Connaissance des auteurs
- ACCUEIL
- Albert Camus
- Antoine de Saint-Exupéry
- Alexandra Lapierre
- Christian Bobin
- Daphné du Maurier
- Dominique Bona
- Emmanuel Carrère
- Fernando Pessoa
- Franck Thilliez
- Haruki Murakami
- Hélène Bonafous-Murat
- Gilbert Sinoué
- George Orwell
- Jane Austen
- Joseph Kessel
- Joyce Carol Oates
- Jean-Christophe Rufin
- Marguerite Yourcenar
- Mario Vargas Llosa
- Michel Houellebecq
- Milan Kundera
- Philippe Labro
- Pierre Loti
- René Frégni
- Romain Gary
- Stefan Zweig
- Sylvain Tesson
- Yukio Mishima
Ouvrages par genre
jeudi 18 janvier 2024
Les amibitieuses ~~~~ Virginie Girod
40 femmes qui ont marqué l'Histoire par leur volonté d'exister et d'agir !
Chez les hommes, elle coule de source.
Chez les femmes, elle est mal vue.
Vertu pour les uns, péché pour les autres, c’est la même ambition qui les anime pourtant – mais aux femmes elle demande plus. Plus d’audace. Plus de scandale… Les quarante indociles dont il est question entre ces pages, de Cléopâtre à Oprah Winfrey, de Jeanne d’Arc à Gisèle Halimi, ont chacune à leur manière révolutionné le monde. Mais à quel prix ?
Aux grandes ambitieuses, l’humanité reconnaissante…
mardi 12 décembre 2023
Diderot, le génie débraillé ~~~~ Sophie Chauveau
Renonçant à la publication de certains de ses écrits de son
vivant, Diderot ambitionnait d’écrire pour la postérité. Opportune lucidité que
lui dictait la prudence. Il s’agissait de se protéger lui-même mais aussi sa
famille des foudres que son temps de censure ne manquerait pas d’attirer sur
lui de la part de ceux dont le niveau de tolérance n’allait quand même pas
jusqu’à admettre la critique. Mais Diderot était loin d’imaginer que cette
postérité serait aussi distante de lui qu’elle devrait attendre ce 21ème
siècle pour faire éclater des préceptes de vie en société que l’on peine encore
aujourd’hui à faire nôtres. La tolérance a encore du chemin à faire.
Il a trouvé en Sophie Chauveau une avocate ardente à faire
valoir l’incroyable modernité de ses pensées et l’immense talent qu’il a eu à
les mettre en mots, tant à l’oral de son vivant qu’à l’écrit désormais. Elle
attribue au personnage, quant à la promotion du 18ème siècle en
siècle des lumières, une plus grande part que celle que l’histoire a voulu lui
consentir.
Le baptisant Diderot, le génie débraillé, elle lui consacre ce
magnifique ouvrage. Il lie à merveille la part romancée et celle attestée par
les sources. Je reste admiratif du travail de recherche et de la mise en forme
de ce pavé qui ne dissimule rien de l’admiration qu’elle voue au personnage, à
mettre en avant l’intelligence subtile et la hauteur de vue de ce monstre de
talent, tout autant que l’avance sur son temps. Elle rend l’auteur de l’Encyclopédie
bougrement attachant et sait nous rallier à son engouement.
L’innovation dans le domaine des idées n’avait rien d’une
sinécure en ce siècle ou l’église régnait en maître sur les consciences. Les esprits
dits éclairés étaient confrontés à des institutions sclérosées, tant civiles
que religieuses, bouffies de leur pouvoir exorbitant jusqu’à disposer du droit
de vie et de mort. Monarchie, noblesse et clergé confondus, tous obnubilés
qu’ils étaient par la préservation de leurs privilèges. Aveuglés au point de ne
pas voir surgir la vague de fonds qui allait les engloutir quelques années
seulement après la disparition du philosophe. Sophie Chauveau se fait fort de lui
rendre la place qu’il mérite parmi les promoteurs des idées neuves du 18ème
siècle, déclassé qu’il fut par des Voltaire et autre Rousseau. Ce dernier ayant
à ses yeux fait montre d’une misogynie et d’un mépris de sa progéniture en
complet décalage avec les thèses développées dans ses ouvrages.
Véritable immersion en un 18ème siècle qui entretient
l’utopie de promouvoir l’humain au-dessus de la chape de convoitise et
d’appropriation, laquelle fige à dessein le peuple dans l’ignorance et
l’indigence, cet ouvrage de Sophie Chauveau n’est pas seulement une biographie,
il est un brillant plaidoyer en réhabilitation d’un jouisseur sublime.
« Mes pensées ce sont mes catins » écrit-il en
prologue dans Le neveu de Rameau. Et Sophie Chauveau d’intercéder pour que ses
errances libertines lui apportent un jour, peut-être enfin en ce siècle qui
connaîtra la compilation de ses œuvres, la juste rétribution d’un humanisme
certes hédoniste mais sincère et dépouillé de toute discrimination.
mercredi 22 novembre 2023
Olympe de Gouge ~~~~ Benoîte Groult
Ce n’est pas seulement une biographie d’Olympe de Gouge que
nous propose Benoîte Groult, c’est surtout un recueil de ses idées de femme
lucide sur la condition de son sexe. L’autre sexe ainsi que le qualifie Simone
de Beauvoir. Celui qui depuis l’aube des temps vit dans l’ombre de la mâle
domination. Idées qu’Olympe de Gouge a traduites en d’innombrables textes
placardés dans la capitale ou adressés aux tenants du pouvoir dans la frénésie
de son combat. Idées qu’elle a aussi mises en scène dans les pièces de théâtre de
son cru.
Des idées très avancées sur son temps. En ce sens qu’il n’était
pas prêt à les recevoir. Mais de toute façon très en retard sur ces millénaires
d’apparition de l’humanité sur terre. On dirait aujourd’hui qu’elles étaient
très modernes ces idées. Sans doute pour dire qu’elles nous semblent encore
d’actualité.
Son tort a été de les clamer haut et fort ces idées, à la
face de ceux qui, bien qu’eux-mêmes initiateurs de procès en crimes contre le
peuple devenu souverain, avaient oublié que le peuple est constitué pour moitié
de femmes. Ils n’étaient donc pas prêts à faire leur propre procès pour avoir
tenu sous le joug celle à qui ils ont imposé leur supériorité, forcément
usurpée. Olympe de Gouge a cru pouvoir initier une autre révolution dans la Révolution.
Elle ne réclamait ni plus ni moins que le droit de monter à la tribune
puisqu’on lui opposait celui de monter à l’échafaud.
Emancipation de la femme, plaidoyer pour le droit au divorce
à son initiative et un statut équitable pour les enfants naturels, mais aussi abolition
de l’esclavage, création d’une caisse patriotique, forme de sécurité sociale qui
ne disait pas encore son nom, d’un théâtre national en contre-poids d’une
Comédie Française monopolisant la création, ouverture de maternité offrant de
bonnes conditions sanitaires aux femmes en couche, le tout porté par une
déclaration universelle des droits de la femme, tels étaient ces idées
d’avant-garde étouffées par des millénaires de soumission. Une révolution qui dans
sa grande naïveté irait au bout de celle engagée en 1789. Une révolution que
les tenants du pouvoir du moment ont travesti en contre-révolution, afin de ne
rien perdre des prérogatives qu’ils venaient de s’arroger à grand renfort de
têtes coupées. La monarchie était tombée mais pas le patriarcat.
On n’en attendait pas moins de Benoîte Groult dont on
connaît la pugnacité en termes de combat pour que non seulement notre siècle
connaisse enfin l’équilibre, mais aussi pour que s’établisse la reconnaissance
de l’usurpation de statut au bénéfice du seul mâle. Que soient moqués ceux qui
se sont rendus illustres aux yeux de leur congénères en proclamant des sentences
du style : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et
l’homme. Et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la
femme. » (Pythagore au 5ème siècle avant notre ère).
