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mercredi 29 novembre 2023

La fabrique des pervers ~~~~ Sophie Chauveau

 


En amateur d'histoire que je suis j'apprécie les œuvres de Sophie Chauveau tant du fait du formidable travail de documentation avec lesquelles elles sont construites que de la qualité d'écriture qui les met en pages. Je suis en train de lire Diderot, le génie débraillé de sa main. J'avoue rester ébahi de la précision avec laquelle elle peut y détailler la vie du père de l'Encyclopédie.

Mais las, depuis que j'ai lu celui pour lequel j'écris ces modestes lignes, La fabrique des pervers, je perçois les œuvres de Sophie Chauveau sous un autre angle. En effet, quand tant d'autres auraient pu sombrer à assumer un passé intime empoisonné, Sophie Chauveau s'est elle réfugiée dans le travail pour produire des œuvres de grande valeur historique et littéraire. Ce passé intime est celui de l'enfance pervertie par l'abus sexuel d'un parent.

Si les autres ouvrages peuvent être imaginés comme ceux de la fuite et de l'oubli par le travail, La fabrique des pervers serait donc pour son auteure celui de la thérapie. Enfin.

Mais aussi et peut-être surtout un livre en forme d'espoir pour les autres victimes de pareille souillure de la part de personnes supposées garantir à l'enfant la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir. Des victimes qui n'ont pas encore pu se libérer par la parole. Un livre pour leur dire que l'on peut en revenir. A condition de bien parvenir à faire reporter la faute sur les vrais coupables : ceux qui commettent le crime d'inceste. Un livre pour ne pas assumer les torts de mauvaise action ou de passivité, fussent-ils ceux de parents.

Mais aussi encore un livre de mise en garde pour des victimes potentielles de ce crime, de leur entourage proche qui se rendrait tout autant condamnable en fermant les yeux. le huis-clos familial est le contexte dans lequel une victime potentielle est la plus vulnérable. Ecartelée qu'elle est entre la part d'amour qu'elle éprouve à l'égard de ses parents et la part de rejet que lui inspire ce qu'elle ne comprend pas encore comme une agression mais bien comme une anormalité dans la relation filiale.

Il faut dire que Sophie Chauveau a de qui porter le poids de l'indignité s'agissant de la famille dont elle est issue, au sein de laquelle des relations coupables se sont entretenues durant des générations. Profitant d'époques où la voix de l'enfant était étouffée par des codes sociaux et moraux qui ne l'instituaient pas en tant que personne. Au grand avantage de pervers qui jouissaient quant à eux de leurs pulsions sans crainte ni retenue et donnaient de la personne une idée déshonorante.

Bravo à Sophie Chauveau pour cette libération et pour l'espoir qu'elle procure à qui n'est pas encore parvenu à émerger d'un passé gangrené par de tels comportements, faisant de l'enfant un objet d'assouvissement et non un adulte en devenir.


vendredi 16 juin 2023

Les philosophes sur le divan ~~~~ Charles Pépin

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À se creuser la tête à force de raisonner les philosophes deviendraient-ils névrosés ?
La confrontation de la psychanalyse avec la philosophie est une situation que j'avais déjà expérimentée avec un auteur comme Irvin Yalom et ses excellents ouvrages tels que Et Nietzsche a pleuré, La méthode Schopenhauer ou encore le problème Spinoza.

Mais pour le coup avec cet ouvrage, Charles Pépin nous propose une mise en scène aussi inattendue qu'intéressante. Débarrassée de la notion de chronologie elle convoque sur le divan du pape de la psychanalyse, Sigmund Freud, les philosophes tout aussi éminents dans leur domaine que sont PlatonKant et Sartre.

Une façon d'éclairer les esprits livrés aux questions existentielles, et leur corallaire de la quête du salut obsèdant tout un chacun confronté la finitude de sa vie, avec les théories de trois grands philosophes aujourd'hui disparus. Ils s'épanchent tous trois bon gré mal gré sur le divan de celui, « qui réduit les grands délires à Papa Maman », théoricien d'un inconscient auquel il attribue les manifestations échappant à la rationalité. Inconscient que l'un et l'autre s'emploient à dénigrer sous le sceau de la morale ou de la contingence.

Platon et le « ciel des idées ». La vie est ailleurs. Philosopher c'est apprendre à mourir. Sartre catéchumène de l'existentialisme. Dieu n'existe pas. Nous ne sommes déterminés par rien. L'homme n'est que la somme de ses actes. Kant le moraliste, bien que misogyne, pour qui la raison offrira la liberté et énonce ses trois grandes questions de la philosophie : que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ?

Charles Pépin a trouvé avec cet artifice de la psychanalyse sur un divan bien contemporain de nous autres lecteurs du 21ème siècle l'espace-temps propice à développer sans autre justification forcément difficile à concevoir l'intemporalité et l'universalité de la philosophie. C'est une façon de rendre abordable au profane les grandes théories qui depuis Socrate battent en brèche la croyance pour trouver un sens à la vie et accessoirement ne faire de la mort qu'une étape de celle-ci.

Nul ne peut dire qu'il n'a pas réfléchi au sens de la vie. Tout un chacun est donc philosophe sans le savoir. A son niveau. Approfondir le sujet avec les grands penseurs est en revanche entreprise ardue qui rebute facilement. Charles Pépin nous ouvre une fenêtre sur quelques grands thèmes défendus par des éminents de la discipline en tentant cette libération de la parole salvatrice. Surement pas pour les sujets sur le divan. Ils ont tant dit et écrit. Et vécu. Mais peut-être pour le lecteur qui a quant à lui tant à s'entendre dire.

Charles Pépin nous suggère avec cet ouvrage à « entrer en philosophie pour mieux supporter sa situation en la peignant comme étant celle de tous les hommes. »

dimanche 11 juin 2023

Présentation de la philosophie ~~~~ André Comte Sponville

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Pour qui réfléchit un peu à sa raison d'être sur terre, au mystère de la vie, et donc sa finitude, et surtout à la quête du salut qui fait espérer une plénitude heureuse après la mort, s'offre à celui-là deux voies : la religion et ses dogmes, selon celle qu'il choisit, ou la raison qui dans ses développements s'exprime en philosophie. L'amour du savoir, l'amour de la sagesse.

