Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

jeudi 30 mars 2023

Trois guinées ~~~~ Virginia Woolf

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1938, la guerre n'est déjà plus une hypothèse. le monstre d'outre Rhin fourbit ses armes. Virginia Woolf publie Trois guinées. La guerre est pour elle entre autres préoccupations une obsession. Autant que celle du statut de la femme dans la société humaine. Statut qui, s'il dédouane cette dernière de la responsabilité de la guerre, a contrario de son congénère mâle, ne l'exonère pas des dommages de cette calamité. Dommages qu'illustrent pour elle les photos « de cadavres et de maisons en ruine » venues d'Espagne, lequel pays fait déjà l'expérience du totalitarisme et son lot de conséquences néfastes.

Dans Trois guinées, Virginia Woolf répond à la lettre d'un homme lui demandant, en désespoir d'envisager lui-même une issue heureuse à la période de tension que connaît l'Europe, comment éviter la guerre. Mais sans doute ne s'attend-il pas à recevoir une réponse laquelle n'a rien d'un réconfort ou d'un espoir.

Une réponse mettant en cause le patriarcat dans sa responsabilité de la situation qui va conduire l'Europe au désastre. le patriarcat, cette moitié mâle de l'humanité qui a mis sous le joug l'autre moitié en instituant sa suprématie depuis l'origine des temps. Suprématie usurpée qui fait enrager Virginia Woolf. Même si en Angleterre les femmes ont obtenu le droit de vote en 1918, cette ouverture à la démocratie est encore loin de leur ouvrir les portes des universités et des carrières professionnelles, ne laissant encore aux femmes, selon Virginia Woolf, comme perspective de promotion sociale que le mariage et la maternité. Suprématie que la religion chrétienne, en contradiction avec la parole du Christ n'a pas su abolir, bien au contraire. Alors que les femmes quant à elles et de par leur complexion peuvent faire naître et prospérer une société égalitaire et pacifiste.

Virginia Woolf enfonce le clou. Dix ans après avoir publié son fameux Une chambre à soi, ouvrage qui l'a cataloguée parmi les militantes féministes. Elle a inventé le « psychomètre », instrument imaginaire propre à mesurer la force émotionnelle émanant de la personne et sa responsabilité dans les situations qu'elle engendre.

« Quel mot peut désigner le manque de droits et de privilèges ? Allons-nous une fois de plus faire appel au vieux mot de « liberté » ?

La « fille de l'homme cultivé », expression que Virginia Woolf invente, revient en leitmotiv dans cet ouvrage. Cette « fille de l'homme cultivé » est son spécimen étalon de l'être privé de droits et de privilège et par là assujetti à une tyrannie sexiste que Virginia n'hésite pas à comparer à la tyrannie totalitaire en train de gangréner l'Europe. Alors que si la femme se trouvait à parité de statut et de droit avec son frère elle serait à même de bâtir et faire prospérer une société de justice, d'égalité et de liberté.

« Les filles des hommes cultivés qu'on appelait contre leur gré des « féministes »… luttaient contre la tyrannie du patriarcat, comme vous luttez contre la tyrannie fasciste. »

Virginia Woolf est à ce point obnubilée par ce déséquilibre fondamental entre les sexes, que de sexe, au sens charnel du terme, il n'est nullement question dans son discours. Au point de l'avoir fait cataloguée de frigide par ses détracteurs. Sans doute à court de répondant à la lecture de ce que cette femme ose publier de ses récriminations émancipatrices. Dans trois guinées, elle nous assène un discours dont la redondance des idées peut paraître fastidieuse. Il témoigne de son obsession du déséquilibre fondamental qui prive ses consœurs de ces justice, égalité et liberté si chère à la femme qu'elle est. Ce martèlement accusateur tente de traduire son exaspération, celle de voir l'humanité courir à sa perte du seul fait de son manque de sagesse et sa cupidité à mettre au crédit de la moitié dominante. Et de clamer que « seule la culture désintéressée peut garder le monde de sa ruine. »

Exaspération qui virera au désespoir au point que Virginia, un jour de 1941, emplira ses poches de cailloux pour s'avancer dans la rivière. Et de fermer à jamais les yeux devant l'ampleur des horreurs du fascisme, dont le patriarcat assume selon elle la responsabilité.


mardi 28 mars 2023

La Breizh brigade ~~~~ Mo Malo

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Voilà un ouvrage bon-enfant qui nous distrait du surcroit de violence qui s'est désormais imposé dans la littérature du genre. Le genre étant le polar. Il est avec cet ouvrage revisité à la sauce aigre-douce. Et si en peine de trouver une once de crédibilité à l'intrigue on se rabat sur la psychologie des personnages, il en est un qui s'impose et fait de l'ombre aux autres, c'est bien la matriarche de la Breizh brigade : Maggie. Cette brigade bretonne étant un trio de de femmes, trois générations de la famille Corrigan, laquelle gère un gîte dans la proximité de Saint-Malo.

Maggie est un personnage haut en couleurs tant le comportement que dans le verbe. Bi lingue le verbe, car Maggie est d'origine irlandaise, et si l'on veut apprécier les subtilités de son langage il faut avoir recours au traducteur en ligne. Il nous met alors en garde devant ce qu'on appelle désormais pudiquement un contenu inapproprié, lorsque la crudité devient très crue.

