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Ouvrages par genre
mardi 27 février 2024
vendredi 2 février 2024
Les enfants sont rois ~~~~ Delphine de Vigan
"La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s'étonna de l'autorité qui émanait d'une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l'obscurité. "On dirait une enfant" pensa la première, "elle ressemble à une poupée" songea la seconde.
Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire."
A travers l'histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d'une époque où l'on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine De Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s'expose et se vend, jusqu'au bonheur familial.
jeudi 11 janvier 2024
Ce qu'ils disent ou rien ~~~~ Annie Ernaux
Les garçons ne souffrent pas du mal-être qui la taraude elle. Elle en est sûre. Ils sont d'une bêtise à pleurer. de toute façon, ils ne pensent qu'à une chose. Les graffitis dans les toilettes du collège le prouvent.
La construction et l'écriture de cet ouvrage participe grandement à l'illustration du chaos qui bouleverse l'esprit de la jeune fille. La transformation de son corps la projette dans le torrent impétueux de la vie sans plus savoir à quoi se raccrocher pour retrouver ce sentiment de sécurité que lui était jusqu'alors son foyer familial.
Cette confusion recherchée rend ce moment de lecture laborieux, mais tellement vrai. Il faut le prendre comme une prouesse de l'auteur à restituer ce que tout un chacun a connu dans cette période sa vie. Sauf peut-être ces balourds de garçons qui ne doutent de rien. Eux au moins ont un but. Moche, mais un but quand même. Quant aux parents, Ce qu'ils disent ou rien.
mardi 12 décembre 2023
Diderot, le génie débraillé ~~~~ Sophie Chauveau
Renonçant à la publication de certains de ses écrits de son
vivant, Diderot ambitionnait d’écrire pour la postérité. Opportune lucidité que
lui dictait la prudence. Il s’agissait de se protéger lui-même mais aussi sa
famille des foudres que son temps de censure ne manquerait pas d’attirer sur
lui de la part de ceux dont le niveau de tolérance n’allait quand même pas
jusqu’à admettre la critique. Mais Diderot était loin d’imaginer que cette
postérité serait aussi distante de lui qu’elle devrait attendre ce 21ème
siècle pour faire éclater des préceptes de vie en société que l’on peine encore
aujourd’hui à faire nôtres. La tolérance a encore du chemin à faire.
Il a trouvé en Sophie Chauveau une avocate ardente à faire
valoir l’incroyable modernité de ses pensées et l’immense talent qu’il a eu à
les mettre en mots, tant à l’oral de son vivant qu’à l’écrit désormais. Elle
attribue au personnage, quant à la promotion du 18ème siècle en
siècle des lumières, une plus grande part que celle que l’histoire a voulu lui
consentir.
Le baptisant Diderot, le génie débraillé, elle lui consacre ce
magnifique ouvrage. Il lie à merveille la part romancée et celle attestée par
les sources. Je reste admiratif du travail de recherche et de la mise en forme
de ce pavé qui ne dissimule rien de l’admiration qu’elle voue au personnage, à
mettre en avant l’intelligence subtile et la hauteur de vue de ce monstre de
talent, tout autant que l’avance sur son temps. Elle rend l’auteur de l’Encyclopédie
bougrement attachant et sait nous rallier à son engouement.
L’innovation dans le domaine des idées n’avait rien d’une
sinécure en ce siècle ou l’église régnait en maître sur les consciences. Les esprits
dits éclairés étaient confrontés à des institutions sclérosées, tant civiles
que religieuses, bouffies de leur pouvoir exorbitant jusqu’à disposer du droit
de vie et de mort. Monarchie, noblesse et clergé confondus, tous obnubilés
qu’ils étaient par la préservation de leurs privilèges. Aveuglés au point de ne
pas voir surgir la vague de fonds qui allait les engloutir quelques années
seulement après la disparition du philosophe. Sophie Chauveau se fait fort de lui
rendre la place qu’il mérite parmi les promoteurs des idées neuves du 18ème
siècle, déclassé qu’il fut par des Voltaire et autre Rousseau. Ce dernier ayant
à ses yeux fait montre d’une misogynie et d’un mépris de sa progéniture en
complet décalage avec les thèses développées dans ses ouvrages.
Véritable immersion en un 18ème siècle qui entretient
l’utopie de promouvoir l’humain au-dessus de la chape de convoitise et
d’appropriation, laquelle fige à dessein le peuple dans l’ignorance et
l’indigence, cet ouvrage de Sophie Chauveau n’est pas seulement une biographie,
il est un brillant plaidoyer en réhabilitation d’un jouisseur sublime.
« Mes pensées ce sont mes catins » écrit-il en
prologue dans Le neveu de Rameau. Et Sophie Chauveau d’intercéder pour que ses
errances libertines lui apportent un jour, peut-être enfin en ce siècle qui
connaîtra la compilation de ses œuvres, la juste rétribution d’un humanisme
certes hédoniste mais sincère et dépouillé de toute discrimination.
lundi 4 décembre 2023
Le fantôme de Philippe Pétain ~~~~ Philippe Collin
La France de Vichy, sujet
éminemment délicat à évoquer aujourd’hui encore. Il faut du doigté à un auteur
pour aborder avec impartialité cette page sombre de l’histoire de notre pays.