La religion nous invite à croire. En un dieu, et un seul de nos jours. Car celles qui ont cours désormais sont monothéistes. En un dieu qui est amour, même si tous les jours on a des démonstrations du contraire. En un paradis, même si aucun signe n'est de nature à le confirmer. En devenant croyant, on règle la question du salut. Il suffit d'écouter les prophètes et leurs porte-voix. Je crois en Dieu, au paradis. Mon esprit est soulagé de cette obsession de l'après-vie. Elle ne peut-être que merveilleuse. Dieu est amour et nous accueille auprès de Lui. Je peux donc vivre ma vie dans la certitude de la félicité après la mort. Alléluia.

Pour celui qui ne croit pas, la démarche est plus compliquée. Il faut réfléchir. Il faut raisonner. Il faut philosopher. Philosopher c'est apprendre à mourir nous dit Montaigne qui l'a repris de quelqu'un d'autre. Philosopher pour vivre sa vie pleinement, humainement.

Tout le monde philosophe sans le savoir. À son niveau. Avec ses moyens intellectuels et sa culture. Mais si l'on veut approfondir le sujet et accéder à la sagesse, qui seule peut permettre de vivre sa vie d'homme, il faudra s'investir personnellement. Travailler, lire les ouvrages de tous ces gens qui sont devenus des philosophes reconnus depuis que l'écriture nous en rapporte les réflexions. Même celles de ceux qui n'ont rien écrit, tel Socrate. Il avait pourtant pignon sur rue dans le domaine. Platon a fait ce travail de laisser la trace écrite de ce que Socrate confiait à l'oreille, à l'esprit de qui voulait lui prêter attention et crédit.

André Comte-Sponville qu'on ne présente plus en la matière nous adresse cet opuscule dans lequel il a rassemblé douze textes de son cru. Des sujets choisis par lui pour mettre le pied à l'étrier de la philosophie à qui voudrait s'ouvrir à cette discipline alternative à la croyance. Nous mettant en garde en disant que l'effort de vulgarisation qu'il fait n'est pas l'ouverture d'un chemin facile. Philosopher de manière avisée demande de s'atteler aux écrits des philosophes, les vrais, les anciens et les modernes, autant d'éminents penseurs qu'il appelle à son argumentation, et là c'est du sérieux.

Pour les autres, ceux qui ne croient pas et qui ne veulent pas s'investir à acquérir quelque sagesse, il y a la fête. le divertissement. Divertissement qu'il faut entendre au sens de détournement de l'esprit : oubli, ou plutôt mépris de sa condition de mortel. Tous les moyens leur sont bons depuis le grand huit de la Foire du trône jusqu'aux paradis artificiels de l'alcool et de la drogue en passant par la discothèque où les décibels martèlent à ce point les neurones qu'ils en chassent l'idée de la mort.

Alors, disons-le tout net, les temps sont durs pour la croyance et la raison. L'époque n'est plus à l'ascétisme ou à l'effort. Aussi pour appâter le chaland faut-il vulgariser. C'est un peu la raison d'être de pareil ouvrage de l'éminent philosophe. Car il en est, de plus en plus nombreux, pour croire en une troisième voie : la science. Elle sait déjà nous soulager de la douleur. Elle saura bien le faire de la mort. Sans compter sur l'intelligence artificielle. Elle va supplanter celle qui jusqu'à aujourd'hui a différencié l'homme de l'animal. Elle n'aura pas d'obsessions macabres. L'éternité est peut-être là ?


jeudi 1 juin 2023

L'appel de la tribu ~~~~ Mario Vargas Llosa

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"Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci" nous dit Albert Camus dans L'homme révolté. A explorer l'œuvre de Mario Vargas Llosa, voilà une assertion que l'on peut mettre au crédit de l'œuvre de ce dernier. de la même façon qu'avec cet ouvrage dans lequel le prix Nobel de littérature convoque sa tribu, ceux-là même qui ont concouru à la genèse de sa pensée politique, à l'instar d'un Albert Camus il sait revêtir le costume du philosophe. Philosophie qu'il applique ici à la politique avec cet ouvrage autobiographique dans lequel il nous décrit l'évolution de sa pensée en la matière. Comme pour beaucoup, la maturité formant l'homme, elle a évolué de l'utopique vers le pragmatisme libéral.

Libéralisme dont il nous détaille sa conception. Se défendant de le réduire à une recette économique des marchés libres, l'orientant vers une « doctrine fondée sur la tolérance et le respect devant la vie, d'amour de la culture, de volonté de coexistence avec l'autre et sur une ferme défense de la liberté comme valeur suprême. » Mais selon lui, le libéralisme ne fonctionnant qu'avec des convictions morales solides l'intervention de l'Etat peut s'avérer nécessaire selon un dosage subtil qui devra écarter toute tentative d'hégémonie du collectif sur l'individu. L'écueil étant cet étirement vers les extrêmes que le discours populiste tente de faire, à droite comme à gauche.

Evoquant au passage le paysage politique français, qu'il connaît bien pour avoir séjourné en notre pays, Mario Vargas Llosa met en avant le fait que les belles intentions affichées au fronton de nos édifices publics peuvent comporter leur lot de contradiction. « Ainsi pour établir l'égalité, il n'y aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la surveillance et l'action toute puissante de l'Etat. Que l'injustice sociale soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité – et que fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des causes plus négatives que positives, comme celui d'une guerre ou d'un cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est quelque chose de regrettable et difficile à accepter. » Mais selon lui, ignorer ces contradictions serait plus grave que de les affronter et c'est sans doute la raison de son engagement en politique, non seulement dans son œuvre mais aussi dans ses actes. N'a-t-il pas été candidat, certes malheureux, à l'élection suprême en son pays en 1990.

Dans l'appel de la tribu, Mario Vargas Llosa invite les penseurs politiques qui ont concouru à forger sa conviction, depuis le précurseur de la pensée libérale au 18ème siècle, Adam Smith, jusqu'à des Raymond Aron et Jean-François Revel au 20ème siècle. Intellectuels qu'il situe parmi les derniers célèbres pour l'originalité de leurs idées et leur indépendance, nos contemporains du 21ème siècle étant quant à eux plus préoccupés de leur image et du spectacle qu'ils donnent en apparaissant dans les médias.

Romancier philosophe ou philosophe romancier, quelle que soit l'étiquette que l'on collera au personnage on ne peut être qu'emporté par l'érudition du personnage et le talent qu'il met au service d'un humanisme lucide, vertu en laquelle il voit la sauvegarde de toute société.

L'homme est un animal politique selon Aristote, Mario Vargas Llosa l'a bien entendu et n'est pas resté spectateur des choses de ce monde. Avec cet ouvrage il nous offre l'occasion de mieux comprendre l'univers dans lequel évolue beaucoup de ses personnages romanesques. Sachant qu'avec lui de chaque roman il faut tirer une philosophie.

