Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

lundi 10 janvier 2022

Rose ~~~~ Tatiana de Rosnay


 

Paris est une fête écrit Hemingway. Un ouvrage qui déborde d'amour pour celle qui est qualifiée de ville lumière. Même si ce noble sentiment pour cette ville n'est pas dépourvu de la nostalgie de sa jeunesse, de sa première épouse avec laquelle il avait emménagé en notre capitale au lendemain de la première guerre mondiale.

Paris a-t-elle été sauvée de l'obscurité par le plus grand chantier qu'elle ait connu à l'initiative de Napoléon III ? Ayant vécu à Londres, ce dernier regrettait de voir notre capitale distancée dans la modernisation par celle de la perfide Albion. Un leitmotiv scandé en forme de justification : tout doit circuler : l'air, les gens, l'argent. Un programme : aérer, unifier, embellir.

Il lui fallait un homme fort, un roc que n'ébranleraient ni les plaintes ni les récriminations pour transformer la capitale, la moderniser. La rehausser au rang des capitales européennes. Haussmann a été celui-là. Une brute insensible diront ses détracteurs. Un visionnaire, certes inaccessible à la nostalgie puisque la propre maison de son enfance a été sacrifiée à la cure de rajeunissement, diront les autres.

Expropriation. La lettre qui tue le souvenir. La lettre qui efface de la surface de la terre des lieux de vie. La lettre qu'ont reçue tous les propriétaires des bâtiments situés sur le tracé des grands boulevards dessinés par les urbanistes missionnés par le préfet Haussmann. Condamnés qu'ils étaient à voir disparaître les lieux qui avaient abrité leur enfance, leurs amours, la mémoire de leurs ascendants. Ils étaient nés, avaient grandi et étaient morts entre ces murs. Tués une deuxième fois par la folie d'un être déterminé à remplir la mission que lui avait confiée Napoléon III. Avec peut-être quand même l'intention de faire une grande chose pour la postérité de la capitale et pourquoi pas pour la sienne par la même occasion. En faire ce qui fait l'admiration de tous ceux qui se ruent sur les grands boulevards dits désormais haussmannien et la première destination touristique au monde dépassant Londres. Pari gagné.

Expropriation, c'est le mot qui meurtrit Rose. Dans son cœur, dans sa chair, dans sa mémoire. Au point de refuser de quitter ces murs qui ont connu son mari, défunt au jour de la réception de la terrible missive, son fils, mort aussi dans ces murs qu'on veut lui prendre, à coups de pioche. Autant de coups de pioche dans son cœur. Rose s'entête. Elle résistera à l'ogre qu'elle abhorre. Elle ira lui clamer sa peine, réclamer sa clémence au cours d'un entretien en l'Hôtel de Ville. Peine perdue.

Elle écrit à son mari défunt tout son ressentiment de l'assassinat que l'ogre veut perpétrer contre sa mémoire. Elle ne supportera pas de voir disparaître ce coin de cheminée contre lequel lui, son Armand chéri, s'asseyait pour lire son journal. de voir disparaître la chambre dans laquelle son fils s'est éteint, victime du choléra dans sa dixième année. le choléra justement. Rose ne veut pas admettre que l'insalubrité de Paris lui a pris son enfant.

Tatiana de Rosnay a pris de le parti d'exploiter un fait divers paru dans le Petit Journal du 28 janvier 1869 pour évoquer le drame qu'ont vécu les propriétaires des vieux bâtiments situés sur le tracé des nouveaux grands boulevards. Pour sortir Paris du moyen-âge. Un roman que l'on pourrait qualifier d'épistolaire puisque le procédé choisi par l'autrice est de lui faire rédiger une lettre destinée à son cher Armand. Sachant très bien qu'elle restera lettre morte. Mais qui peut être dira à la postérité son amertume et sa rancœur, la souffrance de ces petites gens lorsqu'ils ont reçu la fameuse lettre engageant le grand chantier décrété d'utilité public et d'hygiène pour la renommée de la capitale. Décrété assassin de ses souvenirs par Rose.

Le procédé est quelque peu artificiel, mais il a le mérite de rappeler à celui qui s'ébahirait devant les perspectives de la capitale, qui ouvrent toutes sur des monuments prestigieux en les dégageant à leur vue des badauds, ces grandes façades agrémentées de riches modénatures, que leur admiration a comporté son lot de larmes.