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mercredi 3 décembre 2014

Les sirènes de Bagdad ~~~~ Yasmina Khadra

 


« Laissez-moi me rhabiller, gémissait-il. Y a mes enfants ». Lorsque les GI investissent la modeste maison du Bédouin et malmène le patriarche devant sa famille, plus que le sang qu'il a déjà vu couler à plusieurs reprises, c'est l'humiliation de son propre père qui va faire basculer la vie du fils de cette famille.

L'auteur démonte alors le mécanisme qui va métamorphoser ce jeune Bédouin, dont on ne connaîtra pas le nom, de la « chiffe molle », tel qu'il se qualifie lui-même, en un prétendant au suicide terroriste. Il décrypte pas à pas la démarche de manipulation mentale des leaders des organisations terroristes, depuis l'instant où ils ont repéré un candidat potentiel, l'être affaibli par les circonstances de la vie, jusqu'au moment où ils le sentent prêt à franchir le pas. Se barder d'explosifs et entrer en contact avec la cible.

Le style propre à Yasmina Khadra est tout indiqué pour analyser la psychologie d'un personnage dans son parcours mental sur le chemin de l'acte insensé. Ce style si particulier, fait d'un florilège d'allégories, de métaphores, qui chacune traduisent autant de ressentis. Mieux que tout diagnostic psycho-pathologique, un tel discours imagé interprète parfaitement la construction personnelle du personnage dans cette ascension vers la folie meurtrière.

Dans la bibliographie de Yasmina Khadra, on trouve souvent en toile de fonds des contextes de guerre qui impliquent la culture orientale. C'est cru et violent. Comme toujours la vie en pareilles circonstances. C'est criant de vérité. Il y a comme un tourbillon qui emporte malgré eux des personnages faibles et broyés par le destin. Mais c'est traité sans misérabilisme.

Yasmina Khadra fait toujours preuve d'impartialité dans le développement des thèses qui opposent les belligérants. Les sirènes de Bagdad lui donne toutefois l'occasion, au travers des propos de ses personnages, de développer un anti américanisme à peine voilé. Sans donner le moindre crédit au fanatisme aveugle, vingt ans après les faits qui servent de cadre à ce roman, et à la connaissance de l'histoire de ce conflit, on ne peut guère l'en blâmer. La motivation proclamée de cette guerre n'a en effet jamais pu masquer les intérêts mercantiles non avoués. Mais Yasmina Khadra est un être pétri d'humanisme. Il nous le prouvera en donnant ses limites au fanatisme. Comme un message d'espoir.

Le scenario et son dénouement, insoupçonnable jusqu'à la dernière page, manquent certainement de crédibilité. Mais ce n'est pas ce qui me fait revenir vers cet auteur. Je retrouve avec plaisir, ce qui a capté mon intérêt dès la découverte de son écriture : le talent pour faire percevoir les sentiments par l'image, la force du verbe, la richesse du vocabulaire. Une fois de plus, je n'ai pas été déçu.


mercredi 3 septembre 2014

Ce que le jour doit à la nuit ~~~~ Yasmina Khadra




C'est ouvrage est une merveille à deux titres. Par le choix de son thème et la façon de le traiter dans un premier temps. Par sa mise en forme ensuite, avec ce style prodigieux qui n'appartient qu'à Yasmina Khadra.

Un demi-siècle après la conclusion des accords d'Evian qui scellent l'indépendance de l'Algérie, le sujet est toujours explosif. Alors que nombre de protagonistes des deux partis sont encore de ce monde, il faut du courage pour s'attaquer au thème, de l'habileté pour ne pas relancer la polémique. L'exercice est sans doute plus aisé pour un Algérien de souche qui pourrait s'enorgueillir de cette page de l'histoire de son pays. Mais là n'est pas le propos de Yasmina Khadra. Il prône l'apaisement.

Il relate les faits sans parti pris et les opinions avec impartialité. Bien entendu il évoque aussi quelque part – il le fallait bien - les sources du mal, avec ce racisme latent qu'il rapporte par la bouche d'Isabelle : « Je suis une Rucillio, as-tu oublié ?… Tu m'imagines mariée avec un arabe ?... Plutôt crever ! ». Ce mal contre lequel Younès, alias Jonas, n'imaginera même pas se révolter, même s'il lui vole son bonheur. Mais Yasmina Khadra veut dépasser les clivages pour donner la parole au coeur. Il veut exprimer la somme de souffrances que les contemporains de cette époque en ce pays ont pu endurer, au cours de ce qu'on appelait pudiquement en métropole « les événements ».

Aussi toute généralisation étant forcément abusive, l'humanisme de l'auteur veut nous mettre en garde contre les assimilations. Emilie en sera le symbole. Elle s'insurgera de voir Younes ne pas répondre à son amour déclaré au mépris de toute ségrégation : « as-tu jamais osé une seule fois dans ta vie ?».

Younes est un spectateur indolent des soubresauts de ce pays qui s'ouvre au nationalisme. Il passe à côté de cette guerre, même si le malheur le rattrape souvent. Il voudrait tant que les choses soient plus simples, que le coeur parle plus fort que la raison.