Bel hommage de Benoîte Groult à celle dont le courage,
poussé à l’inconscience, l’a fait monter à l’échafaud, sans renier ses
convictions, convaincue de son bon droit. Ce que Benoîte Groult restitue bien à
la lecture de son texte, c’est la solitude de cette femme dans son combat.
Abandonnée par son père naturel auprès d’une famille d’adoption, elle forgea elle-même
sa propre culture, mena seule son combat pour que soit réservée à la femme une
autre condition que celle destinée à élever les enfants de son époux. Elle n’a pourtant pas trouvé le levier propre
à soulever l’enthousiasme de ses contemporaines. Même son propre fils
l’abandonna à son rêve d’une société juste et équilibrée.
Les deux premiers ouvrages que j’avais lus de la main de
Benoîte Groult avait forgé mon engouement pour cette auteure. J’ai été comblé de
pouvoir, grâce à elle, faire la connaissance de cette femme d’autant plus
méritante que son combat fut solitaire à une époque où l’on ne risquait rien moins
que sa vie pour faire valoir ses idées.
vendredi 17 novembre 2023
dimanche 27 août 2023
Fragonard, l'invention du bonheur ~~~~ Sophie Chauveau
On peut reprocher beaucoup de chose à Internet, au rang
desquelles celle de voler des heures de lecture aux surfers impénitents, mais
lorsqu'on lit la biographie d'un artiste peintre comme je viens de le faire
avec celle de Fragonard par Sophie Chauveau,
on bénit cette technologie moderne de nous donner accès à la visualisation des œuvres
de l'artiste.
Les biographies d'artistes ont quelque chose de plus que les autres. Cette même
chose qui fait d'eux des êtres inspirés, capables de capter des ondes destinées
à eux seuls et les rendre accessibles à autrui. Ça s'appelle le talent. A leur
préjudice ils sont souvent des précurseurs dans les courants de leur art et ne
trouvent malheureusement de popularité qu'à titre posthume.
Tel ne fut pas le cas de Fragonard. Il a vécu de son art. Avec d'autant plus
d'intelligence que son époque fut parmi les plus troubles de l'histoire. La
guillotine de la Terreur n'était-elle pas implantée sous ses fenêtres, ou
presque.
Tout cela nous est conté avec luxe de détails par Sophie Chauveau.
Au point d'appesantir son ouvrage de quelques longueurs. Mais l'œuvre
considérable de Fragonard ne pouvait que susciter l'épanchement devant pareil
talent. Elle qui s'est faite spécialiste des biographies d'artistes a voulu
donner corps à son ouvrage et justifier le titre qu'elle lui a conféré :
l'invention du bonheur. Bel ouvrage qui peut nous rendre qu'admiratif du
travail de recherche et documentation de son auteure.
mardi 18 juillet 2023
samedi 25 février 2023
Il était une fois Lamartine ~~~~ Sylvie Yvert
« Malheureux les hommes qui devancent leur temps, leur temps les écrase. » A. de Lamartine.
Comment définir cet ouvrage : biographie, roman historique ou mémoires d'une
épouse aimante ? le genre qu'on lui attribuera ne changera toutefois pas le
plaisir que j'aie eu à le découvrir, et son auteure par la même occasion. J'ai
beaucoup aimé le jour sous lequel Sylvie Yvert aborde la vie
d'Alphonse de Lamartine.
Epouse fidèle, admiratrice, l'artiste peintre anglaise Mary-Ann Birch devenue
par mariage Elisa de Lamartine intervient en tant que narratrice de cet
ouvrage. Cela confère à ce dernier une chaleur exceptionnelle pour le genre.
C'est un cœur qui parle. L'auteure ne reprenant la main que lorsque l'épouse
quitte ce monde, 6 ans avant son cher époux. Laissant ce dernier dans une
solitude noire. Les Lamartine avaient perdu leurs deux enfants en bas âge.
Lamartine n'était pour moi que poète romantique, certes un peu mélancolique.
Grâce à Sylvie Yvert j'ai redécouvert l'homme politique, même si le
poète n'est jamais absent de ce portrait, favorisant en particulier le talent
d'orateur de l'homme à la tribune. On se remet à l'esprit ou on découvre selon
sa culture avec cet ouvrage le rôle déterminant tenu par Lamartine lors de la
révolution de 1848 laquelle a porté Louis-Napoléon Bonaparte à la
présidence de la République.
L'orientation politique De Lamartine sera l'ambiguïté qui lui vaudra
l'échec de sa carrière. Il la définit en ces termes : « Je trouve que je suis,
au fond, bien plus près de ce que j'étais alors, monarchiste de raison, libéral
de tendance, anti-anarchiste de passion, bourbonien légitime de justice et
d'honnêteté, républicain d'occasion et d'idéal. »
Quinze années de vie politique pour le poète qui font l'ossature de cet
ouvrage. Lamartine qui était issu de petite noblesse a déployé son talent et
son énergie à défendre les intérêts des humbles - doux euphémisme pour
qualifier ceux qui vivaient parfois dans des caves insalubres - rejoignant de
ce point de vue les idées des socialistes qu'il combattaient pourtant. Il
rêvait d'une société juste et équitable et a déployé toute son énergie à agir
en modérateur des extrêmes. Il a fait montre dans son combat politique du plus
grand humanisme. Il a eu avec sa foi religieuse la même valse-hésitation,
reprochant à l'Ordonnateur des choses de ce monde d'avoir perturbé l'ordre de
succession en lui prenant ses enfants.
Avec la crainte de revivre les années noires de la Terreur, à trop vouloir
tempérer les extrêmes, sa carrière politique s'est arrêtée avec son échec à
l'élection de 1848. Et je sais désormais grâce à Sylvie Yvert pourquoi
je n'avais retenu que le poète au détriment du politique, c'est son ami le
député Cormenin qui nous le dit : « Vous vivrez, illustre poète, quand les
maîtres actuels de la parole ne vivront plus… et quand deux ou trois noms seuls
surnageront dans le vaste naufrage de nos gouvernants éphémères. »
Par la voix de son épouse, Sylvie Yvert nous fait pénétrer l'intimité
de ce couple solidaire, accablé par le malheur de la perte de ses enfants et en
proie aux incessantes difficultés financières, lesquelles ne lui ont pourtant
jamais fait perdre sa dignité. Allant jusqu'à refuser la pension que le Prince-président
voulait lui allouer pour faire face à ses charges.
J'ai beaucoup apprécié le parti pris par Sylvie Yvert pour aborder la
vie d'Alphonse de Lamartine, celui de donner la parole à celle qui a été son
soutien indéfectible dans les épreuves qu'ils ont endurées sur les plans
familial et professionnel. Couple modèle, uni, généreux, aimant, qui a été le
ferment de l'inspiration du poète. Heureusement que les succès d'édition du
poète de son vivant sont venus contrebalancer ces déboires, même s'ils ne
permettaient pas de couvrir les dettes. Son épouse a toujours été son premier
lecteur et correcteur.
A défaut d'écouter l'orateur politique, fût-il brillant mais sans doute pas
assez convainquant, écoutons le poète retrouver en rêve la fille aimée :
Mes lèvres ne savaient d'amour où se poser ;
Elle les appelait comme un enfant qui joue,
et les faisait flotter de sa bouche à sa joue,
qu'elle dérobait au baiser!
….
« Julia! Julia! D'où vient que tu pâlis ?
Pourquoi ce front mouillé, cette couleur qui change ?
Parle-moi, souris-moi ! Pas de ces jeux, mon ange !
