Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 14 août 2019

Les particules élémentaires ~~~~ Michel Houellebecq



La vie, pensait Michel, devrait être quelque chose de simple ; quelque chose que l'on pourrait vivre comme un assemblage de petits rites, indéfiniment répétés. Des rites éventuellement un peu niais, mais auxquels, cependant, on pourrait croire. Une vie sans enjeux, et sans drames. Mais la vie des hommes n'était pas organisée ainsi. Parfois il sortait, observant les adolescents et les immeubles. Une chose était certaine : plus personne ne savait comment vivre.

 

Une petite bouffée d'optimisme version Houellebecq pour commencer ?
"Dans les cimetières du monde entier, les humains récemment décédés continuèrent à pourrir dans leurs tombes, à se transformer peu à peu en squelette." Page 244 édition Folio.
Le ton est donné. Bonne lecture à vous.

Mais, hauts les cœurs, il faut rebondir comme on dit de nos jours. Regonfler les troupes et tenter avec notre sémillant auteur frigorifié d'identifier quels remèdes peuvent être prescrits contre l'angoisse de la mort. Puisqu'il s'agit encore et toujours de cela. On n'en connaissait traditionnellement que deux : la religion et la philosophie. Michel Houellebecq nous en fera-t-il découvrir d'autres ?

La première a prévu tous les scénarios pour expliquer à la créature intelligente d'où elle vient et où elle va. Lui garantissant en prime l'éternité. Le problème c'est que sa version de l'éternité passe par le trépas. Mais son service communication est très efficace. La conviction c'est son rayon, la félicité est à la clé. Malgré cela on imagine bien qu'il puisse subsister quelques sceptiques. Les indécrottables athées et autres agnostiques pour qui la religion n'est d'aucun secours puisque force est de constater que les preuves font défaut. Même s'ils reconnaissent avec Houellebecq que le monde ne saurait être sans religion. Il n'en reste pas moins qu'il y a de la concurrence sur le créneau et qu'en pareille circonstance la démarche commerciale pour appâter le chaland aura pu se faire à grands coups de bûcher, lapidation et autre autodafé. Celles qui prônent l'amour de son prochain, les trois grandes monothéistes se revendiquant du Livre, ont des pratiques concurrentielles agressives et ne sont en effet pas tendres avec les brebis égarées. En observateur éclairé, Michel Houellebecq serait plus porté vers une ferveur alternative réputée plus douce : le bouddhisme. Elle est peut-être de nature à apaiser le pénitent mais à toutefois des chances de rebuter le jouisseur des temps modernes pour qui le bol de riz gluant est un tantinet frugal.

La philosophie, dont Montaigne nous ressasse qu'elle est recette pour apprendre à mourir, serait donc aussi un remède, non contre la mort, mais contre l'angoisse qui va avec. Là aussi, depuis que l'écriture a laissé des traces de leurs travaux, on constate que les précepteurs en la matière sont légion. Mais force est de convenir que les chemins de l'apprentissage sont obscurs et tortueux et on va bien l'avouer peu accessibles à la multitude ignorante. Toutes les théories en "isme" cheminant parfois aux confins du mystique, en se gardant bien de franchir la ligne, concoctées et relayées par ce qu'il convient bien d'appeler des penseurs à nous convaincre de l'absurdité de la vie, condescendent fort peu à la vulgarisation et ont de fortes chances de laisser sur le bord du chemin beaucoup d'âmes en peine avec leur lot d'angoisse sur les bras.

se distraire de la mort par le sexe

Quelle échappatoire alors à ces remèdes qui ont, il faut en convenir un fort taux d'échecs ? Houellebecq nous en propose deux autres : le sexe et la science.
Sexothérapie donc pour le premier. Discipline qui pour le coup ne traiterait pas des maladies sexuelles, mais soulagerait de l'angoisse de la mort par le sexe. Cette thérapie présente toutefois l'inconvénient de nécessiter d'une part l'intervention d'un ou plusieurs partenaires consentants de préférence, identiquement angoissés ou non. Sauf à tomber dans le satanisme pervers dont Houellebecq nous offre de bonnes tranches dans son ouvrage. Thérapie qui a en sa défaveur le grand inconvénient de perdre en efficacité au moment où on en a le plus besoin puisque les capacités à se distraire de la mort par le sexe s'amenuisent au fur et à mesure qu'on s'en approche (de la mort, pas du sexe). C'est une hantise chez notre auteur à la prose sans allégorie. le grand travers de cette pratique étant que les praticiens les plus efficaces, les corps jeunes, se désintéressent des patients les plus à la demande, les corps sur le déclin. Au final, ça tourne à l'obsession chez ces derniers et a de grande chance de les conduire vers des établissements spécialisés pour calmer les fiévreux. C'est ce qui arrive à Bruno, l'un des deux protagonistes des Particules élémentaires. Il faut dire qu'il avait des circonstances atténuantes, à rechercher comme souvent dans une enfance quelque peu violentée.