L'ouvrage foisonnant de substantifs en « isme » demande un effort d'implication. Il est révélateur de la puissance conceptionnelle du personnage, de ses hauteurs de vue lui permettant dans ses romans de disserter sur la complexité de l'animal social qu'est l'homme. Sa force étant de garder un discours à la portée de son lecteur le plus humble, sans toutefois amoindrir la force du message.


mardi 4 avril 2023

Giono, furioso ~~~~ Emmanuelle Lambert

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J'ai adoré cet ouvrage de la main d'Emmanuelle Lambert. Elle évoque la vie de Jean Giono sans en dresser la froide biographie. Sa vie et son œuvre dois-je préciser, ou plutôt sa vie à partir de son œuvre. Ses ouvrages les plus connus comme ceux restés presque confidentiels. Ces derniers surtout dans lesquels elle est allée dénicher les pans les plus intimes de la personnalité de l'écrivain. Ceux qui à défaut de briguer la célébrité dévoilent des dessous, des travers aussi bien que des qualités étouffées par la pudeur. Comme cet amour qu'il vouait à son père, sans jamais le dire ou l'écrire, ou celui dirigé vers son ami Louis dont la guerre a enseveli l'innocence dans la boue des tranchées. Autant de sentiments qu'il faut trouver entre les lignes, ou dans ce regard un brin malicieux de son auteur.

Emmanuelle Lambert fait naître une intimité avec son sujet. Elle s'adresse à lui dans cet ouvrage, lui témoigne son assentiment quand il se déclare pacifiste après la première guerre mondiale, écologiste avant l'heure quand il voit ses contemporains mépriser les campagnes, mais elle l'admoneste aussi quand il a une position beaucoup plus ambigüe durant la seconde guerre mondiale. Mais toujours elle admire l'auteur. Elle aime celui qui sait parler au cœur, trouver et arranger les mots qui font vibrer l'être intérieur. Elle l'intronise comme l'un des plus grands stylistes de la langue française.

Formidable ouvrage fait d'une écriture riche, érudite et sincère. Un ouvrage très personnel quand Emmanuelle Lambert entremêle des pans de sa propre vie dans sa démarche à la rencontre d'un Giono qu'elle est allée dénicher dans ses murs à Manosque. Regrettant que les palmiers qui font le décor de certaines photos de l'auteur soient dévorés par le parasite qui a gagné toute la Provence. C'est une partie de Giono qui se dissout dans le temps. Son ouvrage à elle a lui aussi ses tournures poétiques et allégoriques qui lui confèrent la chaleur de l'amitié. Si ce n'est plus. Ouvrage d'une passionnée à l'égard d'un écrivain pétri d'émotions. Avec cette pointe d'amertume à l'égard de l'espèce à laquelle il appartenait quand elle se fourvoyait dans la guerre ou dans la destruction de son milieu de vie. Très bel ouvrage, incitatif à se précipiter vers ceux de son sujet pour se frotter à l'âpreté des caractères de personnages qu'il a si bien dépeints.


Interventions ~~~~ Michel Houellebecq

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« On arrive parfois, partiellement (j'insiste sur « parfois » et « partiellement ») à communiquer par l'écriture des choses qu'il serait impossible à communiquer autrement ; et ce qu'on écrit n'est souvent qu'un faible écho de ce qu'on avait imaginé d'écrire. »


Interventions - Michel Houellebecq - éditions J'ai Lu page 458.

Cet ouvrage se présente comme un recueil de réflexions que l'auteur a eu l'occasion de se faire, d'entretiens qu'il a tenus avec untel ou un autre sur la période allant du début des années 90 au confinement du covid en 2020. Il a le grand mérite de faire parler son auteur non plus par personnage interposé – comme dans ses romans - mais par lui-même. le « Je » est bien celui de MH.

Cela fait de cet ouvrage un éclairage très intéressant quant à son auteur pour celui qui, comme j'ai pu le faire, a lu nombre d'ouvrages (exceptées les œuvres poétiques) de sa main. Auteur qui ne laisse pas son lectorat indifférent, c'est sa marque de fabrique. MH a su se faire des adeptes, dont je suis et pas seulement pour les allusions à connotation sexuelle qui foisonnent dans ses pages, mais aussi des ennemis. Mais n'est-il pas vrai que celui qui n'a pas d'ennemis, n'a rien fait dans sa vie.

Car pour se faire des ennemis il suffit de bannir du discours hypocrisie et faux semblant ; en un mot de bannir ce que MH exècre par-dessus tout : le politiquement correct (page 213). Tendance de l'époque qui fait que plus personne ne parle de sincérité et préfère se couler dans un moule formaté par des codes de convenance consensuels et creux.

« Je n'ai pas envie de me laisser emmerder par les humanistes » clame MH (page 320). En particulier ceux qui formatent l'opinion et font que plus aucun discours n'est de vérité, mais lissé, standardisé, un peu comme les images qu'on nous déverse désormais à flot continu, lesquelles sont tellement nettoyées par la crème anti âge numérique qu'elles n'ont plus grand-chose à voir avec la réalité.

On avait compris, et il le scande dans cet ouvrage, que son combat est celui de la liberté d'expression qu'il défend bec et ongles. Dût-il pour attirer l'attention parler crument des choses que d'aucuns n'osent même évoquer à voix basse en prenant garde d'être entendu. La provocation est aussi un moyen de réveiller les esprits anesthésiés par ledit langage politiquement correct. Car si le discours de convenance est une belle vitrine il cache au chaland le contenu de l'arrière-boutique : un monde gouverné par « l'attractivité érotique et l'argent » au credo de chacun pour soi. Et Dieu pour personne désormais, depuis que Nietzsche a annoncé Sa mort et que Sa créature, bien qu'elle soit « un animal social de type religieux » se divertit de sa condition de mortel par la fête.

Notre monde, notre société, notre temps, ils ne les aiment pas. Pas plus que lui-même d'ailleurs. (Page 217) Mais il aime la littérature qu'il consomme sans modération. Ses envolées et ses références philosophiques nous font comprendre que sa culture n'est pas comme la confiture qu'on étale d'autant plus qu'on en a peu, sa culture à lui est bien consistante. Cet ouvrage le confirme au point que l'hermétique à toute philosophie s'en trouvera à la peine.

