Pourrait-on un jour voir le poste de ministre de la culture,
poste éminemment symbolique lorsqu'on évoque l'identité culturelle d'une
nation, tenu par une personne issue de l'immigration ? Hélène
Bonafous-Murat a franchi le pas. Elle l'a fait dans cet ouvrage, un
polar qui impacte les instances politiques au plus haut niveau.
La ministre a été assassinée. Crime politique, xénophobe ou crapuleux, affaire
de mœurs touchant les hautes sphères de la République, le terrain est miné,
l'enquête piétine. Alors que les médias font du rentre dedans et brodent en
désespoir de scoop, Olivia Lespert journaliste spécialisée pour le magazine Art
Globe est entraînée hors de son domaine de prédilection lorsqu'elle se trouve
mise en présence d'indices qui pourraient bien faire dévoiler l'assassin. Un
mystérieux correspondant prolonge sur internet une rencontre faite avec elle
dans des circonstances d'autant plus singulières et excitantes qu'elle s'est
faite sous le couvert de l'anonymat.
Hélène
Bonafous-Murat nous destine un polar qui s'intéresse aux instances
politiques et leurs lots de lutte de pouvoir, de corruption et autre
compromission, mais pas seulement. Il est aussi beaucoup question d'art dans
cet ouvrage. D'art contemporain en particulier, avec ce que cette notion
implique de mise à l'épreuve du ressenti de son public. Ne dit-on que de toutes
choses celles qui entendent le plus d'inepties sont les œuvres d'art. Et plus
l'immédiatement accessible au vulgaire s'estompe pour ouvrir le champ à
l'abstrait, plus se resserre le panel de ceux qui se disent réceptifs au
message de l'artiste et s'érigent ainsi en élite. C'est cette prétendue élite
qui tient la vedette dans cet ouvrage lorsqu'elle se livre au combat des anciens
et des modernes. Les premiers, tenants du beau, ayant dans cet ouvrage leurs
activistes sous le sceau de la morale, de l'esthétique, et pourquoi pas du
mystique, les seconds arpentant les couloirs des musées d'art contemporains y
allant de leur vérité sur ce que l'improbable dicte à leur entendement.
Evoquer l'art en le dissociant de la sensualité serait le déshumaniser dans ce
qu'il commande à l'imaginaire. Hélène
Bonafous-Murat sait de quoi elle parle. Et de la sensualité à la
volupté la frontière est ténue. L'énigmatique favorise le fantasme et met le
corps en résonnance. Il n'y alors qu'un pas à faire pour franchir la porte d'un
de ces clubs très fermés en quête d'émotions fortes. Mais c'est méconnaître que
ce genre de lieu interlope peut devenir une nasse dans laquelle un manipulateur
aura attiré sa proie.
Avancez
masqués est un polar psychologique plein de rebondissements qui,
touchant au monde politique, entretient jusqu'au bout le doute quant à la
sauvegarde de la morale et la satisfaction de la justice. Polar fort bien
documenté et promoteur de l'art sous toutes ses formes. Il témoigne de
l'érudition et des recherches de son auteure dans le domaine. Et polar très
moderne en ce qu'il se déroule dans une société ou les repères et les valeurs
s'effacent au profit des contingences mercantiles, pain béni des médias qui se
livrent entre eux à une lutte sans merci.
Mais heureusement aussi un polar dans lequel la sensualité n'est pas que
bafouée par le vice. Nos deux protagonistes, toujours séduisantes sous divers
grimages, initient chacune de son côté une histoire sentimentale dont la
sincérité réchauffe le cœur dans le monde froid du pouvoir et du profit. Et
notre experte en art, s'adjoignant la complicité d'une jeune eurasienne un peu
paumée, aussi spontanée qu'astucieuse, est un personnage attachant qui méprise
volontiers le risque y allant de sa bonne foi avec un soupçon de naïveté. On se
dit parfois qu'elle est quand même gonflée !
Mais au-delà d'une intrigue prenante, ce que je retiens de cette lecture, c'est
le polar au féminin. A l'emprise sur le lecteur s'y ajoute cette touche de volupté
connue d'elles seules pour édulcorer l'atmosphère. Mystère inhérent au genre et
accessible à l'autre que dans les rares instants de communion spirituelle.
C'est très réussi à mon goût.