Dans Le fantôme de Philippe Pétain, Philippe Collin fait le point sur ce brûlot
de la mémoire collective de notre pays. Cette période au cours de laquelle
Philippe Pétain fut chef de l’État Français, depuis qu’il s’était vu remettre
les pleins pouvoirs en 1940, jusqu’à la défaite de l’Allemagne nazie, évoquant en
inévitable conclusion les dernières années du maréchal après son procès en 1945.
Il est aussi question comme de juste de la posture du général de Gaulle
vis-à-vis de son ancien chef. Attitude qui lui inspira cette expression comme
de Gaulle en avait le secret : « la vieillesse est un naufrage. »
Pétain avait 84 ans en 1940.
Philippe Collin est parvenu à
dépassionner le sujet en conduisant ce qu’on pourrait appeler une forme d’instruction
à charge et à décharge, interviewant des spécialistes de l’époque parmi les
plus éminents. Il destine à nous autres lecteurs d’un autre temps un recueil de
ces entretiens rendu d’autant plus vivant et passionnant qu’il s’offre à nous
sous forme d’un débat s’affranchissant de la stricte chronologie. Il s’agit d’analyser
comment un personnage, porté haut dans le cœur des Français de l’époque pour
avoir été le vainqueur de Verdun, a pu être conduit à commettre l’impensable.
Une belle réussite que cet ouvrage autorisé par une mémoire encore vive mais
avec déjà un recul suffisant.
mercredi 29 novembre 2023
La fabrique des pervers ~~~~ Sophie Chauveau
En amateur d'histoire que je suis j'apprécie les œuvres de Sophie Chauveau tant
du fait du formidable travail de documentation avec lesquelles elles sont
construites que de la qualité d'écriture qui les met en pages. Je suis en train
de lire Diderot,
le génie débraillé de sa main. J'avoue rester ébahi de la précision avec
laquelle elle peut y détailler la vie du père de l'Encyclopédie.
Mais las, depuis que j'ai lu celui pour lequel j'écris ces modestes
lignes, La
fabrique des pervers, je perçois les œuvres de Sophie Chauveau sous
un autre angle. En effet, quand tant d'autres auraient pu sombrer à assumer un
passé intime empoisonné, Sophie Chauveau s'est
elle réfugiée dans le travail pour produire des œuvres de
grande valeur historique et littéraire. Ce passé intime est celui de l'enfance
pervertie par l'abus sexuel d'un parent.
Si les autres ouvrages peuvent être imaginés comme ceux de la fuite et de
l'oubli par le travail, La
fabrique des pervers serait donc pour son auteure celui de la
thérapie. Enfin.
Mais aussi et peut-être surtout un livre en forme d'espoir pour les autres
victimes de pareille souillure de la part de personnes supposées garantir à
l'enfant la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir. Des victimes qui n'ont
pas encore pu se libérer par la parole. Un livre pour leur dire que l'on peut
en revenir. A condition de bien parvenir à faire reporter la faute sur les
vrais coupables : ceux qui commettent le crime d'inceste. Un livre pour ne pas
assumer les torts de mauvaise action ou de passivité, fussent-ils ceux de
parents.
Mais aussi encore un livre de mise en garde pour des victimes potentielles de
ce crime, de leur entourage proche qui se rendrait tout autant condamnable en
fermant les yeux. le huis-clos familial est le contexte dans lequel une victime
potentielle est la plus vulnérable. Ecartelée qu'elle est entre la part d'amour
qu'elle éprouve à l'égard de ses parents et la part de rejet que lui inspire ce
qu'elle ne comprend pas encore comme une agression mais bien comme une
anormalité dans la relation filiale.
Il faut dire que Sophie Chauveau a
de qui porter le poids de l'indignité s'agissant de la famille dont elle est
issue, au sein de laquelle des relations coupables se sont entretenues durant
des générations. Profitant d'époques où la voix de l'enfant était étouffée par
des codes sociaux et moraux qui ne l'instituaient pas en tant que personne. Au
grand avantage de pervers qui jouissaient quant à eux de leurs pulsions sans
crainte ni retenue et donnaient de la personne une idée déshonorante.
Bravo à Sophie
Chauveau pour cette libération et pour l'espoir qu'elle procure à qui
n'est pas encore parvenu à émerger d'un passé gangrené par de tels
comportements, faisant de l'enfant un objet d'assouvissement et non un adulte
en devenir.
mercredi 22 novembre 2023
Olympe de Gouge ~~~~ Benoîte Groult
Ce n’est pas seulement une biographie d’Olympe de Gouge que
nous propose Benoîte Groult, c’est surtout un recueil de ses idées de femme
lucide sur la condition de son sexe. L’autre sexe ainsi que le qualifie Simone
de Beauvoir. Celui qui depuis l’aube des temps vit dans l’ombre de la mâle
domination. Idées qu’Olympe de Gouge a traduites en d’innombrables textes
placardés dans la capitale ou adressés aux tenants du pouvoir dans la frénésie
de son combat. Idées qu’elle a aussi mises en scène dans les pièces de théâtre de
son cru.
Des idées très avancées sur son temps. En ce sens qu’il n’était
pas prêt à les recevoir. Mais de toute façon très en retard sur ces millénaires
d’apparition de l’humanité sur terre. On dirait aujourd’hui qu’elles étaient
très modernes ces idées. Sans doute pour dire qu’elles nous semblent encore
d’actualité.