MH aime aussi se savoir lu. Quel écrivain dirait le contraire ? Aimé ou détesté peu importe. Il y a toujours un message qui passe et lui survivra quand il sera entré dans l'histoire. Avec cette ambiguïté de ne pas avoir d'estime de soi et vouloir en même temps marquer la postérité.

Avec MH le lecteur est mis à l'épreuve et jamais à l'abri de la déstabilisation. Au-delà des désillusions que lui procurent le monde et la nature humaine, et font la rancoeur nostalgique qu'on lui connaît longuement évoquée au travers des personnages de ses romans et bien sûr dans cet ouvrage, il évoque aussi dans ce dernier fréquemment son rapport à la littérature. Ne craignant pas sa compagnie bien au contraire. Elle l'a aidé à supporter le confinement. Littérature des autres bien sûr mais aussi celle de son cru. Avec ces surprenantes formules qui ne cesseront de nous surprendre : « Et quelle fascinante saloperie, quand même que la littérature, plus puissante que le cinéma, plus pernicieuse même que la musique » (page 286), mais elle reste « un moyen d'échapper à la vie » (page 337). Mais a contrario – et surement en auto dérision : « Il est bon de se méfier du roman ; il ne faut pas se laisser piéger par l'histoire, ni par le ton, ni par le style » (page 56), reconnaissant que dans ses romans à lui, « il manque quelque chose qu'on veut lui faire prononcer dans la réalité : c'est le message rassurant final. » On s'en est rendu compte !

Il est un autre combat que la personnalité et les écrits de MH confirment dans cet ouvrage, c'est celui du respect de la vie, de la personne humaine, fût-elle réduite au sommeil profond végétatif. La société qui prône la jouissance de la vie doit aussi en assumer les déficiences. Jusqu'au bout du bout et ne laisser qu'au Mystère (puisque Dieu est mort) qui préside à nos destinées le droit d'y mettre un terme.

Et de plaider quand même parfois pour son prochain – et pourquoi pas son lecteur : « L'homme est un être de raison – si on veut, cela arrive de temps en temps. Mais il est avant tout un être de chair et d'émotion : Il serait bon de ne pas l'oublier. » (Page 441).

De religion, de toutes les religions il est forcément beaucoup question dans cet ouvrage. Quand on parle de philosophie, la religion n'est jamais très loin pour tenter de lui reprendre la vedette. Aussi parmi les interventions sur le sujet, j'ai eu un faible pour la citation des Frères Karamazov qui n'a pas échappée à MH lorsque « Dostoïevski s'en prend à l'Église catholique, en particulier au pape et aux jésuites. Revenant sur terre, le Christ est aussitôt emprisonné par les autorités ecclésiastiques. Le grand inquisiteur, venant lui rendre visite dans sa cellule, lui explique que l'Église s'est très bien organisée sans lui, qu'ils n'ont plus besoin de lui – et que, même, il les dérange. Il n'a donc d'autre choix que de le faire exécuter à nouveau. » (Page 422).

L'adepte de MH sera, avec cet ouvrage confirmé dans son inclination. Son détracteur pourra moduler sa répugnance avec ces Interventions qui si elles nous confirment que l'auteur aime bien bousculer son monde, n'en restent pas moins au-dessus de la ceinture.

jeudi 30 mars 2023

Trois guinées ~~~~ Virginia Woolf

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1938, la guerre n'est déjà plus une hypothèse. le monstre d'outre Rhin fourbit ses armes. Virginia Woolf publie Trois guinées. La guerre est pour elle entre autres préoccupations une obsession. Autant que celle du statut de la femme dans la société humaine. Statut qui, s'il dédouane cette dernière de la responsabilité de la guerre, a contrario de son congénère mâle, ne l'exonère pas des dommages de cette calamité. Dommages qu'illustrent pour elle les photos « de cadavres et de maisons en ruine » venues d'Espagne, lequel pays fait déjà l'expérience du totalitarisme et son lot de conséquences néfastes.

Dans Trois guinées, Virginia Woolf répond à la lettre d'un homme lui demandant, en désespoir d'envisager lui-même une issue heureuse à la période de tension que connaît l'Europe, comment éviter la guerre. Mais sans doute ne s'attend-il pas à recevoir une réponse laquelle n'a rien d'un réconfort ou d'un espoir.

Une réponse mettant en cause le patriarcat dans sa responsabilité de la situation qui va conduire l'Europe au désastre. le patriarcat, cette moitié mâle de l'humanité qui a mis sous le joug l'autre moitié en instituant sa suprématie depuis l'origine des temps. Suprématie usurpée qui fait enrager Virginia Woolf. Même si en Angleterre les femmes ont obtenu le droit de vote en 1918, cette ouverture à la démocratie est encore loin de leur ouvrir les portes des universités et des carrières professionnelles, ne laissant encore aux femmes, selon Virginia Woolf, comme perspective de promotion sociale que le mariage et la maternité. Suprématie que la religion chrétienne, en contradiction avec la parole du Christ n'a pas su abolir, bien au contraire. Alors que les femmes quant à elles et de par leur complexion peuvent faire naître et prospérer une société égalitaire et pacifiste.

Virginia Woolf enfonce le clou. Dix ans après avoir publié son fameux Une chambre à soi, ouvrage qui l'a cataloguée parmi les militantes féministes. Elle a inventé le « psychomètre », instrument imaginaire propre à mesurer la force émotionnelle émanant de la personne et sa responsabilité dans les situations qu'elle engendre.

« Quel mot peut désigner le manque de droits et de privilèges ? Allons-nous une fois de plus faire appel au vieux mot de « liberté » ?

La « fille de l'homme cultivé », expression que Virginia Woolf invente, revient en leitmotiv dans cet ouvrage. Cette « fille de l'homme cultivé » est son spécimen étalon de l'être privé de droits et de privilège et par là assujetti à une tyrannie sexiste que Virginia n'hésite pas à comparer à la tyrannie totalitaire en train de gangréner l'Europe. Alors que si la femme se trouvait à parité de statut et de droit avec son frère elle serait à même de bâtir et faire prospérer une société de justice, d'égalité et de liberté.

