Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 26 janvier 2020

Lutetia ~~~~ Pierre Assouline


 

Quel est ce temps dont Pierre Assouline nous dit qu'il y a eu un avant et un après ? Dans ce roman organisé en trois parties un observateur habitué à disséquer les personnalités nous décrit une société confrontée au drame. le récit colle à l'histoire. Tous les événements y sont vrais. La fiction les recolle bout à bout, leur redonne le liant que les livres d'histoire ont négligé dans leur obsession de la chronologie.

Ces avant, pendant et après sont ceux de la seconde guerre mondiale. Elle est vécue dans cet ouvrage depuis le huis clos de l'hôtel Lutetia par Edouard Kiefer - avec un seul f, car il y en a un autre avec deux f, moins recommandable celui-là. Ce kiefer prénommé Edouard n'avait plus l'âge de partir au front. Mais encore celui d'être dénoncé, et pourquoi pas déporté lui-même. Il n'y avait pas d'âge pour cela. Aussi restait-il sur ses gardes. Il était le détective chargé de la sécurité de l'hôtel. Ancien flic des RG, il était tout désigné pour le poste. La psychologie de ses contemporains fréquentant l'hôtel, ça le connaissait. Il la mettait en fiche. On ne se refait pas du jour au lendemain, même en changeant de costume. Les bons vieux procédés avaient encore leur efficacité à une époque où l'accès aux hôtels ne se faisait pas sans l'ouverture d'une fiche de police.

La vraie nature des gens se dévoilent avec encore plus d'acuité lorsqu'ils sont confrontés à la difficulté, au danger. C'est avec cet oeil d'expert que Pierre Assouline nous fait vivre cette page sombre de l'histoire de l'humanité, car même depuis les coulisses de l'hôtel Lutetia, il est question de la Shoah. Cette finesse dans l'appréciation des comportements, des caractères, cette auscultation des tréfonds de la nature humaine, Edouard Kiefer sait mieux que quiconque s'y adonner. Les masques tombent quand les circonstances donnent libre champ aux jalousies, aux peurs, aux convoitises. Ou tout simplement à l'instinct de survie. Celui-là ne reconnaît plus de personne sur son chemin quand il s'agit de se tirer d'un mauvais pas.

De l'hôtel Lutetia on apprend que, comme tous les grands hôtels parisiens, il a été le théâtre d'une petite parcelle de ce drame à l'échelle mondiale. Il a hébergé l'abwehr, le service de renseignement de l'armée allemande pendant toute la guerre. Il a été au moment de la libération et du retour des déportés, une plateforme d'accueil, d'identification et de réinsertion administrative des rescapés.

Le Lutetia est alors le théâtre de scènes d'attente angoissée, toujours, de retrouvailles, si peu, d'immense chagrin plus souvent lorsque les listes, les témoignages ouvrent la trappe sur le gouffre du désespoir.

D'aucuns pourront trouver le style quelque peu sirupeux. J'y ai trouvé quant à moi le plaisir de retrouver la pureté de notre langue quand elle est mise en oeuvre par un artisan ciseleur du calibre de monsieur Assouline. À cette expertise s'adjoint l'érudition pour faire de cet ouvrage un plaisir de lecture. Belle page de gloire de notre langue à défaut de l'être pour l'histoire de l'humanité. Il y a aussi en filigrane une histoire d'amour à laquelle la pudeur donne ses lettres de noblesse quand les élans sont maîtrisés par les convenances. Une histoire vécue du bout des lèvres, pour ne pas faire tâche dans une atmosphère de tragédie.


lundi 20 janvier 2020

Un peu plus loin sur la droite~~~~Fred Vargas

 



J'ai mis longtemps à entrer dans cette histoire. Il faut dire à ma décharge que l'intrigue est longue à se mettre en place. Et peu ragoutante aussi. Il est question d'un os humain trouvé dans une déjection canine sur un trottoir parisien. Voilà de quoi rebuter le délicat.

Mais il n'en faut en revanche pas plus au découvreur du vestige, moins raffiné quant à lui, pour s'en saisir et se perdre en conjectures morbides. Il faut dire que notre homme est un personnage singulier, un tantinet marginal. Évacué du ministère de l'intérieur au sein duquel il a malgré tout conservé d'utiles relations, il a la gouaille généreuse et caustique, servie par un fonds culturel éclectique et ne sépare jamais de son animal favori : un crapaud. Tout cela ne serait qu'extravagance à dessiner un sourire moqueur sur le visage des sceptiques si notre homme ne faisait de cette trouvaille une affaire personnelle commandée par une intuition opiniâtre tournant à l'idée fixe. Il y a du crime dans l'air.

Il ira jusqu'au bout de son obsession qui le conduira jusqu'au bout de la France, en Finistère, pour démêler l'écheveau dont un pit-bull, hargneux comme il se doit, a tiré le fil jusqu'à Paris.

Cet ouvrage donne lieu à des joutes verbales succulentes, placées dans la bouche de personnages taillés à la bonne mesure pour ne pas être qualifiés de communs des mortels. Des tirades qui n'auraient pas rebuté un Cyrano et paraissent toutefois un peu sophistiquées pour être glissées dans une conversation courante entre quelconques. Mais nos protagonistes ne sont-ils pas des insolites de haut vol à la personnalité affirmée dont la vulgarité n'est justement pas leur tasse de thé.

