Paris
est une fête écrit Hemingway. Un
ouvrage qui déborde d'amour pour celle qui est qualifiée de ville lumière. Même
si ce noble sentiment pour cette ville n'est pas dépourvu de la nostalgie de sa
jeunesse, de sa première épouse avec laquelle il avait emménagé en notre
capitale au lendemain de la première guerre mondiale.
Paris a-t-elle été sauvée de l'obscurité par le plus grand chantier qu'elle ait
connu à l'initiative de Napoléon III ?
Ayant vécu à Londres, ce dernier regrettait de voir notre capitale distancée
dans la modernisation par celle de la perfide Albion. Un leitmotiv scandé en
forme de justification : tout doit circuler : l'air, les gens, l'argent. Un
programme : aérer, unifier, embellir.
Il lui fallait un homme fort, un roc que n'ébranleraient ni les plaintes ni les
récriminations pour transformer la capitale, la moderniser. La rehausser au
rang des capitales européennes. Haussmann a été celui-là. Une brute insensible
diront ses détracteurs. Un visionnaire, certes inaccessible à la nostalgie
puisque la propre maison de son enfance a été sacrifiée à la cure de
rajeunissement, diront les autres.
Expropriation. La lettre qui tue le souvenir. La lettre qui efface de la
surface de la terre des lieux de vie. La lettre qu'ont reçue tous les
propriétaires des bâtiments situés sur le tracé des grands boulevards dessinés
par les urbanistes missionnés par le préfet Haussmann. Condamnés qu'ils étaient
à voir disparaître les lieux qui avaient abrité leur enfance, leurs amours, la
mémoire de leurs ascendants. Ils étaient nés, avaient grandi et étaient morts
entre ces murs. Tués une deuxième fois par la folie d'un être déterminé à
remplir la mission que lui avait confiée Napoléon III.
Avec peut-être quand même l'intention de faire une grande chose pour la
postérité de la capitale et pourquoi pas pour la sienne par la même occasion.
En faire ce qui fait l'admiration de tous ceux qui se ruent sur les grands
boulevards dits désormais haussmannien et la première destination touristique
au monde dépassant Londres. Pari gagné.
Expropriation, c'est le mot qui meurtrit Rose. Dans son cœur,
dans sa chair, dans sa mémoire. Au point de refuser de quitter ces murs qui ont
connu son mari, défunt au jour de la réception de la terrible missive, son
fils, mort aussi dans ces murs qu'on veut lui prendre, à coups de pioche.
Autant de coups de pioche dans son cœur. Rose s'entête.
Elle résistera à l'ogre qu'elle abhorre. Elle ira lui clamer sa peine, réclamer
sa clémence au cours d'un entretien en l'Hôtel de Ville. Peine perdue.
Elle écrit à son mari défunt tout son ressentiment de l'assassinat que l'ogre
veut perpétrer contre sa mémoire. Elle ne supportera pas de voir disparaître ce
coin de cheminée contre lequel lui, son Armand chéri, s'asseyait pour lire son
journal. de voir disparaître la chambre dans laquelle son fils s'est éteint,
victime du choléra dans sa dixième année. le choléra justement. Rose ne veut
pas admettre que l'insalubrité de Paris lui a pris son enfant.
Tatiana de
Rosnay a pris de le parti d'exploiter un fait divers paru dans le
Petit Journal du 28 janvier 1869 pour évoquer le drame qu'ont vécu les
propriétaires des vieux bâtiments situés sur le tracé des nouveaux grands
boulevards. Pour sortir Paris du moyen-âge. Un roman que l'on pourrait
qualifier d'épistolaire puisque le procédé choisi par l'autrice est de lui
faire rédiger une lettre destinée à son cher Armand. Sachant très bien qu'elle
restera lettre morte. Mais qui peut être dira à la postérité son amertume et sa
rancœur, la souffrance de ces petites gens lorsqu'ils ont reçu la fameuse
lettre engageant le grand chantier décrété d'utilité public et d'hygiène pour
la renommée de la capitale. Décrété assassin de ses souvenirs par Rose.
Le procédé est quelque peu artificiel, mais il a le mérite de rappeler à celui
qui s'ébahirait devant les perspectives de la capitale, qui ouvrent toutes sur
des monuments prestigieux en les dégageant à leur vue des badauds, ces grandes
façades agrémentées de riches modénatures, que leur admiration a comporté son
lot de larmes.