« Les filles des hommes cultivés qu'on appelait contre leur gré des « féministes »… luttaient contre la tyrannie du patriarcat, comme vous luttez contre la tyrannie fasciste. »

Virginia Woolf est à ce point obnubilée par ce déséquilibre fondamental entre les sexes, que de sexe, au sens charnel du terme, il n'est nullement question dans son discours. Au point de l'avoir fait cataloguée de frigide par ses détracteurs. Sans doute à court de répondant à la lecture de ce que cette femme ose publier de ses récriminations émancipatrices. Dans trois guinées, elle nous assène un discours dont la redondance des idées peut paraître fastidieuse. Il témoigne de son obsession du déséquilibre fondamental qui prive ses consœurs de ces justice, égalité et liberté si chère à la femme qu'elle est. Ce martèlement accusateur tente de traduire son exaspération, celle de voir l'humanité courir à sa perte du seul fait de son manque de sagesse et sa cupidité à mettre au crédit de la moitié dominante. Et de clamer que « seule la culture désintéressée peut garder le monde de sa ruine. »

Exaspération qui virera au désespoir au point que Virginia, un jour de 1941, emplira ses poches de cailloux pour s'avancer dans la rivière. Et de fermer à jamais les yeux devant l'ampleur des horreurs du fascisme, dont le patriarcat assume selon elle la responsabilité.


mardi 16 août 2022

L'oeil de Galilée ~~~~ Jean-Pierre Luminet

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Moi qui, "trottinant sur le bas-côté du grand chemin de l'Histoire", ne sais que consommer et ne rien produire, qui soit utile à l'humanité j'entends, dois-je jalouser l'astronome danois Tycho Brahé qui formulait en ces termes son voeu le plus cher : "Ne frustra vixisse videar", que je ne semble avoir vécu en vain.

Avant que de lire cet ouvrage de Jean-Pierre Luminet, L'oeil de Galilée, par quelques nuits claires, les yeux dirigés vers les étoiles, j'avais déjà eu l'occasion de méditer sur la profondeur de l'univers. Mais que savons aujourd'hui de plus que Brahé, Kepler son disciple, Galilée, et autres astronome, mathématicien, physicien de ce fabuleux siècle de la Renaissance, sur le mystère de l'infini. Certes nos yeux sont se sont portés plus loin dans les galaxies, ont découvert planètes, comètes et autres trous noirs, mesuré des distances en années lumières, émis des hypothèses sur la formation de l'univers, le Big bang. Nos congénères ont même fait une incursion sur la boule d'ivoire qui illuminait les nuits de Copernic. "Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité". Mais plus que Brahé, Kepler et Galilée, sommes-nous capables de nous situer entre les deux infinis, le grand et le petit ? Ce mot qui justement échappe à notre entendement. Parce que dans ce mot, in-fi-ni, réside tout le mystère de la vie. Kepler le ressentait bien comme tel, même si, scrutant le ciel avec ce télescope rudimentaire qui vaut à cet ouvrage son titre, il lui fixait des bornes à cet univers.

Aussi qu'importe géocentrisme ou héliocentrisme dont il est beaucoup question ici. Qu'importe si c'est la terre qui est au centre de l'univers, concept cher à Aristote, Ptolémée et consorts, auquel s'accrochaient les "théologiens s'occupant d'autre chose que de foi", dans leur grande intolérance aveugle, ou si c'est le soleil qui est au centre de l'univers, contradiction défendue par Copernic puis Galilée. Ce dernier étant obligé de se déjuger au risque de condamnation pour hérésie, bougonnant dans sa barbe cette réflexion certainement apocryphe : "E pur si muove !" Et pourtant, elle tourne, en parlant de notre planète autour du soleil.

Qu'importe ce que l'on désigne comme le centre de l'univers, puisqu'entre les deux infinis, bien malin qui peut situer un centre. Car c'est là, c'est à dire partout et nulle part, que réside la réponse à la question, la seule, la vraie : pourquoi la vie ? Pourquoi nous sur terre, perdus au milieu de nulle part ? Pourquoi une vie bornée par une naissance et une mort dans un univers qui lui n'en connaît point de bornes ?

Que de questions sans réponse ! Abandonnant la métaphysique pour verser dans le concret, Kepler se les posait déjà. S'imposeront-elles à moi ces réponses quand mon coeur aura cessé d'irriguer cet organe insensé qui transforme un processus chimique en pensées ? Et Dieu sait s'il a bien fonctionné dans le crâne de Kepler ce cerveau, entre 1571 et 1630, pour lui faire écrire autant de théories qui dans sa postérité trouveront leur preuve. Sauf bien sûr la finitude de l'univers.

Il est vrai que lorsqu'on touche aux étoiles, on avance de quelques millimètres vers l'infini. C'est pour cela que l'expression que je trouve la plus seyante pour désigner cette belle science qu'est l'astronomie, c'est bien celle qui qualifiait alors l'astronomie de "philosophie naturelle". Toute hypothèse sur la conformation de l'univers ne sera jamais en fait, aussi loin que se portera notre regard, que vue de l'esprit sujette à réflexion, discussion, rêverie peut-être, et surtout contradiction. Et si un jour un esprit supérieur équipé d'yeux de lynx trouvait des bornes à notre univers, un début et une fin avec comme un grand mur, je serai le premier à l'approuver. C'est vrai ce que tu dis, mais dis-moi, au fait, derrière ce mur, il y a quoi ?

Utilisant le procédé narratif d'un témoin fictif de faits pourtant bien réels, pour autant que leurs colporteurs ne les aient pas trahis au fil du temps, cet ouvrage de Jean-Pierre Luminet a pu en dérouter plus d'un. Il est vrai qu'il y a de quoi se noyer dans les atermoiements des scientifiques de la Renaissance émis entre les menaces des papistes et leur envie de faire éclater le fruit de leurs cogitations illuminées, de mettre à jour l'exactitude, chère à Marguerite Yourcenar, qui seule appartient à la Nature, a contrario de la vérité qui existe en autant de versions qu'il y a de bouches pour la prononcer. Il n'en reste pas moins que Jean-Pierre Luminet a su retirer à ses écrits le côté abscons dont le sujet aurait pu remplir les pages.

La vie de cet homme de science, Kepler et non Galilée comme le titre de cet ouvrage le laisse à penser, m'a passionnée. Je reste subjugué par la production d'autant de théories avec aussi peu de moyens d'observation, et surtout dans un climat aussi tourmenté par la folie des hommes en ce siècle où la religion catholique n'admettait pas la contradiction.

Alors héliocentrisme ou géocentrisme quelle importance dans un univers où nul ne pourra jamais situer de centre. Et pourquoi ne serais-je finalement pas, moi, en entorse à ma réserve naturelle, le centre de l'univers ? Engendré par le grand orgueil du tempérament humain, l'égocentrisme n'est-il pas la seule constante à réunir les générations.