Son tort a été de les clamer haut et fort ces idées, à la
face de ceux qui, bien qu’eux-mêmes initiateurs de procès en crimes contre le
peuple devenu souverain, avaient oublié que le peuple est constitué pour moitié
de femmes. Ils n’étaient donc pas prêts à faire leur propre procès pour avoir
tenu sous le joug celle à qui ils ont imposé leur supériorité, forcément
usurpée. Olympe de Gouge a cru pouvoir initier une autre révolution dans la Révolution.
Elle ne réclamait ni plus ni moins que le droit de monter à la tribune
puisqu’on lui opposait celui de monter à l’échafaud.
Emancipation de la femme, plaidoyer pour le droit au divorce
à son initiative et un statut équitable pour les enfants naturels, mais aussi abolition
de l’esclavage, création d’une caisse patriotique, forme de sécurité sociale qui
ne disait pas encore son nom, d’un théâtre national en contre-poids d’une
Comédie Française monopolisant la création, ouverture de maternité offrant de
bonnes conditions sanitaires aux femmes en couche, le tout porté par une
déclaration universelle des droits de la femme, tels étaient ces idées
d’avant-garde étouffées par des millénaires de soumission. Une révolution qui dans
sa grande naïveté irait au bout de celle engagée en 1789. Une révolution que
les tenants du pouvoir du moment ont travesti en contre-révolution, afin de ne
rien perdre des prérogatives qu’ils venaient de s’arroger à grand renfort de
têtes coupées. La monarchie était tombée mais pas le patriarcat.
On n’en attendait pas moins de Benoîte Groult dont on
connaît la pugnacité en termes de combat pour que non seulement notre siècle
connaisse enfin l’équilibre, mais aussi pour que s’établisse la reconnaissance
de l’usurpation de statut au bénéfice du seul mâle. Que soient moqués ceux qui
se sont rendus illustres aux yeux de leur congénères en proclamant des sentences
du style : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et
l’homme. Et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la
femme. » (Pythagore au 5ème siècle avant notre ère).
Bel hommage de Benoîte Groult à celle dont le courage,
poussé à l’inconscience, l’a fait monter à l’échafaud, sans renier ses
convictions, convaincue de son bon droit. Ce que Benoîte Groult restitue bien à
la lecture de son texte, c’est la solitude de cette femme dans son combat.
Abandonnée par son père naturel auprès d’une famille d’adoption, elle forgea elle-même
sa propre culture, mena seule son combat pour que soit réservée à la femme une
autre condition que celle destinée à élever les enfants de son époux. Elle n’a pourtant pas trouvé le levier propre
à soulever l’enthousiasme de ses contemporaines. Même son propre fils
l’abandonna à son rêve d’une société juste et équilibrée.
Les deux premiers ouvrages que j’avais lus de la main de
Benoîte Groult avait forgé mon engouement pour cette auteure. J’ai été comblé de
pouvoir, grâce à elle, faire la connaissance de cette femme d’autant plus
méritante que son combat fut solitaire à une époque où l’on ne risquait rien moins
que sa vie pour faire valoir ses idées.
jeudi 7 septembre 2023
Le dernier bain ~~~~ Gwenaële Robert
Charlotte Corday n'était pas la seule à vouloir faire disparaître Marat. Dans l'entonnoir qui filtre les intentions, les hasards et les circonstances pour les focaliser vers un dénouement, la jeune et belle aristocrate fut celle qui y parvint. Il faut dire qu'à ses qualités physiques elle adjoignait détermination et courage.
dimanche 27 août 2023
Fragonard, l'invention du bonheur ~~~~ Sophie Chauveau
On peut reprocher beaucoup de chose à Internet, au rang
desquelles celle de voler des heures de lecture aux surfers impénitents, mais
lorsqu'on lit la biographie d'un artiste peintre comme je viens de le faire
avec celle de Fragonard par Sophie Chauveau,
on bénit cette technologie moderne de nous donner accès à la visualisation des œuvres
de l'artiste.
Les biographies d'artistes ont quelque chose de plus que les autres. Cette même
chose qui fait d'eux des êtres inspirés, capables de capter des ondes destinées
à eux seuls et les rendre accessibles à autrui. Ça s'appelle le talent. A leur
préjudice ils sont souvent des précurseurs dans les courants de leur art et ne
trouvent malheureusement de popularité qu'à titre posthume.
Tel ne fut pas le cas de Fragonard. Il a vécu de son art. Avec d'autant plus
d'intelligence que son époque fut parmi les plus troubles de l'histoire. La
guillotine de la Terreur n'était-elle pas implantée sous ses fenêtres, ou
presque.
Tout cela nous est conté avec luxe de détails par Sophie Chauveau.