Rouvre-moi ces yeux où je lis ! »
…
Eh bien ! Prends, assouvis, implacable justice,
d'agonie et de mort ce besoin immortel;
moi-même je l'étends sur ton funèbre autel.
Si je l'ai tout vidé, brise enfin mon calice !
Ma fille, mon enfant, mon souffle ! La voilà !
La voilà ! J'ai coupé seulement ces deux tresses
dont elle m'enchaînait hier dans ses caresses,
et je n'ai gardé que cela! ».
lundi 23 janvier 2023
Belle Green ~~~~ Alexandra Lapierre
🌕 🌕 🌕 🌕 🌗
« Dieu a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités ». Cette assertion que j'emprunte à Tahar Ben Jelloun trouve tout son sens chaque fois qu'il est question de race chez notre espèce dite humaine. Et c'est bien le fonds du sujet de cette très belle biographie écrite par Alexandra Lapierre. Elle parvient, avec cet ouvrage, à dénoncer la haine qui peut naître du fait de la différence abaissée au rang d'inégalité. Elle a exploité cet écueil chez un personnage que l'histoire a un quelque peu occulté et qui a pourtant joué un rôle significatif dans une page de l'histoire de son pays.
Belle n'était pas le qualificatif que lui aurait valu son apparence physique,
car elle était effectivement belle, Belle était son prénom, son vrai prénom.
Parce que pour ce qui était de son nom, elle avait dû le travestir, autant que
ses origines, certes en forme de reniement, pour se donner une chance de
promotion sociale dans l'Amérique raciste de la première moitié du 20ème
siècle.
Belle a commencé par être subsidiairement la bibliothécaire de J. P. Morgan, un
des hommes les plus riches et plus influents de son temps aux Etats-Unis. Elle
est devenue par son charisme, son intelligence et à force de volonté la
personne de confiance de ce personnage richissime au point de se voir donner
carte blanche, avec les fonds qui correspondaient, pour négocier et faire
l'acquisition des œuvres littéraires anciennes, rares et précieuses et autres œuvres
d'art sur lesquels le magnat de la finance avait jeté son dévolu. Belle avait
acquis une compétence saluée si ce n'est jalousée par ses pairs.
Elle a prospéré sous la protection de son bienfaiteur au point de devenir
elle-même reconnue, riche et célèbre. Tous statuts reposant cependant sur un
mensonge. Belle avait en effet monté avec sa famille l'incroyable scenario
destiné à cacher ses origines métissées. La dilution des gênes dans le temps
était telle qu'elle put s'afficher « sans une goutte de sang noir ». La
révélation de cette vérité lui eut valu le rejet cruel de la majorité blanche.
Et c'est pourtant bien ce qui est arrivé.
Car ce n'est pas spolier que de le révéler. Alexandra Lapierre le
cite en prélude de son ouvrage. Les circonstances et la lettre qui dévoilèrent
son subterfuge sont d'une cruauté inouïe, à l'encontre d'une personne qui
s'était hissée dans la société à force de travail, d'abnégation, de volonté,
mais aussi de fidélité intéressée, disons-le tout net, auprès de son
protecteur. La complicité manifestée entre eux fut un véritable jeu de chat et
de la souris, mais non dénuée d'une certaine tendresse.
Cette biographie est remarquable. Fort bien écrite, documentée et construite,
elle est autant une dénonciation de la haine raciste que l'histoire d'un
personnage. Un personnage fascinant, habile et brillant, rattrapé sur la fin de
sa vie par le mensonge qui lui avait permis son ascension sociale. Mensonge
poussé à son extrême, jusqu'à s'interdire toute descendance au risque que le
gêne de la négritude resurgisse dans sa progéniture. Belle Greene est
un ouvrage historique poignant sans être larmoyant, et son sujet un personnage
attachant du fait de l'opiniâtreté qu'il met à tenter de se défaire d'une
différence devenue inégalité.
lundi 5 décembre 2022
Divine Jaqueline ~~~~ Dominique Bona
🌕 🌕 🌕 🌗 🌚
Pour avoir déjà pu apprécier l'écriture de Dominique
Bona, je me préparais au plaisir de retrouver son style séduisant rehaussé
d'érudition en portant mon choix sur cet ouvrage. Il me ferait connaître un
personnage dont je n'avais jusqu'à ce jour jamais entendu parler, et pour
cause.
La cause étant que mon univers de vie et mon rayonnement sont à des
années-lumière de celui de cette célébrité qu'est Jaqueline de Ribes. Aussi
puis-je affirmer dès lors, en refermant cet ouvrage, que si un jour quelqu'un
de mal inspiré s'avisait d'écrire ma biographie, à côté de ce que je viens de
lire le rendu aurait la consistance de celle d'un être disparu de la mort
subite du nourrisson.
La qualité de pareil ouvrage doit autant au sujet de cette biographie, qu'à son
auteure. À personne exceptionnelle il fallait un auteur, et en l'occurrence une
auteure, qui soit à la mesure. Dominique Bona était toute désignée
pour cet exercice ô combien périlleux, Jaqueline de Ribes étant encore de ce
monde. La question se pose alors de savoir s'il s'agit d'une biographie ou de
mémoires. La subjectivité change de camp selon le cas.
La joie de retrouver Dominique Bona dans son exercice favori qu'est
la biographie a cette fois été tempérée. Si le style est toujours aussi
brillant, le sujet m'a quelque peu blasé. Des descriptions à n'en plus finir,
de tout ce qui peut mettre en valeur une silhouette de rêve et la mettre en
scène au cours de galas, bals, dîners, réceptions, dans une forme de fuite en
avant vers la séduction. Ce qui fait de cet ouvrage un véritable défilé de mode
sous les yeux ébahis, si ce n'est envieux, des spectateurs de l'élégance faite
femme et superbement retranscrite par Dominique Bona. Une fuite en avant,
mais pourquoi pas aussi une forme de revanche sur le désamour dans lequel l'a
abandonnée une mère dédaigneuse de sa descendance.
L'ouvrage devient plus intéressant lorsque Jaqueline de Ribes se lance
elle-même dans l'aventure de la création en fondant sa propre marque. Sous l'œil
pour le moins avisé, excusez du peu, mais néanmoins attendri des déjà grands de
la profession : Dior, Saint-Laurent, et consorts. Entreprise dans laquelle elle
se voit couronnée de succès artistique, mais pas financier.
Sujet et mise en forme font de cette biographie un ouvrage d'une esthétique
rare, certes empesé d'un narcissisme exacerbé, mais qui réconcilie avec l'a
priori défavorable que peut laisser planer une naissance favorisée par le
milieu et la beauté, tant Jaqueline de Ribes s'est investie pour sublimer et
faire rayonner au travers de sa personne, au-delà de la femme, la féminité.
La prouesse de l'auteure étant de ne pas faire assaut de superlatifs comme en
déploie trop souvent les discours au vocabulaire indigent mais de mettre en œuvre
dans son propos le même luxe que celui qui fait briller son sujet de mille feux
à la face du monde. Car l'univers de Jaqueline de Ribes est tout sauf étriqué,
sauf commun, sauf modeste. Ce qui la qualifie le mieux dans ce que j'ai compris
de son personnage est sans doute cette phrase que Dominique Bona a
extraite des nombreux entretiens qu'elle a eus avec la Divine Jaqueline : « Je
suis née un 14 juillet, j'ai mis évidemment un peu de révolution dans la
maison, j'espère avoir mis aussi un peu de feux d'artifice. »
mardi 16 août 2022
L'oeil de Galilée ~~~~ Jean-Pierre Luminet
Moi qui, "trottinant sur le bas-côté du grand chemin de l'Histoire", ne sais que consommer et ne rien produire, qui soit utile à l'humanité j'entends, dois-je jalouser l'astronome danois Tycho Brahé qui formulait en ces termes son voeu le plus cher : "Ne frustra vixisse videar", que je ne semble avoir vécu en vain.