Johann Kepler, astronome ou astrologue ? Les deux mon général ! Il fallait bien flatter les faibles d'esprit quand ils se trouvaient avoir un peu d'influence, et les rassurer quant à un avenir dont ils ne voulaient voir le côté sombre. Avec cette singularité et celle de son époque, dans "la longue marche vers la vérité céleste" il a fait preuve d'une grande sagesse qui mérite d'être connue.

vendredi 11 mars 2022

Le miracle Spinoza ~~~~ Frédéric Lenoir

 

Évoquant son ouvrage majeur alors en préparation, L'Ethique, édité finalement à titre posthume, Spinoza écrivait lui-même, dans une lettre adressée à son ami Henry Oldenburg, qu'il avait délibérément choisi un mode d'exposition de ses pensées qui en rendrait la lecture aride. Le titre complet de son ouvrage se libelle d'ailleurs ainsi : L'Ethique démontrée selon la méthode géométrique.

Me voilà conforté dans mon intention de faire connaissance avec le personnage et sa philosophie avec l'aide d'un "traducteur". Quelqu'un qui me rendrait accessible la pensée du célèbre philosophe, lequel jouit en ce début de siècle d'un engouement nouveau auprès de la part de ses congénères contemporains, mais pas seulement.

D'aucuns expliquent cet engouement d'une part par le fait que Spinoza affichait des pensées très en avance sur son temps, au point de trouver de nos jours un écho singulier dans les milieux intellectuels et politiques. Il affichait un courant de pensée progressiste, tolérant, sachant se démarquer avec prudence, donc intelligence, des modèles imposés par un pouvoir politique autocratique, dont on sait qu'en son temps il était fermement contraint par le religieux.

L'autre aspect de ses textes qui le rend lisible aujourd'hui est plus inattendu. Le mode de raisonnement et de construction de ceux-ci, selon un principe interactif de renvois à de multiple références étayant la démonstration du philosophe, se prêterait particulièrement à la modélisation informatique. C'est le principe du lien hypertexte que l'on pratique abondamment et inconsciemment de nos jours en parcourant les pages web, lesquelles ont évidemment fleuri que lors de ces dernières décennies. Le Magazine littéraire de décembre 2017 publiait un article sur cette analogie constructive qui attendait le clic de souris pour naviguer de pages en volumes hébergés de par le monde, se substituant au contenant physique forcément plus lourd à manipuler.

C'est donc avec le Miracle Spinoza de Frédéric Lenoir que je me suis ouvert à celui qui a eu le cran de s'opposer à l'intelligentsia de son temps peu encline à la contradiction. Un temps où l'opposition de conscience pouvait avoir des conséquences pour le moins brûlantes. Du cran il fallait en avoir au XVIIème siècle pour fondre Dieu dans la Nature, laquelle pour le coup prend la majuscule. Prôner immanence contre transcendance. Du cran pour n'accepter que ce qui aura été démontré par le raisonnement, y compris s'il faut restreindre le champ de ses certitudes, mais surtout refuser de se faire dicter des croyances. Autre similitude avec notre époque contemporaine qui ne reconnaît plus d'autorité statutaire, réclamant à quiconque veut s'imposer de faire ses preuves.

Reconnaissons bien pourtant que, presque quatre siècles après que Spinoza nous a montré le chemin, la raison qui commande de ne pas écouter ses passions pour accéder au bonheur n'a pas encore gagné le combat. Loin s'en faut. Dans une société devenue consumériste, à l'intoxication commerciale agressive, le décodage algorithmique de la pensée du grand philosophe ne suffira pas à nous faire trouver la joie dans le dénuement, la béatitude dans la détermination intime. L'intelligence ne suffit donc pas au raisonnement. Il lui faut ce supplément d'âme pour faire comprendre à cette entité de matière spirituelle, qu'on ne peut appeler créature puisque Dieu est part d'elle comme de toute chose, théorie du monisme chère à Spinoza, qu'elle est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise.

Dans le genre développement personnel, Frédéric Lenoir m'a donc aidé à monter quelques marches depuis les sous-sols obscurs de mon ignorance. Son ouvrage salué par les plus éminents est à la portée de tous. Je l'en remercie d'autant plus que je me reconnais assez bien dans la traduction qu'il nous fait de la philosophie du grand penseur déterminé mais pacifique. de là à la décrypter dans le texte ? Persévérance et longueur de temps entretiennent bien des espérances. Je lis encore et toujours.

 

mardi 1 février 2022

Pourquoi j'écris ~~~~ George Orwell



Quel est ce monstre qui fait réagir George Orwell et commande à sa plume ? On avait bien compris avec ses deux plus célèbres romans, La ferme des animaux et 1984, qu'il y avait une forme de révolte contre toute notion de pouvoir établi, surtout quand il devient cette hydre qui se repaît de l'individu, se légitimant de raison d'état, d'intérêt supérieur, de sécurité nationale et autres justifications fallacieuses. Qui ne sont au final qu'emprise d'un système sur l'individu. Ce monstre qui fait horreur à Orwell porte un nom. Il n'a de cesse de le dénoncer : c'est le totalitarisme.

Il faut dire que George Orwell a été servi en la matière durant toute sa vie. Depuis sa naissance à la veille de 1ère guerre mondiale jusqu'à sa mort au lendemain de la seconde. Entre la révolution russe, l'Allemagne nazie, l'URSS de Staline, la guerre d'Espagne à laquelle il a pris part, les bombes atomiques sur l'impérialisme japonais, la guerre froide, il a eu tout le loisir de mesurer la goinfrerie de ces systèmes toutes obédiences confondues. S'ils s'attribuent souvent et revendiquent la dimension sociale de leur politique, c'est pour mieux leurrer leur proie et s'en repaître.

Son socialisme à lui, Georges Orwell, celui du partage des richesses, de l'égalité de traitement entre les sexes, les races, les religions, il n'en voit pas la couleur. Il ne voit que l'immensité de l'injustice et la misère du monde en pâture aux appétits des systèmes sur toute la palette politique « des conservateurs aux anarchistes ».

« En politique, on ne peut jamais faire que choisir entre le moindre des maux ».

En aucun modèle politique il ne trouve de condition propice à l'épanouissement de l'individu. Entre la pensée de droite qui commande à l'individu de se faire tout seul et celle de gauche qui prône la solidarité quitte à verser dans l'assistanat, entre l'ordre brutal et l'anarchie farouche, entre le ferme-ta-gueule et le cause-toujours, aucun modèle de vie collective ne trouve grâce à ses yeux en cette première moitié du 20ème siècle. Il n'est pas de système politique qui ne soit phagocyteur de la personnalité. Même dans une société qui semble gouvernée selon des principes démocratiques le totalitarisme surnage dans les mains des magnats de l'industrie, de la presse, de la finance.