Au point d'appesantir son ouvrage de quelques longueurs. Mais l'œuvre
considérable de Fragonard ne pouvait que susciter l'épanchement devant pareil
talent. Elle qui s'est faite spécialiste des biographies d'artistes a voulu
donner corps à son ouvrage et justifier le titre qu'elle lui a conféré :
l'invention du bonheur. Bel ouvrage qui peut nous rendre qu'admiratif du
travail de recherche et documentation de son auteure.
mardi 18 juillet 2023
mardi 13 juin 2023
Mon enfant de Berlin ~~~~ Anne Wiazewsky
Un ouvrage autobiographique d'avant naissance si l'on peut dire puisqu'il
évoque l'histoire d'amour de ses parents. Une histoire somme toute assez
banale. Et pauvrement restituée. Sauf à décréter que lorsqu'il s'agit d'amour
banalité et pauvreté ne sont plus de mise. Surtout lorsque le contexte est
celui de Berlin à la toute fin de la seconde guerre mondiale. Une ville en
ruine ou errent des rescapés affamés, pétris de la peur incrustée en chaque
cellule de leur corps par les bombardements alliés puis par l'entrée dans la
ville d'une armée rouge bouffie de vengeance. Claire Mauriac y était alors
membre De
La Croix rouge particulièrement chargée du rapatriement des
prisonniers des camps. Une mention spéciale y est faite au bénéfice des «
malgré-nous », ces Alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht, considérés
comme allemands par les Russes et donc traités comme tels. Yvan Wiazemsky ayant
beaucoup œuvré pour extirper quelques de ces malheureux des griffes de ses ex
concitoyens.
Mon
enfant de Berlin est en fait Anne, l'auteure de cet ouvrage. Le titre
est trompeur, puisque Anne est la narratrice externe de cet ouvrage, ne se
déclarant pas fille de sa mère qu'elle appelle par son prénom. Anne construit
son ouvrage sur la base des correspondances de sa mère avec sa famille. Cela en
fait une trame décousue que ne restructure pas le liant de la narration. Le
style des lettres de sa mère, souvent altéré par les circonstances de leur
rédaction et le caractère précipité et aléatoire du départ des courriers, n'est
corrigé ni par la construction de l'ouvrage ni par le style personnel d'Anne
Wiazemsky quelque peu indigent. L'ouvrage perd en plaisir de lecture.
Mais de toute lecture il faut tirer bénéfice. On le fera dans cet ouvrage avec
la remise en mémoire du sort de tous ceux, les plus humbles comme souvent, qui
ont pâti de l'appétit de pouvoir de leurs dirigeants. « le pouvoir est la
consolation des ratés » nous dit Platon. Une consolation
bien chère payée par les crédules qui se sont laissé ensorceler au discours
nauséabond.
jeudi 20 avril 2023
Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco
J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous
autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces
gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un
attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait
la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils
en espéraient de quoi subsister.
Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous
convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent
de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté
d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à
craindre pour la récolte.
Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie
maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires
sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur
ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à
l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même
un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a
perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.
Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les
états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la
prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant
qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en
ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente
tant son courroux est craint.
Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de
travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand
les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que
part regard à la dérobée et rougeur au visage.
Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour
chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature
sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui
voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que
les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante
ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à
ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des
vivants.
Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur,
l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où
l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes
de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une
écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail
accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.
mardi 4 avril 2023
Giono, furioso ~~~~ Emmanuelle Lambert
J'ai adoré cet ouvrage
de la main d'Emmanuelle Lambert. Elle évoque la vie de Jean
Giono sans en dresser la froide biographie. Sa vie et son œuvre
dois-je préciser, ou plutôt sa vie à partir de son œuvre. Ses ouvrages les plus
connus comme ceux restés presque confidentiels. Ces derniers surtout dans
lesquels elle est allée dénicher les pans les plus intimes de la personnalité
de l'écrivain. Ceux qui à défaut de briguer la célébrité dévoilent des dessous,
des travers aussi bien que des qualités étouffées par la pudeur. Comme cet
amour qu'il vouait à son père, sans jamais le dire ou l'écrire, ou celui dirigé
vers son ami Louis dont la guerre a enseveli l'innocence dans la boue des
tranchées. Autant de sentiments qu'il faut trouver entre les lignes, ou dans ce
regard un brin malicieux de son auteur.
Emmanuelle Lambert fait naître une intimité avec son sujet. Elle s'adresse à
lui dans cet ouvrage, lui témoigne son assentiment quand il se déclare
pacifiste après la première guerre mondiale, écologiste avant l'heure quand il
voit ses contemporains mépriser les campagnes, mais elle l'admoneste aussi
quand il a une position beaucoup plus ambigüe durant la seconde guerre
mondiale. Mais toujours elle admire l'auteur. Elle aime celui qui sait parler
au cœur, trouver et arranger les mots qui font vibrer l'être intérieur. Elle
l'intronise comme l'un des plus grands stylistes de la langue française.
Formidable ouvrage fait d'une écriture riche, érudite et sincère. Un ouvrage
très personnel quand Emmanuelle Lambert entremêle des pans de sa propre vie
dans sa démarche à la rencontre d'un Giono qu'elle est allée dénicher
dans ses murs à Manosque. Regrettant que les palmiers qui font le décor de
certaines photos de l'auteur soient dévorés par le parasite qui a gagné toute
la Provence. C'est une partie de Giono qui se dissout dans le
temps. Son ouvrage à elle a lui aussi ses tournures poétiques et allégoriques
qui lui confèrent la chaleur de l'amitié. Si ce n'est plus. Ouvrage d'une
passionnée à l'égard d'un écrivain pétri d'émotions. Avec cette pointe
d'amertume à l'égard de l'espèce à laquelle il appartenait quand elle se
fourvoyait dans la guerre ou dans la destruction de son milieu de vie. Très bel
ouvrage, incitatif à se précipiter vers ceux de son sujet pour se frotter à
l'âpreté des caractères de personnages qu'il a si bien dépeints.
