🌕 🌕 🌕 🌕 🌗
Moi qui, "trottinant sur le bas-côté du grand chemin
de l'Histoire", ne sais que consommer et ne rien produire, qui soit utile
à l'humanité j'entends, dois-je jalouser l'astronome danois Tycho Brahé qui
formulait en ces termes son voeu le plus cher : "Ne frustra vixisse
videar", que je ne semble avoir vécu en vain.
Avant que de lire cet ouvrage de Jean-Pierre
Luminet, L'oeil de Galilée, par quelques
nuits claires, les yeux dirigés vers les étoiles, j'avais déjà eu l'occasion de
méditer sur la profondeur de l'univers.
Mais que savons aujourd'hui de plus que Brahé, Kepler son disciple, Galilée, et autres
astronome, mathématicien, physicien de ce fabuleux siècle de la Renaissance,
sur le mystère de l'infini.
Certes nos yeux sont se sont portés plus loin dans les galaxies, ont découvert
planètes, comètes et autres trous noirs, mesuré des distances en années
lumières, émis des hypothèses sur la formation de l'univers, le
Big bang. Nos congénères ont même fait une incursion sur la boule d'ivoire qui
illuminait les nuits de Copernic. "Un petit pas pour l'homme, un grand pas
pour l'humanité". Mais plus que Brahé, Kepler et Galilée, sommes-nous
capables de nous situer entre les deux infinis, le grand et le petit ? Ce mot
qui justement échappe à notre entendement. Parce que dans ce mot, in-fi-ni,
réside tout le mystère de la vie. Kepler le ressentait bien comme tel, même si,
scrutant le ciel avec ce télescope rudimentaire qui vaut à cet ouvrage son
titre, il lui fixait des bornes à cet univers.
Aussi qu'importe géocentrisme ou héliocentrisme dont il est beaucoup question
ici. Qu'importe si c'est la terre qui est au centre de l'univers,
concept cher à Aristote,
Ptolémée et consorts, auquel s'accrochaient les "théologiens s'occupant
d'autre chose que de foi", dans leur grande intolérance aveugle, ou si
c'est le soleil qui est au centre de l'univers,
contradiction défendue par Copernic puis Galilée. Ce dernier
étant obligé de se déjuger au risque de condamnation pour hérésie, bougonnant
dans sa barbe cette réflexion certainement apocryphe : "E pur si muove
!" Et pourtant, elle tourne, en parlant de notre planète autour du soleil.
Qu'importe ce que l'on désigne comme le centre de l'univers,
puisqu'entre les deux infinis, bien malin qui peut situer un centre. Car c'est
là, c'est à dire partout et nulle part, que réside la réponse à la question, la
seule, la vraie : pourquoi la vie ? Pourquoi nous sur terre, perdus au milieu
de nulle part ? Pourquoi une vie bornée par une naissance et une mort dans un
univers qui lui n'en connaît point de bornes ?
Que de questions sans réponse ! Abandonnant la
métaphysique pour verser dans le concret, Kepler se les posait déjà.
S'imposeront-elles à moi ces réponses quand mon coeur aura cessé d'irriguer cet
organe insensé qui transforme un processus chimique en pensées ? Et Dieu sait
s'il a bien fonctionné dans le crâne de Kepler ce cerveau, entre 1571 et 1630,
pour lui faire écrire autant de théories qui dans sa postérité trouveront leur
preuve. Sauf bien sûr la finitude de l'univers.
Il est vrai que lorsqu'on touche aux étoiles, on avance de quelques millimètres
vers l'infini. C'est pour cela que l'expression que je trouve la plus seyante
pour désigner cette belle science qu'est l'astronomie, c'est bien celle qui
qualifiait alors l'astronomie de "philosophie naturelle". Toute
hypothèse sur la conformation de l'univers ne
sera jamais en fait, aussi loin que se portera notre regard, que vue de
l'esprit sujette à réflexion, discussion, rêverie peut-être, et surtout
contradiction. Et si un jour un esprit supérieur équipé d'yeux de lynx trouvait
des bornes à notre univers, un début et une fin avec comme un grand mur, je
serai le premier à l'approuver. C'est vrai ce que tu dis, mais dis-moi, au
fait, derrière ce mur, il y a quoi ?
Utilisant le procédé narratif d'un témoin fictif de faits pourtant bien réels,
pour autant que leurs colporteurs ne les aient pas trahis au fil du temps, cet
ouvrage de Jean-Pierre
Luminet a pu en dérouter plus d'un. Il est vrai qu'il y a de quoi se
noyer dans les atermoiements des scientifiques de la Renaissance émis entre les
menaces des papistes et leur envie de faire éclater le fruit de leurs
cogitations illuminées, de mettre à jour l'exactitude, chère à Marguerite
Yourcenar, qui seule appartient à la Nature, a contrario de la vérité qui
existe en autant de versions qu'il y a de bouches pour la prononcer. Il n'en
reste pas moins que Jean-Pierre
Luminet a su retirer à ses écrits le côté abscons dont le sujet aurait
pu remplir les pages.
La vie de cet homme de science, Kepler et non Galilée comme le
titre de cet ouvrage le laisse à penser, m'a passionnée. Je reste subjugué par
la production d'autant de théories avec aussi peu de moyens d'observation, et
surtout dans un climat aussi tourmenté par la folie des hommes en ce siècle où
la religion catholique n'admettait pas la contradiction.
Alors héliocentrisme ou géocentrisme quelle importance dans un univers où nul
ne pourra jamais situer de centre. Et pourquoi ne serais-je finalement pas,
moi, en entorse à ma réserve naturelle, le centre de l'univers ?
Engendré par le grand orgueil du tempérament humain, l'égocentrisme n'est-il
pas la seule constante à réunir les générations.
Johann Kepler, astronome ou astrologue ? Les deux mon général ! Il fallait bien
flatter les faibles d'esprit quand ils se trouvaient avoir un peu d'influence,
et les rassurer quant à un avenir dont ils ne voulaient voir le côté sombre.
Avec cette singularité et celle de son époque, dans "la longue marche vers
la vérité céleste" il a fait preuve d'une grande sagesse qui mérite d'être
connue.