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jeudi 30 septembre 2021

Le jeune homme au bras fantôme~~~~Hélène Bonafous-Murat

 




Dans le roman historique l'imagination est un liant qui agglomère les faits que l'histoire a laissés à notre connaissance. Au gré de l'auteur de donner à son intrigue la tournure que ne contrediront pas ces derniers. Hélène Bonafous-Murat se livre à cet exercice avec bonheur dans ce second roman historique de son cru. J'avais particulièrement apprécié La Caravane du Pape de sa main, le jeune homme au bras fantôme confirme le succès à mes yeux, tenant cette fois son intrigue entre deuxième république et second empire.

Dans ce roman au titre bien inspiré si le point de départ de l'intrigue est fidèle à un fait avéré, ainsi que l'autrice le précise en note de fin, il prend une tournure résolument plus optimiste que celle de la vie réelle de son héros. Après l'abattement qui n'a pas manqué de réduire le jeune homme amputé d'un bras lors d'une répression aveugle des troupes du Préfet, la chance aidant, ce dernier parvient à se construire vies professionnelle et affective porteuses d'espoir. L'espoir en ces temps de classes très cloisonnées étant surtout fruits du labeur et de volonté, voire aussi de malice. La chance étant dûment contingentée par les codes sociaux et moraux en vigueur.

La force de pareille œuvre est sa capacité à transporter son lecteur en des temps et lieux qu'il n'a pu qu'effleurer selon son assiduité en classe d'histoire. La mise en ambiance et situation est réussie avec cet ouvrage. Il dresse une fresque fidèle d'une Europe en pleine révolution industrielle avec ses acteurs de progrès mais aussi ses profiteurs et laissés pour compte. Un roman qui sent le cuir, l'encre d'imprimerie, les petites boutiques au comptoir en bois et fonds d'ateliers obscurs où l'on ne comptait pas ses heures pour boucler les fins de mois.

Au jeune homme au bras fantôme - jolie formule pour éluder le triste sort du manchot - il fallait une bonne dose d'intuition et de volonté pour espérer survivre et se construire un avenir. Hélène Bonafous-Murat a fait ce pari, cela donne une belle dynamique au roman sur fond de lutte des classes et espoir en le progrès industriel dans notre France du XIXème siècle. Un roman historique intéressant et crédible dont l'écriture n'est en rien empesée par les us et coutumes de l'époque. Une belle réussite.


dimanche 20 septembre 2020

La caravane du Pape ~~~~ Hélène Bonafous-Murat

 


Imagine-t-on de nos jours ce que pouvait être la traversée des Alpes pour une caravane à dos de mulets au 17ème siècle quand routes et pistes n'existaient pas, qu'en outre les dangers de la montagne pourtant redoutables étaient loin d'être les seuls à mettre l'entreprise en péril ? Certes non. Hélène Bonafous-Murat nous le fait entrevoir dans ce roman historique aux allures d'épopée.

Rien ne lui sera épargné à cette caravane : intempéries, incendie, trahison, vol, attaques de pillards, rivalités confessionnelles, disette, enlèvement des femmes du convoi à fin de servilité sexuelle, autant d'infortunes qui émailleront son périple conduit par la volonté d'un seul homme : Leone Allacci. Animé d'une foi à toute épreuve, d'une autorité inflexible et opiniâtre, il était tout désigné pour mener à bien la mission divine reçue de la bouche du pape Grégoire XV: extraire du Palatinat du Rhin, contrée autrefois gagnée à l'hérésie et reconquise par la Ligue catholique, et ramener en lieu sûr, à Rome, une bibliothèque connue pour être une des plus riches d'Europe. Elle comportait aux yeux de la papauté des ouvrages d'une valeur inestimable, tant civile que religieuse, dont l'évangéliaire de Lorsch écrit vers 810 à la cour de Charlemagne.