Interventions ~~~~ Michel Houellebecq
« On arrive parfois, partiellement (j'insiste sur « parfois » et « partiellement ») à communiquer par l'écriture des choses qu'il serait impossible à communiquer autrement ; et ce qu'on écrit n'est souvent qu'un faible écho de ce qu'on avait imaginé d'écrire. »
Interventions - Michel
Houellebecq - éditions J'ai Lu page 458.
Cet ouvrage se présente comme un recueil de réflexions que l'auteur a eu
l'occasion de se faire, d'entretiens qu'il a tenus avec untel ou un autre sur
la période allant du début des années 90 au confinement du covid en 2020. Il a
le grand mérite de faire parler son auteur non plus par personnage interposé –
comme dans ses romans - mais par lui-même. le « Je » est bien celui de MH.
Cela fait de cet ouvrage un éclairage très intéressant quant à son auteur pour
celui qui, comme j'ai pu le faire, a lu nombre d'ouvrages (exceptées les œuvres poétiques)
de sa main. Auteur qui ne laisse pas son lectorat indifférent, c'est sa marque
de fabrique. MH a su se faire des adeptes, dont je suis et pas seulement pour
les allusions à connotation sexuelle qui foisonnent dans ses pages, mais aussi
des ennemis. Mais n'est-il pas vrai que celui qui n'a pas d'ennemis, n'a rien
fait dans sa vie.
Car pour se faire des ennemis il suffit de bannir du discours hypocrisie et
faux semblant ; en un mot de bannir ce que MH exècre par-dessus tout : le
politiquement correct (page 213). Tendance de l'époque qui fait que plus
personne ne parle de sincérité et préfère se couler dans un moule formaté par
des codes de convenance consensuels et creux.
« Je n'ai pas envie de me laisser emmerder par les humanistes » clame MH (page
320). En particulier ceux qui formatent l'opinion et font que plus aucun
discours n'est de vérité, mais lissé, standardisé, un peu comme les images
qu'on nous déverse désormais à flot continu, lesquelles sont tellement
nettoyées par la crème anti âge numérique qu'elles n'ont plus grand-chose à
voir avec la réalité.
On avait compris, et il le scande dans cet ouvrage, que son combat est celui de
la liberté d'expression qu'il défend bec et ongles. Dût-il pour attirer
l'attention parler crument des choses que d'aucuns n'osent même évoquer à voix
basse en prenant garde d'être entendu. La provocation est aussi un moyen de
réveiller les esprits anesthésiés par ledit langage politiquement correct. Car
si le discours de convenance est une belle vitrine il cache au chaland le
contenu de l'arrière-boutique : un monde gouverné par « l'attractivité érotique
et l'argent » au credo de chacun pour soi. Et Dieu pour personne désormais,
depuis que Nietzsche a
annoncé Sa mort et que Sa créature, bien qu'elle soit « un animal social de
type religieux » se divertit de sa condition de mortel par la fête.
Notre monde, notre société, notre temps, ils ne les aiment pas. Pas plus que
lui-même d'ailleurs. (Page 217) Mais il aime la littérature qu'il consomme sans
modération. Ses envolées et ses références philosophiques nous font comprendre
que sa culture n'est pas comme la confiture qu'on étale d'autant plus qu'on en
a peu, sa culture à lui est bien consistante. Cet ouvrage le confirme au point
que l'hermétique à toute philosophie s'en trouvera à la peine.
MH aime aussi se savoir lu. Quel écrivain dirait le contraire ? Aimé ou détesté
peu importe. Il y a toujours un message qui passe et lui survivra quand il sera
entré dans l'histoire. Avec cette ambiguïté de ne pas avoir d'estime de soi et
vouloir en même temps marquer la postérité.
Il est un autre combat que la personnalité et les écrits de MH confirment dans cet ouvrage, c'est celui du respect de la vie, de la personne humaine, fût-elle réduite au sommeil profond végétatif. La société qui prône la jouissance de la vie doit aussi en assumer les déficiences. Jusqu'au bout du bout et ne laisser qu'au Mystère (puisque Dieu est mort) qui préside à nos destinées le droit d'y mettre un terme.
Et de plaider quand même parfois pour son prochain – et pourquoi pas son lecteur : « L'homme est un être de raison – si on veut, cela arrive de temps en temps. Mais il est avant tout un être de chair et d'émotion : Il serait bon de ne pas l'oublier. » (Page 441).
De religion, de toutes les religions il est forcément beaucoup question dans cet ouvrage. Quand on parle de philosophie, la religion n'est jamais très loin pour tenter de lui reprendre la vedette. Aussi parmi les interventions sur le sujet, j'ai eu un faible pour la citation des Frères Karamazov qui n'a pas échappée à MH lorsque « Dostoïevski s'en prend à l'Église catholique, en particulier au pape et aux jésuites. Revenant sur terre, le Christ est aussitôt emprisonné par les autorités ecclésiastiques. Le grand inquisiteur, venant lui rendre visite dans sa cellule, lui explique que l'Église s'est très bien organisée sans lui, qu'ils n'ont plus besoin de lui – et que, même, il les dérange. Il n'a donc d'autre choix que de le faire exécuter à nouveau. » (Page 422).
