Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

vendredi 28 octobre 2016

Anima ~~~~ Wajdi Mouawad

 


Madame la libraire de Bergerac, vous m'avez chaudement recommandé cet ouvrage et suggéré de vous faire connaître mon ressenti à sa lecture. Je le fais volontiers dans les pages de Babelio. Il me reste maintenant à ne pas trahir ma satisfaction, cette surprise d'avoir apprécié ce roman d'un genre qui n'est pas de ma prédilection.

Je n'ai en effet pas de passion pour le "gore". Je cherche donc encore les raisons qui m'ont poussé à aller au bout de ce road movie sanglant. Mais je vous l'affirme dans ces lignes, Anima fait partie de ceux qui ont rivé mes yeux sur leurs pages au point de mettre ma ponctualité en danger. Force m'est donc de confirmer votre encouragement et de l'applaudir de mes deux mains, ensanglantées, au moment de reposer ce roman sur son rayonnage. Oui, j'ai beaucoup aimé.

Wahhch Debch, son héros, est parti sur les traces de l'assassin de sa femme. Pas pour se venger. Pour le regarder dans les yeux. Pour comprendre. Mettre un visage humain sur la sauvagerie. Une forme d'exorcisme. Tuer est un acte qui doit répondre à une loi occulte. Mais la sauvagerie, trouve-t-elle une justification quelque part ? Il n'y aura que le regard pour le dire.

Sur son chemin les animaux l'observent. Ce sont eux les narrateurs de son parcours en quête d'apaisement. Ils racontent le monde des hommes tel qu'ils le voient. Sans jugement. Des perceptions seulement, selon le sens le plus développé de l'un ou de l'autre. L'odorat avant tout. Il identifie sans faille et décode même les intentions. L'odeur, du sang, des humeurs, des vapeurs artificielles dont s'ennuage l'espèce humaine. La vue, des gestes du prédateur. Les cris, ceux de la victime. Le goût, qu'ils n'ont si peu, parait-il. Le toucher, des matières, la caresse parfois, les coups plus souvent, la déchirure des griffes et mandibules. Et puis ce sixième sens que n'a pas l'homme, la perception du danger. L'intuition.

Point de sagesse, point de sottise chez les animaux. Point d'étonnement ou de contentement. Sur le parcours de qui cherche l'assassin de sa femme, ils observent cet autre animal dont on vante la supériorité de l'intelligence. Et pourtant, ce bipède avide de toujours plus, pétri d'orgueil et de cupidité, si poltron devant la mort, convoite, jalouse, s'arroge des pouvoirs, condamne. De quel droit, quand ce n'est pas pour survivre ?

Le procédé narratif donne à cet ouvrage son originalité. Son "origénialité" me permettrais-je de dire si j'avais le pouvoir d'inventer des mots. De ce procédé narratif, on en tire la conclusion qu'aucune bête au monde, même quand elle se repaît des entrailles de sa proie, ne rivalisera avec la trivialité et la bassesse humaines. Les animaux, qu'ils soient chat, chien, mouche, corbeau, mais aussi blatte ou araignée, souris et tant d'autres encore qui nous racontent le passage de Wahhch Debch dans leur champ de perception nous disent tous que l'horreur est humaine. La vérité quant à elle est animale. Car dénuée de préjugés, de haine. Relisons au passage le monde vu par le poisson rouge dans son bocal. Mémoire de poisson rouge. C'est du vrai talent. C'est avec cette approche de la nature humaine que l'on mesure le génie de ce procédé narratif si original.

Pourquoi l'ai-je donc lu jusqu'au bout cet ouvrage ? Pourquoi m'a-t-il collé aux doigts ? Pas à cause de l'hémoglobine. Car au final j'ai perçu que l'intention n'est pas dans le sordide. C'est un artifice. L'intention est ailleurs. Je l'ai lu jusqu'au bout sans doute parce qu'en qualité de membre d'une espèce capable d'amour, je me suis senti le devoir d'assumer aussi ses manifestations de haine. Peut-être aussi me suis-je dit qu'un monstre sommeille en tout homme et que l'amour que j'ai reçu dans ma vie l'a entretenu en moi dans son hibernation. Quelle chance. Mais plus surement l'ai-je lu jusqu'au bout parce que j'ai moi aussi la conviction qu'on guérit d'autant moins de son enfance lorsqu'elle a été baignée d'épouvante. Ou encore ai-je été fasciné qu'un auteur trouve les mots, le style pour traduire le glauque, le monstrueux, sans révulser son lecteur ?

Anima est un ouvrage certes dur, mais tellement atypique. Le dénouement est superbement amené. Ce roman témoigne d'un vrai talent. Ne vous laissez pas rebuter par le choc des scènes de violence. C'est la nature humaine. Laissez les animaux vous le raconter.

Homo erectus horribilis. Ça aussi je l'ai inventé. Mais ce pourrait être le titre du chapitre dédié à notre espèce.


vendredi 21 octobre 2016

Sur les chemins noirs ~~~~ Sylvain Tesson



En écoutant Sylvain Tesson dans son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi, il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement de la nuit éternelle.

Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens ! L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on parle de nature avec Sylvain Tesson, il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral, audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui aurait dû le tuer.

La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une colonne vertébrale brochée.

L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau. du sérieux que diable !

Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.

La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit notre pays qui n'inspire plus ?


jeudi 13 octobre 2016

S'abandonner à vivre ~~~~ Sylvain Tesson



Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le temps d'écrire ?

Sylvain Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.

Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.

Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin de marque page.