Reste la science. Elle nous a jusqu'alors pas habitués à être le remède ultime. Mais avec un soupçon d'anticipation, nous arrivons en des temps où l'espoir pointe à l'horizon. Michel, le frère de Bruno, fonde beaucoup d'espoir dans cette voie. En particulier dans ce qu'elle serait à même d'identifier les causes du vieillissement et d'en venir à bout. Philosophie, religion, sexe, tout cela le laisse de marbre. A force de mettre les spirales d'ADN en algorithmes, il s'est auto auréolé du nimbe de clarté qui témoigne de la jonction des deux infinis. Il en arrive à imaginer une forme d'idéal dans lequel la sexualité serait déconnectée de la procréation. Pas de risque d'encombrement par une progéniture rebelle ou par trop dissipée. Et cerise sur le gâteau, excusez du peu, l'être nouveau serait doté de cellules de Krauze, - dont on nous dit qu'elles sont les récepteurs sensibles des organes sexuels tant masculins que féminins - sur l'ensemble de la surface de la peau. Autrement dit notre corps ne serait plus qu'orgasme au moindre effleurement, de la moindre poignée de main du matin par exemple. Elle ne serait pas belle la vie ?

Science sans jouissance n'est que ruine de l'homme. A moins que l'homme ait une âme, ce qui reste à prouver, et une relation avec le monde ce qui semble séparer Houellebecq de Pantagruel.


vendredi 9 août 2019

Soumission ~~~~ Michel Houellebecq


 
Si l'on convient avec Houellebecq que "seule la littérature peut vous donner la sensation de contact avec un autre esprit humain", le voici qui dans Soumission prend les commandes de celui de son lecteur pour en faire un récepteur docile du développement qu'il lui concocte. de la même façon que, selon l'exercice d'anticipation auquel il se livre, l'islam s'installe le plus légalement du monde aux manettes de notre pays, à l'occasion des élections présidentielles de 2022. Comme un certain Adolf en 1933 en le sien. Hypothèse qui en vaut une autre. Ce n'est peut-être qu'une affaire de calendrier.

C'est mon quatrième Houellebecq. Je retrouve sans peine cette faculté qu'il a d'hypnotiser son sujet avec un discours fluide et enveloppant. Pour ne pas échapper à la triviale réalité, il prend soin toutefois de ramener de temps à autre son lecteur au ras des pâquerettes en l'invitant par exemple à faire les courses au supermarché du coin et choisir les produits qu'il mettra dans son caddie.

Houellebecq sait entretenir son lecteur alternativement dans une forme d'ivresse des sens ou un brouillard de solitude et de frustration en lequel pourtant, en cherchant bien, un soupçon de sentiment doit bien exister malgré tout quelque part. Ce quelque part, lueur vacillante dans la brume, étant certainement dans la proximité du corps féminin. La femme fait certes aussi partie de ce paysage d'une humanité qu'il exècre, mais elle "apporte un parfum d'exotisme" lui permettant d'affirmer que la perte de l'envie de vivre n'est à ses yeux pas une raison suffisante pour mourir.

Le héros de cette anticipation c'est François, universitaire au talent reconnu, la quarantaine désabusée, âge charnière où tout bascule sur l'autre versant de la vie. C'est le grand toboggan vers la fin. Cette dernière n'étant pas dans son esprit l'échéance ultime qui libère de tout définitivement, mais plutôt la perte de la capacité à séduire celles qui justement sont seules à même d'offrir quelques instants d'éternité. Lesquels instants régénèrent le corps pendant, et l'esprit entre deux.

