Les siècles ne tournent pas avec les années zéro. Les
siècles tournent avec des événements qui marquent les esprits. le 19ème s'est
terminé dans la grande sauvagerie patriotique de 14, après que les terres du
nord eussent été gavées de chair humaine. Edmond Rostand n'a pas voulu
connaître le siècle nouveau enfanté par ce martyre des humbles. Il est mort en
1918. Il savait que la lame de boue gorgée de sang qui avait englouti le 19ème
siècle avait emporté avec elle le "raffinement extrême, le luxe verbal et prosodique"
du théâtre en alexandrins. "Rostand a sombré en même temps que la Belle
époque."
Cyrano de Bergerac, l'Aiglon ou Chanteclerc, auront été le bouquet final d'une
époque incarnée par celui qui avait été, très jeune, auréolé d'une popularité
sans égal. Difficile de déchoir quand on a fait plus que tutoyer, plus
qu'embrasser, quand on a incarné la gloire. Après le triomphe de Cyrano, de
l'Aiglon trois ans après, Edmond Rostand avait bien perçu la gageure qui est
celle de durer dans le succès. Ce n'est donc que 10 ans plus tard, après moult
remaniements et atermoiements, qu'il se décide à lancer Chanteclerc, dans une
débauche de décors, d'acteurs emplumés, de déclamations tonitruantes. Mais le
siècle est sur le point de tourner, dans l'apocalypse, emportant avec lui la
Belle époque et la poésie classique.
Les grandes œuvres sont des monuments qui jalonnent l'histoire de la
littérature. Celles d'Edmond Rostand sont érigées à la croisée de courants
littéraires. Le néo classicisme et son exubérance en l'art déclamatoire, devenu
désuet, est supplanté par le surréalisme, plus déconcertant. Le figuratif et le
démonstratif ont vécu. Place au suggestif. Chanteclerc, le fier et bucolique
horloger des campagnes du 19ème siècle s'efface au profit du trivial et mécanique
réveil matin. Le charisme n'est plus une valeur. L'algorithme ne sait pas le
gérer.
Plus qu'une biographie du célèbre dramaturge, François Taillandier nous dresse
un panégyrique de cet "éveilleur d'âmes" et de son œuvre. Véritable
déclaration d'amour à l'adresse de celui qu'il n'hésite pas interpeler dans de
grands élans de familiarité, "mon Edmond", le plaindre parfois,
"mon pauvre Edmond". Il a enchanté sa jeunesse et le fascine
toujours, regrettant du même coup n'être pas né à la bonne époque, n'avoir pu
devenir un grand poète lyrique. N'avoir donc pu connaître celui qui
"incarnait le prestige de la littérature, magnifiait l'idée du
poète." Il dégage de sa personnalité trois caractéristiques qu'il
développe avec force argumentations : le conformisme, dans ses jeunes années,
la gravité, et la démesure.
"Je m'étais promis d'écrire ce livre."
Le temps était donc venu de faire cette déclaration à son idole de jeunesse,
parmi d'autres illustres versificateurs sans doute. N'imaginons pas de calcul avec
le centenaire de la mort de Rostand, il y avait jusqu'alors comme une retenue.
Dès lors, par-delà le siècle, Edmond le lui commande. François Taillandier sent
le moment venu de raviver une mémoire injustement élimée par les décennies
oublieuses de "celui qui voulait bien faire" - sous-titre de cet
ouvrage. S'interrogeant cependant toujours sur la raison de cette connivence d'outre-tombe.
Cet ouvrage est donc bien la confession rétrospective "d'une passion
singulière, anachronique, d'un gamin de quinze ans dans la France des années
soixante." Il est un non conformisme à la biographie, en ce sens qu'il
dévoile l'intimité de son auteur avec son sujet. C'est l'œuvre d'une passion.
C'est ce qui le rend plus touchant que simplement historique.
Quand est venu le moment de faire parler le cœur, de dire le ressenti, la
prose, plus apte à traduire les pensées, encore que, avoue son insuffisance et
laisse la place à la poésie. "Le poète est un professeur d'idéal, de sens
et de beauté."
Je n'arpenterai désormais plus la rue Edmond Rostand à Marseille avec le même
regard. Je devrai à l'opération masse critique de m'avoir ouvert les yeux
devant ce numéro 14, la maison natale du plus jeune académicien que la vieille
dame du quai Conti dame ait compté sous sa coupole.
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