L'adepte de MH sera, avec cet ouvrage confirmé dans son inclination. Son détracteur pourra moduler sa répugnance avec ces Interventions qui si elles nous confirment que l'auteur aime bien bousculer son monde, n'en restent pas moins au-dessus de la ceinture.
samedi 25 février 2023
Il était une fois Lamartine ~~~~ Sylvie Yvert
« Malheureux les hommes qui devancent leur temps, leur temps les écrase. » A. de Lamartine.
Comment définir cet ouvrage : biographie, roman historique ou mémoires d'une
épouse aimante ? le genre qu'on lui attribuera ne changera toutefois pas le
plaisir que j'aie eu à le découvrir, et son auteure par la même occasion. J'ai
beaucoup aimé le jour sous lequel Sylvie Yvert aborde la vie
d'Alphonse de Lamartine.
Epouse fidèle, admiratrice, l'artiste peintre anglaise Mary-Ann Birch devenue
par mariage Elisa de Lamartine intervient en tant que narratrice de cet
ouvrage. Cela confère à ce dernier une chaleur exceptionnelle pour le genre.
C'est un cœur qui parle. L'auteure ne reprenant la main que lorsque l'épouse
quitte ce monde, 6 ans avant son cher époux. Laissant ce dernier dans une
solitude noire. Les Lamartine avaient perdu leurs deux enfants en bas âge.
Lamartine n'était pour moi que poète romantique, certes un peu mélancolique.
Grâce à Sylvie Yvert j'ai redécouvert l'homme politique, même si le
poète n'est jamais absent de ce portrait, favorisant en particulier le talent
d'orateur de l'homme à la tribune. On se remet à l'esprit ou on découvre selon
sa culture avec cet ouvrage le rôle déterminant tenu par Lamartine lors de la
révolution de 1848 laquelle a porté Louis-Napoléon Bonaparte à la
présidence de la République.
L'orientation politique De Lamartine sera l'ambiguïté qui lui vaudra
l'échec de sa carrière. Il la définit en ces termes : « Je trouve que je suis,
au fond, bien plus près de ce que j'étais alors, monarchiste de raison, libéral
de tendance, anti-anarchiste de passion, bourbonien légitime de justice et
d'honnêteté, républicain d'occasion et d'idéal. »
Quinze années de vie politique pour le poète qui font l'ossature de cet
ouvrage. Lamartine qui était issu de petite noblesse a déployé son talent et
son énergie à défendre les intérêts des humbles - doux euphémisme pour
qualifier ceux qui vivaient parfois dans des caves insalubres - rejoignant de
ce point de vue les idées des socialistes qu'il combattaient pourtant. Il
rêvait d'une société juste et équitable et a déployé toute son énergie à agir
en modérateur des extrêmes. Il a fait montre dans son combat politique du plus
grand humanisme. Il a eu avec sa foi religieuse la même valse-hésitation,
reprochant à l'Ordonnateur des choses de ce monde d'avoir perturbé l'ordre de
succession en lui prenant ses enfants.
Avec la crainte de revivre les années noires de la Terreur, à trop vouloir
tempérer les extrêmes, sa carrière politique s'est arrêtée avec son échec à
l'élection de 1848. Et je sais désormais grâce à Sylvie Yvert pourquoi
je n'avais retenu que le poète au détriment du politique, c'est son ami le
député Cormenin qui nous le dit : « Vous vivrez, illustre poète, quand les
maîtres actuels de la parole ne vivront plus… et quand deux ou trois noms seuls
surnageront dans le vaste naufrage de nos gouvernants éphémères. »
Par la voix de son épouse, Sylvie Yvert nous fait pénétrer l'intimité
de ce couple solidaire, accablé par le malheur de la perte de ses enfants et en
proie aux incessantes difficultés financières, lesquelles ne lui ont pourtant
jamais fait perdre sa dignité. Allant jusqu'à refuser la pension que le Prince-président
voulait lui allouer pour faire face à ses charges.
J'ai beaucoup apprécié le parti pris par Sylvie Yvert pour aborder la
vie d'Alphonse de Lamartine, celui de donner la parole à celle qui a été son
soutien indéfectible dans les épreuves qu'ils ont endurées sur les plans
familial et professionnel. Couple modèle, uni, généreux, aimant, qui a été le
ferment de l'inspiration du poète. Heureusement que les succès d'édition du
poète de son vivant sont venus contrebalancer ces déboires, même s'ils ne
permettaient pas de couvrir les dettes. Son épouse a toujours été son premier
lecteur et correcteur.
A défaut d'écouter l'orateur politique, fût-il brillant mais sans doute pas
assez convainquant, écoutons le poète retrouver en rêve la fille aimée :
Mes lèvres ne savaient d'amour où se poser ;
Elle les appelait comme un enfant qui joue,
et les faisait flotter de sa bouche à sa joue,
qu'elle dérobait au baiser!
….
« Julia! Julia! D'où vient que tu pâlis ?
Pourquoi ce front mouillé, cette couleur qui change ?
Parle-moi, souris-moi ! Pas de ces jeux, mon ange !
Rouvre-moi ces yeux où je lis ! »
…
Eh bien ! Prends, assouvis, implacable justice,
d'agonie et de mort ce besoin immortel;
moi-même je l'étends sur ton funèbre autel.
Si je l'ai tout vidé, brise enfin mon calice !
Ma fille, mon enfant, mon souffle ! La voilà !
