise avec l'inquisition, alors que les Maures subissent les affres de la reconquista, qu'il échafaude une intrigue donnant aux protagonistes l'occasion de faire assaut d'érudition. le lecteur que j'ai été a très vite jeté l'éponge dans sa tentative de résoudre l'énigme. Je me suis alors laissé porter, à dos de mulet, dans ce périple au travers de l'Espagne. J'ai vite compris qu'il servait de prétexte à l'auteur pour réaliser son rêve : voir coexister les représentants des trois grandes religions monothéistes dans une même quête. Cela confère à cette chasse au trésor un côté un peu artificiel, mais il y a tellement à prendre dans ces échanges philosophico-religieux que pas un moment je n'ai été tenté d'abandonner le voyage.

C'est un plaidoyer contre l'obscurantisme, le prosélytisme, l'intolérance. C'est une dénonciation des travers de chaque religion dont le dénouement nous fera comprendre la vanité. le but est avoué.

Ce parcours initiatique dans les textes sacrés est aussi une tentative pour Gilbert Sinoué de redonner à la Femme la place que le monothéisme, dans sa misogynie souveraine, lui a volée en faisant disparaître, en même temps que les idoles, les figures du féminin. Mais l'ivresse des sens est si forte chez l'espèce humaine que cette louable intention en restera là.
Le poids culturel de cet ouvrage à la documentation fouillée pourrait paraître indigeste à qui n'est pas féru des textes sacrés. Mais Gilbert Sinoué est un auteur au style gouleyant qui sait faire absorber du copieux. Ce style est épuré, il sécrète la sagesse avec des mots simples, employés dans leur plus adéquate signification avec l'arrangement le plus convenable pour conférer aux phrases la bonne portée.

C'est un ouvrage empreint de tempérance, quand les mœurs de l'époque ne s'y prêtaient guère, de couleur locale, de réflexion. Même si ma culture était un peu juste – il faut aussi savoir l'avouer - pour tirer le meilleur profit de cet ouvrage, je ne m'y suis pas ennuyé, bien au contraire. Je suis prêt à partir pour un autre périple avec Gilbert Sinoué, tant son transport est confortable et bonifiant. D'ailleurs le prochain est déjà sur ma table de chevet …


mardi 13 mai 2014

L'homme qui regardait la nuit ~~~~ Gilbert Sinoué

 


Le thème de la rencontre de deux êtres que le destin a brisés est un classique un brin racoleur dont le dénouement est souvent cousu de fil blanc. On ne prend toutefois pas le risque de consommer du réchauffé avec un auteur comme Gilbert Sinoué. La force suggestive de son écriture donne de la consistance à une intrigue qui sert aussi de prétexte à sécréter de profondes réflexions sur la nature humaine. Toutes les phrases ont leur poids de signification, aucune ne sonne creux.

Avec cet ouvrage, Gilbert Sinoué délaisse, l'espace de quelques chapitres, le roman historique pour la pure fiction, avec là encore quelques évocations auto biographiques aux fragrances orientales chères à l'auteur. Les rappels à l'histoire de cette époque au coeur de la Méditerranée ancrent cette fiction dans le contexte politique des lendemains de la Grèce des colonels. En promoteur de la tolérance, Gilbert Sinoué ne cache pas son aversion pour ce genre de régime autoritaire. Aussi fait-il des parents d'Antonia, l'un des deux héros de ce tête-à-tête improbable, son bras armé contre ce fléau de la dictature.

La construction de l'intrigue est habile. Théophane, chirurgien de renom, voit sa vanité lui éclater au visage au sommet de sa gloire professionnelle. Il est soudainement rabaissé à sa condition de mortel, celui dont « la lampe se consume ». le secret de son exil sera distillé subtilement tout au long de l'ouvrage, en particulier dans ce rapport curieux avec un personnage d'arrière plan dont on comprend au final qu'il est au centre de l'intrigue.