Avant que de lire cet ouvrage de Jean-Pierre
Luminet, L'oeil de Galilée, par quelques
nuits claires, les yeux dirigés vers les étoiles, j'avais déjà eu l'occasion de
méditer sur la profondeur de l'univers.
Mais que savons aujourd'hui de plus que Brahé, Kepler son disciple, Galilée, et autres
astronome, mathématicien, physicien de ce fabuleux siècle de la Renaissance,
sur le mystère de l'infini.
Certes nos yeux sont se sont portés plus loin dans les galaxies, ont découvert
planètes, comètes et autres trous noirs, mesuré des distances en années
lumières, émis des hypothèses sur la formation de l'univers, le
Big bang. Nos congénères ont même fait une incursion sur la boule d'ivoire qui
illuminait les nuits de Copernic. "Un petit pas pour l'homme, un grand pas
pour l'humanité". Mais plus que Brahé, Kepler et Galilée, sommes-nous
capables de nous situer entre les deux infinis, le grand et le petit ? Ce mot
qui justement échappe à notre entendement. Parce que dans ce mot, in-fi-ni,
réside tout le mystère de la vie. Kepler le ressentait bien comme tel, même si,
scrutant le ciel avec ce télescope rudimentaire qui vaut à cet ouvrage son
titre, il lui fixait des bornes à cet univers.
Aussi qu'importe géocentrisme ou héliocentrisme dont il est beaucoup question
ici. Qu'importe si c'est la terre qui est au centre de l'univers,
concept cher à Aristote,
Ptolémée et consorts, auquel s'accrochaient les "théologiens s'occupant
d'autre chose que de foi", dans leur grande intolérance aveugle, ou si
c'est le soleil qui est au centre de l'univers,
contradiction défendue par Copernic puis Galilée. Ce dernier
étant obligé de se déjuger au risque de condamnation pour hérésie, bougonnant
dans sa barbe cette réflexion certainement apocryphe : "E pur si muove
!" Et pourtant, elle tourne, en parlant de notre planète autour du soleil.
Qu'importe ce que l'on désigne comme le centre de l'univers,
puisqu'entre les deux infinis, bien malin qui peut situer un centre. Car c'est
là, c'est à dire partout et nulle part, que réside la réponse à la question, la
seule, la vraie : pourquoi la vie ? Pourquoi nous sur terre, perdus au milieu
de nulle part ? Pourquoi une vie bornée par une naissance et une mort dans un
univers qui lui n'en connaît point de bornes ?
Que de questions sans réponse ! Abandonnant la
métaphysique pour verser dans le concret, Kepler se les posait déjà.
S'imposeront-elles à moi ces réponses quand mon coeur aura cessé d'irriguer cet
organe insensé qui transforme un processus chimique en pensées ? Et Dieu sait
s'il a bien fonctionné dans le crâne de Kepler ce cerveau, entre 1571 et 1630,
pour lui faire écrire autant de théories qui dans sa postérité trouveront leur
preuve. Sauf bien sûr la finitude de l'univers.
Il est vrai que lorsqu'on touche aux étoiles, on avance de quelques millimètres
vers l'infini. C'est pour cela que l'expression que je trouve la plus seyante
pour désigner cette belle science qu'est l'astronomie, c'est bien celle qui
qualifiait alors l'astronomie de "philosophie naturelle". Toute
hypothèse sur la conformation de l'univers ne
sera jamais en fait, aussi loin que se portera notre regard, que vue de
l'esprit sujette à réflexion, discussion, rêverie peut-être, et surtout
contradiction. Et si un jour un esprit supérieur équipé d'yeux de lynx trouvait
des bornes à notre univers, un début et une fin avec comme un grand mur, je
serai le premier à l'approuver. C'est vrai ce que tu dis, mais dis-moi, au
fait, derrière ce mur, il y a quoi ?
Utilisant le procédé narratif d'un témoin fictif de faits pourtant bien réels,
pour autant que leurs colporteurs ne les aient pas trahis au fil du temps, cet
ouvrage de Jean-Pierre
Luminet a pu en dérouter plus d'un. Il est vrai qu'il y a de quoi se
noyer dans les atermoiements des scientifiques de la Renaissance émis entre les
menaces des papistes et leur envie de faire éclater le fruit de leurs
cogitations illuminées, de mettre à jour l'exactitude, chère à Marguerite
Yourcenar, qui seule appartient à la Nature, a contrario de la vérité qui
existe en autant de versions qu'il y a de bouches pour la prononcer. Il n'en
reste pas moins que Jean-Pierre
Luminet a su retirer à ses écrits le côté abscons dont le sujet aurait
pu remplir les pages.
La vie de cet homme de science, Kepler et non Galilée comme le
titre de cet ouvrage le laisse à penser, m'a passionnée. Je reste subjugué par
la production d'autant de théories avec aussi peu de moyens d'observation, et
surtout dans un climat aussi tourmenté par la folie des hommes en ce siècle où
la religion catholique n'admettait pas la contradiction.
Alors héliocentrisme ou géocentrisme quelle importance dans un univers où nul
ne pourra jamais situer de centre. Et pourquoi ne serais-je finalement pas,
moi, en entorse à ma réserve naturelle, le centre de l'univers ?
Engendré par le grand orgueil du tempérament humain, l'égocentrisme n'est-il
pas la seule constante à réunir les générations.
Johann Kepler, astronome ou astrologue ? Les deux mon général ! Il fallait bien
flatter les faibles d'esprit quand ils se trouvaient avoir un peu d'influence,
et les rassurer quant à un avenir dont ils ne voulaient voir le côté sombre.
Avec cette singularité et celle de son époque, dans "la longue marche vers
la vérité céleste" il a fait preuve d'une grande sagesse qui mérite d'être
connue.
dimanche 17 avril 2022
Théodora ~~~~ Virginie Girod
« Les hommes redoutent toujours le pouvoir féminin qu’ils
pressentent si supérieur au leur ». C’est une des rares citations de cet
ouvrage dans laquelle on peut dénicher une note de compensation en faveur des
femmes après des millénaires de domination par son congénère masculin. Car là
n’est pas le propos de Virginie Girod. Même s’il s’agit de faire le recentrage
de la réputation d’une femme colportée par tant de voix discordantes.
Avec l’érosion des sources historiques il y a deux autres raisons de mal connaître
la valeur et l’impact des femmes en politique. C’est qu’elles étaient femmes
justement d’une part. Que leur action politique ne pouvait se concrétiser que
par l’entremise d’un homme. Et que d’autre part, jusqu’à encore très récemment,
écrire était resté privilège masculin. Ce n’est pas Virginia Wolf qui le
contredira. Elle s’en expliquait dans Une chambre à soi. Il est donc évident
que dans pareils contexte et circonstances la voix des femmes ne pouvait être
que rapportée par celui qui n’avait aucun intérêt à déchoir de son piédestal.
Théodora ayant eu en son siècle un destin de femme, et même un destin tout
court pourrais-je dire pour ôter la notion de genre à cette allégation, un
destin donc hors du commun qui ne pouvait laisser personne insensible. Surtout
pas les hommes qui eurent à la connaître. Ils pouvaient l’aimer ou la détester
avec la subjectivité qui s’attache à chaque attitude, jamais rester
indifférents. Mais femme des tréfonds de l’histoire, sa vie, son œuvre ne sont
connues que de propos rapportés par des hommes. Au premier rang desquels son
contemporain Procope de Césarée (1), lequel ne lui vouait aucune admiration
bien au contraire. Se complaisant à supplanter l’intelligence politique qui fut
la sienne au profit de son passé moins reluisant, ne concédant à son avantage
que le charme de ses traits. Encore en faisait-il un atout pour servir son
appétit de pouvoir.