Leone Allacci n'était résolument pas un homme comme les autres. Galvanisé par une foi dévote chevillée à l'âme, un dévouement sans faille à l'Église de Rome, il n'avait de passion que pour les livres. Pourtant lorsque la jeune Lotte, au charme discret mais entêtant, témoigne de l'intérêt pour la lecture et devient son élève, point en son for intérieur une douleur jusque-là ignorée de lui. Une douleur qui embrase son corps et obsède son esprit. Tiraillé entre l'appel des sens et la chasteté qu'il s'était imposée en règle de vie, il perçoit ce combat comme une mise à l'épreuve supplémentaire que lui inflige ce dieu qu'il avait choisi en optant pour la foi catholique. L'épreuve tourne à la torture lorsqu'il voit sa protégée s'éprendre du beau capitaine lequel assure la sécurité de leur expédition. La jalousie est un sentiment nouveau dont il peine à s'émanciper.

Gagné à la panique de voir son élève lui échapper et à la crainte de la voir faire de l'ombre au maître qu'il avait été pour elle, Leone Allacci se reprochera cet engouement pour celle qu'il perçoit alors comme l'instrument du démon : "N'avais-je pas cependant commis une erreur, oubliant qu'elle n'était qu'une femme, en conséquence gouvernée, non par la raison, mais par ses sens ?" Et l'auteure d'ouvrir à juste raison l'esprit de son lecteur, en thème corollaire à celui de la sauvegarde de la fameuse bibliothèque, sur le sort trop longtemps réservé à ses congénères du beau sexe en ces temps d'obscurantisme tant religieux que discriminatoire sexiste.

La gageure avec ce genre littéraire est de ne pas faire de l'intrigue prétexte à se glorifier d'une érudition poudre aux yeux. Hélène Bonafous-Murat évite l'écueil. Quand elle fait du narrateur de ce récit un contemporain des faits qu'il rapporte, elle sait lui faire tenir le vocabulaire, les idiomes et les tournures syntaxiques de l'époque et éviter les anachronismes de langage. le style devient alors garant de crédibilité. Les références historiques en tous domaines, dont mythologiques et bibliques dans pareil ouvrage, témoignent aussi de l'imprégnation et de l'érudition de son auteure. Elle nous livre un très bel ouvrage qui établit son éclectisme d'écriture. N'est-elle pas l'auteure de polars contemporains - Avancez masquésMorsures entre autres, qui m'ont fait faire connaissance avec son écriture - même si ces derniers ne sont pas dénués de références historiques.

Aux portes de la mort, Leone Allacci évoque cet épisode de sa jeunesse qu'il avait gardé en mémoire, en étalon de la souffrance quand d'autres épreuves étaient venues mettre sa vie en difficulté et sa foi à l'épreuve. Avec le souvenir de Lotte en repoussoir des appels du corps qu'il savait dans la main du Malin.

Cette aventure tirée de faits réels, nous dit l'auteure en note finale, assura la postérité d'ouvrages exceptionnels qui existent encore de nos jours. Elle s'inscrit à la gloire de l'érudition quand cette dernière est perspective pour changer la face du monde. Même si l'obscurantisme religieux de l'église catholique de l'époque imaginait en arrière-pensée ce changement à son profit, soutenu par un prosélytisme outrancier que lui commandait son monopole sur la direction des consciences, qui plus est lorsque ce monopole était mis à mal par la montée de fois concurrentes.

Superbe ouvrage qui vaut tant par le récit de l'aventure humaine, surhumaine serait-on tenter d'enchérir, que pour l'insertion de celle-ci dans un contexte historico religieux savamment documenté.

 

lundi 7 septembre 2020

Morsures ~~~~ Hélène Bonafous-Murat

 


Morsures est un ouvrage dans lequel Hélène Bonafous-Murat a à n'en pas douter mis beaucoup d'elle-même. Cet ouvrage place en effet son intrigue dans le monde des images, des estampes en particulier. Sujet qu'elle connaît mieux que quiconque pour en être une experte reconnue. Et s'il est une certitude qui me tenaille au sortir de cette lecture, c'est tout d'abord que ce sujet est pour elle au-delà d'un métier une passion et qu'en second lieu sa compétence y éclate aux yeux du néophyte que je suis. le néophyte a certes tôt fait d'être ébloui par le maître me direz-vous, mais il conserve quand même sa capacité de jugement quant à l'écart des compétences. A moins bien entendu que je ne sois l'objet d'une mystification, ce qui n'aurait rien de surprenant tant l'auteure a l'art d'entraîner son lecteur dans une spirale de confusion, à savoir qui est qui, à quelle époque, en chair et en os ou bien en impression sur vélin.