Le « pourquoi moi ?» hante chacun des deux protagonistes. Il est lourd de révolte face à l'impuissance de l'Homme dans la gouvernance de sa vie. Théophane ne supporte pas d'avoir été l'instrument du destin. Antonia renie sa vie dans le handicap alors qu'elle lui avait fait le cadeau de la beauté. Pour l'un comme pour l'autre le recours à la religion en exutoire salvateur est également exclu. On retrouve dans ce rejet le mépris de Gilbert Sinoué pour le sectarisme des religions monothéistes.
C'est un ouvrage sur la croisée des destins, d'interrogation sur les coïncidences, que certains qualifieront de hasardeuses que d'autres voudront porteuses de sens.

On passe un bon moment à Patmos à démêler les tourments de ces coeurs fracassés qui tentent de survivre en cherchant à revivre.

jeudi 8 mai 2014

La cathédrale de la mer ~~~~ Ildefonso Falcone

 


Je déconseille fortement la lecture de cet ouvrage à qui veut rester maître de son temps. Dans le train vous laisserez passer votre arrêt, votre rendez-vous chez des amis. C'est un livre qui vous soustrait à votre quotidien. On est emporté au fil des pages qui se tournent, et lorsque la lecture fait une pause, par obligation, il faut se réapproprier le présent.

Ce parcours de vie dans la Barcelone médiévale est rythmé, haletant, soutenu. Il n'y a ni longueur, ni relâchement.

C'est un ouvrage sur l'inhumanité des relations sociales du moyen-âge avec ses extrêmes dans les conditions de vie. C'est un ouvrage sur la force des sentiments, sans mièvrerie ni attendrissement. C'est un livre sur la tolérance entre religions quand le Christianisme revendique l'exclusivité.
On y ressent la douleur des corps sous le poids des charges, la moiteur de la peau dans le labeur exténuant, les odeurs pestilentielles des locaux d'incarcération, le frôlement de la peau duveteuse des rats dans les cachots, l'angoisse des esprits sous la menace de l'inquisition, la ferveur des consciences pour lesquelles la croyance est la seule bouée de sauvetage.

On touche la sécheresse des corps décharnés atteint par la maladie et la malnutrition. On s'imprègne du désespoir et de la résignation. On enrage d'injustice.

Heureusement qu'il y a le sourire de la Vierge.

C'est poignant de vérité, touchant de sensibilité, vibrant de ferveur, glaçant d'angoisse, mais aussi parfois palpitant de sensualité contenue. Les cinq sens sont mis à contribution dans ce roman d'immersion spatiale et temporelle. Mais aussi ce que ne perçoivent pas les sens et qui fait que des corps s'attirent, se repoussent, s'unissent, se déchirent.

Bien sûr il y a quelques raccourcis dans les parcours de vie qui s'écartent et se recroisent et mettent à mal la vraisemblance, mais globalement c'est criant de vérité, évocateur d'histoire.


dimanche 2 mars 2014

Le grand Cœur ~~~~ Jean Christophe Rufin


 

Ce roman nous entraîne dans l'entourage de Charles VII, un monarque à la personnalité peu avenante. Un être faible que l'histoire a pourtant retenu sous le qualificatif de « victorieux ». Il est vrai que sous son règne se termine la guerre de cent ans contre l'Angleterre. Mais Charles VII est un roi victorieux malgré lui. Aussi le second vocable que l'histoire a retenu lui convient-il mieux : Charles VII, le bien servi. A commencer par Jeanne d'Arc pour motiver ses armées, puis par Jacques Cœur pour remplir les caisses du royaume.

Le héros principal de ce roman historique est de la même façon célèbre malgré lui. Tout autant qu'Agnès Sorel, placée dans le lit du roi contre son gré, et qui finira par s'émouvoir de se voir supplantée dans ses faveurs. Il faut dire qu'elle a pris goût à côtoyer le pouvoir.

Cet ouvrage nous laisse l'impression d'un Jacques Coeur devenu la plus grande fortune de l'époque, en même temps que le grand argentier de Charles VII, sans l'avoir vraiment voulu. le succès dans les affaires collait à ses pas, les précédait même souvent, sublimé par une forme d'ironie du sort. Celle qui veut auréoler de gloire un personnage qui ne le cherche pas vraiment.