Maggie est-elle la grand-mère dont on rêve ? Elle donne dans la liberté des mœurs et collectionne les amants qu'elle relègue sans scrupule après consommation. Elle mène son monde à la baguette et à bientôt soixante-dix ans dirige sa Breizh brigade au sein de laquelle elle s'est instituée directeur d'enquête. Une fois n'est pas coutume, les hommes n'ont pas le beau rôle dans cette aventure provinciale. Car Maggie n'a rien à voir avec une mamie-tricot qui végèterait dans un décor figé et empoussiéré depuis la disparition de son époux. Disparition qui ferait d'ailleurs bien un sujet d'enquête. Il faudra qu'elle se penche sur le cas. Mais las, le temps passe et les préoccupations de la matriarche sont plus à compenser l'absence qu'à en découvrir les circonstances.

Mais pour l'heure le trio Corrigan a décidé, d'éclaircir le mystère de la mort d'un célèbre joueur de cornemuse du renommé Briac Breizh Bagad, accessoirement ancien amant de Maggie. Reléguant de facto le flic de service en charge de l'enquête officielle, quand même, et qui, même s'il est le beau gosse de l'appareil judiciaire, n'est reste pas moins un figurant devant les menées investigatrices de la Breizh Brigade. Il est toujours en retard d'un coup sur l'échiquier maloin.

Les aux autres personnages paraissent bien falots à côté de ce boute-en-train. Exception faite de sa petite fille qui lui emboite le pas dans la spontanéité du comportement, avec toutefois un peu plus de pudeur dans le langage.

Sous la plume de l'auteur, Mo Malo, la belle région de Saint-Malo (coïncidence ?) qui sert de décor à ce polar-détente entre dans l'inventaire des attractions pour cet ouvrage tant elle nous invite à prendre les embruns sur ses remparts.

Avec un personnage aussi truculent que cette Maggie enquêtrice d'occasion mais bien décidée à doubler sur le fil l'officiel désigné par le procureur, c'est évidemment le dialogue qui relève et pimente le plat. Car pour ce qui est de l'intrigue, on la découvre le sourire aux lèvres, avec l'indulgence de rigueur à l'égard d'un ouvrage dont la vocation est de détendre son lectorat.

lundi 27 mars 2023

Le procès de Valerius Asiaticus ~~~~ Christian Goudineau

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Le procès de Valerius Asiaticus se déroule selon le temps judiciaire, dont on sait qu'il est long. Très long. Aussi, en ouvrant cet ouvrage ne faut-il pas s'attendre à entrer d'emblée en audience. Il y a d'abord comme il se doit enquête, laquelle établira ou non les chefs d'accusation. Enquête confiée dans cet ouvrage non pas à un limier mais à un philosophe massaliote renommé : Charmolaos.

Nous sommes à l'époque de la Gaule romaine. Il n'était alors point trop besoin de preuves pour faire condamner un citoyen de Rome lorsque l'épouse de l'empereur, Messaline en l'occurrence, avait décidé de se débarrasser d'un indocile, fût-il riche et puissant. Valerius Asiaticus, cet indocile, refusant de satisfaire le caprice de l'impératrice et lui restituer la villa dont elle appréciait les jardins et pourtant acquise par lui le plus légalement du monde.

Mais il y a une autre raison pour laquelle ce procès tarde à venir dans ce roman que l'on classera dans la catégorie historique du genre. Cette raison est que son auteur se donne le temps de dresser le décor. Las de ces ouvrages se disant historiques et négligeant pourtant non pas les faits, c'est un minimum pour le genre, mais le contexte, les mœurs de l'époque, la culture, les traditions, tout ce qui fait la réalité de la vie des hommes à une époque donnée, il veut imprégner son lecteur du mode de vie de ces temps et lieux dans lesquels il situe son œuvre. Il veut prémunir son lecteur de toute velléité de jugement hâtif, déconnecté des fondements, forcément mal documenté à qui n'est pas suffisamment instruit de l'histoire. Il veut le prémunir de cette tendance moderne d'une littérature trop vite écrite laquelle fait la part belle au sensationnel en étant déconnectée du contexte de vie contemporain des faits par insuffisance culturelle de leurs auteurs.

Il suffit aujourd'hui d'évoquer par exemple le mot esclave pour susciter des haut-le-coeurs. Alors que le patricien vivant sous l'époque de Caligula, Claude et autre Néron avait naturellement droit de vie et de mort sur ses esclaves sans avoir à en répondre à qui que ce soit dans la mesure où il avait fait l'acquisition de ces derniers sur les marchés dédiés. Il avait aussi au passage le droit de les affranchir. Juger de ce droit avec la culture d'aujourd'hui est forcément une altération de l'histoire. Aussi inhumain que cela nous semble aujourd'hui.

Il suffit de progresser de quelques pages dans cet ouvrage pour se rendre compte que l'on n'a pas à faire à un producteur de romans en série, animé d'intention mercantile, mais bel et bien à l'érudition pure. Celle d'un auteur qui veut instruire son lecteur plutôt que le séduire, lui donner les bases pour apprécier en connaissance du contexte, au lieu de juger à l'aveugle. La contrepartie pour le lecteur étant de faire œuvre de curiosité, peut-être d'approfondir, l'auteur lui en donne le goût, en tout cas de s'impliquer.

Aussi, cet ouvrage l'ai-je pris pour ce qu'il restera à mes yeux : un ouvrage exigeant, une formidable téléportation, une immersion en une époque qui ne nous a par la force des choses pas légué beaucoup de sources écrites et qu'il faut avoir longuement et profondément étudiée avant que d'en parler, et mieux encore avant que de faire parler des personnages dans un roman que l'on veut historique. Soit un ouvrage dans lequel la part romancée constituera le liant crédible des faits avérés.

Dans cet ouvrage, Christian Goudineau a adopté un style d'écriture moderne. Une façon de ne pas désorienter l'amateur de romans historiques contemporain, accoutumé qu'il est à une écriture certes anachronique au regard des faits rapportés mais accessible à son entendement. Entendement élaboré par le mode de vie superficiel qu'est devenu le nôtre.