La voilà ! J'ai coupé seulement ces deux tresses
dont elle m'enchaînait hier dans ses caresses,
et je n'ai gardé que cela! ».
La chambre des diablesses ~~~~ Isabelle Duquesnoy
lundi 5 décembre 2022
Divine Jaqueline ~~~~ Dominique Bona
🌕 🌕 🌕 🌗 🌚
Pour avoir déjà pu apprécier l'écriture de Dominique
Bona, je me préparais au plaisir de retrouver son style séduisant rehaussé
d'érudition en portant mon choix sur cet ouvrage. Il me ferait connaître un
personnage dont je n'avais jusqu'à ce jour jamais entendu parler, et pour
cause.
La cause étant que mon univers de vie et mon rayonnement sont à des
années-lumière de celui de cette célébrité qu'est Jaqueline de Ribes. Aussi
puis-je affirmer dès lors, en refermant cet ouvrage, que si un jour quelqu'un
de mal inspiré s'avisait d'écrire ma biographie, à côté de ce que je viens de
lire le rendu aurait la consistance de celle d'un être disparu de la mort
subite du nourrisson.
La qualité de pareil ouvrage doit autant au sujet de cette biographie, qu'à son
auteure. À personne exceptionnelle il fallait un auteur, et en l'occurrence une
auteure, qui soit à la mesure. Dominique Bona était toute désignée
pour cet exercice ô combien périlleux, Jaqueline de Ribes étant encore de ce
monde. La question se pose alors de savoir s'il s'agit d'une biographie ou de
mémoires. La subjectivité change de camp selon le cas.
La joie de retrouver Dominique Bona dans son exercice favori qu'est
la biographie a cette fois été tempérée. Si le style est toujours aussi
brillant, le sujet m'a quelque peu blasé. Des descriptions à n'en plus finir,
de tout ce qui peut mettre en valeur une silhouette de rêve et la mettre en
scène au cours de galas, bals, dîners, réceptions, dans une forme de fuite en
avant vers la séduction. Ce qui fait de cet ouvrage un véritable défilé de mode
sous les yeux ébahis, si ce n'est envieux, des spectateurs de l'élégance faite
femme et superbement retranscrite par Dominique Bona. Une fuite en avant,
mais pourquoi pas aussi une forme de revanche sur le désamour dans lequel l'a
abandonnée une mère dédaigneuse de sa descendance.
L'ouvrage devient plus intéressant lorsque Jaqueline de Ribes se lance
elle-même dans l'aventure de la création en fondant sa propre marque. Sous l'œil
pour le moins avisé, excusez du peu, mais néanmoins attendri des déjà grands de
la profession : Dior, Saint-Laurent, et consorts. Entreprise dans laquelle elle
se voit couronnée de succès artistique, mais pas financier.
Sujet et mise en forme font de cette biographie un ouvrage d'une esthétique
rare, certes empesé d'un narcissisme exacerbé, mais qui réconcilie avec l'a
priori défavorable que peut laisser planer une naissance favorisée par le
milieu et la beauté, tant Jaqueline de Ribes s'est investie pour sublimer et
faire rayonner au travers de sa personne, au-delà de la femme, la féminité.
La prouesse de l'auteure étant de ne pas faire assaut de superlatifs comme en
déploie trop souvent les discours au vocabulaire indigent mais de mettre en œuvre
dans son propos le même luxe que celui qui fait briller son sujet de mille feux
à la face du monde. Car l'univers de Jaqueline de Ribes est tout sauf étriqué,
sauf commun, sauf modeste. Ce qui la qualifie le mieux dans ce que j'ai compris
de son personnage est sans doute cette phrase que Dominique Bona a
extraite des nombreux entretiens qu'elle a eus avec la Divine Jaqueline : « Je
suis née un 14 juillet, j'ai mis évidemment un peu de révolution dans la
maison, j'espère avoir mis aussi un peu de feux d'artifice. »
vendredi 12 août 2022
Le grand monde ~~~~ Pierre Lemaitre
J'ai la certitude que, dans le même temps où je poste sur
Babelio ces petites phrases qui ne feront jamais de moi un candidat à
l'édition, Pierre
Lemaître est à sa table de travail pour nous concocter la suite de cet
ouvrage que j'ai absorbé goulument. À sa table de travail, du côté de ce
Fontvieille où ne tourne plus beaucoup les ailes de moulin mais où je suis
obligé de croire que descend encore de l'azur limpide l'onde pure qui a inspiré
un autre conteur. Celui-là même qui nous fit entendre la plainte d'une chèvre
guettée par le loup.
Dans leur naïve croyance en une justice en ce bas monde, ceux qui ont lu le grand
monde se disent qu'on ne peut en rester là. Ce n'est pas possible. On
ne peut pas jeter aux oubliettes la mémoire de ceux, et surtout celles, qui
l'ont été physiquement. Pierre Lemaitre ne
va tout de même pas les renvoyer à une justice divine dont on ne connaît les
rigueurs que de propos imaginés par des prêcheurs en mitre et chasuble. Il y
aura donc une suite au Grand monde.