C'est l'époque ou l'on comprend que la Chevalerie a vécu. L'esprit chevaleresque avec son sens du panache et sacrifice n'est plus suffisant pour conduire la politique et combattre les ennemis du royaume. Il faut de l'argent, beaucoup d'argent, que les princes n'ont plus. La guerre se modernise avec l'apparition de l'artillerie, le courage des chevaliers n'est plus suffisant pour emporter la décision. La guerre coûte cher.

La bourgeoisie émerge comme nouvelle classe sociale. Elle est celle qui ne rechigne pas à s'abaisser à faire du commerce. Elle va bientôt tenir les princes désargentés à sa merci, en ayant la capacité de leur prêter de l'argent, et en venant au secours d'un pouvoir royal essoufflé par des décennies de guerre. Mais il est des travers qui franchissent les époques sans s'éroder à la modernisation. La jalousie en est un et Jacques Cœur y perdra sa liberté et au final sa vie.

Ce détachement de la gloire et de la fortune qui lui collent à la peau sans l'enfiévrer rend ce personnage sympathique. Sa connivence avec Agnès Sorel, dont l'Histoire ne dit pas jusqu'où elle est allée, a contrario de Jean-Christophe Ruffin, lui confère une dimension affective charnelle.

Jacques Coeur, qui avait une prédisposition à l'enrichissement, qui a côtoyé les grands de son siècle sans feindre son désamour pour les intrigues, était un homme au grand cœur. C'est la conviction de Jean-Christophe Ruffin. Il la communique aisément à son lecteur par la richesse de son verbe.

samedi 1 février 2014

L'attentat ~~~~ Yasmina Khadra

 


Amine, médecin d'origine palestinienne, a fait sa vie et sa carrière à Tel Aviv. Il vit et travaille parmi les Israéliens, avec eux. Il a réussi son intégration, sa vie professionnelle et affective. Il file le bonheur parfait avec sa femme, elle-même d'origine palestinienne. Ce pourrait être un modèle de réconciliation pour ces deux peuples qui se déchirent et revendiquent les mêmes terres en fouillant leur histoire réciproque pour y trouver les traces les plus anciennes de légitimité quant à leur occupation.

Le jour où un attentat de plus frappe les esprits, exacerbe les rancœurs, il est mis à contribution, en sa qualité de chirurgien, pour venir au secours des victimes. Ce à quoi il s'emploie avec le plus grand dévouement. Jusqu'au moment où l'effroi le saisit, lorsqu'on lui apprend que l'auteur de cet horrible attentat qui a tué 19 personnes, dont nombre d'enfants, n'est autre que sa propre femme.

Abattu, désarçonné, il plonge dans l'incompréhension la plus totale de ce geste fou. Il se reproche de n'avoir rien vu venir de la part de celle qui le comblait d'amour. Il s'en culpabilise. Il touche en outre du doigt les limites de son intégration. Catalogué comme un paria dans sa communauté d'origine, il est condamné sans jugement par sa communauté d‘accueil.
Commence alors pour lui le long et dangereux parcours dans la quête de la compréhension du processus qui a pu faire commettre à sa femme un acte aussi monstrueux.

Une telle mutation mentale d'une personne qui semblait avoir tout pour être heureuse dans une vie bien établie, ne peut résulter que de la manipulation méticuleuse d'un esprit, savamment construite. C'est ce même lavage de cerveau que l'auteur pratique chez son lecteur, au fil des pages en lui faisant finalement adopter la cause de ceux dont les leaders dogmatiques sont abattus par des missiles tirés à partir de drones, les populations démunies broyées par des armées suréquipées, leurs maisons détruites par les bulldozers israéliens.

Mais pourquoi pas, après tout ? Pouvait-on rester dans le parfait consensus de cet humanisme forcené. Yasmina Khadra déploie une stratégie efficiente, servie par une domination de la langue et un style maîtrisé, pour faire comprendre les états d'esprit et états d'âme. Il parvient à faire basculer le parti pris de son lecteur vers le camp de ceux qui n'ont que des moyens odieux pour faire connaître leur désarroi à la face du monde.