L'énigme ne sera pas aussi simple à élucider que les préliminaires ne le laissent augurer. Il faut alors saluer la prouesse de l'auteure qui à grand renfort de rebondissements bat en brèche les convictions que pourraient se forger les uns et les autres au gré de leur lecture. Jusqu'à voir notre fantasque découvreur de phalange humaine pointer du doigt celui que l'on n'attendait plus.

Belle prouesse que cet imbroglio sophistiqué. On ne le lâche plus après avoir mis un pied dedans, une fois les haut-le-coeur maîtrisés.


vendredi 17 janvier 2020

Au nom de tous les miens ~~~~ Martin Gray

 


Lorsque Martin Gray, qui vient de s'évader du camp d'extermination de Treblinka, rencontre ses coreligionnaires dans un village voisin et tente de les convaincre de s'enfuir, argumentant des horreurs qu'il avait vécues, ils ne le croient pas.

"Ils ne pouvaient pas me croire parce qu'il était impossible d'imaginer Treblinka."
Comment le croire en effet ? Leur incrédulité leur vaudra de subir ce à quoi Martin Gray tentait de les préserver. La mienne d'incrédulité, lecteur d'un temps décalé, averti de cette page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, me vaut de rester médusé devant ce que j'ai lu. Parmi les innombrables et innommables atrocités qu'auraient vécues Martin Gray : étrangler des enfants, sortis miraculeusement vivants de la chambre à gaz, pour les préserver d'être ensevelis vivants dans les fosses que creusait inlassablement l'excavatrice !

On n'ose imaginer que ce fait puisse faire partie de la part de fiction ajoutée au récit par Max Gallo à une réalité déjà insoutenable. Faudrait-il en rajouter à l'horreur pour convaincre que l'effet serait inverse.

Pareille ignominie révélée ne pouvait être que "le cauchemar d'un fou" aux yeux de qui ne l'avait pas vécue, dit-il lui-même. Le cauchemar se perpétuait donc devant l'impossibilité de convaincre, de savoir des hommes, des femmes et des enfants se destiner à Treblinka du seul fait de cette incapacité à l'envisager.

Et qui d'ailleurs pour survivre à pareil traitement ? Un homme jeune. Il n'a pas vingt ans. Un homme que le sort préserve pour faire revivre par le témoignage et la perpétuation ses êtres chers engloutis par la déferlante de la haine. Mais c'est un autre cauchemar que le sort lui réserve. le cauchemar du bonheur foulé aux pieds. L'incendie du Tanneron qui le privera une seconde fois de l'amour des siens dans la fournaise. Sans doute celle de l'inconséquence cette fois. Celle de l'acharnement du sort en tout cas.

Martin Gray est mort en 2016. Quelle que soit la part de fiction de son ouvrage rédigé par Max Gallo, une chose est certaine, il se savait attendu dans l'au-delà par ceux dont les tragédies l'avaient privé de leur amour terrestre. Ils n'étaient que des précurseurs pour un monde que tout-un-chacun espère dépourvu de haine.


jeudi 2 janvier 2020

Quand sort la recluse~~~~Fred Vargas

 



"C'est une enquête qui plonge dans les entrailles, du passé comme de l'esprit", selon les mots du commissaire Adamsberg lui-même. C'est ainsi qu'il qualifie les événements l'ayant conduit à dénicher la recluse.

Les inconditionnels de Vargas et arachnophobes devront faire un choix : maîtriser leur phobie ou faire une infidélité à leur auteure de polar préférée. Car la recluse qui donne son titre à ce roman est bel et bien une araignée, que l'on connaît très vite par son petit nom : loxosceles reclusa. Araignée, mais pas seulement.

C'est mon premier Vargas. Et si j'emploi cet adjectif numéral ordinal (j'ai revu ma grammaire), c'est que cet ouvrage pourrait bien être suivis d'autres de la même auteure dans mes projets de lecture de l'année qui débute. J'arrive certes tardivement sur la planète Vargas, mais comme on dit mieux vaut tard que jamais. Car j'avoue que la personnalité de ce commissaire, dont je crois savoir qu'il est son personnage récurrent m'a bien plu. Un commun des mortels avec ses ressentis, ses doutes, ses faiblesses. Il a bien sûr ce supplément d'opiniâtreté qui vient épauler une conscience professionnelle chevillée à un corps de flic pour en faire un héros. Un héros du quotidien. Un héros sans l'être, avec ce soupçon de bravade guidé par une intuition qui le fait naviguer aux confins de la légalité, quand il subodore que la piste est bonne mais que les preuves ne sont pas encore là.

J'aime ces enquêtes qui nous épargnent le superflic à l'épreuve des balles bondissant pistolet au poing dans la course effrénée d'un compte à rebours de la dernière chance. Vargas nous sert de l'authentique, du crédible dans une vie de flic de chez nous. Les méninges travaillent plus que les effets spéciaux. C'est parfois un peu alambiqué, mais il faut bien épicer un peu le plat pour garder le lecteur en haleine, la bouche ouverte en quête d'air neuf. Avec ce que je viens de lire de la part de Fred Vargas, le dosage est bon. Adamsberg est un flic que j'ai envie de retrouver sur une autre affaire. Je vais fouiller dans le passé. Très bon polar à mon goût, même si j'avais quand même bien imaginé que les soupçons dispersés faisaient diversion pour protéger le vrai coupable. Heureusement que la cause est bonne. Adamsberg est un flic qui a du cœur.