Et que dire de l'écrivain. Il a quant à lui, sauf à déchoir de son rôle sociétal, une raison supérieure de se démarquer de la tentation politique. Un écrivain doit être un rebelle, un être à part : « accepter n'importe quelle discipline politique me semble incompatible avec l'intégrité littéraire. »

Orwell est trop lucide pour être utopique. Il n'est pas résigné non plus. le doute le gagne peut-être à déplorer l'instinct grégaire de l'animal intelligent. Il se trouve toujours un maître pour le soumettre à un ordre établi par lui et l'endormir avec sa langue de bois.

Las de faire parler les quatre-pattes de la ferme des animaux, de subir big Brother de 1984, Orwell s'investit personnellement et s'affiche dans ses convictions avec cette sélection de textes de sa main réunis dans cet opuscule. Il nous dit à la première personne ce qui lui fait courir sa plume pour laisser à la postérité d'une société qu'il espère plus juste son regret impuissant de voir l'individu livré à la collectivité organisée en société policée.

« Homo homini lupus est » L'homme est malade de sa propre nature. Ne serait-il pas fait pour vivre dans une société conçue par les hommes ?

samedi 13 octobre 2018

L'homme révolté ~~~~ Albert Camus

 



A se heurter aux confins du rationnel, sur cette frontière épaisse et floue qui ouvre sur l'irrationnel, Camus, et sans doute tous les confrères philosophes qu'il appelle à son argumentation avec une préférence pour Nietzsche, me fait penser à cet insecte sous une cloche de verre qui cherche en vain mais avec obstination l'ouverture à l'air libre. La quête de l'absolu pour le philosophe. Après nous avoir convaincus de l'absurde de la condition humaine avec le Mythe de Sisyphe, de cette Création qui ne dit rien de ses intentions, nous voici quelques dix années plus tard, dans la même absence de réponse, et contraint avec Camus à la révolte.

Lautréamont, Sade, Rimbaud, Kafka, et tant d'autres qui peuplent cet ouvrage, autant d'insectes sous la cloche de verre. Tant d'autres qui, de révolte en révolution n'en déplaise à feu le roi Louis XVI, viennent au secours, appelés par lui, d'un Albert Camus qui établit le panégyrique de la révolte, seule conclusion possible à des siècles d'exploration raisonnée.

Camus a le tort de poser les bonnes questions, de remettre en cause si ce n'est en accusation le responsable de tout cela. Tout cela n'étant au final que la condition précaire de l'homme. Dieu nous donne la vie et la reprend. Dieu est donc criminel. Un criminel qui ne manifeste aucunement ses raisons.

Après tout ce temps, depuis que l'intelligence a investi le corps du mammifère pour en faire un homme, force est donc de conclure avec Nietzsche que Dieu est mort. Et l'homme devenu Dieu ? Cela lui rendrait-il justice du sort qui lui est réservé ? Nullement. Et la révolte qui le gagne ne lui apporte pas pour autant de consolation. L'homme devenu Dieu reste mortel. Dans un relatif trop humain, ou tout ne s'entend que par comparaison. Point d'absolu.

La philosophie ne serait-elle au final que l'art de poser les questions ? Et de désespérer des réponses ?

Nous voilà donc revenu au point de départ. A quoi peut alors servir pareil ouvrage à son lecteur, s'il reste sur cette conclusion ? Il sert en tout cas à son auteur à faire entendre son cri, d'autant mieux que quiconque puisqu'érudit et fin lettré. Et moi lecteur j'entends ce cri qui le fait émerger, Albert Camus, du grand concert de l'humanité, ce cri de l'homme enfermé dans sa condition, sa cloche de verre, et qui sait dire mieux que je ne pourrais le faire l'état de souffrance auquel on ne peut que convenir, puisqu'affublé de la même condition.

J'apprends quant à moi maintenant au moins une chose grâce à cet ouvrage. J'apprends pourquoi le philosophe se fait aussi romancier. Il nous le dit page 328 : "le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci".

La quête de l'absolu serait donc là. Dans l'imaginaire.


vendredi 11 août 2017

Lettre à un ami allemand~~~~Albert Camus

 


Il a seize ans et va être fusillé avec d'autres innocents pris en otages comme lui.

"Je suis ton ami" lui dit l'aumônier allemand qui l'accompagne au supplice. Il n'hésitera pourtant pas à le dénoncer dans sa tentative d'évasion. L'amitié aussi a ses tyrannies.

Nous sommes en 1943 et 1944. Albert Camus écrit à son ami allemand d'avant-guerre. Quatre lettres dans lesquelles il lui clame que ceux qui ont rêvé d'un "avenir fabuleux et ensanglanté" pour l'Europe se sont fourvoyés et seront vaincus. A cette "nuit d'Europe" succédera une aube d'autant plus radieuse que les vaincus d'hier seront sans haine contre ceux de demain. Les vaincus d'hier finiront par "détruire leur puissance sans mutiler leur âme".

Quatre lettres. Quatre cris de colère d'un sans Dieu contre ce "désastre de l'intelligence".


samedi 22 juillet 2017

Le mythe de Sisyphe ~~~~ Albert Camus



 
"Il n'est pas de plus beau spectacle que l'intelligence aux prises avec une réalité qui la dépasse." Cette citation tirée de son ouvrage, le mythe de Sysiphe, s'applique à merveille à son auteur.

La réalité nous dépasse tous et le sens de la vie nous est étranger. Nous n'avons cependant à son égard pas tous le même rapport, la même façon de nous tirer d'affaire ou de nous y inclure.

Ceux qui croient en Dieu et ont choisi une religion pour L'honorer ont fait le choix de la facilité. Tout s'explique par Lui et en Lui. La mort n'est qu'une ouverture sur l'éternité en Son royaume. La messe est dite.

Pour ceux qui ne croient pas, le problème reste entier. Parmi eux les simples d'esprit. Ceux-là n'expriment ni tourments ni interrogations. Et au final, heureux les simples d'esprit, le royaume des cieux leur appartient. La célèbre parabole les raccroche aux précédents.