Dans cet ouvrage Virginie Girod fait le point sur les sources orientales mises
au jour depuis ce temps lointain contemporain de Théodora et de Procope. Elle
concède dans un chapitre en fin d’ouvrage « qu’écrire la biographie de Théodora
est une gageure. L’historien navigue entre les sources et les ouvrages qui lui
sont favorables ou hostiles. » Elle vient pourtant nuancer cette vision
manichéenne du personnage. La tentation de la solidarité féminine est absente
du portrait qu’elle essaie de peindre de la fille d’un dresseur d’ours devenue
impératrice. Même si la restitution d’une sensibilité féminine qui a longtemps
fait défaut à tous ceux qui ont évoqué le personnage jusqu’alors est un
éclairage appréciable de la part de cette spécialiste de l’antiquité. Comme
dans les deux précédents ouvrages que j’ai lus de sa main, je retrouve cette
volonté de rééquilibrage légitime et bien mené de la réputation d’un personnage
trop longtemps polluée par des sentiments opposés et exacerbés. Son tort n’a
après tout été que d’accéder au pouvoir en un temps où les femmes devaient s’en
tenir à leurs travaux d’aiguille.
Mais derrière toute cette histoire d’une « femme fatale, puissante, dont l’aura
n’a pas encore disparu mille cinq cents ans après sa mort », il y a une
histoire d’amour dont Virginie Girod se convainc de la sincérité. Celle qui a
uni cette femme « belle, intelligente, manipulatrice, dominatrice, déterminée »
à Justinien. Ils formèrent un couple fidèle et solidaire. L’empire byzantin
n’eut pas à souffrir de leur union, bien au contraire. A eux deux ils le
conduisirent à son apogée par la fortune de leur complémentarité. Et peut-être
même Justinien a-t-il duré au pouvoir que parce qu’il avait cette souscrit à
cette alliance tant décriée.
Bel ouvrage de Virgine Girod fort bien construit autour de cette « femme libre,
intelligente et insoumise [qui] pourrait être érigée en modèle. »
(1) Procope de Césarée né vers 500 et mort vers 565, est un rhéteur (avocat) et
historien byzantin dont l'œuvre est consacrée au règne de l'empereur Justinien.
(Source Wikipédia)
jeudi 14 avril 2022
Agrippine ~~~~ Virginie Girod
Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il
dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant
personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.
Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais
dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme
ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au
chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent
leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités,
Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.
Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage
de Virginie
Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela
évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se
targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que
me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.
Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la
relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été
attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses
avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité
laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera
personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à
contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité
physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de
modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une
disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de
prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une
autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait
faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le
truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les
autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au
pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle
un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au
point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.
L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui
ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve
dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et
références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de
l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable
travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique
foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.
Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son
ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité
dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette
crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée
qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps.
Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des
historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais
: Suétone,
Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et
interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des
recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique,
numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres.
L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le
contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui
voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux
julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un
impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle
décoratif.
C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers
ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire
connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières
armes dans le plus vieux métier du monde.
samedi 2 avril 2022
La véritable vie des douze Césars ~~~~ Virginie Girod
Par les temps qui courent, voilà une citation qu’il y a urgence de replacer dans son contexte : … « Il escompte bien rester préfet du prétoire sous le principat de Caligula. »
Nous sommes dans la Rome au temps des Julio-Claudiens, puis des Flaviens. Ceux que l’histoire retiendra sur la liste dressée par Suétone (*) dans son ouvrage biographique La vie des douze Césars. Ouvrage que Virginie Girod a décidé de revisiter au point d’intituler son ouvrage La « véritable » vie des douze Césars.
Car l’éminente historienne, bien contemporaine de nous autres lecteurs de ce temps d’un autre Macron, a appris à connaître ce secrétaire d’Hadrien, en particulier pour son goût du trivial. Un goût quelque peu imposé par le contexte dans lequel il rédige ses écrits, rangés à l’époque dans l’art mineur de la biographie nous dit-elle. Elle imagine que lesdites biographies, si elles ne sont pas sujettes à caution, sont moins soucieuses du rôle historique de ses sujets que de leurs frasques. Un de ses confrères historien du 19ème siècle, Alexis Pierron, ira jusqu’à qualifier Suétone de « colporteur d'histoires d'antichambre ».
La motivation de Virginie Girod est donc là : ajouter le qualificatif véritable au titre de l’ouvrage de Suétone et tenter de corriger cette tendance à l’errance entre vices et travers des Césars, à faire fi de leur rôle politique. Sans négliger le formidable apport pour les historiens du futur qu’est l’œuvre de Suétone ni le contexte dans lequel il écrit, Virginie Girod justifie en avant-propos bénéficier à la fois des avancées dans la connaissance historique et des neurosciences entre autres, mais se défend de juger une époque avec les acquis des millénaires en termes de morale, d’esprit de justice, d’avancée sociale mais aussi d’empathie, dernière qualité qui eut pu figurer source de faiblesse dans une époque de violences psychologique et physique.
Comment comprendre en effet qu’on puisse se débarrasser du « princeps », premier citoyen de l’empire, intermédiaire entre les dieux et les hommes, parce que grisé par son pouvoir il avait sombré dans la folie paranoïaque, était devenu incontrôlable par des contre-pouvoirs muselés, voire inexistants. Comment comprendre aussi que le grand César, qui n’était quant à lui pas empereur puisque sous le régime d’une république laquelle n’avait de ce régime plus que le nom, s’était vu honoré du titre, car c’en était un, de dictateur à vie, s’étant vu confier tous les pouvoirs par le Sénat. Comment comprendre encore que le suicide soit institué en porte de sortie honorable et restaure sa noblesse à un empereur qui avait perdu sa crédibilité aux yeux de ses sujets. Comment comprendre enfin que l’on puisse créer une succession patrilinéaire du pouvoir en adoptant son successeur, comme on le ferait d’un enfant, y compris à titre posthume.
Les temps ont bien changé. Les mœurs, les croyances et les valeurs qui vont avec. Ces dernières ayant pratiquement disparu, les croyances se focalisant en une croyance unique, ou pas, désormais. Les Césars étaient loin d’être exempts des travers dont Suétone faisait ses choux gras pour plaire à son maître du moment, l’empereur Hadrien, nous confirme Virginie Girod. Elle réussit à nous faire comprendre avec cet ouvrage rationnel, foisonnant, qui se veut aussi objectif que l’autorisent les avancées dans la connaissance de l’époque, en quoi leur personnalité et leurs actes étaient en harmonie avec le contexte d’une Rome onirique. Il faut l’avoir étudiée comme l’a fait cette spécialiste de l’antiquité pour comprendre à quel point le pouvoir corrompt les puissants et fascine ses spectateurs, qui voudraient peut-être leur ressembler.
J’aime l’histoire. Et quand elle est bien écrite, je suis
comblé. Cet ouvrage de Virginie Girod remplit les conditions pour me faire plébisciter
le formidable travail d’étude qu’il a fallu pour sa gestation.
A écrire La véritable histoire des douze césars, il faut s’attendre à une lecture critique des sources, à usage du conditionnel quand elles font naître le doute. Virginie Girod le fait avec une intelligence qui inspire le respect, un naturel qui fait recevoir ses allégations comme une évidence. Elle nous adresse un fort bel ouvrage propre à entretenir notre intérêt pour ceux « qui incarnent les figures paroxystiques de nos passions ».