Métaphores, allégories, font de cet ouvrage une merveille de style imagé, à l'alternance bien dosée entre les dialogues, les portraits et la narration.

« L'hiver se retira un soir sur la pointe des pieds pour faire place nette au printemps. Au matin, les hirondelles dentelèrent les fils électriques et les rues de Rio Salado fleurèrent de milles senteurs. »

Un romantisme un peu désuet contrebalance la dureté des événements : « Elle n'était plus de chair et de sang. Elle était une éclaboussure de soleil. » Les éléments naturels sont autant de personnages qui animent le récit : « La fournaise des dernières semaines s'était calmée. Dans le ciel épuisé par la canicule, un gros nuage filait sa laine, le soleil en guise de rouet. »
Le vocabulaire est familier sans être populaire, riche sans être pédant, imagé sans être fumeux, toujours juste. « Ils élevaient autour de leur bonheur des remparts imprenables en s'interdisant d'y creuser des fenêtres. »

Ce que le jour doit à la nuit est un très beau roman, ses enjeux sont nobles, sa lecture est un régal.


mardi 19 août 2014

Les hirondelles de Kaboul ~~~~ Yasmina Khadra




« Laisse-la crever. Je t'assure qu'elle est à sa place là où elle est. Après tout, ce n'est qu'une femme. » Dans la bouche du milicien taliban Qassim Abul Jabbar, cette phrase résume le livre. C'est un ouvrage court et cinglant, comme un coup de cravache. Tels ceux avec lesquels ces fous de Dieu, dans Kaboul, rabattent les fidèles vers la mosquée.

C'est un ouvrage sur la disparition de la femme du paysage humain. Reléguée au rang de vecteur de procréation, à la seule fin de perpétuer les adorateurs de Dieu. La femme chosifiée, ainsi que se qualifie Zunaira, l'avocate condamnée à dissimuler sa beauté sous ce tchadri qu'elle exècre.
C'est un ouvrage sur l'effacement des cultures, sur le détournement des écritures saintes à des fins d'appropriation du pouvoir.

C'est un ouvrage dans lequel des créatures sanguinaires, avec pour toute culture celle de la Kalachnikov, y parachèvent un obscurantisme nauséabond. C'est l'ouvrage du désespoir fait homme.

Kaboul n'est plus qu'un épiderme squameux où les tumulus des tombes comblées à la hâte, au gré des exécutions, sont autant de bubons qui témoignent de sa maladie.

Et pourtant, quelques sentiments émergent avec prudence de l'océan noir qui a englouti la joie de vivre dans ses abysses de haine. Des relents d'humanité se raniment alors, comme la flamme d'une bougie dans l'obscurité des catacombes. C'est ce qui arrive à Atiq, le geôlier malgré lui, qui laisse dépérir sa femme malade, sans le moindre secours. Il découvre un jour la grandeur d'âme de celle-ci, lorsqu'elle lui propose de prendre la place de Zunaira, condamnée à mort, à la faveur du tchadri, le voleur d'identité, qui pourra tromper les bourreaux.

Yasmina Khadra n'a pas son pareil pour traduire les ressentis, les infiltrer dans l'esprit de son lecteur et le convertir aux états d'âme de ses personnages.

Et au final le message qui passe. Prends garde ! Toi qui vis dans l'insouciance du confort. le sournois est dans ton dos. Jaloux de ton succès, il sera d'autant plus cruel qu'il aura forgé son ignorance et trompé son discernement au discours du prêcheur.

A lire absolument, d'un seul trait, comme un coup de cravache en travers de la figure. 

lundi 9 juin 2014

L'équation africaine ~~~~ Yasmina Khadra

 


Il faut savoir terminer un roman. le lecteur qui progresse au fil des pages s'interroge toujours sur l'épilogue. Quand on replace cet ouvrage de Yasmina Khadra sur le rayon de sa bibliothèque, on se dit qu'on y reviendra. Avec un sujet aussi grave, la fin ne déprime pas. Elle est un peu comme la flamme d'une bougie dans un univers de ténèbres. Fragile, mais obstinée. C'est une force dans la conception d'un ouvrage que de savoir le terminer sans pour autant laisser augurer de l'issue dès les premiers chapitres. Et si je commence par la fin, c'est que je m'y suis retrouvé sans m'en rendre compte, tellement le voyage a été absorbant.

La fin est une chose, mais le corps du texte en est une autre. Et là encore, cet ouvrage de Yasmina Khadra, c'est du généreux, du sincère, du bienfaisant. Quel plaisir de lire de telles pages de littérature, dans une langue de qualité.

J'avais découvert cet auteur avec " L'attentat". Je m'étais promis d'approfondir sa connaissance et le fais avec " L'équation africaine". Je confirme ma première impression, la conforte même. Cet ouvrage, plus encore que le premier, me subjugue par la qualité de la retranscription des sentiments, de leur traduction en mots, en phrases. Et Dieu sait si l'exercice est difficile. La colère, la révolte, la résignation, le découragement, l'indignation, la détresse, la déprime, l'irritation, le mal-être, l'humiliation, le lecteur se les approprie, les ressent à la place des héros. Mais curieusement jamais de haine. Comme si finalement, après l'avoir déprécié, déconsidéré, Yasmina Khadra révèle une foi souveraine en l'Homme. Et puis bien sûr, et heureusement, l'espoir, la jubilation. Même l'amour dont on perçoit le frisson, ses bouffées de sensualité, presque incongru, mais tellement troublant et tyrannique.


