En amateur d'histoire que je suis j'apprécie les œuvres de Sophie Chauveau tant
du fait du formidable travail de documentation avec lesquelles elles sont
construites que de la qualité d'écriture qui les met en pages. Je suis en train
de lire Diderot,
le génie débraillé de sa main. J'avoue rester ébahi de la précision avec
laquelle elle peut y détailler la vie du père de l'Encyclopédie.
Mais las, depuis que j'ai lu celui pour lequel j'écris ces modestes
lignes, La
fabrique des pervers, je perçois les œuvres de Sophie Chauveau sous
un autre angle. En effet, quand tant d'autres auraient pu sombrer à assumer un
passé intime empoisonné, Sophie Chauveau s'est
elle réfugiée dans le travail pour produire des œuvres de
grande valeur historique et littéraire. Ce passé intime est celui de l'enfance
pervertie par l'abus sexuel d'un parent.
Si les autres ouvrages peuvent être imaginés comme ceux de la fuite et de
l'oubli par le travail, La
fabrique des pervers serait donc pour son auteure celui de la
thérapie. Enfin.
Mais aussi et peut-être surtout un livre en forme d'espoir pour les autres
victimes de pareille souillure de la part de personnes supposées garantir à
l'enfant la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir. Des victimes qui n'ont
pas encore pu se libérer par la parole. Un livre pour leur dire que l'on peut
en revenir. A condition de bien parvenir à faire reporter la faute sur les
vrais coupables : ceux qui commettent le crime d'inceste. Un livre pour ne pas
assumer les torts de mauvaise action ou de passivité, fussent-ils ceux de
parents.
Mais aussi encore un livre de mise en garde pour des victimes potentielles de
ce crime, de leur entourage proche qui se rendrait tout autant condamnable en
fermant les yeux. le huis-clos familial est le contexte dans lequel une victime
potentielle est la plus vulnérable. Ecartelée qu'elle est entre la part d'amour
qu'elle éprouve à l'égard de ses parents et la part de rejet que lui inspire ce
qu'elle ne comprend pas encore comme une agression mais bien comme une
anormalité dans la relation filiale.
Il faut dire que Sophie Chauveau a
de qui porter le poids de l'indignité s'agissant de la famille dont elle est
issue, au sein de laquelle des relations coupables se sont entretenues durant
des générations. Profitant d'époques où la voix de l'enfant était étouffée par
des codes sociaux et moraux qui ne l'instituaient pas en tant que personne. Au
grand avantage de pervers qui jouissaient quant à eux de leurs pulsions sans
crainte ni retenue et donnaient de la personne une idée déshonorante.
Bravo à Sophie
Chauveau pour cette libération et pour l'espoir qu'elle procure à qui
n'est pas encore parvenu à émerger d'un passé gangrené par de tels
comportements, faisant de l'enfant un objet d'assouvissement et non un adulte
en devenir.