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Ouvrages par genre
lundi 10 janvier 2022
Rose ~~~~ Tatiana de Rosnay
dimanche 12 avril 2020
Manderley for ever ~~~~ Tatiana de Rosnay
"Nous sommes tous doubles. Tout le monde l'est. Chacun possède un côté obscur" affirmait Daphné du Maurier dans une lettre qu'elle adressait à l'assistante de son mari traversant une période de dépression. C'est cette dualité aux visages multiples que Tatiana de Rosnay explore et nous dévoile dans Manderley for ever, la biographie qu'elle consacre à la célèbre écrivaine britannique. Elle nous fera découvrir au passage qu'une part de cette dualité trouve son origine dans quelque lointaine ascendance française. Son sujet est un personnage foncièrement captivant et Tatiana de Rosnay ne lui fait rien perdre de sa séduction, loin de là. Et pourtant …
Et pourtant, "les écrivains devraient être lus, et jamais vus ni
entendus", disait elle-même Daphné du Maurier. Voilà de quoi refroidir les
admirateurs. Voilà de quoi décevoir ceux d'entre eux venus à la grille de
Menabilly, le manoir qu'elle avait investi pour être le théâtre de sa vie,
solliciter une dédicace qu'ils n'ont pas obtenue. Toujours en quête de solitude,
aux comportements en trompe l'œil de la vie en société, Daphné du Maurier
préférait l'intimité des relations choisies.
Avec ce magnifique ouvrage, et s'il le fallait encore, Tatiana de Rosnay nous
prouve qu'on ne devient pas écrivain, qu'on naît écrivain. Cet art est comme
toute autre discipline mettant en jeu la sensibilité, le moi profond, il est
inscrit dans la complexion de la personne. Ce qu'Alain Cadéo traduira en
qualifiant l'écrivain d'antenne, propre à capter ce qui traverse l'air au-dessus
de sa personne et que d'autres ne peuvent appréhender. L'inconscient reçoit, le
conscient transmet. Et Joël Diker de compléter, dans son entretien avec la
revue Lire d'avril, en affirmant qu'il n'y a pas d'école pour devenir écrivain.
Il n'y a donc pas de formation pour écrire ces "make-believe", terme
qui, concédons-le à nos amis anglo-saxons, a un degré de suggestion plus fort
que notre fiction qui quant à elle connote l'inventé.
Daphné du Maurier est une écrivaine dont je ne connaissais que le nom. Je n'ai lu
aucun de ses ouvrages. Cette biographie signée Tatiana de Rosnay m'a imposé
d'inscrire dans mon pense-bête de Babelio, l'ouvrage qui aura été à la fois la
bénédiction de sa vie et son calvaire, tant le succès dont il a été gratifié
fut immense et donc inégalable : Rebecca.
Inutile de redire ici ce qui a séduit Tatiana de Rosnay pour s'arrêter sur ce
personnage. Plutôt donner envie de lire Manderley for ever. Je me bornerai à
citer ce qui m'a interloqué chez ce personnage. Avec en tout premier lieu ce regret
d'être née fille. Cette confusion des genres qui a conditionné sa vie de femme,
de mère, au point de préférer son fils à ses filles, influencé ses affinités et
si fortement ses écrits, jusqu'à se complaire dans l'usage de la première
personne dans ses romans quand le "je" était masculin.
Autre motif de fascination est ce besoin essentiel, vital pour Daphné, nous
fait comprendre Tatiana de Rosnay, qu'était celui d'écrire. C'était sa
respiration. Sa liberté. Besoin irrépressible et obsessionnel qu'elle plaçait au-dessus
de tout. Et dont elle comprit toutefois un peu tard à quel point cette frénésie
de solitude nécessaire à la matérialisation de son inspiration a été
préjudiciable à l'harmonie de son ménage, autant que l'a été la carrière de
militaire de haut rang de son époux.
Et enfin, pour ne retenir que quelques points parmi tant d'autres, ce coup de cœur
insensé pour le manoir dont elle n'a jamais été que locataire : Menabilly. Coup
de cœur qui a duré tout le temps qu'elle a occupé cette demeure en Cornouaille
avec sa famille et qui a été, en contrepartie logique, un véritable crève-cœur
lorsqu'elle a dû le restituer à son propriétaire. Rarement il a été donné de
voir une personne déplacer les montagnes, déployer des trésors de persuasion
pour faire sienne une demeure avec la pleine conscience du terme du bail.
Magnifique ouvrage que ce Manderley for ever qui effleure le jardin secret
d'une personne fascinante parce que déroutante. Un personnage tout sauf
conventionnel. Condition sine qua none pour devenir un écrivain à succès à n'en
plus douter.
Daphné du Maurier, un haut pouvoir de séduction confiné dans le huis clos de
ses "infusions", mot code qu'elle utilisait pour traduire le
cheminement de l'inspiration vers la main de l'écrivain, du transcendé vers
l'accessible au lecteur.