(*) Suétone (70-122 apr. J.C.) haut fonctionnaire romain, membre de l'ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont la Vie des douze Césars qui rassemble les biographies de Jules César à Domitien en passant chronologiquement par Octave (Auguste), Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus.
lundi 31 janvier 2022
Edmond Rostand, l'homme qui voulait bien faire ~~~~ François Taillandier
Les siècles ne tournent pas avec les années zéro. Les
siècles tournent avec des événements qui marquent les esprits. le 19ème s'est
terminé dans la grande sauvagerie patriotique de 14, après que les terres du
nord eussent été gavées de chair humaine. Edmond Rostand n'a pas voulu
connaître le siècle nouveau enfanté par ce martyre des humbles. Il est mort en
1918. Il savait que la lame de boue gorgée de sang qui avait englouti le 19ème
siècle avait emporté avec elle le "raffinement extrême, le luxe verbal et prosodique"
du théâtre en alexandrins. "Rostand a sombré en même temps que la Belle
époque."
Cyrano de Bergerac, l'Aiglon ou Chanteclerc, auront été le bouquet final d'une
époque incarnée par celui qui avait été, très jeune, auréolé d'une popularité
sans égal. Difficile de déchoir quand on a fait plus que tutoyer, plus
qu'embrasser, quand on a incarné la gloire. Après le triomphe de Cyrano, de
l'Aiglon trois ans après, Edmond Rostand avait bien perçu la gageure qui est
celle de durer dans le succès. Ce n'est donc que 10 ans plus tard, après moult
remaniements et atermoiements, qu'il se décide à lancer Chanteclerc, dans une
débauche de décors, d'acteurs emplumés, de déclamations tonitruantes. Mais le
siècle est sur le point de tourner, dans l'apocalypse, emportant avec lui la
Belle époque et la poésie classique.
Les grandes œuvres sont des monuments qui jalonnent l'histoire de la
littérature. Celles d'Edmond Rostand sont érigées à la croisée de courants
littéraires. Le néo classicisme et son exubérance en l'art déclamatoire, devenu
désuet, est supplanté par le surréalisme, plus déconcertant. Le figuratif et le
démonstratif ont vécu. Place au suggestif. Chanteclerc, le fier et bucolique
horloger des campagnes du 19ème siècle s'efface au profit du trivial et mécanique
réveil matin. Le charisme n'est plus une valeur. L'algorithme ne sait pas le
gérer.
Plus qu'une biographie du célèbre dramaturge, François Taillandier nous dresse
un panégyrique de cet "éveilleur d'âmes" et de son œuvre. Véritable
déclaration d'amour à l'adresse de celui qu'il n'hésite pas interpeler dans de
grands élans de familiarité, "mon Edmond", le plaindre parfois,
"mon pauvre Edmond". Il a enchanté sa jeunesse et le fascine
toujours, regrettant du même coup n'être pas né à la bonne époque, n'avoir pu
devenir un grand poète lyrique. N'avoir donc pu connaître celui qui
"incarnait le prestige de la littérature, magnifiait l'idée du
poète." Il dégage de sa personnalité trois caractéristiques qu'il
développe avec force argumentations : le conformisme, dans ses jeunes années,
la gravité, et la démesure.
"Je m'étais promis d'écrire ce livre."
Le temps était donc venu de faire cette déclaration à son idole de jeunesse,
parmi d'autres illustres versificateurs sans doute. N'imaginons pas de calcul avec
le centenaire de la mort de Rostand, il y avait jusqu'alors comme une retenue.
Dès lors, par-delà le siècle, Edmond le lui commande. François Taillandier sent
le moment venu de raviver une mémoire injustement élimée par les décennies
oublieuses de "celui qui voulait bien faire" - sous-titre de cet
ouvrage. S'interrogeant cependant toujours sur la raison de cette connivence d'outre-tombe.
Cet ouvrage est donc bien la confession rétrospective "d'une passion
singulière, anachronique, d'un gamin de quinze ans dans la France des années
soixante." Il est un non conformisme à la biographie, en ce sens qu'il
dévoile l'intimité de son auteur avec son sujet. C'est l'œuvre d'une passion.
C'est ce qui le rend plus touchant que simplement historique.
Quand est venu le moment de faire parler le cœur, de dire le ressenti, la
prose, plus apte à traduire les pensées, encore que, avoue son insuffisance et
laisse la place à la poésie. "Le poète est un professeur d'idéal, de sens
et de beauté."
Je n'arpenterai désormais plus la rue Edmond Rostand à Marseille avec le même
regard. Je devrai à l'opération masse critique de m'avoir ouvert les yeux
devant ce numéro 14, la maison natale du plus jeune académicien que la vieille
dame du quai Conti dame ait compté sous sa coupole.
jeudi 2 décembre 2021
Louis Jouvet ~~~~ Olivier Rony
« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. » Prenons acte de cette épigraphe que le docteur Knock
attribue à Claude Bernard et adresse à son confrère Parpalaid dont il reprend
la clientèle. Cela fait partie des répliques culte qui me ramènent à l’esprit
le portrait de Louis Jouvet, ce géant par la taille et par le talent qui était « dévoré
par le théâtre » au point dans la première moitié du 20ème
siècle d’en être la figure symbolique. Olivier Rony nous en adresse une fort
belle biographie aussi précise que vivante.
Sauf que cette précision ne s’applique pas de la même manière à sa vie privée. Jouvet avait certes femme et enfants, mais l’ouvrage d’Olivier Rony nous donne véritablement l’impression que la vie de famille ne pesait pas lourd en face de la vie professionnelle de celui que ses parents avaient orienté vers une carrière de pharmacien. Il en a certes obtenu le diplôme, mais ce dernier n’a pas pu rivaliser avec l’appel de la scène qu’il a préférée à l’officine.
Son épouse, qui l’a accompagné sa vie durant, est restée dans l’ombre du personnage au point de n’être mentionnée que de façon anecdotique dans l’ouvrage d’Olivier Rony. Le maître, il est vrai, n’eut pas seulement de double vie celle de ses personnages. Ses rencontres favorisées par le métier et ses pérégrinations à l’occasion de ses tournées en Europe et sur le continent américain ont laissé bien peu de place à la discrète Else Collin qu’il avait épousée en 1912. C’est en tout état de cause ce que nous laisse comprendre l’ouvrage d’Olivier Rony.
Beaucoup de sources documentaires citées dans cet ouvrage sont tirées de la correspondance foisonnante que Jouvet échangeait avec ses interlocuteurs du métier. Dans un milieu et à une époque où l’art épistolaire avait ses lettres de noblesse, cette correspondance laissée à la postérité en dit long sur la vie ses auteurs. Elle nous fait pénétrer l’intimité de ces personnages et leur redonne vie dans ces pages. On en arrive à se demander ce qu’il restera de nos échanges contemporains effectués à grand renfort de SMS, mail, téléphone dans un langage d’abréviations et acronymes qui assassine la grammaire et rend les échanges inaccessibles à la compréhension à qui n’est pas averti du contexte.
Olivier Rony restitue à merveille la forte personnalité de ce ténor des tréteaux qui dès son plus jeune âge a su s’imposer comme nul autre dans tous les métiers du théâtre : acteurs au premier chef bien entendu mais aussi, régisseur, metteur en scène et directeur de théâtre avant de prendre la direction du conservatoire et de porter ses rôles à l’écran dès la parole donnée au 7ème art. Car Louis Jouvet c‘était surtout une présence et une voix qui conféraient au personnage une ampleur inégalée.
Le personnage avait cette certitude de lui-même au point
d’écrire à l’un de ses proches dans le métier : « Pour ce qui est de
Molière, vois-tu, je ne reconnaîtrai à personne, à personne, tu
m’entends ? le droit de me donner des leçons. Parce que – dussé-je te
paraître présomptueux -, je ne crois pas qu’il existe au monde un moliériste
plus averti que moi, plus objectif, plus consciencieux que moi. » A bon
entendeur salut !