Ce fut pour moi de la part de l'auteure et selon sa dédicace une invitation à me plonger dans l'image et à m'y perdre. Mission accomplie. Ce n'est qu'à l'épilogue, ô combien surprenant, que j'ai pu recouvrir mon libre arbitre et applaudir à l'artifice de construction, lequel m'avait emberlificoté dans une intrigue qui en masque une autre. J'avoue avoir été déstabilisé par la confusion des narratrices. Et pour cause. J'ai même failli décrocher, mais quelque chose me chuchotait d'aller au bout. Bien m'en a pris.

Enquête il y a, puisque crime il y a, et aussi vol d'œuvre rare. Mais curieusement le corps de l'intrigue se déporte et entraîne le lecteur profane sur une terra incognita. L'enquête verse dans le cercle fermé des amateurs éclairés du monde de l'image. L'auteur de l'œuvre rare qui a refait surface avant de disparaître à nouveau est certes vite identifié. L'experte ne l'est pas pour rien. Mais qui sont les personnages représentés sur cette estampe du XVIIème siècle, qui est le commanditaire de cette œuvre et quel est son message à la postérité ?

L'image sollicite l'imaginaire, force la convoitise, interpelle l'experte et la transporte dans le temps du geste de l'artiste. Cette représentation est comme un trait d'union entre deux sensibilités écartelées par des siècles d'une présence silencieuse et anonyme, oubliée des regards. L'experte s'en imprègne, se fond dans le personnage représenté au point de verser dans le dédoublement de la personnalité. Elle devient le sujet représenté jusqu'à ressentir le contact de la main de l'autre personnage de l'image sur son épaule et s'interroger sur ses intentions.

L'image affole le marché. Les spécialistes fourbissent leurs armes à coups de milliers de dollars pour faire de cette œuvre, hier inconnue et déjà célèbre, la cible de leur convoitise. Alors que le lecteur est resté sur son interrogation : qui a tué le commissaire priseur, pourquoi, et qu'est devenue la vedette du catalogue soustraite à la vente organisée en l'hôtel Drouot ?

Morsure est un ouvrage d'une richesse culturelle avérée. L'image ne sollicite pas seulement la sensibilité artistique, mais renvoie à l'histoire, la grande, en un temps où, du fait de sa rareté la représentation graphique prenait son sens, son intérêt et donc sa valeur. Une tout autre envergure et signification que le flot des banalités sur colorées qui inonde notre monde d'aujourd'hui au point d'en devenir polluant. de témoignage de la réalité qu'elle était autrefois, l'image est devenue aujourd'hui représentation d'un monde virtuel, fugitif, déposée sur un support volatile et donc tôt promise à l'oubli.

Quant au titre, un tantinet aguicheur pour l'ouverture sur une forme de polar, me voilà désormais armé pour faire œuvre de connaissance technique et vous dire qu'il est un terme de vocabulaire des aquafortistes. Mais je vous laisse découvrir ce que ce genre de morsure peut laisser de traces durables dans le monde de l'image. Morsures est une lecture exigeante, quelque peu déroutante qui peut blaser l'amateur d'émotions fortes. Mais qu'il se méfie de l'irrationnel, il pourrait bien l'inciter à faire des retours sur images.

 

samedi 22 août 2020

Avancez masqués ~~~~ Hélène Bonafous-Murat

 



Pourrait-on un jour voir le poste de ministre de la culture, poste éminemment symbolique lorsqu'on évoque l'identité culturelle d'une nation, tenu par une personne issue de l'immigration ? Hélène Bonafous-Murat a franchi le pas. Elle l'a fait dans cet ouvrage, un polar qui impacte les instances politiques au plus haut niveau.