Pour avoir vécu quelques temps en Afrique de l'est, j'ai retrouvé dans ces pages la touffeur de l'air immobile surchauffé, le sable qui colle à la peau moite, la bouche douloureuse de sécheresse, le regard qui se perd sur ces étendues de sables et de roches volcaniques, l'usure du corps et de l'esprit sur les pistes rocailleuses quand chaque pas est un exploit.

Il y a certes de l'action dans ces pages, mais la richesse est surtout dans cette capacité à décrire et faire comprendre les états physiques et psychologiques, le ressenti, le vécu intérieur. J'ai retrouvé ce qui avait retenu mon intérêt chez cet auteur avec peut être encore plus d'acuité. Une force suggestive inouïe.

Placés dans un contexte contemporain, dans les soubresauts désordonnés des confrontations modernes, les protagonistes vont vivre des événements avec une intensité paroxysmique. Ils en connaissaient certes l'existence, mais de façon dérisoire, à la manière de l'Européen blasé qui se fait bourrer le crâne des malheurs du monde par les médias, sans savoir ce que cela recouvre réellement. Comme une fiction.

Mais aussi, à quoi sert la détresse si elle n'a pas de spectateur. Si elle ne peut pas éclater à la face du monde. de ce monde de nantis qui vivent dans le confort, abreuvé d'informations dont ils ne mesurent pas le poids de souffrance. Quand il ne reste alors aux êtres abandonnés que ce combat d'arrière-garde contre la mort en ultime bravade dédaigneuse. Là est la vérité du vivant sur terre.
Je me suis promis de relire cet ouvrage pour en capter toute la substance. On ne peut pas la percevoir dès la première lecture. Il n'y a aucune phrase superflue, aucune fioriture. Tout est vrai, lourd de sens. Même l'anecdote, quand au milieu de nulle part, lorsque le regard du novice ne voit que sable et cailloux, alors qu'il croit être seul au monde, surgit d'on ne sait où, comme de sous une pierre, un enfant au regard fixe, une femme décharnée, ployée sous le poids d'un bidon d'eau ou d'un fagot de bois. Ce n'est pas anecdotique en fait. C'est vrai. C'est le désert qui vit. C'est l'Afrique.


samedi 1 février 2014

L'attentat ~~~~ Yasmina Khadra

 


Amine, médecin d'origine palestinienne, a fait sa vie et sa carrière à Tel Aviv. Il vit et travaille parmi les Israéliens, avec eux. Il a réussi son intégration, sa vie professionnelle et affective. Il file le bonheur parfait avec sa femme, elle-même d'origine palestinienne. Ce pourrait être un modèle de réconciliation pour ces deux peuples qui se déchirent et revendiquent les mêmes terres en fouillant leur histoire réciproque pour y trouver les traces les plus anciennes de légitimité quant à leur occupation.

Le jour où un attentat de plus frappe les esprits, exacerbe les rancœurs, il est mis à contribution, en sa qualité de chirurgien, pour venir au secours des victimes. Ce à quoi il s'emploie avec le plus grand dévouement. Jusqu'au moment où l'effroi le saisit, lorsqu'on lui apprend que l'auteur de cet horrible attentat qui a tué 19 personnes, dont nombre d'enfants, n'est autre que sa propre femme.

Abattu, désarçonné, il plonge dans l'incompréhension la plus totale de ce geste fou. Il se reproche de n'avoir rien vu venir de la part de celle qui le comblait d'amour. Il s'en culpabilise. Il touche en outre du doigt les limites de son intégration. Catalogué comme un paria dans sa communauté d'origine, il est condamné sans jugement par sa communauté d‘accueil.
Commence alors pour lui le long et dangereux parcours dans la quête de la compréhension du processus qui a pu faire commettre à sa femme un acte aussi monstrueux.

Une telle mutation mentale d'une personne qui semblait avoir tout pour être heureuse dans une vie bien établie, ne peut résulter que de la manipulation méticuleuse d'un esprit, savamment construite. C'est ce même lavage de cerveau que l'auteur pratique chez son lecteur, au fil des pages en lui faisant finalement adopter la cause de ceux dont les leaders dogmatiques sont abattus par des missiles tirés à partir de drones, les populations démunies broyées par des armées suréquipées, leurs maisons détruites par les bulldozers israéliens.

Mais pourquoi pas, après tout ? Pouvait-on rester dans le parfait consensus de cet humanisme forcené. Yasmina Khadra déploie une stratégie efficiente, servie par une domination de la langue et un style maîtrisé, pour faire comprendre les états d'esprit et états d'âme. Il parvient à faire basculer le parti pris de son lecteur vers le camp de ceux qui n'ont que des moyens odieux pour faire connaître leur désarroi à la face du monde.