En athée convaincu, ardent pourfendeur du monothéisme, il assiste pourtant avec plus de circonspection que de peur à l'arrivée au pouvoir du parti de la fraternité musulmane. Ledit parti installant sa marionnette à l'Élysée en la personne du chef d'un parti composé que de lui-même : le très consensuel François Bayrou.

Les nouvelles autorités l'écartent du corps enseignant pour incompatibilité dogmatique. Ce recul imposé lui donne par la même occasion le loisir de remarquer que finalement ce que d'aucun présente comme le fléau qui s'est abattu sur la France pourrait en fait bien présenter des arguments de séduction suffisamment convainquant pour remettre en question certains préjugés.

Un ancien collègue à lui, vieux célibataire endurci pour cause de disgrâce visuelle et olfactive, ayant déjà franchi le pas, s'est en effet vu attribuer une épouse en gratification de sa conversion. Une épouse présentée comme la première et ayant à peine l'âge de passer le permis de conduire. A tout bien considérer donc, et voici le fil blanc avec lequel notre prix Goncourt coud habilement cette chasuble littéraire qu'on endosse sans rechigner – je parle pour les inconditionnels - à tout bien considérer donc, notre professeur de littérature sur la touche, athée de conviction, désabusé de raison et délaissé par la passion pourrait bien retrouver les bancs de l'université et les jeunes étudiantes qui y prennent place. Fussent-elles voilées, elles n'en restent pas moins candidates aux cours particuliers à domicile. Où le retrait du voile est autorisé.

A soumission, soumission et demie. Lui à un dogme qui aurait su faire valoir ses arguments, elles à un nouveau maître, choisi pour elles, qui n'avait quant à lui plus beaucoup d'arguments pour les choisir lui-même. Cela tombe bien. Précision grammaticale au passage : "elles" étant un pronom personnel dont le pluriel qui, dans le cas présent et eu égard à la notoriété de notre universitaire, peut aller jusqu'à trois.

Conviction contre passion, drame cornélien à la sauce Houellebecq. Franchira-t-il le pas ? C'est dans Soumission. Le raisonnement est bien échafaudé, le style sans métaphore comme d'habitude.





mardi 6 août 2019

Le temps des orphelins ~~~~ Laurent Sagalovitsch

 


Cet ouvrage place son intrigue dans le contexte d'une page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, celui de la shoah. Un thème dont il faut à mon sens faire usage avec tant de précaution que je me demande s'il peut donner lieu à y appliquer une fiction.

Daniel, jeune rabbin venu d'Amérique, a ressenti la nécessité de s'engager dans les forces de libération de l'Europe en 1944. Sa découverte des camps de la mort fera vaciller sa foi. Quand il prendra la mesure de l'anéantissement de la personne qui a résulté de la funeste entreprise nazie, le recours aux textes bibliques lui sera de piètre secours pour réconforter ses coreligionnaires. Comment Celui qui préside aux destinées de ce monde a-t-Il pu laisser faire ça ?

L'intrigue, c'est celle d'un tout jeune garçon famélique au regard figé d'incompréhension, perdu dans la tourmente de la libération des camps. Il est incidemment recueilli par Daniel qui se met en quête de retrouver sa famille.
Faut-il voir dans cet ouvrage écrit par quelqu'un qui ne peut connaître cette période noire que par ce qu'il en a appris, le besoin de raviver une mémoire qui lui semblait s'essouffler. Pour arriver à ses fins, il n'a de toute évidence d'autre choix que de donner dans la surenchère compassionnelle et le ressentiment, en quête de vocabulaire et métaphores apocalyptiques.

S'il faut lire le récit de ce cauchemar, je préfère le faire dans les ouvrages de ceux qui ont vécu cette ignominie, quand ils ont eu force de rompre le silence. Ils savaient très bien quant à eux qu'aucune langue humaine ne comporte de mots assez proches de ce qu'ils avaient enduré, que leur tentative de témoignage ne restera jamais qu'une approximation de l'horreur. Comme si le mépris du monde qui les avait piétinés s'acharnait encore sur eux quand le temps était enfin venu de le crier à la face de ce même monde. C'est alors dans leur silence entre les mots qu'on prend la mesure de leur traumatisme, qu'aucune fiction ne pourra restituer.