La ministre a été assassinée. Crime politique, xénophobe ou crapuleux, affaire de mœurs touchant les hautes sphères de la République, le terrain est miné, l'enquête piétine. Alors que les médias font du rentre dedans et brodent en désespoir de scoop, Olivia Lespert journaliste spécialisée pour le magazine Art Globe est entraînée hors de son domaine de prédilection lorsqu'elle se trouve mise en présence d'indices qui pourraient bien faire dévoiler l'assassin. Un mystérieux correspondant prolonge sur internet une rencontre faite avec elle dans des circonstances d'autant plus singulières et excitantes qu'elle s'est faite sous le couvert de l'anonymat.

Hélène Bonafous-Murat nous destine un polar qui s'intéresse aux instances politiques et leurs lots de lutte de pouvoir, de corruption et autre compromission, mais pas seulement. Il est aussi beaucoup question d'art dans cet ouvrage. D'art contemporain en particulier, avec ce que cette notion implique de mise à l'épreuve du ressenti de son public. Ne dit-on que de toutes choses celles qui entendent le plus d'inepties sont les œuvres d'art. Et plus l'immédiatement accessible au vulgaire s'estompe pour ouvrir le champ à l'abstrait, plus se resserre le panel de ceux qui se disent réceptifs au message de l'artiste et s'érigent ainsi en élite. C'est cette prétendue élite qui tient la vedette dans cet ouvrage lorsqu'elle se livre au combat des anciens et des modernes. Les premiers, tenants du beau, ayant dans cet ouvrage leurs activistes sous le sceau de la morale, de l'esthétique, et pourquoi pas du mystique, les seconds arpentant les couloirs des musées d'art contemporains y allant de leur vérité sur ce que l'improbable dicte à leur entendement.

Evoquer l'art en le dissociant de la sensualité serait le déshumaniser dans ce qu'il commande à l'imaginaire. Hélène Bonafous-Murat sait de quoi elle parle. Et de la sensualité à la volupté la frontière est ténue. L'énigmatique favorise le fantasme et met le corps en résonnance. Il n'y alors qu'un pas à faire pour franchir la porte d'un de ces clubs très fermés en quête d'émotions fortes. Mais c'est méconnaître que ce genre de lieu interlope peut devenir une nasse dans laquelle un manipulateur aura attiré sa proie.

Avancez masqués est un polar psychologique plein de rebondissements qui, touchant au monde politique, entretient jusqu'au bout le doute quant à la sauvegarde de la morale et la satisfaction de la justice. Polar fort bien documenté et promoteur de l'art sous toutes ses formes. Il témoigne de l'érudition et des recherches de son auteure dans le domaine. Et polar très moderne en ce qu'il se déroule dans une société ou les repères et les valeurs s'effacent au profit des contingences mercantiles, pain béni des médias qui se livrent entre eux à une lutte sans merci.

Mais heureusement aussi un polar dans lequel la sensualité n'est pas que bafouée par le vice. Nos deux protagonistes, toujours séduisantes sous divers grimages, initient chacune de son côté une histoire sentimentale dont la sincérité réchauffe le cœur dans le monde froid du pouvoir et du profit. Et notre experte en art, s'adjoignant la complicité d'une jeune eurasienne un peu paumée, aussi spontanée qu'astucieuse, est un personnage attachant qui méprise volontiers le risque y allant de sa bonne foi avec un soupçon de naïveté. On se dit parfois qu'elle est quand même gonflée !

Mais au-delà d'une intrigue prenante, ce que je retiens de cette lecture, c'est le polar au féminin. A l'emprise sur le lecteur s'y ajoute cette touche de volupté connue d'elles seules pour édulcorer l'atmosphère. Mystère inhérent au genre et accessible à l'autre que dans les rares instants de communion spirituelle. C'est très réussi à mon goût.