Knock ou le triomphe de la médecine de Jules romain, dont le rôle était taillé sur mesure pour Louis Jouvet, est avec plus de mille représentations rien qu’à Paris la pièce qui a assuré à son acteur fétiche pendant les périodes de vaches maigres le fonds de commerce qu’il avait méprisé de ses études de pharmacie. Bien qu’en son esprit le cinéma ne peut « concurrencer la pureté, la simplicité et la noblesse d’un art né du souffle dionysiaque pour offrir une parole poétique aux hommes de la cité », Jouvet a eu la bonne inspiration d’immortaliser son génie d’acteur sur la pellicule sous la direction de Guy Lefranc en 1951, l’année de son ultime salut au public.
Alors « Ne confondons pas, est-ce que ça vousgrattouille ou ça vous chatouille ? » Ni l’un ni l’autre cher maître parce qu’à la lecture de cette biographie, à la vision de ces classiques qui portent l’estampille de Louis Jouvet on n’a que l’envie tirer son chapeau à celui qui fut le théâtre et eut la bonne inspiration de faire imprimer sur la pellicule son jeu inimitable, pour notre plus grand plaisir à nous spectateur d’un autre temps.
Ses lieux de vie professionnelle les plus importants
Théâtre du Vieux Colombier - Paris 6ème
Théâtre de l'Athénée - Paris 9ème
Théâtre des Champs Elysées - Paris 8ème
Théâtre du Conservatoire National d'Art Dramatique - Paris 9ème
Citations de Louis Jouvet
« Je me suis trouvé un jour au théâtre, dans une salle, puis sur la scène : je m’en étonne encore moi-même. Cet étonnement ne me gêne pas, il me plaît et me satisfait. Le plus estimable, le plus heureux dans la vie est de s’étonner. »
" Ne l'oubliez pas c'est quand le rideau se lève que votre vie commence, il ne tient qu'à vous qu'elle continue le rideau baissé."
mardi 26 octobre 2021
Berthe Morisot - le secret de la femme en noir~~~~Dominique Bona
Les artistes ont tous leur part d'ombre. du fond de laquelle
ils vont puiser cette limpidité que fait jaillir leur inspiration. le talent
consistant à abreuver les autres à cette source confidentielle. Berthe Morisot,
artiste secrète s'il en est, n'exprimait jamais mieux ses intentions que dans
sa peinture. Surement pas dans le bavardage, défaut bien féminin dont elle a
été préservée selon Dominique Bona. Son art dévoilait à son entourage ce qu'en
femme introvertie son cœur n'exprimait qu'avec circonspection.
Elle avait en son temps le double handicap d'être une
artiste avant-gardiste dans un courant pictural, l'impressionnisme, qu'il était
tout autant, et d'être une femme. Au XIXème siècle la femme était vouée à la
frivolité et n'existait que lorsqu'elles devenaient mère de ses enfants. Berthe
Morisot n'a pas dévié du chemin qu'elle s'était tracé. Elle a voulu être femme
pour elle-même, et ne séduire que par son art. Exprimer ainsi ce que sa nature
profonde ne savait dire qu'au bout de ses pinceaux. Femme et artiste au XIXème
siècle, deux raisons de disparaître qui lui ont donné deux raisons d'exister.
Le mot mystérieux est celui qui revient le plus souvent dans
les pages de Dominique Bona à l'écriture très agréable. Berthe Morisot
augmentait le mystère du féminin d'un autre, celui de l'observatrice taciturne
du monde qui l'avait vu naître et avec lequel elle ne communiquait bien qu'avec
son art. Les confidents en paroles et en écrits étaient rares à cette femme
dont le détachement aux choses du monde pouvait paraître froideur : sa sœur Edma,
le poète Mallarmé, sa fille Julie. La femme inspirée par une muse qu'elle
partageait sans doute avec celui qui l'a le mieux figée sur la toile, Edouard
Manet, n'aura de cesse de vouloir s'en démarquer, se singulariser, mettant en
œuvre une « peinture tantôt aérienne, tantôt aquatique, qui ne tient à la
terre que par un fil. » le réalisme a vécu, Berthe Morisot veut peindre le
mouvement, donne du flou au trait et ouvre la porte à l'abstrait.
C'est avec une grande acuité et une forme de communion que
Dominique Bona scrute ce regard et tente de découvrir qui était la femme
dissimulée derrière l'artiste ô combien prolifique. Elle avait fait métier de
sa passion. Dans la chaleur énigmatique de ce regard merveilleusement restituée
par Edouard Manet, elle cherche les reflets dorés qui dévoileront le secret de
la femme en noir, sous-titre de son ouvrage, au regard tout aussi noir tourné
vers son intérieur, dans une pudeur ténébreuse et fière. Superbe biographie
d'une artiste dont Manet vantera la « beauté du diable », énigmatique sans
doute parce que de sa personne émanait tous les antagonismes, chaleur du
regard-froideur au contact, incommodant à qui aurait voulu lire à livre ouvert
dans un visage fermé à la lecture des émotions.
Cette biographie de Dominique Bona n'en est pas une de plus.
Elle en est une autre. Une approche différente d'un personnage par sa
sensibilité et non pas par la chronologie des événements de sa vie. Une femme
cherche à en comprendre une autre dans son époque, son environnement affectif,
son obsession de peindre. Un travail de documentation fouillé autant que le
regard est sondé pour décoder un personnage plus cérébral que sensuel. Beau
document qui établit un rapport entre femmes, une autrice et son sujet, artiste
à qui sans doute le bonheur a toujours échappé dans le douloureux
accomplissement de la femme-artiste.
vendredi 15 octobre 2021
Une femme à Berlin~~~~Martha Hillers
Une femme à Berlin est le journal tenu par une femme retenue dans la capitale allemande dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale alors que les troupes russes y font leur entrée. Kurt W. Marek, qui a été le premier éditeur de ce journal, évoque la froideur du témoignage qu'il avait eu sous les yeux.