Surtout lorsqu'elle force le trait avec quelques clichés impliquant les enfants. Cela ne manquera pas d'attendrir le sceptique du 21ème siècle auquel aurait échappé l'ampleur du cataclysme parce qu'assoupi dans son confort aveugle. La chute est assez maladroite, mais comment clore pareil ouvrage quand l'espoir n'est plus de ce monde.


jeudi 1 août 2019

Plateforme ~~~~ Michel Houellebecq



Éminent chroniqueur des faits et gestes de ses contemporains, Houellebecq s'est intéressé au spécimen de la classe moyenne tout juste doté pour aller se consoler de sa misère affective dans les lieux de plaisir au travers de la planète. Les besoins de première nécessité ont évolué depuis qu'on se préoccupait avant tout de se nourrir et se loger.

Chemise à fleurs, tongs et bermuda, élégances spirituelle et comportementale assorties, valent à ce spécimen le sobriquet de « beauf ». le tourisme sexuel, puisqu'il s'agit de cela, est un sujet de chronique qu'on ne s'étonne pas vraiment de trouver sous la plume du futur Goncourt 2010, n'est-il pas ? (Plateforme paraît en 2001)

Il fallait donc s'attendre à ce que l'étude de marketing conduite par le tour opérateur, à laquelle son héros va se retrouver incidemment associé, soit ponctuée d'exercices pratiques détaillés par le menu. C'est confirmé. Tout y est : ingrédients, temps de cuisson, température du four et tournemain du maître-queux. Qu'en pareille contexte on peut sans vergogne travestir en maître-queue. Elle était facile, je vous l'accorde, je n'ai pas pu résister.

Bref, un instant de honte étant quand même vite passé, pour dire ce que m'inspire cet ouvrage, je formulerai seulement le vœu, à l'adresse de notre truculent prosateur national, que sa vie amoureuse soit aussi intense et harmonieuse que celle de son héros, lequel intervient à la première personne dans cet ouvrage. A moins que les écrits ne viennent en consolation de quelques frustrations opiniâtres, assorties d'angoisses existentielles dont on sait, il nous en a convaincu, que ces dernières sont largement atténuées par une pratique assidue de l'exercice physique qui fait se concilier les contraires le temps d'une trêve, toujours trop courte il nous l'enseigne aussi.

C'est mon troisième Houellebecq. J'arrive certes un peu tardivement dans cet univers de cacophonie des sens, mais il faut varier les genres, et j'ai donc confirmé avec celui-ci la maîtrise du verbe que je lui avais découvert dans les deux autres. Maîtrise du verbe donc, plutôt cru, et qui vaut à notre goncourisé son lot d'inconditionnels, justement équilibré par le nombre de ses détracteurs. le bilan étant quand même positif puisque les inconditionnels achètent alors qu'on n'est pas obligé de dédommager les détracteurs. Cette maestria dans la pratique de la langue (française), qui sied aux inconditionnels et leur sert à justifier leur penchant, est à la hauteur de celle de la grammaire du Kama sutra avantageusement imagée dans la production littéraire de notre auteur à la tant convoitée jaquette rouge.

J'ai retrouvé avec intérêt – alors inconditionnel ou détracteur ? - un auteur désabusé, qui se complait à se dépeindre sous les traits d'un contemporain obstinément médiocre, en panne de raison de vivre, avec en prime une critique acerbe de notre bonne vieille société européenne. Même si c'est toujours émoustillant à souhait, l'intérêt n'est pas que là. Il faut savoir hausser le débat avec Houellebecq. Il y a malgré tout une morale à cette histoire, le sujet est quand même grave. A trop se vautrer dans la luxure, on se prépare des lendemains incertains et plus dure sera la chute. Et avec Plateforme, elle est sévère, et rédhibitoire. Il ne faut pas non plus effrayer les inconditionnels et leur laisser quand même des arguments pour défendre l'indéfendable. Ils peuvent eux-aussi avoir des scrupules à la bacchanale impunie.

La performance littéraire n'allant pas de pair avec la performance physique, je ne pense pas que ce soit le meilleur Houellebecq. J'en ai deux autres qui arrivent pour consolider cette opinion de novice. Je subodore le thème choisi à dessein pour donner libre cours à une imagination libérée de toute convenance. Je n'irai pas jusqu'à dire que cet ouvrage devait être alimentaire, ce serait ramener le sujet à un besoin physiologique de première nécessité et cela risque de rester sur l'estomac de certains, mais soit, beauf s'écrira bof pour une fois. Notre Houellebecq national fera mieux, dix ans plus tard.