Car monsieur Lemaitre sait
mieux que quiconque que l'humaine nature qui a fomenté tant de guerres, tant de
subterfuges pour nourrir sa cupidité va lui donner du grain à moudre pour faire
languir des lecteurs naïfs à quémander amour et justice. Pour qu'enfin
l'honneur de la créature se glorifiant immodestement d'intelligence soit sauf,
avant que de se présenter devant Celui qui l'a créée. Si l'on en croit le
scénario imaginé par une croyance laquelle veut battre en brèche les tenants de
la raison.
Auteur n'a jamais si bien porté son nom. Est-ce par malice de la généalogie
que Lemaitre s'écrit
en un seul mot et escamote l'accent circonflexe. Car il pourrait bien se dire
le maître de l'intrigue, du romanesque ce monsieur. Utiliserait-il un
pseudonyme qu'il pourrait reproduire la supercherie mise en oeuvre par un
ancien qui avait la vie devant soi pour leurrer l'Académie. Car nous le savons
tous, le Goncourt c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. La
gageure étant de vivre après. Et vivre pour un écrivain, c'est écrire. C'est
être lu. C'est être à la hauteur de l'attente suscitée par la consécration.
Aussi disons-le tout net, pour nous adresser des fictions qui s'insèrent si
bien dans les replis de l'histoire sans que des coïncidences assassines
viennent raccrocher les faits les uns aux autres, en tirant à rebours les fils
de l'écheveau pour nous ramener en ce lendemain de la grande boucherie où la
valse des masques tentait de dissimuler la monstruosité de ceux qui avaient
perdu figure humaine, pour nous adresser des fictions qui glissent si bien sous
nos yeux écarquillés et s'insinuent dans nos esprits à leur faire oublier le
quotidien morose, pour tout cela, pour nous ses lecteurs anxieux d'une suite,
sans doute aussi dépourvue de vertu que la nature humaine est bouffie de
suffisance, Lemaitre pourrait
s'écrire le maître.
Et me voilà donc piégé à guetter la suite. Ça s'appelle le talent ou je n'y
connais rien.
dimanche 3 juillet 2022
L'air était tout en feu ~~~~ Camille Pascal
Les férus d'histoire sauront que la succession de Louis
XIV, si elle revenait à un autre Louis, quinzième du nom, a franchi plusieurs
générations pour incrémenter le nom d'une unité. Louis XV était en effet
l'arrière-petit-fils de celui qui détiendra pour toujours le record de
longévité sur le trône de France. Cette longévité, si elle a été une
bénédiction pour le roi que l'histoire a attaché à l'astre solaire l'a aussi affublé
de la malédiction de voir disparaître avant lui ses fils et petits-fils. Autant
de prétendants à sa succession selon la règle de légitimité se réclamant de
droit divin.
Le Très-Haut accordant ce droit n'ayant cure de bon ordre et de logique en matière
de succession, l'arrière-petit-fils en question n'ayant pas atteint la majorité
requise de 13 ans, le sort du royaume fut remis entre les mains d'un régent,
Philippe d'Orléans, neveu de Louis XIV. Intérim disputé par des convoitises
arguant de plus directe lignée. Il y avait donc matière à ourdir quelque
complot pour contester le testament du grand roi. C'est de cette période de
trouble dont nous entretient Camille Pascal dans cet ouvrage. L'artisan de la
conjuration étant le prince de Cellamare, l'ambassadeur en France du roi
d'Espagne Philippe V, lequel n'était autre que petit-fils de Louis XIV.
On peut avoir en détestation l'idée que le seul hasard de la naissance soit
source de privilèges, qui plus est se réclamant de droit divin, et pour autant
apprécier la relation qui en est faite par cet auteur à la plume si subtile.
Une chose à ne pas retirer à cette classe auto proclamée de droit divin, est la
qualité de la langue qu'elle met en oeuvre pour faire valoir ses arguments,
certes fallacieux, d'appropriation du pouvoir. Se réclamant d'un dieu que
l'église, grande bénéficiaire des avantages et privilèges de l'obscurantisme
prévalant, se garde bien de contester.
Le grand profit de pareil ouvrage se trouve dans la qualité de la langue mise
en oeuvre par son auteur. Restituant avec le plus grand bonheur la préciosité
et souvent aussi la causticité de ce langage de cour qu'affectionnait la classe
se réclamant de la plus haute naissance, de sang royal. Fût-il corrompu par les
alliances consanguines. La qualité de la grammaire mise au service du discours
diplomatique, surtout lorsque ce dernier est rehaussé des précautions du
contexte de la conjuration, laisse la bride sur le coup à un auteur tel que
Camille Pascal, avec l'habileté qui est la sienne dans les subtilités de ce
langage, pour nous soumettre un chef d'oeuvre de sophistication stylistique
bien au fait de l'étiquette.L'auteur nous fait par ailleurs la brillante démonstration de la conviction de
son bon droit de cette élite auto proclamée. Sa maîtrise des faits historiques
et de la langue pour les restituer est une formidable projection dans ce cercle
restreint convaincu de légitimité au point de ne pas voir venir la lame de
fonds qui l'emportera quelques décennies plus tard. C'est une transposition historique,
certains diront en langage plus moderne une téléportation, que nous offre ce
talent d'auteur avec la restitution des péripéties de cette succession qui,
comme souvent, a aiguisé les appétits voraces des prétendants au festin royal.
L'écriture de Camille Pascal est un régal à qui apprécie l'histoire quand elle
est rapportée avec toutes les tournures, nuances, subtilités et sonorités
qu'autorise notre belle langue.