Pensez donc ! Tenir un journal
sous les bombardements, terrée dans la peur et la promiscuité des caves
nauséabondes, le poursuivre quand son autrice est elle-même l'objet de viols
par les vainqueurs du moment, bien décidés à faire endurer au peuple allemand
ce qu'eux-mêmes avaient enduré. Poursuivre l'écriture de ce journal quand elle-même
est sujette aux privations, la faim commandant au corps et à l'esprit, le faire
dans pareilles conditions ne pouvait être possible qu'avec la ferme
détermination de faire savoir et d'ouvrir son coeur à la postérité. Il fallait
pour cela conserver un véritable détachement avec les événements et y trouver
ce qu'elle dit elle-même - page 373 éditions Folio - « le seul fait d'écrire me
demande déjà un effort, mais c'est une consolation dans ma solitude, une sorte
de conversation, d'occasion de déverser tout ce que j'ai sur le cœur. »
Et s'il était encore nécessaire
de redonner un peu de chaleur à ce témoignage pour l'alléger du ton
journalistique qui est le sien, je citerai ce passage qui lui redonne une part
d'humanité : « le plus triste pour une femme seule, c'est que chaque fois
qu'elle trouve une sorte de vie de famille, elle dérange au bout d'un certain
temps, elle est de trop, déplaît à l'un parce qu'elle plaît à l'autre, et qu'à
la fin on l'expulse pour avoir la paix. Voilà tout de même quelques larmes qui
viennent souiller ma page. »
Quelle force et volonté a-t-il
fallu à cette femme, alors qu'elle venait de se faire violer dans les escaliers
de son immeuble par deux brutes assoiffées de vengeance, pour vaincre sa honte,
sa détresse, la haine de ses agresseurs mais aussi de ceux qui n'ont rien fait
pour la secourir, quelle détermination a-t-il fallu à cette femme pour prendre
son cahier, son crayon et écrire : « Je me suis redressée en prenant appui sur
la marche, j'ai rassemblé mes affaires, me suis glissée le long du mur jusqu'à
la porte de la cave. Sur ces entrefaites, on l'avait verrouillée de
l'intérieur. Et moi : Ouvrez-moi, je suis seule, ils sont partis … Bande de
salopards ! Deux fois violées, et vous claquez la porte et vous me laissez croupir
là comme un tas de merde ! »
Page 337 : « Jamais, jamais un
écrivain n'aurait l'idée d'inventer une chose pareille » Difficile à la
fermeture de cet ouvrage d'écrire autre chose que ce qu'elle a écrit elle-même,
en voulant garder l'anonymat. C'est pour cela que dans cette chronique, je ne
ferai que citer trois autres passages qui m'ont particulièrement marqué :
Page 233 : « … je me demande ce
qui parviendrait encore à me toucher, à m'émouvoir vraiment aujourd'hui ou
demain. »
Page 310 : « Occasion de plus de
constater que, quand tout s'écroule, ce sont les femmes qui tiennent le mieux
le coup, et qu'elles n'attrapent pas aussi vite le vertige. »
Page 77 : « Dans les guerres
d'antan, les hommes pouvaient se prévaloir du privilège de donner la mort et de
la recevoir au nom de la patrie. Aujourd'hui, nous les femmes, nous partageons
ce privilège. Et cela nous transforme, nous confère plus d'aplomb. A la fin de
cette guerre-ci, à côté des nombreuses défaites, il y aura aussi la défaite des
hommes en tant que sexe. »
Comment un tel détachement est-il
possible, alors que toutes celles qui ont subi pareil sort s'enferme dans le
silence de la dépression ? le viol n'était-il qu'une péripétie de la guerre, un
dédommagement payé par les femmes au vainqueur en compensation des dommages
subis par ce dernier du fait de celui qui était à l'origine de tout cela et que
le peuple allemand a adoubé ?
Page 211 : « Et tout ça, nous le
devons au Führer ».
Une femme à Berlin est un ouvrage
à part. Parce que peu de témoins de tragédies comme celle-là ont eu la force de
le noter dans des carnets au jour le jour. Même après le pire. Parce que cette
femme témoigne sans s'exonérer, faisant partie du peuple allemand, d'une part
de responsabilité de cette guerre, s'étant laissé embarquer sans en mesurer la
portée par celui qui en était l'initiateur. Parce que cette femme conserve tout
au long de son récit la plus grande pudeur et ne cherche surtout pas
l'apitoiement. Parce que cette femme n'a pas voulu faire de ce journal une
source de revenu. C'est un témoignage « gratuit » des horreurs de la guerre,
laissé à la postérité. La postérité étant ces hommes et femmes qui constituent
l'humanité, libres à eux d'en tirer les enseignements qu'ils jugeront bon de
faire. Mais rien n'étant gratuit en ce bas-monde, c'est un témoignage qu'elle a
payé avec ses souffrances et sa dignité.
dimanche 12 avril 2020
Manderley for ever ~~~~ Tatiana de Rosnay
"Nous sommes tous doubles. Tout le monde l'est. Chacun possède un côté obscur" affirmait Daphné du Maurier dans une lettre qu'elle adressait à l'assistante de son mari traversant une période de dépression. C'est cette dualité aux visages multiples que Tatiana de Rosnay explore et nous dévoile dans Manderley for ever, la biographie qu'elle consacre à la célèbre écrivaine britannique. Elle nous fera découvrir au passage qu'une part de cette dualité trouve son origine dans quelque lointaine ascendance française. Son sujet est un personnage foncièrement captivant et Tatiana de Rosnay ne lui fait rien perdre de sa séduction, loin de là. Et pourtant …
Et pourtant, "les écrivains devraient être lus, et jamais vus ni
entendus", disait elle-même Daphné du Maurier. Voilà de quoi refroidir les
admirateurs. Voilà de quoi décevoir ceux d'entre eux venus à la grille de
Menabilly, le manoir qu'elle avait investi pour être le théâtre de sa vie,
solliciter une dédicace qu'ils n'ont pas obtenue. Toujours en quête de solitude,
aux comportements en trompe l'œil de la vie en société, Daphné du Maurier
préférait l'intimité des relations choisies.
Avec ce magnifique ouvrage, et s'il le fallait encore, Tatiana de Rosnay nous
prouve qu'on ne devient pas écrivain, qu'on naît écrivain. Cet art est comme
toute autre discipline mettant en jeu la sensibilité, le moi profond, il est
inscrit dans la complexion de la personne. Ce qu'Alain Cadéo traduira en
qualifiant l'écrivain d'antenne, propre à capter ce qui traverse l'air au-dessus
de sa personne et que d'autres ne peuvent appréhender. L'inconscient reçoit, le
conscient transmet. Et Joël Diker de compléter, dans son entretien avec la
revue Lire d'avril, en affirmant qu'il n'y a pas d'école pour devenir écrivain.
Il n'y a donc pas de formation pour écrire ces "make-believe", terme
qui, concédons-le à nos amis anglo-saxons, a un degré de suggestion plus fort
que notre fiction qui quant à elle connote l'inventé.
Daphné du Maurier est une écrivaine dont je ne connaissais que le nom. Je n'ai lu
aucun de ses ouvrages. Cette biographie signée Tatiana de Rosnay m'a imposé
d'inscrire dans mon pense-bête de Babelio, l'ouvrage qui aura été à la fois la
bénédiction de sa vie et son calvaire, tant le succès dont il a été gratifié
fut immense et donc inégalable : Rebecca.
Inutile de redire ici ce qui a séduit Tatiana de Rosnay pour s'arrêter sur ce
personnage. Plutôt donner envie de lire Manderley for ever. Je me bornerai à
citer ce qui m'a interloqué chez ce personnage. Avec en tout premier lieu ce regret
d'être née fille. Cette confusion des genres qui a conditionné sa vie de femme,
de mère, au point de préférer son fils à ses filles, influencé ses affinités et
si fortement ses écrits, jusqu'à se complaire dans l'usage de la première
personne dans ses romans quand le "je" était masculin.
Autre motif de fascination est ce besoin essentiel, vital pour Daphné, nous
fait comprendre Tatiana de Rosnay, qu'était celui d'écrire. C'était sa
respiration. Sa liberté. Besoin irrépressible et obsessionnel qu'elle plaçait au-dessus
de tout. Et dont elle comprit toutefois un peu tard à quel point cette frénésie
de solitude nécessaire à la matérialisation de son inspiration a été
préjudiciable à l'harmonie de son ménage, autant que l'a été la carrière de
militaire de haut rang de son époux.
Et enfin, pour ne retenir que quelques points parmi tant d'autres, ce coup de cœur
insensé pour le manoir dont elle n'a jamais été que locataire : Menabilly. Coup
de cœur qui a duré tout le temps qu'elle a occupé cette demeure en Cornouaille
avec sa famille et qui a été, en contrepartie logique, un véritable crève-cœur
lorsqu'elle a dû le restituer à son propriétaire. Rarement il a été donné de
voir une personne déplacer les montagnes, déployer des trésors de persuasion
pour faire sienne une demeure avec la pleine conscience du terme du bail.
Magnifique ouvrage que ce Manderley for ever qui effleure le jardin secret
d'une personne fascinante parce que déroutante. Un personnage tout sauf
conventionnel. Condition sine qua none pour devenir un écrivain à succès à n'en
plus douter.
Daphné du Maurier, un haut pouvoir de séduction confiné dans le huis clos de
ses "infusions", mot code qu'elle utilisait pour traduire le
cheminement de l'inspiration vers la main de l'écrivain, du transcendé vers
l'accessible au lecteur.