Albert Camus, ni simple d'esprit, excusez du peu, ni croyant, mais contempteur des grandes théories philosophiques qu'il connaît bien, surtout dans leur contradiction, veut une réponse humaine à son état de mortel en mal de pouvoir donner sens à la vie. Sa réponse à lui c'est l'homme absurde. C'est Sisyphe condamné à pousser son rocher vers le sommet de la montagne, et à recommencer éternellement chaque fois qu'il sera redescendu dans la vallée.

"Les grands romanciers sont des romanciers philosophes." Albert Camus nous le prouve avec le mythe de Sisyphe qu'on lira toujours trop vite et trop légèrement tant ces pages sont lourdes de réflexion.

SI je voulais dire une énormité, je dirais que la lecture de cet ouvrage est indispensable à qui se passionne pour l'homme et son oeuvre et veut en approfondir sa connaissance. Encore faut-il être prêt à arpenter un chemin difficile. Camus, romancier-philosophe ou philosophe-romancier, le mythe de Sisyphe nous oblige à la seconde formule. En tout état de cause, un homme concerné, torturé par le sens de la vie, doué de courage et de talent pour l'exprimer.

Alors la mort de Camus contre un arbre en 1960 : accident, élimination ou suite logique d'un raisonnement et conclusion de l'homme absurde. Cette lecture élargit l'éventail des possibles.


dimanche 27 juillet 2014

L'âme du monde ~~~~ Frédéric Lenoir

 



Les pessimistes diront qu'un tel ouvrage est un coup d'épée dans l'eau. Les optimistes seront satisfaits d'y trouver un auteur qui ose encore prôner la sagesse. Est-ce bien raisonnable dans notre société de consommation pour laquelle le bonheur est fondé sur le pouvoir d'achat ?

Ce stade est même déjà dépassé. le toujours plus a trouvé ses limites. A peine le bien désiré est-il acquis que la convoitise s'oriente vers un autre. Alors cette fuite en avant cherche déjà ses dérivatifs et l'esprit matérialiste se brûle les ailes dans la quête de paradis artificiels. Les drogues et autres psychotropes inondent le monde, toutes classes confondues. On n'apprécie plus rien sans effets spéciaux. Les médias suscitent le besoin, entretiennent la frénésie consommatrice, font miroiter des nirvanas aux démunis, traquent et harcèlent les plus réfractaires à l'achat. Comment imaginer qu'on puisse « quitter cette logique de l'avoir pour passer à celle de l'être ». C'est pourtant ce que suggère Frédéric Lenoir avec cet ouvrage qui veut remettre en lumière les clés de la sagesse.

L'auteur extirpe de leur quotidien huit personnages, religieux et laïcs, de tous âges, y compris des enfants, et bâtit un conte moderne qui les conduira dans la vraie quête, celle de la plénitude. le monde terrestre est au bord d'un cataclysme majeur. L'espèce humaine est parvenue, essoufflée, au terme de sa course dans l'erreur, au fond de l'impasse. Elle va prendre un nouveau départ. Ces huit sages qui représentent l'ancienne voie, réunis à Toulanka, vont tenter, forts de leur expérience malheureuse, de donner les bases saines d'un nouveau départ à deux jeunes adolescents. Cette nouvelle voie ne peut donc plus être celle de la satisfaction des instincts primaires. Elle n'est pas non plus celle des religions. Elles ont prouvé leur inaptitude à réunir les hommes. Elles prêchent toutes la tolérance et ont dans le même temps été à l'origine de la plupart des conflits qui ont fait se déchirer les peuples. Cette nouvelle voie ne peut donc être que celle de la sagesse.

C'est un conte des temps modernes auquel Frédéric Lenoir nous convie, dans le sens où il se tient de nos jours. Mais aussi un conte modernisé, car il a une valeur intemporelle et ne fait finalement que remettre au goût du jour les préceptes des philosophes de l'antiquité. A ceci près que de nos jours, la machine s'est emballée, tout va trop vite, il faut lever le pied. Il faut prendre le temps de refaire connaissance avec soi-même, se libérer de l'esclavage que nous imposent nos instincts. Il s'agit pour chacun de retrouver un nouvel équilibre, en harmonie avec le monde, dépassant les limites de sa propre vie sur terre.

Et tout commence par l'estime de soi. Car il n'est pire ennemi que soi-même. Estime de soi, qu'il ne faut pas confondre avec narcissisme ou promotion de son égo. « L'égo veut prendre et dominer ». L'estime de soi est la condition sine qua none pour entrer en harmonie avec le monde dans lequel on vit.

Une lecture superficielle de cet ouvrage laissera l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, de déclamer des évidences. Et pourtant ! Les choses ne sont-elles pas finalement toutes simples.
Une première lecture intégrale vous laissera le goût de revenir dans ces chapitres, au hasard. de rechercher les multiples interventions lorsque « le sage prend la parole et dit : ». Il faut alors écouter la parole du sage, refermer le livre, prendre son temps, méditer, s'interroger, comprendre, regarder autour de soi, regarder en soi, pour finalement s'accepter tel que l'on est, accepter les autres tels qu'ils sont. Accepter son sort aussi, avec son début et sa fin, pour comprendre que cette fin n'est qu'apparente, que tout être se perpétue dans l'Âme du monde.

Ce n'est pas un ouvrage religieux. Il serait même presque anti religieux. Il clame haut et fort « qu'aucune religion ne peut prétendre posséder la totalité de la vérité. ». C'est tout sauf de la béatitude.

Il ne faut pas craindre de lire l'Âme du monde, de placer repères et des index dans ces pages, de le crayonner pour retenir ce que l'on veut, retrouver ces préceptes si évidents qu'on les a oubliés, et surtout oublié de les mettre en pratique.


samedi 12 juillet 2014

Petit traité d'histoire des religions ~~~~ Frédéric Lenoir



Un petit traité, certes, mais un ouvrage suffisamment documenté pour qui veut s'ouvrir à la connaissance des religions sans devenir un spécialiste. Et peut-être une base de départ pour qui voudra approfondir le sujet.

Un excellent tour d'horizon sur le thème, dans l'espace et dans le temps. Avec en prime l'allégation incontestable que les religions sont invention de l'homme, donc forcément dans l'erreur quand elles revendiquent la possession de la vérité et l'universalité de leur prêche.
Difficile de rester neutre sur le sujet. Frédéric Lenoir y parvient. La thèse à soutenir est que toutes ont leur raison d'être ou de ne pas être. L'important étant de ne rien imposer et de laisser chacun à sa croyance devant le grand mystère de la vie.
Une religion n'est jamais qu'une secte qui a réussi.